"Les émotifs anonymes" joue sur l'hypertimidité de son duo de personnages pour créer des situations comiques à même de faire rire. Et ça marche plutôt bien. Isabelle CARRE et Benoit POELVOORDE sont à la fois touchants et désopilants. La scène dans laquelle ils se retrouvent pour la première fois en tête à tête au restaurant est particulièrement tordante, au sens propre d'ailleurs puisque Jean-René doit s'interrompre toutes les dix secondes pour aller aux toilettes changer de chemise jusqu'à l'absurde. Evanouissement, mains moites, sueurs, tremblements, rougissements, toutes ces manifestations corporelles indésirables sont du carburant comique, au même titre que la non-maîtrise de son environnement dans le cinéma burlesque (tomber, se cogner, glisser, casser, s'emmêler...) qui est au coeur de la scène de la chambre d'hôtel. Dans "Les émotifs anonymes", on sourit également devant le contraste entre les mantras assertifs que prononcent Jean-René et Angélique ("j'ai confiance en moi", "je suis un volcan") et leur incapacité à s'affirmer (pour l'une) et à sortir de sa carapace (pour l'autre) avec pour conséquence la solitude et l'échec. Si on ajoute que la passion pour le chocolat les réunit, on obtient tout de même pas mal de traits autistiques chez ces personnages allant de la phobie sociale à l'intérêt restreint dans lequel ils sont experts. Si j'ai trouvé qu'il y avait des facilités scénaristiques et que les personnages secondaires étaient insignifiants, j'ai bien aimé l'univers acidulé très "Charlie et la chocolaterie" dans lequel ils évoluent. Parce que cela fait écho à leur difficulté à sortir de leur coquille pour affronter le vrai monde, comme Willy Wonka. Vivre sous cloche dans un Disneyland de pacotille est un bon moyen de conjurer ses angoisses. Et Angélique de rappeler une évidence trop souvent oubliée: le chocolat se mesure avant d'être une sucrerie à son degré d'amertume.
Un des quelques films de Francois TRUFFAUT que je n'avais jamais vu. Un film très littéraire, follement romantique et d'une grande richesse. Sans doute un nouvel autoportrait déguisé de Francois TRUFFAUT à travers son double, Jean-Pierre LEAUD qu'il dirigeait pour la première fois dans un rôle différent de celui de Antoine Doinel. Autoportrait déguisé aussi à travers l'oeuvre originale de Henri-Pierre Roché publiée en 1956 dont on aperçoit la couverture dans le générique, dont on entend des extraits en voix-off (celle de Francois TRUFFAUT lui-même) alors que son double de fiction, Claude Roc publie dans la même édition au cours du film un roman "l'histoire de Jérôme et de Julien" qui se réfère de façon assez transparente à "Jules et Jim" (1962) qui est aussi à la base un roman de ce même auteur. Les deux romans sont d'ailleurs liés par leur thème principal, celui du triangle amoureux. Mais dans "Les deux anglaises et le continent", ce sont deux soeurs qui sont amoureuses du même homme et le récit, initiatique, est centré sur leur éducation sentimentale et sexuelle. Autre différence majeure avec "Jules et Jim" (1962), l'histoire se déroule à la Belle Epoque et se divise en deux parties. La première qui se déroule en Angleterre ressemble à un roman du XIX° siècle. On se croirait presque chez les soeurs Brontë ou chez Jane Austen ou encore dans le dîner de Babette et d'autres romans contemporains évoquant le puritanisme. D'ailleurs Truffaut lui-même disait que l'histoire du film était celle d'un jeune Proust qui se serait épris de Charlotte et d'Emily Brontë. Sentiments comme transports y sont en effet retenus à l'extrême. Le moindre regard échangé étant alors considéré comme une invitation érotique, il n'est guère surprenant que Ann Brown (Kika MARKHAM) se révèle à travers une voilette ou ne reçoive le premier baiser qu'à travers les barreaux d'une chaise. Quant à sa soeur, Muriel (Stacey TENDETER), elle a la plupart du temps le regard dissimulé derrière des lunettes ou un bandage sous prétexte qu'elle est fragile des yeux. Une maladie que je soupçonne d'être psychosomatique au vu de ce que l'on découvre plus tard, à savoir qu'il s'agit d'un personnage déchiré entre ses pulsions sexuelles et sa culpabilité à les assouvir. Car la deuxième partie, par contraste avec la première se déroule pour l'essentiel à Paris où vont se rendre l'une puis l'autre des deux soeurs afin d'assouvir leur passion pour le jeune homme qui mène une vie de libertin. Néanmoins ce libertinage n'empêche pas Claude d'éprouver des sentiments profonds pour les deux jeunes filles. On est frappés par le respect qu'il leur porte et par son sens de l'écoute. Le jeu amoureux qu'Ann et lui mettent en place rappelle fortement "le mur de Jéricho" de "New York - Miami" (1933) et il ne tombe que lorsque Ann le décide. Même chose pour Muriel, Claude s'assure plusieurs fois de son consentement. Bref, le séducteur se révèle être aussi un gentleman très éloigné de la masculinité dominatrice et toxique qui a gangrené le monde du cinéma comme le reste de la société. Cette approche délicate met particulièrement bien en valeur la fragilité de Jean-Pierre LEAUD et la pudeur de Francois TRUFFAUT, notamment dans sa manière de filmer les étreintes charnelles. C'est pourquoi leurs amours ont beau être malheureuses, impossibles dans le cadre social qui est le leur, elles n'en restent pas moins belles et émouvantes, à l'image d'un film sublimé par sa mise en scène, sa photographie (signée Nestor ALMENDROS) et la musique de Georges DELERUE.
Misères de l'aiguille ou mystères de l'aiguille? Il est bien difficile de suivre ce film de 1913. Celui-ci est privé d'intertitres, l'image est très dégradée au point d'être parfois aux deux-tiers illisible. Pour ne rien arranger, la fin du film est parasitée par des images venues d'un autre film qui n'a strictement rien à voir. En plus de ces problèmes que l'on peut qualifier de techniques, le peu d'informations que l'on arrive à saisir relève du plus lourd pathos avec une héroïne sur qui les malheurs pleuvent: on la voit rechercher du travail, se faire agresser sexuellement par un alias de Harvey Weinstein qui la renvoie quand elle le repousse puis s'échiner à la tâche à domicile pendant que son mari se meurt. Après avoir déposé au clou ses maigres biens, elle reçoit une mauvaise nouvelle (sans doute l'annonce de son expulsion) qui l'amène au bord du suicide. Heureusement une miraculeuse coopérative ouvrière vient la sauver. Car c'est l'objectif final du film (issu lui même d'une coopérative d'artistes venus du théâtre et du music-hall), faire la propagande d'une oeuvre sociale de charité. Bref rien d'intéressant sinon que l'héroïne, Louise est jouée par MUSIDORA dont c'était la première apparition à l'écran, le film étant réalisé par l'un de ses partenaires au théâtre du Châtelet, Raphael CLAMOUR.
Il y a des éclairs de génie dans "Un peuple et son roi", à l'image de cette pierre de la Bastille qui tombe, faisant symboliquement entrer le soleil dans le quartier populaire du faubourg Saint-Antoine. Comme un mai 1968 avant la lettre ("Let the sun shine, let the sun shine in"). Dans le même esprit, il y a cette petite fille qui danse au milieu des plumes échappées des oreillers éventrés lors de l'assaut des Tuileries du 10 août 1792. Mais le problème, c'est que ces moments visionnaires ne parviennent pas à s'assembler pour former un tout cohérent et puissant qui nous emporte tout en nous éclairant sur une période historique riche et complexe. En effet, où que l'on se tourne, le film apparaît bancal. Sur le plan historique tout d'abord, le film s'intitule "Un peuple et son roi" mais il ne respecte pas le contrat en introduisant un troisième protagoniste: l'assemblée législative. Or cette assemblée, le film en escamote complètement les origines ce qui d'ailleurs explique que la prise de la Bastille soit évoquée sans être expliquée (attaquer un symbole de l'arbitraire royal oui mais pourquoi à ce moment là? Aller prendre de la poudre, oui mais dans quel but?) C'est ennuyeux parce que soit il ne fallait pas en parler du tout, soit il fallait au moins montrer qu'elle était issue d'un vote populaire et qu'elle représentait les aspirations populaires, au moins à ses débuts. Cela aurait permis de mieux comprendre le fossé croissant entre la bourgeoisie (bien représentée à l'assemblée) et les classes populaires (réduites au rang de spectateurs et privées du droit de vote) jusqu'à la rupture définitive de la fusillade du champ de Mars du 17 juillet 1791. Mais on s'éloignait sans doute trop du sujet. Autre problème majeur, l'escamotage quasi complet du clergé et de la noblesse, les ordres privilégiés qui tout autant que le roi étaient au coeur du pouvoir sous l'Ancien Régime. Dans le film de Pierre SCHOELLER, on a l'impression que le roi gouverne seul et qu'il est la seule cible des soulèvements populaires. Or le film escamote complètement la grande peur, jacquerie qui s'est répandue dans la majorité des campagnes françaises à la suite de la prise de la Bastille et a conduit à l'abolition des privilèges puis à l'adoption de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le versant sombre des émeutes populaires comme les massacres de septembre 1792 est également ignoré. De même que le rôle des soldats fédérés dans l'assaut des Tuileries. Il faut dire que les personnages issus du peuple sont à une exception près des artisans et ouvriers parisiens. Et l'exception, c'est un vagabond pas vraiment représentatif de la paysannerie française (et puis choisir Gaspard ULLIEL, ça fait très "Jacquou le croquant"). On a donc une vision de l'histoire abusivement simplifiée. Car sur le plan romanesque, ce n'est guère plus convaincant. Pierre SCHOELLER tente de relier petite et grande histoire en suivant toute une série de personnages, célèbres ou anonymes mais fatalement, il s'éparpille. Plus ennuyeux encore, il alterne des scènes qui se veulent épiques (mais qui manquent d'ampleur, faute de moyens?) et des joutes oratoires très statiques à l'assemblée. C'est dommage au regard de la qualité du casting (Olivier GOURMET est une fois de plus excellent tout comme Laurent LAFITTE dans le rôle d'un Louis XVI dépassé par les événements) et le réalisateur fait un effort louable pour mettre en avant le rôle des femmes (les lavandières jouées par Adele HAENEL et Izia HIGELIN). Mais il est noyé sous le poids d'une Histoire trop lourde pour ses frêles épaules.
Lorsque Michel BLANC est décédé, c'est l'un de ses films récents qui a été le plus cité par les internautes. Preuve que contrairement à ce qu'avait dit une partie de la critique à sa sortie, "Les petites victoires" n'était pas destiné à être oublié une fois consommé. Sous-entendu, le cinéma populaire serait dénué de qualités cinématographiques. Alors certes "Les petites victoires" est un film sans prétention mais est une réussite dans son genre. D'abord son sujet: la lutte contre la désertification rurale, traitée sur le mode de la comédie, ça fonctionne tellement bien que cela donne les scènes les plus drôles du film. Celle de la boulangerie reconvertie en bistrot clandestin montre que le besoin de lien social est plus fort que le pain! Et celle dans laquelle les villageois se liguent pour faire croire à l'inspecteur du rectorat que la classe unique du village compte assez d'élèves pour ne pas être fermée va dans le même sens. L'increvable Marie-Pierre CASEY en guetteuse avec talkie-walkie, lunettes noires et bob Ricard, il fallait y penser quand même! Car les seconds rôles sont bien mis en valeur et sont portés pa des acteurs de talent, de India HAIR à Lionel ABELANSKI. Ensuite, le tandem-vedette fonctionne particulièrement bien, tant par le talent des acteurs que par l'écriture de leurs personnages en quête d'émancipation. Julia PIATON est très convaincante dans le rôle d'Alice, une jeune femme débordée qui se démultiplie pour sauver son village (elle est à la fois maire, institutrice, assistante sociale, psy, docteur...) au point de s'oublier elle-même. Ce qui n'échappe pas à Emile Menoux (Michel BLANC), ancien ouvrier du genre ours mal léché qui en réalité ne peut plus cacher son illettrisme, son frère avec qui il vivait venant de décéder. Lorsqu'il décide de retourner à l'école pour surmonter son handicap, on découvre que son frère le tenait sous sa coupe en lui cachant les lettres d'amour qu'il recevait. C'est pourquoi Emile comprend que Alice saborde sa vie affective par devoir filial vis à vis d'un père décédé et l'aide à "élargir son périmètre" et vice-versa. Enfin, le côté "éternel enfant" de Michel BLANC ressort particulièrement bien au travers de sa relation pleine de spontanéité avec les enfants de la classe unique du village. Tout semble tellement naturel que l'on oublie que l'un des élèves a plus de 65 ans et que l'on s'amuse beaucoup devant les réactions des uns et des autres.
"Saint Omer" est un cas d'école d'un film que la critique a encensé, qui a obtenu des prix prestigieux (le lion d'argent à Venise, le prix Jean Vigo) mais dont les choix artistiques ont quelque chose de rédhibitoire. Il y a le postulat de départ déjà, le parallèle effectué par Alice DIOP entre Rama et Laurence, deux femmes qui ne se connaissent pas, l'une allant simplement assister au procès de l'autre dans le but d'écrire un livre, pourquoi pas? Fallait-il pour autant à ce point faire de l'une le miroir de l'autre, à savoir une femme noire vivant en couple mixte, n'assumant pas sa grossesse devant sa famille et ayant une relation difficile avec sa propre mère? A y regarder de plus près, leurs situations respectives sont différentes et l'histoire de Rama (double de la réalisatrice?) a tendance à recouvrir celle de Laurence, autrement plus tragique (et inspirée d'une affaire réelle, celle de l'infanticide commis par Fabienne Kabou). Ensuite, il y a l'aridité du dispositif. Le film est majoritairement un huis-clos judiciaire se composant de plans fixes dans lesquels l'accusée, plutôt que de se souvenir semble réciter d'une voix monocorde un texte appris par coeur. Il en va de même lorsque la juge et les avocats interviennent. Cette distanciation, cette froideur semblent plus appropriés pour écrire un essai philosophique que pour faire partager une expérience sensible. Bref c'est trop abstrait, trop intellectuel, trop artificiel si bien que les questionnements, aussi pertinents soient-ils (sur la maternité, sur le racisme, la condition féminine, l'immigration etc.) n'impriment pas, faute d'être véritablement incarnés à l'écran. Seule la fin apporte enfin quelque chose d'un peu humain (des larmes, la voix de Nina SIMONE etc.) mais c'est trop tard. Ce n'est pas parce que les personnages sont vides et secs à l'intérieur d'eux-mêmes que le film doit à ce point leur ressembler. A moins que ce ne soit calculé pour plaire aux critiques en leur balançant une ou deux références capables de les faire se pâmer (allusion à la Chimère, extrait du film de Pier Paolo PASOLINI, "Medee") (1969) De ce point de vue, c'est réussi.
"Pays de cocagne" est le dernier des cinq long-métrages de Pierre ETAIX et son premier et seul documentaire. C'est en suivant sa femme Annie FRATELLINI qui faisait une tournée des plages durant l'été 1969 pour le podium d'Europe 1 que Pierre ETAIX découvre la France du tourisme de masse dont il dresse un portrait particulièrement corrosif. Son précédent film "Le Grand amour" (1968) qui était son premier film en couleur amorçait déjà un virage entre la poésie tendre de ses débuts et la satire sociale mais "Pays de cocagne" va beaucoup plus loin dans l'humour grinçant. Par le biais du montage (qui a duré près de huit mois alors que le tournage n'en a pris que trois) et de la bande-son, Pierre ETAIX dézingue à tout va la mocheté de la France des années Pompidou (celle-là même que quelques années plus tard, Bertrand BLIER va à son tour prendre pour cible avec "Les Valseuses") (1974). Alors certes, les reproches qui lui ont été faits à propos de sa condescendance vis à vis de la France d'en bas ne sont pas tous infondés. Parfois son insistance à filmer et faire témoigner des gens bêtes, vulgaires et disgracieux fait penser aux "sans-dents" de François Hollande. Mais beaucoup de ses observations sont justes. Oui la Grande-Motte qu'il filme horrifié à au moins trois reprises est un cauchemar architectural, une dystopie de béton avec ses figures géométriques anxiogènes. Le parallèle avec les casernes HLM construites au même moment pour les mêmes populations s'impose et Pierre ETAIX créé une symphonie de l'enfermement, de l'uniformisation et de la promiscuité. Pendant qu'une voix s'extasie sur les vacances, il fait entendre les braillements des gosses, les tentes toutes semblables qui jouent à touche-touche comme les parasols et les serviettes sur les plages bondées, les sanitaires de campings à la propreté plus que douteuse. Il filme aussi des animations dégradantes dans lesquelles les caravanes publicitaires envoient des objets à la foule qui se jette dessus comme une meute de chiens affamés (aspect dont j'ai été témoin sur le Tour de France qui est d'ailleurs également montré au début du film). Ou bien des variantes dans lesquelles il faut grimper à un poteau pour attraper des produits, des jeux répugnants avec de la nourriture ou encore des prestations vocales plus risibles les unes que les autres. D'une certaine manière, "Pays de cocagne" est l'antithèse de "Les Vacances de Monsieur Hulot" (1952) et ce miroir tendu à "La France moche" a valu à Pierre ETAIX de tomber en disgrâce.
On prend les mêmes et on continue: si vous avez aimé le premier volet, vous aimerez le second, "Indian Palace: suite royale". L'atout principal reste le même: le fabuleux casting qui réunit la crème des acteurs anglais que l'on a un évident plaisir à retrouver, une touche hollywoodienne en plus. Mais pour faire quoi au juste? Je me le demande encore tant le scénario de cette suite manque d'enjeux. La plupart des intrigues sont menées si mollement qu'elles s'essoufflent presque immédiatement. Il en va ainsi de la concurrence professionnelle et amoureuse entre Sonny Kapoor (Dev PATEL qui cabotine toujours aussi outrageusement) le gérant du Best Exotic Marigold Hotel et Kushal Kadania, beau gosse indien qui semble échappé de Bollywood. Ou encore d'un inspecteur mystère (Richard GERE) bien peu convaincu par sa mission mais qui dès son arrivée se met à draguer la mère de Sonny. A moins que ce ne soit Lavinia Beech (Tamsin GREIG vue dans "Tamara Drewe") (2009) qui a l'air de se demander ce qu'elle fait là. Car ce qui domine dans le film, ce sont les intrigues amoureuses entre des seniors qui pètent la forme, au point de reprendre pour certains une activité professionnelle et de se déhancher comme des diables lors d'une scène de mariage suivie d'une chorégraphie très bollywoodienne. Seule exception à cette débauche d'énergie, le personnage de Maggie SMITH qui jette un regard particulièrement mélancolique sur une fête d'où elle reste à l'écart. Alors pour conclure, il y a deux façons de voir le film. Côté pile, il s'agit d'un divertissement parfaitement superflu. Côté face, tout film qui fait jouer (a fortiori ensemble) des acteurs brillants et intègres tels que Maggie SMITH, Judi DENCH ou Bill NIGHY qui ont dû se battre pour ne pas disparaître derrière l'obsolescence programmée du monde du cinéma est digne d'intérêt.
En dépit du grand prix obtenu à Cannes, "All we imagine as light" est bien parti pour rester un film confidentiel, peu distribué et projeté dans de petites salles. C'est avant tout un film d'atmosphère, construit sur un contraste entre l'effervescence de Mumbai et le calme apparent d'un village au bord de la mer. D'une nuit bleutée filmée à l'aube en caméra cachée à la façon d'un documentaire émergent trois femmes qui ont en commun d'avoir comme des centaines de milliers d'autres habitants de l'Inde quitté leur village pour une vie meilleure dans la métropole économique du pays. Une vie meilleure toute relative avec des maux communs aux autres grandes villes d'Asie: le surpeuplement, la promiscuité mais aussi la gentrification qui grignote l'espace de vie déjà restreint des classes populaires au profit des privilégiés. S'y ajoute la question du communautarisme qui aussi bien issu du système des castes que du modèle anglo-saxon fait cohabiter les groupes en leur interdisant de se mélanger. Ainsi que celle d'une condition féminine marquée par l'empêchement.
Le poids du patriarcat est en effet un autre thème majeur. Prabha, Ranu et Parvaty, les trois héroïnes du film travaillent dans le même hôpital. La troisième qui est la plus âgée est sur le point de se faire expulser de son logement qui va être rasé. La première et la deuxième qui sont colocataires ont beau travailler, elles sont victimes du poids des traditions et du machisme. Prabha a été mariée à un homme qui l'a délaissée pour partir travailler en Allemagne et s'interdit d'aimer à nouveau alors que Ranu est amoureuse d'un musulman qu'elle ne peut fréquenter que clandestinement. Elle rêve de se donner à lui mais cela aussi est impossible: ils n'ont nulle part où se réfugier, l'intimité leur est interdite.
Réunies à la ville, les trois femmes le sont aussi à la campagne lorsque Prabha et Ranu accompagnent Parvaty qui décide de retourner dans son village. Par rapport au tumulte de Mumbai, filmé comme un carrousel de lumières rouges et bleues, le village apparaît comme un havre de paix, propice à l'échappée onirique et spirituelle. Chacune d'elle semble y revivre et une lueur d'espoir jaillit enfin dans la prise de conscience de leur condition commune et de la nécessité de se serrer les coudes pour gagner en liberté. On assiste au triomphe du naturel sur l'ordre social mais celui-ci a été gagné de haute lutte et l'avenir de Prabha et Ranu reste en suspens. "All we imagine as light" est un film assez lent, voire languide et comme beaucoup de films d'auteur/d'autrices asiatiques, très esthétique mais il n'est ni abstrait, ni abscons. Contrairement aux films de Apichatpong WEERASETHAKUL ou à "L'Arbre aux papillons d'or" (2023), l'être humain reste au centre du récit. De même, la société dans laquelle il vit est montrée avec un réalisme documentaire.
Deuxième film de Michel BLANC réalisé dix ans après "Marche a l'ombre" (1984), "Grosse fatigue" est le miroir d'un acteur qui a cassé son image après "Tenue de soiree" (1986) qui lui a valu le prix d'interprétation masculine au festival de Cannes. Exit les avatars de Jean-Claude Dusse? Pas tout à fait. Car dans "Grosse fatigue", le Michel BLANC devenu respectable aux yeux de l'intelligentsia s'invente un sosie de loser obsédé (bref une version sombre de Jean-Claude Dusse) bien décidé à tout faire pour prendre sa place. Comme si cette place, il n'y avait pas droit. Même si "Grosse fatigue" reste une comédie où on rit beaucoup des quiproquos liés à la confusion entre Michel et Patrick, ce dédoublement ouvre de vertigineux questionnements existentiels liés au syndrome de l'imposteur en plus d'être une mise en abyme du cinéma français (qui traversait une mauvaise passe). Celui de Michel BLANC mais aussi celui de Bertrand BLIER qui lui a suggéré l'idée du film (qui s'inspire par ailleurs d'une mésaventure authentique arrivée à Gerard JUGNOT) et imprime sa marque dessus. Quoi de plus normal pour le réalisateur à l'origine de la mue de Michel BLANC, symbolisée par la disparition de sa moustache à la fin de "Tenue de soiree" (1986)? Pas étonnant que la bande du Splendid, convoquée au complet ne parvienne pas à le reconnaître dans "Grosse fatigue" (1994). Et que sa partenaire dans le film soit Carole BOUQUET. Car sur "Grosse fatigue" plane l'ombre de "Trop belle pour toi" (1989). Qu'est-ce que j'ai de moins que Josiane BALASKO finit-elle par dire en substance, comme si le questionnement du film de Bertrand BLIER se prolongeait dans celui de Michel BLANC. Michel et Carole y sont en effet poursuivis par leur image, celle du "casse-couille" et celle de la femme "froide". Une froideur déconstruite par Michel BLANC qu'elle couve avec des accents qui rappellent de manière troublante Therese LIOTARD dans "Viens chez moi, j'habite chez une copine". (1980) A moins que Michel ne soit Patrick qui préfère les femmes avec un T-shirt Mickey à celles en tailleur Chanel?
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.