Autoportrait sensoriel de Leos CARAX façon puzzle à un instant T adoptant un style collage de mots, de couleurs, de sons et d'images à la Jean-Luc GODARD, "C'est pas moi" est un drôle de labyrinthe expérimental, traversé de fulgurances. Il faut parfois un peu s'accrocher mais il y a des récurrences qui permettent quand même d'en savoir plus sur celui qui se cache derrière des lunettes noires. Encore un point commun avec Jean-Luc GODARD dont on entend d'ailleurs la voix, la référence est totalement assumée. Mais JJG n'est pas le seul à planer sur le film, Leos CARAX s'amuse avec le vrai et le faux pour glisser des images antagonistes (celles du nazisme notamment) pour mieux parfois en glisser des vraies, notamment un superbe cliché de lui, jeune (et sans lunettes) en compagnie de Leo FERRE (ils auraient un singe en commun que cela ne m'étonnerait pas ^^). Chez Carax, Je est double et l'on peut aussi entendre dans cette expression "Je hais double". J'en veux pour preuve le passage qui m'a le plus scotchée, un portrait extrêmement bien vu façon "Docteur Jekyll et Mister Hyde" de Roman POLANSKI, à la fois victime et bourreau. On retrouve ce dédoublement à travers d'autres alter ego comme Guillaume DEPARDIEU qui incarne à jamais la flamboyance de sa jeunesse rebelle et indomptable et Adam DRIVER dans le rôle de sa part la plus sombre et tourmentée, notamment dans le rapport à la paternité. Mais bien entendu, le double n°1 de Leos CARAX, c'est Denis LAVANT que l'on revoit à tous les âges et sous tous les déguisements au fil des extraits revisités de la courte filmographie du cinéaste, jusqu'au passage truculent dans lequel Leos CARAX chemine aux côtés de M. Merde, son émanation punk et anar toujours prête à sortir de sa boîte (ou plutôt de son égout). Le monde de Leos CARAX est celui de la nuit, aussi, parmi les nombreux extraits de films du cinéma premier qui parsèment le court-métrage, le début de "L'Aurore" (1927) de F.W. MURNAU semble tomber sous le sens! Mieux vaut cependant connaître et apprécier Leos CARAX pour apprécier ce court-métrage déroutant mais génial.
"Je tu il elle" est le premier film de Chantal AKERMAN réalisé juste avant "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975). Je le précise parce que les liens entre les deux films sautent aux yeux: les longs plans fixes, la solitude et l'enfermement dans un appartement, la routine des gestes filmés en temps réel, la centralité marginale à l'époque d'une femme dont on entend les pensées, dont on voit se matérialiser les désirs de façon radicale. Une radicalité qui se marie avec une mise en scène travaillée. "Je tu il elle" se décompose en trois parties bien distinctes. Dans la première ("je tu"), on voit une jeune femme (Chantal AKERMAN elle-même alors âgée de 24 ans) essayer d'écrire une lettre après une rupture amoureuse dans une pièce qu'elle dépouille de ses meubles avant de se mettre à nu. Une façon imagée de "faire le vide". L'aspect expérimental (que l'on retrouvera sur "Jeanne Dielman") passe notamment par un décalage entre l'image et la narration: soit elle annonce que que nous allons voir, soit c'est l'inverse ce qui m'a fait penser au court-métrage de Jean EUSTACHE, "Les Photos d'Alix" (1980) dans lequel image et commentaires finissaient par se désynchroniser. Elle travaille le temps de la même façon que dans "Jeanne Dielman" avec beaucoup de répétitions obsessionnelles qui fait ressentir que cette claustration dure plusieurs semaines. Dans la deuxième partie ("il") qui est une transition, Julie a renoncé à écrire au profit de l'action directe. Elle s'échappe de la cellule et le film se transforme alors en road-movie sous influence américaine avec l'apparition d'un Marlon BRANDO français: Niels ARESTRUP alors âgé de 25 ans! Il joue en effet le rôle d'un camionneur qui prend Julie en stop. Mais la relation s'avère être elle aussi pleine de vide quand elle n'est pas à sens unique: masturbation et confidences crues aussi gênantes que désespérantes à la fois sur la vie de couple et de famille. Enfin dans la troisième partie (elle"), Julie retrouve l'amie à qui elle essayait d'écrire au début du film et les deux femmes se livrent à une longue étreinte rageuse et intense de quinze minutes filmée comme une chorégraphie ou une installation. Cette scène d'homosexualité féminine avait valu au film une interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie et fait figure de manifeste pionnier, près de 40 ans avant "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2 -" (2013). Au final, "Je tu il elle" ressemble à la confession en images d'une jeune fille (Chantal AKERMAN) qui se heurte davantage à l'autre qu'elle n'entre en contact avec lui.
J'étais curieuse de voir comment Louis MALLE avait réussi à adapter le roman de Raymond Queneau que j'ai lu pour la première fois cet été. Je pensais que ça allait donner une bouillie à l'écran. Et ce n'est pas totalement faux. Le style burlesque et cartoonesque qui caractérise "Zazie dans le métro" en version cinéma se prête davantage au court-métrage qu'au long-métrage car sur la longueur, l'hystérie générale devient lassante. C'est d'ailleurs pourquoi dans la génération de Louis MALLE, un Jacques TATI ou un Blake EDWARDS utilisaient le format long pour construire leurs gags sur la durée et pour les insérer dans une histoire pas forcément logique mais qui faisait sens. "Zazie dans le métro" au contraire se perd dans une succession de courses-poursuite sans queue ni tête. Le livre l'était aussi mais son objet, c'était le délire langagier qui présidait également aux "Exercices de style". La transposition au cinéma ne peut pas fournir d'équivalent, même si les mots de Queneau sont repris dans les dialogues. Si le début est plutôt séduisant avec un Philippe NOIRET jeune et charismatique et l'insolence lucide de la petite Catherine DEMONGEOT, la succession continue de séquences surréalistes inspirées manifestement du cinéma burlesque muet ou bien de Tex AVERY finit par devenir répétitive, ennuyeuse et le final "tarte à la crème" avec destruction du décor semble assez gratuit. Par contre, la séquence de la tour Eiffel est très bien mise en scène autour des questions gênantes (pour les adultes) de Zazie autour de la "sessualité" et m'a penser à du Jean COCTEAU (et à "Paris qui dort") (1925).
Il y a du Wes ANDERSON dans ce "Mods" dandyesque et vintage aux références pointues, à la mécanique bien huilée, aux cadres fixes ultra-composés. Références pointues car "Mods" fait référence à une sous-culture britannique jeune urbaine, chic et branchée des années 50 et 60 avec une garde-robe très étudiée destiné à se démarquer notamment des rockers, de même que dans les goûts musicaux (mods fait référence au "modern jazz") et styles de danse. Mécanique bien huilée car dans ce film, tout est chorégraphié au millimètre. Les personnages prennent la pose, répètent les mêmes phrases, reviennent à intervalles réguliers et lorsqu'à cinq reprises, la musique se manifeste et qu'ils se mettent subitement à danser, c'est à la manière quelque peu saccadée et répétitive de l'attraction "danse avec les robots", chaque geste se détachant distinctement des autres. Enfin les cadres fixes ultra-composés rapprochent "Mods" d'une succession de photographies ou de tableaux plus que d'un mouvement cinématographique. On peut également souligner l'enfermement comme trait commun aux deux univers. Le cinéma "maison de poupées" de Wes ANDERSON correspond bien à ce huis-clos universitaire tourné dans quelques uns des plus beaux fleurons anglo-saxons notamment de la cité universitaire de Paris. L'influence manifeste de la nouvelle vague, comme chez Hal HARTLEY les réunit. Mais gare à l'excès de zèle, la forme tendant à supplanter le fond.
Car par-delà cette intrigante et originale forme, de quoi est-il question exactement dans "Mods"? D'un thème archi-classique, le chagrin d'amour qui plonge le délaissé dans un état quasi catatonique. Pour le sortir de sa torpeur, ses deux frères militaires sont invités par l'une des responsables du campus et le film repose pour une bonne part sur la confrontation de ces deux personnages raides comme des triques à un univers complètement décalé.
"Les Photos d'Alix" est l'un des derniers films de Jean EUSTACHE, tourné un an avant sa mort. On y voit en un étrange miroir une de ses amies, la talentueuse photographe Alix Clio-Roubaud, décédé jeune elle aussi trois ans plus tard commenter un jeu de ses photographies en compagnie du fils de Jean EUSTACHE, Boris EUSTACHE alors âgé d'une vingtaine d'années. Un spectateur non averti ne peut qu'être surpris par l'évolution du film. Alors que dans sa première partie, Alix fait un commentaire classique de ses photos, racontant le contexte de leur réalisation, identifiant les personnages, expliquant les effets artistiques recherchés, insensiblement, un décalage se fait jour entre l'image et le son au point que ce qu'elle raconte finit par ne plus rien à voir avec ce qu'elle montre. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux libres associations images-mots des tableaux de René Magritte d'autant que l'une des photographies ressemble beaucoup à la composition de "Le Modèle rouge" (Mi chaussures/Mi pieds humains). A travers ce dispositif de désynchronisation, le spectateur est donc invité à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se dit et à faire travailler son propre imaginaire pour combler les lacunes de ce qui est donné à voir. Et ce d'autant que Alix Clio-Roubaud est une conteuse formidablement charismatique qui suscite un trouble visible chez Boris EUSTACHE, ses commentaires revêtant un fort caractère à la fois exotique (l'importance des voyages où reviennent régulièrement la Corse, Londres et New-York) et intime (l'enfance, les amours, la sexualité, les paradis artificiels). On remarque aussi combien ce film présente de similitudes avec "Une sale histoire" (1977). Un conteur, un auditoire, un espace imaginaire, troublant et poétique, un temps suspendu, celui du récit, un temps retrouvé, celui des souvenirs. Au point même que dans "Les photos d'Alix", l'une d'elles fait penser à "La Jetee" (1963), "Ceci est une image d'enfance".
Rareté récemment restaurée, "Same players shoots again" deuxième court-métrage de Wim WENDERS alors étudiant à l’Hochschule für Fernsehen und Film München (la Haute école de télévision et cinéma de Munich). Quelques images en noir et blanc de "Schauplätze" son premier film réalisé la même année mais perdu se retrouvent au début et à la fin de "Same players shoots again" sans qu'il n'y ait de solution de continuité avec le reste sinon ce que l'imagination du spectateur peut en faire. Ces quelques images sont suffisamment énigmatiques pour que l'on puisse créer un nouveau scénario avec. Celles du début montrent une pièce avec une télévision allumée et des bouteilles d'alcool vides traînant sur la table puis la silhouette d'un homme sortant d'une cabine téléphonique. Celles de fin montre un homme rouler en voiture à travers la campagne avec à l'arrière un passager mourant. Entre les deux, cinq fois le même plan, un travelling latéral suivant un homme armé d'une mitraillette coupé au niveau des épaules. Celui-ci se déplace en titubant, d'abord lentement, puis de plus en plus vite. A chaque fois que le plan se répète, la couleur de l'image change: noir et blanche puis verte, puis jaune, puis rouge et enfin bleue. Wim WENDERS expérimente l'outil cinématographique en revenant aux sources du septième art. L'animation de corps en mouvement se répétant à l'infini fait partie du cinéma primitif et par ailleurs le film de Wim WENDERS est totalement muet. S'y ajoute le traitement de la couleur et une thématique, celle de la violence. Même si celle-ci reste hors-champ, tout l'indique: le titre, les bouteilles d'alcool vides, la mitraillette, la démarche hagarde de l'homme comme s'il était blessé et enfin le mourant à l'arrière de la voiture. Même avec un matériau aussi primitif, on baigne déjà dans une ambiance de thriller même si on est évidemment très loin de "L'Ami americain" (1977). A moins qu'à l'égal de "The Big Shave" (1967) réalisé la même année par Martin SCORSESE il ne s'agisse de dénoncer symboliquement la guerre.
Tout au long de sa carrière, Alain RESNAIS n'a cessé d'expérimenter des formes nouvelles, de jouer sur les rapports entre vérité et artificialité et de télescoper les temporalités. "La vie est un roman" est un titre programmatique et autre aspect récurrent du cinéma de Resnais, l'unité de lieu est ici un château comme dans "L'Annee derniere a Marienbad" (1961). Une scène unique pour trois histoires d'époques différentes (Moyen-Age, première guerre mondiale, époque contemporaine du film) dont le lien paraît assez ténu. Il est question de recherche du bonheur et de l'idéal par l'utopie (ré)éducative, façon secte ou façon débat d'idées. Le tout entrecoupé de jeux d'enfants et d'un conte de fées. En dépit du talent de monteur de Resnais, la mayonnaise ne prend pas vraiment tant le résultat paraît théorique et artificiel. La seule touche de naturel du film provient de Sabine AZEMA qui entamait une fructueuse collaboration avec celui qui allait partager sa vie. Elle apporte de la fraîcheur à un film par ailleurs empesé et kitsch dans lequel la plupart des acteurs cabotinent à mieux mieux faute d'avoir des rôles substantiels. Même si c'est toujours intéressant de comprendre les sources d'influence d'un réalisateur et que l'on discerne par exemple dans "La vie est un roman" les prémisses de "On connait la chanson" (1997), le film est à l'image de son château: une grosse meringue indigeste et décousue.
"Rubber" est un film inclassable qui raconte l'odyssée d'un objet, en l'occurence un pneu prénommé Robert qui par la grâce du cinéma prend vie dans une décharge au milieu du désert quelque part dans l'ouest américain. Tel un nouveau-né, on le voit se dresser, tomber, avancer en vacillant, tomber à nouveau, se relever et finir par partir explorer le monde en roulant sur lui-même. Puis on découvre qu'il s'agit d'un objet "pulsionnel" qui détruit instinctivement tous les obstacles qu'il rencontre sur sa route. Preuve qu'il s'agit d'un film construit, réfléchi, ces obstacles montent en puissance comme dans "L'homme aux cercles bleus" de Fred Vargas. D'abord des objets ou bestioles qu'il peut écraser, puis des objets durs qu'il peut pulvériser à distance par télépathie, puis des animaux et enfin des humains dont il fait exploser la tête selon le même procédé (une référence à "Scanners" de Cronenberg). Gare à ceux qu'il croise sur sa route et particulièrement ceux qui le malmènent, l'objet est particulièrement susceptible. On découvre aussi avec la superbe Sheila (Roxane Mesquida) qu'il a une libido, avec la scène du miroir, qu'il a des souvenirs et avec celle du crématoire à pneus qu'il a soif de vengeance. Ce n'est pas le moindre exploit d'arriver à nous faire croire que cette chambre à air a une "âme", même si l'animation est l'ADN du cinéma, et se marie bien avec le nonsense, le thriller et l'épouvante. Ainsi "Rubber" m'a fait penser (comme "Fumer fait tousser") à "Téléchat" de Roland Topor qui bien qu'étant une émission pour enfant distillait un léger malaise avec ses animaux et ses objets parlants et névrosés mais aussi à "Christine", la voiture serial-killer de John Carpenter. Mais le film de Quentin Dupieux se caractérise par son aspect dépouillé qui en fait un road-movie existentiel proche du "Duel" de Steven Spielberg (où le camion semblait agir de façon autonome) ainsi que que par sa réflexivité. En effet le film a un caractère méta affirmé dès les premières images avec le lieutenant Chad (Stephen Spinella) expliquant face caméra que le cinéma comme l'existence est fondé sur l'absurde avant qu'un jeu ne s'instaure entre un aéropage de spectateurs largués dans le désert et ce flic qui est à fois de leur côté et dans le film qu'ils regardent (hormis l'introduction au "no reason" devenue culte, pas l'aspect de "Rubber" le plus mémorable toutefois, il a tendance à alourdir le propos).
Etait-ce un rêve ou était-ce la réalité? Cette phrase en introduction de la série d'animation japonaise "Vision d'Escaflowne", je l'avais en tête en regardant "Réalité" qui abolit les barrières entre les dimensions du réel, du rêve et de la fiction avec ce mélange unique de ludisme et d'angoisse existentielle qui caractérise le cinéma de Quentin Dupieux. Véritable petit labyrinthe en forme de boucle temporelle, le film à multiples facettes associe voire connecte par le biais du montage et de la mise en abyme des personnages, des intrigues, des lieux et des temporalités incompatibles. Et il en tire un résultat vertigineux et étonnamment rigoureux où il n'hésite pas à appuyer à fond sur la pédale méta. Par exemple, il suit une petite fille américaine (en référence au fait que Quentin Dupieux tourne alors aux USA) qui a récupéré une cassette VHS trouvée par son père dans les entrailles d'un sanglier qu'il a tué en forêt ("vidéo-viande", non je plaisante!). La gamine va passer l'essentiel du film à tenter de visionner la cassette mais lorsqu'elle y arrive, le cadre choisi ne nous permet pas de voir son contenu mais montre au contraire la fillette en train de regarder l'écran de sa TV, scène projetée dans une salle de cinéma devant le producteur, M. Marshall (Jonathan Lambert) et un certain Zog, réalisateur du film dans lequel se trouve "en réalité" la fillette (prénommée "Reality" cela va de soi) ce qui renvoie en miroir le fait que nous en faisons de même derrière notre écran. Ce que Reality regarde a donc également une fonction de miroir, "un homme coincé dans son propre cauchemar" (alias Jason, le caméraman joué par Alain Chabat) et elle croise aussi le rêve de son proviseur lequel est psychanalysé par l'épouse de Jason (Elodie Bouchez) qui parle en anglais (sous-titré) avec le proviseur et le plan d'après en français avec Jason. Cela explique sans doute la raison pour laquelle elle s'appelle Alice! Jason de son côté découvre que le film qu'il a en tête ("Waves") a déjà été tourné et est projeté aux côtés d'un certain "Rubber 2" (sympa l'autoréférence!), avant de découvrir qu'il s'est dédoublé. Quant à l'émission de TV pour laquelle il travaille, elle est présentée par un hypocondriaque dont l'eczéma est dans la tête et qui croit que Jason et lui sont la même personne. L'asile de fous guette mais cette petite pépite bilingue surréaliste référencée (la recherche du meilleur gémissement pour le film de Jason fait penser par exemple à "Blow out" de De Palma, les images extraites de viscères renvoient à Cronenberg, la cassette mystérieuse aux films d'horreur japonais du type "Ring" etc.) et rythmée par la musique de Philippe Glass est aussi une jolie leçon de cinéma comme sait les façonner un Michel Hazanavicius qui apparaît dans le film de Quentin Dupieux pour une scène clin d'oeil de remise de prix qui tourne mal car une fois de plus cela se passe dans la tête d'un homme "coincé dans son propre cauchemar". Brillant!
Présenté comme un retour de Jean-Luc GODARD au cinéma "commercial", ce "Sauve qui peut (la vie)" (1979) est en réalité un film expérimental de plus dans sa carrière. Il est vrai qu'à la différence de ses films les plus radicaux, il y a des stars (Jacques DUTRONC, Nathalie BAYE, Isabelle HUPPERT), Gabriel YARED à la musique, Jean-Claude CARRIERE au scénario avec Anne-Marie MIEVILLE, la compagne de Godard, de beaux plans de ville et de montagne. Mais on est loin du film classique et davantage dans une collection de fragments. D'une certaine manière, "Sauve qui peut (la vie)" est une mise en pratique de ce que Godard théorisait dans "Le Petit soldat" (1960), à savoir que "la photographie c'est la vérité et le cinéma c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde". Du moins c'est comme cela que j'ai compris les nombreux arrêts sur image et ralentis qui décomposent le mouvement et rappellent que le cinéma capture le temps qui suspend ainsi son vol. A cette succession d'images correspondent les instants de vie de trois personnages qui se croisent plutôt qu'ils ne se rencontrent. l'isolement (dans le cadre comme dans la vie) est assez omniprésent dans le film qui correspond assez bien à l'image d'un Godard misanthrope qui tourne le dos à "Les Lumieres de la ville" (1927) de Charles CHAPLIN tout en le citant pour évoquer la deshumanisation des rapports sociaux, lesquels se réduisent à du sexe mécanique et tarifé. Jean-Luc GODARD décrit dans son film surtout des échecs, que ce soit celui du couple ou celui de la famille. Le personnage de Paul Godard (qui souligne à quel point le film est autobiographique) incarne même le nihilisme absolu, rappelant dans sa marche vers l'autodestruction le parcours d'un Michel Poiccard ou d'un Ferdinand. On comprend le choix de sa dernière compagne, Denise Rimbaud (encore un nom à référence) de prendre le large ou plutôt de se mettre au vert. Quant à Isabelle qui fait commerce de son corps, elle navigue entre l'aliénation de l'un (la peur) et la volonté émancipatrice de l'autre (l'imaginaire) ce qui me semble assez bien résumer les contradictions du cinéma. Il y a donc un équilibre dans ce film construit comme une partition à quatre temps et entre les images (plutôt belles voire lyriques) et les paroles (souvent obscènes). Un film intéressant certes mais loin d'être fait pour la majorité ce qui me paraît être la définition du cinéma commercial.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.