Il y a sept ans, j'ai reçu en cadeau un coffret de onze films de Martin SCORSESE. Et pourtant ce n'est qu'aujourd'hui que je regarde "Le Loup de Wall Street" (2013) et je n'ai pas encore vu les deux autres de la même eau qu'il a réalisé avant, "Les Affranchis" (1990) et "Casino" (1995). Ce n'est clairement pas ma came si j'ose dire, ce grand cirque hyperactif et hyper-testostéroné même si dans "Le Loup de Wall Street", l'addiction au fric, au sexe et aux drogues ne s'accompagne pas d'un bain de sang. On reste entre cols blancs aux mains bien sales quoique blanchies en Suisse (merci à notre acteur frenchie, Jean DUJARDIN).
L'immersion dans la fuite en avant complètement déjantée d'un escroc de la haute finance ne manque pas d'intérêt. Jordan Belfort représente une version dévoyée et grotesque de la réussite du self made man et Martin SCORSESE s'avère toujours aussi doué pour croquer le portrait de l'inconscient américain. La forme frénétique épouse le fond du personnage, un bonimenteur sans scrupules que ses capacités de persuasion mènent au sommet du succès avec tous ceux qui acceptent de le suivre dans son délire de toute-puissance sur fond de revanche sociale. Le portrait de cette Amérique-là est fort juste, on y trouve tout ce qui caractérise ses pires travers: l'individualisme exacerbé nourri de darwinisme social (derrière les histoires édifiantes de pauvres femmes sorties du ruisseau grâce à lui, la jouissance de pouvoir "entuber" les autres), le culte du dieu dollar (il faut voir avec quel mépris Jordan traite tous ceux qui ne croulent pas sous le fric), le mode de vie ostentatoire et vulgaire qui en résulte, l'inconscience des ravages causés par ses actes, les excès en tous genres qui rappellent notamment ceux du "Scarface" (1983) de Brian DE PALMA avec l'alcool coulant à flot sur les montagnes de coke et de cachets tandis que l'adrénaline accumulée est déchargée dans les orgies de sexe qui servent de substitut aux fusillades, les femmes, toutes vénales ou presque étant ravalées au rang d'objets sexuels interchangeables. Leonardo DiCAPRIO est phénoménal dans le rôle principal par son abattage avec quelques scènes d'anthologie comme celle du téléphone.
Néanmoins 3h d'un tel barnum, c'est trop. Au bout d'une heure on a bien compris à qui on avait affaire et la répétition ad nauseam de ce schéma nous mène à l'épuisement pour ne pas dire à l'écoeurement. Il y a un problème d'équilibre dans le film. Car certes, Martin SCORSESE nous ramène parfois dans le monde réel, au détour de quelques scènes qui sont de loin celles que j'ai trouvé les plus intéressantes: celle où Jordan avoue dans un rare moment d'introspection que le loup le dévore de l'intérieur, celle où il bat sa femme et tente d'embarquer de force sa petite fille complètement terrorisée, celle dans laquelle l'agent du FBI prend le métro et regarde (et la caméra avec lui) la misère qui l'environne, celle dans laquelle Jordan est condamné par la justice. Mais ces moments sont trop rares pour dissiper l'impression que le réalisateur s'est laissé happer dans le tourbillon de la fascination pour son personnage et qu'il a eu bien du mal à redescendre. Du loup au vampire il n'y a qu'un pas et Martin SCORSESE m'a paru un peu trop "mordu".
Après avoir vu ce documentaire riche et éclairant - que l'on peut juger trop court mais qui fait quand même 1h17 soit plus que la moyenne standard de 52 minutes - j'ai déduit que Clint EASTWOOD était un pont, à l'image de celui qui illustre l'un de ses films les plus célèbres, "Sur la route de Madison" (1995). Un pont entre l'Amérique et l'Europe, entre la télévision et le cinéma, entre la country et le jazz (comme "The Blues Brothers" (1980), on y entend le thème de la série "Rawhide" (1959) dans laquelle il joua alors que "Bird" (1987) célèbre la musique de Charlie PARKER), entre le masculin et le féminin, facette de sa personnalité qui a été révélée au monde par "Sur la route de Madison" (1995) mais qui était déjà présente dans l'un de ses premiers films, "Breezy" (1973). Un pont aussi entre conservatisme et progressisme: connu pour ses idées républicaines et ses discours parfois réacs, Clint EASTWOOD n'a pas moins mis en scène dans ses films la plupart des minorités: des indiens ("Josey Wales, hors-la-loi") (1976), des afro-américains ("Bird") (1987), des Hmong ("Gran Torino" où d'ailleurs il tourne son image de réac raciste en dérision) (2008), des témoins de Jéhovah et des détenus en cavale ("Un monde parfait") (1993), des hippies ("Breezy") (1973), des transsexuels ("Minuit dans le jardin du bien et du mal") (1997). Enfin si le film s'intitule "Clint Eastwood, la dernière légende", c'est aussi parce qu'il fait le pont entre le cinéma classique hollywoodien (le film met en évidence l'influence d'acteurs tels que Gary COOPER et James CAGNEY sur son jeu) et le cinéma contemporain. A ce titre, l'un des moments les plus mémorables du documentaire est une archive dans laquelle Orson WELLES dit que Clint EASTWOOD était au début des années 80 l'un des réalisateurs les plus sous-estimés du monde. En effet de nombreuses images d'archives attestent qu'à l'image de Sergio LEONE, Clint EASTWOOD était alors dénigré par une critique snobinarde aussi bien comme acteur que comme réalisateur et ce jusqu'au festival de Cannes. L'homme a depuis fait taire les mauvaises langues et mis tout le monde d'accord. Même "Dirty Harry" (1971) a droit à une relecture intéressante. Outre le travail de Don SIEGEL qui a servi de modèle à Clint EASTWOOD pour son propre style de réalisation, le personnage apparaît dans certaines des scènes les plus violentes comme habité par la folie ce qui l'éloigne des super-héros surjouant leur virilité en dépit de ce que suggère la longueur du calibre qu'il utilise.
Je ne suis vraiment pas fan des histoires impliquant des têtes couronnées mais la présence de Sandra HULLER dans le rôle de la dame d'honneur de l'impératrice Elisabeth (Susanne WOLFF) m'a donné envie de jeter un coup d'oeil au film. Celui-ci en effet adopte des partis-pris intéressants. Comme le "Marie-Antoinette" (2005) de Sofia COPPOLA il donne une tournure rock and roll à la vie de Sissi à l'aide d'une bande-son anachronique idoine mais aussi en insistant sur les excentricités d'une impératrice à la fois terriblement bridée par ses obligations (intimes comme publiques) et toujours en mouvement. Pour la première fois dans un film, j'ai ressenti le lien entre la pression extérieure extrême exercée sur un corps (symbolisée comme dans "Titanic" (1997) et je le suppose d'après son titre puisque je ne l'ai pas vu, "Corsage" (2022) par les lacets d'un corset que l'on serre jusqu'à l'étouffement dès les premières images) et le traitement de choc infligé à ce corps par l'esprit qui l'habite pour en reprendre le contrôle comme pour s'en évader (drogue, tatouage, troubles du comportement alimentaire, exercices physiques, blessures, fuite sous des climats exotiques à l'opposé du carcan monarchique et conjugal etc.) On se croirait presque chez Rimbaud lorsqu'il évoque "le dérèglement de tous les sens" mais évidemment pas dans le même objectif. Frauke FINSTERWALDER créé un film solaire et organique en faisant la part belle aux fluides corporels qui viennent constamment rappeler les êtres vivants qui se dissimulent sous les costumes du XIX° siècle: sang, vomi, sueur, sperme, urine, diarrhée, larmes, pus. La sensorialité du film est particulièrement axée sur le goût au vu de l'obsession du contrôle alimentaire de Sissi mais également sur les odeurs. En témoigne le passage dans la Casbah d'Alger où ce beau monde se met de la menthe sous le nez pour conjurer les miasmes de leur environnement immédiat. Enfin "Sissi et moi" comme son titre l'indique adopte le point de vue de la dame d'honneur complètement fascinée pour ne pas dire énamourée du personnage à la fois punk et assujetti qu'elle doit accompagner ce qui fait penser à "Les Adieux a la Reine" (2012). Mais le personnage joué par Sandra HULLER est intéressant en lui-même. Vieille fille rabaissée et violentée par sa mère parce qu'elle n'entre pas dans les cases, elle est tiraillée, on le comprend assez vite entre sa pruderie qui en fait une (plus très jeune) vierge effarouchée par la personnalité de Ludwig, le cousin de Sissi et son attirance pour l'impératrice.
Nouveau portrait en creux de Bob DYLAN après le film expérimental de Todd HAYNES, "I'm Not There" (2007) dans lequel chacune de ses facettes devenait un personnage à part entière incarné par un acteur ou une actrice dans des styles variés (noir et blanc, couleur, musical, récitation de poèmes face caméra etc.) et celui des frères Coen "Inside Llewyn Davis" (2013), qui s'attachait aux pas d'un avatar loser. James MANGOLD fait un autre choix: tout en prenant des libertés avec la réalité historique, il retrace les cinq années fondatrices de la vie de l'auteur-compositeur-interprète entre 1961 (son arrivée à New-York) et 1965 (le concert de Newport où il électrisa le folk au grand dam du public). Le film ne cherche pas du moins en apparence à éclaircir le "mystère Dylan", il fait même de l'opacité de l'artiste qui brouillait les pistes sur son passé comme sur son identité une sorte de bouclier sur lequel viennent s'échouer toutes les tentatives d'approche. L'interprétation introvertie de Timothee CHALAMET dont on ne peut que saluer le travail puisqu'il joue et chante lui-même tous les titres avec brio au point qu'on a du mal à distinguer sa prestation de l'original est parfaitement en accord avec cette vision. Le flux musical presque continu dans lequel baigne le film est une grande réussite. Les chansons sont non seulement interprétées en live mais immergées dans leur contexte d'époque, que ce soit l'hymne repris par toute une génération "The Times There Are a-Changin'" ou l'ambiance électrique du concert de Newport de 1965. Car la reconstitution historique est l'autre point fort du film. L'hystérie collective provoquée par la crise des missiles de Cuba ou la lutte pour les droits civiques ne sont pas seulement une toile de fond mais la matière même sur laquelle s'appuie Bob Dylan pour composer ses chansons contestataires. Une contestation qui s'étend aux querelles de chapelles dont il brouille les frontières. Jamais là où on l'on croit, Dylan semble se dérober en permanence et être toujours en mouvement. Le seul point de fixation qu'il semble se donner, c'est sa filiation avec Woody GUTHRIE à qui il rend régulièrement visite à l'hôpital où celui-ci est soigné. Les autres membres de son entourage expriment à un moment ou à un autre leur frustration ou leur incompréhension face à cet artiste insaisissable, de Pete Seeger (Edward NORTON) à Joan Baez (Monica BARBARO) en passant par sa petite amie "officielle" (Elle FANNING) dont on se demande ce qu'elle trouve à ce garçon très talentueux certes mais fermé comme une huître. Autre bémol les effets spéciaux d'incrustation dans les images d'archives sont assez grossiers, surtout quand on les compare aux prouesses d'un Robert ZEMECKIS.
Un documentaire riche en forme d'enquête qui aborde en une heure l'art de David LYNCH, non seulement sa carrière cinématographique mais aussi son oeuvre d'artiste plasticien et ses sources d'inspiration picturales, rappelant qu'il a commencé par les beaux-arts puis par l'animation avant de se lancer dans le cinéma. L'exposition que lui a consacré en 2007 la fondation Cartier est d'ailleurs évoquée. Les films et la série "Mysteres a Twin Peaks" (1990) sont abordés de manière chronologique et ponctués d'interventions de spécialistes et de son entourage, notamment ses acteurs les plus emblématiques: Kyle MacLACHLAN, Laura DERN, Isabella ROSSELLINI ou Naomi WATTS. La chambre rouge de Twin Peaks occupe une place centrale dans le film, réunissant nombre de symboles de la filmographie du cinéaste (rose, boîte et clé bleue notamment) quand le restaurant favori de David LYNCH ne sert pas une oreille en guise de repas à Kyle MacLACHLAN, allusion à "Blue Velvet" (1986). La récurrence de l'esthétique années 50, période de l'enfance de David LYNCH mais aussi de l'apogée de "l'American way of life" est couplée avec l'exploration du "dark side" de cette même Amérique. On remarque que les violences faites aux femmes y occupent une grande place, y compris dans des aspects tabous à l'époque comme l'inceste. Gros bémol cependant: je ne m'explique pas l'absence totale de "Une histoire vraie" (1999) alors que toutes ses autres oeuvres sont évoquées, sans exception. Parce qu'il n'y a pas d'énigme à résoudre dans "The Straight Story" (1999)? Justement, quelle est la place de ce film solaire dénué a priori de mystère et de surréalisme dans l'imaginaire du cinéaste? En confiant à David LYNCH le rôle de John FORD dans "The Fabelmans" (2021), Steven SPIELBERG a en partie donné la réponse.
Autoportrait sensoriel de Leos CARAX façon puzzle à un instant T adoptant un style collage de mots, de couleurs, de sons et d'images à la Jean-Luc GODARD, "C'est pas moi" est un drôle de labyrinthe expérimental, traversé de fulgurances. Il faut parfois un peu s'accrocher mais il y a des récurrences qui permettent quand même d'en savoir plus sur celui qui se cache derrière des lunettes noires. Encore un point commun avec Jean-Luc GODARD dont on entend d'ailleurs la voix, la référence est totalement assumée. Mais JJG n'est pas le seul à planer sur le film, Leos CARAX s'amuse avec le vrai et le faux pour glisser des images antagonistes (celles du nazisme notamment) pour mieux parfois en glisser des vraies, notamment un superbe cliché de lui, jeune (et sans lunettes) en compagnie de Leo FERRE (ils auraient un singe en commun que cela ne m'étonnerait pas ^^). Chez Carax, Je est double et l'on peut aussi entendre dans cette expression "Je hais double". J'en veux pour preuve le passage qui m'a le plus scotchée, un portrait extrêmement bien vu façon "Docteur Jekyll et Mister Hyde" de Roman POLANSKI, à la fois victime et bourreau. On retrouve ce dédoublement à travers d'autres alter ego comme Guillaume DEPARDIEU qui incarne à jamais la flamboyance de sa jeunesse rebelle et indomptable et Adam DRIVER dans le rôle de sa part la plus sombre et tourmentée, notamment dans le rapport à la paternité. Mais bien entendu, le double n°1 de Leos CARAX, c'est Denis LAVANT que l'on revoit à tous les âges et sous tous les déguisements au fil des extraits revisités de la courte filmographie du cinéaste, jusqu'au passage truculent dans lequel Leos CARAX chemine aux côtés de M. Merde, son émanation punk et anar toujours prête à sortir de sa boîte (ou plutôt de son égout). Le monde de Leos CARAX est celui de la nuit, aussi, parmi les nombreux extraits de films du cinéma premier qui parsèment le court-métrage, le début de "L'Aurore" (1927) de F.W. MURNAU semble tomber sous le sens! Mieux vaut cependant connaître et apprécier Leos CARAX pour apprécier ce court-métrage déroutant mais génial.
"Gainsbourg (Vie heroique)" (2009) (que j'aimerais bien revoir d'ailleurs) montrait dans plusieurs séquences comment l'auteur-compositeur-interprète se voyait, sa tête étant remplacée par un chou ou par une marionnette artisanale un peu grotesque accentuant les proéminences de son nez et de ses oreilles. Il faut dire que l'homme était croqué par un réalisateur également dessinateur de BD. "Better Man" qui est consacré au parcours agité d'un autre auteur-compositeur-interprète, Robbie WILLIAMS le représente sous la forme d'un chimpanzé numérique tout au long du film. Une manière de souligner son sentiment d'inadaptation, notamment dans les situations de groupe (les autres personnages étant tous humains) et de contourner la problématique de la ressemblance du comédien avec son modèle. C'est aussi un moyen de représenter les démons qui le poursuivent. A chaque fois qu'il croit enfin s'en sortir, les visages simiesques correspondant aux moments les moins glorieux de sa vie, de ses débuts dans un boys band dans lequel il se sentait exposé comme une bête de foire à ses excès "sexe, drogue et pop-rock and roll" reviennent le narguer. Autre caractéristique du film, il s'agit d'une comédie musicale dans laquelle les tubes du chanteur sont utilisés pour illustrer les moments importants de sa vie. Celle-ci est racontée de façon chronologique, de ce point de vue, on est dans une narration parfaitement balisée. J'ai apprécié l'énergie dégagée par les morceaux chantés et dansés ainsi que leur esthétique. Certains sont très réussis, comme "Rock DJ" qui se déroule sur Regent Street et donne un cachet british à un film dont tous les codes sont pourtant ceux du blockbuster américain ou "She's the one" qui ressemble à un ballet féérique. J'aime les chansons de Robbie WILLIAMS dont j'ai apprécié de découvrir les paroles sous-titrées en français. Néanmoins le film épouse un rythme survolté (trop selon moi) et n'évite pas le pathos. Ainsi le final vendu comme émouvant m'a surtout paru politiquement correct et profondément gênant.
Documentaire critique différent de ceux auxquels on est habitués, "John Wayne, l'Amérique à tout prix" aurait pu s'appeler "Comment Marion Morrison est devenu John Wayne, l'incarnation de l'Amérique réac?" La thèse sur laquelle repose toute la démonstration du documentaire est la suivante: il ne s'est jamais remis de la seconde guerre mondiale. Non pas celle qu'il a faite mais celle qu'il n'a pas faite. En effet après avoir galéré des années dans le cinéma de série B, la carrière de John WAYNE décolle avec "La Chevauchee fantastique" (1939). Mais voilà que l'attaque de Pearl Harbour obligent les USA à entrer en guerre. Les stars confirmées s'engagent. John WAYNE tergiverse et choisit finalement de rester à Hollywood. Un choix payant au niveau de sa carrière mais qui le plonge ensuite dans un profond sentiment de culpabilité. John FORD qu'il appelle "Pappy" parce qu'il considère qu'il lui doit tout le couvre en effet de honte. Alors John WAYNE se spécialise dans les rôles de cow-boy ou de soldat conservateurs et ultra-patriotiques, parfois pour le meilleur dans "La Prisonniere du desert" (1956) mais souvent pour le pire comme dans "Les Berets verts" (1968). Parallèlement, il tente de réparer sa "faute" en s'engageant dans la guerre froide. Mais c'est pour assister le maccarthysme en dénonçant les communistes d'Hollywood: pas très glorieux. Dans les années 60, sa croisade réac en pleine guerre du Vietnam devient carrément pathétique tant il apparaît comme un dinosaure complètement déconnecté de son époque. Il devient la parfaite caricature du beauf sexiste, raciste, homophobe, multipliant les déclarations à l'emporte pièce jusqu'à ce que la maladie ne l'emporte. Jusqu'au bout, John WAYNE apparaît comme un costume XXL cachant un type déphasé, incertain, jouant les patrons tout en étant sous la coupe sévère de l'éternel paternel de substitution John FORD, se faisant appeler "le Duke" pour mieux cacher le fait de porter un prénom féminin et mort d'un cancer provoqué au moins en partie par les retombées radioactives mal contrôlées d'une armée américaine qu'il vénérait tant.
Documentaire retraçant la vie et la carrière de Jacques DEMY, le film de Florence PLATARETS et de son scénariste Frederic BONNAUD a pour principal atout la richesse de ses images d'archives dont certaines paraît-il sont inédites. Il faut dire que le film est produit par les enfants de Jacques DEMY et Agnes VARDA qui sont les dépositaires de l'héritage du couple de cinéastes. Beaucoup d'interviews d'époque du principal intéressé et de quelques uns de ses acteurs et actrices, Catherine DENEUVE, Jean MARAIS ou Marie-France PISIER. Mais une restitution chronologique, scolaire, qui ne propose pas de point de vue et se contente de jouer les chambres d'enregistrement. Il aurait été tellement plus intéressant d'avoir un plan thématique faisant ressortir les obsessions de Jacques DEMY mais aussi analysant les raisons de ses succès puis de ses échecs. Car le rose et le noir, ce n'est pas seulement l'amertume et la noirceur logées au coeur de ses films les plus féériques et joyeux, c'est une carrière dont on connaît les grands classiques des années 60 mais qui s'étiole après "Peau d'ane" (1970) faute de parvenir à se renouveler. Jacques DEMY est montré comme un homme intègre mais idéaliste, intransigeant et hors-sol ce qui le conduit à des impasses comme ses films produit à l'étranger et longtemps non distribués en France ou sa rupture avec le public français qui ne comprend plus ses films. Il n'est pas mentionné par exemple que le four de "Model shop" (1968) qui ne correspondait pas aux attentes des producteurs américains lui a fermé définitivement la possibilité d'une carrière aux USA en dépit d'une nouvelle tentative dix ans plus tard. Une catastrophe car c'était le seul pays qui aurait eu les moyens de lui permettre de réaliser ses rêves de grandeur. Ou le fait que des projets comme "Une chambre en ville" (1982) ou "Trois places pour le 26" (1988) sont restés dans les placards plusieurs dizaines d'années et n'ont pu se faire que grâce à la victoire de Mitterrand (pour le premier) et à Claude BERRI (pour le second). Mais ils n'ont pas évolué d'un iota ce qui en fait d'étranges objets un peu démodés avec par exemple un Yves MONTAND devenu trop âgé pour le rôle. Au moins a-t-on droit au cassage en règle de Francis HUSTER qu'il ne put empêcher de chanter dans "Parking" (1985) ce qui aboutit à un massacre! Notons enfin, contrairement à ce qui est annoncé des impasses, notamment sur la plupart de ses courts-métrages, son travail d'assistant auprès de Paul GRIMAULT ou son téléfilm, "La naissance du jour" (1980) consacré à Colette.
Biopic plutôt décevant, "Sarah Bernhardt" tend à regarder son sujet par le petit bout de la lorgnette. L'accent est mis sur les nombreuses liaisons de "La Divine", particulièrement celle avec Lucien Guitry (Laurent LAFITTE), même pas avérée et ses multiples excentricités alors que son travail d'actrice est quasiment passé sous silence. Sans doute parce qu'il est daté et n'aurait pas permis de comprendre ce qui fascinait chez elle. Je ne suis pas sûre que les propos vantant à tout bout de champ sa liberté et les quelques images léchées montrant ses frasques amoureuses, sexuelles, ses NAC et son fils naturel permettent de mieux comprendre cette fascination, surtout en étant aussi peu contextualisés. La mise en scène est académique et le scénario non seulement est d'une grande platitude mais il est confus avec des flashbacks inutiles tant les personnages, à l'exception du rôle titre ressemblent à des figures de cire qui défilent (une scène avec Mucha, deux ou trois avec Edmond Rostand, une avec Zola, une avec Freud, plusieurs avec Sacha Guitry, le fils de Lucien etc.) Le travail de vieillissement et de rajeunissement est tout à fait insuffisant, nous perdant encore davantage entre les époques. Reste une reconstitution historique vraiment réussie: décors, costumes, bijoux, maquillages et coiffures sont somptueux et donnent vie à la Belle Epoque et à son art nouveau. Idem pour l'insertion d'images d'archives au début et à la fin. Et Sandrine KIBERLAIN porte le film à bout de bras sur ses frêles épaules. Elle n'est pas forcément toujours juste tant elle cabotine mais elle met tant d'énergie dans le rôle qu'elle réussit quand même à nous y faire croire. Contrairement à la frivolité (pour ne pas dire la vacuité) qui se dégage du film, elle réussit une composition très incarnée de Sarah Bernhardt qui régale le grand monde de ses frasques mais se consume dans son corps. On regrette vraiment que le film n'ait pas cherché à développer un angle plus original sur un personnage aussi foisonnant. Son engagement par exemple envers la défense du capitaine Dreyfus est survolé alors qu'il aurait permis de donner du relief et de la substance au contexte entourant Sarah Bernhardt autant qu'aux zones d'ombre de sa personnalité.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.