Revu avec beaucoup de plaisir "Erin Brockovich, seule contre tous", l'un des meilleurs rôles de Julia ROBERTS qui se confond avec son personnage. Rien de révolutionnaire dans l'intrigue, il s'agit d'une success story dans laquelle une Cendrillon se transforme en super-woman justicière. Mais les qualités de conteur de Steven SODERBERGH, l'abattage de l'actrice tout comme son duo irrésistible avec Albert FINNEY font que l'on ne s'ennuie pas une minute. Et puis, mine de rien, le film égratigne les conventions. Cette héroïne forte en gueule et au look de cagole, sans diplôme et mère célibataire de surcroît mais possédant une ténacité et un savoir-faire de terrain qui manque cruellement au cabinet d'avocats très bureaucratique qui l'emploie prend une éclatante revanche sociale. Sans parler du renversement des rôles genrés avec son nouveau compagnon, un biker (Aaron ECKHART) tout aussi sexualisé que Erin qui se retrouve pourtant avec la garde de trois enfants à domicile pendant que leur mère joue les redresseuses de torts et qui s'interroge sur sa place et son identité! Enfin, le film s'avère également précurseur en pointant du doigt les ravages de l'industrie sur l'environnement et la santé humaine ainsi que leurs méthodes de voyou pour dissimuler les faits et se défausser de leurs responsabilités. Ainsi le film est à l'image du réalisateur qui a commencé sa carrière dans le cinéma indépendant. Tout en travaillant au coeur du système de "l'usine à rêves", il en dérègle certains de ses rouages un peu à la manière d'un Sean BAKER avec son héroïne "white trash" qui va fouiner sur les bas-côtés, là où se nichent les innombrables victimes du "rêve américain".
J'ai beaucoup pensé à "Frenzy" (1972) de Alfred HITCHCOCK en regardant "L'Etrangleur de Rillington Place". Les deux films ont été réalisés à un an d'écart, se déroulent à Londres, évoquent un violeur et tueur de femmes utilisant un mode opératoire en partie similaire et qui pratique si bien l'art de la dissimulation que c'est un autre qui est accusé à sa place. Mais si les deux films se plongent dans un univers glauque, celui de Richard FLEISCHER dépasse en noirceur celui de Alfred HITCHCOCK. Peut-être parce que ce dernier conserve dans "Frenzy" un humour noir qu'on percevait déjà dans un autre de ses films macabres, "La Corde" (1948) inspiré d'un fait divers qui avait également été adapté par Richard FLEISCHER dans "Le Genie du mal" (1959). "L'Etrangleur de Rillington Place" qui s'inscrit dans une série de films que Richard FLEISCHER a consacré à la criminalité donne comme son titre l'indique une importance centrale au décor. Et celui-ci est particulièrement sordide: un immeuble aux appartements minuscules et insalubres dans un quartier misérable de Londres durant la guerre et quelques années après. On se croirait presque dans une étude naturaliste de Zola avec sa galerie de personnages atteints de tares diverses: ignorance, pauvreté, naïveté, bêtise, lâcheté, alcoolisme. Tous sont des victimes désignées pour le tueur qui a fait de cet univers sordide rongé par la pourriture et la vermine son repaire et dont la déchéance va l'amener à se confondre avec lui, non s'en s'être d'abord distingué. Malgré un parcours que l'on découvre jalonné de délits et de crimes, l'homme a travaillé dans la police et utilise une méthode pour neutraliser ses victimes qui s'apparente à celle des nazis. Et pour enfoncer le clou, il se fait passer pour médecin ce qui passe crème auprès des analphabètes qu'il côtoie et dont il n'a aucun mal à abuser de la crédulité grâce à sa voix douce et ses propos remplis d'autorité. Cette même apparence "respectable" qui lui vaut d'échapper durant des années à la justice alors qu'un innocent incapable de se défendre est exécuté à sa place. Réquisitoire implacable contre les injustices sociales et la peine de mort, le film de Richard FLEISCHER instille un profond malaise et glace le sang par la précision clinique avec laquelle il brosse le portrait de ses personnages, permettant aux acteurs de fournir des prestations mémorables. John HURT dont c'était le premier grand rôle est impressionnant dans son rôle de prolo abruti manipulé et détruit par un psychopathe maitrisant parfaitement les rouages du système. Quant à Richard ATTENBOROUGH, il est brillant, composant un redoutable personnage de criminel sexuel à l'allure de petit bonhomme inoffensif aussi doucereux que terrifiant.
Connaissant assez mal Robert De NIRO, j'ai trouvé le documentaire qui lui est consacré très instructif. Certes, il n'est pas exhaustif (comment pourrait-il embrasser en moins d'une heure plus de cinquante ans de carrière et quelle carrière!) mais tout en étant assez classique dans sa forme, il souligne des aspects intéressants de la personnalité de l'acteur. J'en citerai trois:
- L'implication totale dans le processus créatif des films. Non seulement Robert De NIRO est un perfectionniste capable d'aller très loin dans la préparation de ses rôles (l'exemple emblématique étant son entraînement à la boxe et sa prise de poids pour "Raging Bull" (1980) qui lui valut l'Oscar du meilleur acteur) mais l'instigateur de plusieurs des films réalisés par son alter ego réalisateur Martin SCORSESE: "Raging Bull" (1980) et "La Valse des pantins" (1982) notamment. La relation fraternelle avec ce dernier est particulièrement émouvante, notamment lorsque devenus vieux, ils se laissent photographier bras dessus bras dessous par les journalistes du festival de Cannes.
- L'incarnation de "la violence pulsionnelle de l'Amérique" pour reprendre l'expression du réalisateur du documentaire, Jean-Baptiste PERETIE. Dès le film qui le fit connaître, "Mean Streets" (1973), Robert De NIRO impose un jeu fébrile marqué par de terribles explosions de violence, qu'il en soit l'instigateur, la victime ou les deux. Plus encore que ses rôles de mafieux, ce sont ceux de vétérans de la guerre du Vietnam qui permettent de montrer toutes les facettes de cette violence qui s'abat tant sur les hommes que sur les femmes. Une rugosité compensée par un travail d'auto-dérision croissant au cours de sa carrière avec des rôles de plus en plus parodiques (dommage que son rôle de "super Mario subversif" dans "Brazil" (1985) ne soit pas évoqué).
- Les relations avec le show business. "l'arme du silence", le titre du documentaire ne fait pas seulement référence aux personnages joués par Robert De NIRO, murés en eux-mêmes, incapables de s'exprimer autrement que par des coups (c'est lui qui a inventé la célèbre réplique du miroir dans "Taxi Driver") (1976) mais à son rapport plus que distant avec les médias qu'il a fui, surtout dans sa jeunesse. Pourtant les quelques éléments biographiques distillés ici et là éclairent sa personnalité pudique voire taiseuse, que ce soit le rapport à son père, Robert de Niro senior, peintre obscur et homosexuel dans le placard ou l'évocation de l'un de ses fils, atteint de troubles du spectre autistique.
"Star !" est la deuxième comédie musicale réalisée par Robert WISE mettant en scène Julie ANDREWS, trois ans après l'énorme succès de "La Melodie du bonheur" (1965). Mais "Star !" fut un échec retentissant. Cette énorme superproduction de la Fox de près de 3 heures destinée à en mettre plein la vue et les oreilles et dont les codes ne semblaient pas avoir beaucoup évolué depuis "Le Magicien d'Oz" (1938) n'était plus en phase avec l'époque, celle de la contre-culture et des premiers films du nouvel Hollywood. A côté "West Side Story" (1960) apparaissait comme un summum de modernité! Outre son côté désuet, "Star !" souffre d'un autre handicap: celui d'être la success story d'une star du music-hall inconnue chez nous, Gertrude Lawrence que Robert WISE n'a pas voulu idéaliser, c'est tout à son honneur mais dont on ne retient au final pas grand-chose si ce n'est son ego surdimensionné. On ne compatit guère à ses petits malheurs tant la dame surjoue en permanence la diva. Seule son amitié indéfectible avec le dramaturge Noël Coward (Daniel MASSEY) lui donne un peu d'humanité mais celui-ci est dépouillé de toute identité propre à cause du puritanisme des studios visant un public familial.
Il n'en reste pas moins que le film offre un spectacle total d'un grand professionnalisme. L'abattage de Julie ANDREWS, artiste complète qui est de tous les plans et se donne sans compter ne peut qu'être saluée. Les premiers pas de son personnage dans le music-hall anglais constitue la meilleure part du film car tous les numéros musicaux, légèrement miteux y sont parasités par une folie burlesque réjouissante (lancers de tomates, destruction du décor, chutes inopinées...) alors que ceux de Broadway sont certes somptueux mais beaucoup plus kitsch et convenus. La reconstitution d'époque est soignée et l'idée de Robert WISE d'alterner entre des images d'actualités d'époque en noir et blanc et format 1 33 et du grand spectacle en couleur et format large est maline, compensant en partie le fait qu'en 30 ans, Gertrude ne vieillit pas d'un iota (elle change juste de coiffure et de style vestimentaire). Enfin, comme dans "Mary Poppins" (1964), Julie ANDREWS brille particulièrement lorsqu'elle est en duo. Blake EDWARDS qui donnera un second souffle à sa carrière saura s'en souvenir pour "Victor Victoria" (1982). Sauf qu'en 1968, Blake EDWARDS avait déjà fait exploser le décor et entrer le mouvement hippie dans "La Party" (1968), donc plus question de passer sous silence l'homosexualité du partenaire dont il fait un pilier de son joyau musical et burlesque.
"Je veux vivre" est un film terrible sur la peine de mort aux USA qui démontre une fois encore le regard critique et humaniste de Robert WISE. Comment a-t-on pu dire qu'il n'y avait pas de liens entre ses films? Je lui trouve d'évidentes affinités avec "Nous avons gagne ce soir" (1948): une "misfit" se débattant au coeur d'un système vicieux l'ayant prise au piège, quelques témoins compatissants et 35 minutes finales d'un suspense insoutenable dans le couloir de la mort confinant à la torture avec l'usage brillant du temps réel. On finit par oublier les casseroles que traîne Barbara Graham, sa vie chaotique (exposée au début du film avec de saisissants cadrages obliques sur fond de musique jazz) et se ficher de savoir ou non si elle est coupable du crime dont on l'accuse (apparemment l'affaire réelle qui a inspirée le récit n'était pas très claire). Après un procès biaisé et malhonnête, la manière dont les institutions américaines jouent avec sa vie en prolongeant son attente est révoltante et on se dit qu'aucun être humain, quoi qu'il ait fait ne mérite un tel traitement. Si Susan HAYWARD en fait trop dans son rôle de femme de mauvaise vie dans le premier tiers du film, son jeu devient de plus en plus dépouillé au fur et à mesure que l'échéance approche. Robert WISE montre les préparatifs de l'exécution avec une précision clinique glaçante. Le tribunal médiatique est présent à l'exécution, lui qui a tout fait pour enfoncer Barbara Graham dans l'opinion publique et influé sur la décision des jurés. Face à tant d'inhumanité et de voyeurisme sordide, le spectateur s'identifie au journaliste Ed Montgomery qui après avoir aboyé avec la meute, défend Barbara presque seul contre tous (le film est basé sur leur correspondance). Un loup solitaire que sa surdité place à l'écart de la foule et de ses pulsions les plus sombres.
Il y a sept ans, j'ai reçu en cadeau un coffret de onze films de Martin SCORSESE. Et pourtant ce n'est qu'aujourd'hui que je regarde "Le Loup de Wall Street" (2013) et je n'ai pas encore vu les deux autres de la même eau qu'il a réalisé avant, "Les Affranchis" (1990) et "Casino" (1995). Ce n'est clairement pas ma came si j'ose dire, ce grand cirque hyperactif et hyper-testostéroné même si dans "Le Loup de Wall Street", l'addiction au fric, au sexe et aux drogues ne s'accompagne pas d'un bain de sang. On reste entre cols blancs aux mains bien sales quoique blanchies en Suisse (merci à notre acteur frenchie, Jean DUJARDIN).
L'immersion dans la fuite en avant complètement déjantée d'un escroc de la haute finance ne manque pas d'intérêt. Jordan Belfort représente une version dévoyée et grotesque de la réussite du self made man et Martin SCORSESE s'avère toujours aussi doué pour croquer le portrait de l'inconscient américain. La forme frénétique épouse le fond du personnage, un bonimenteur sans scrupules que ses capacités de persuasion mènent au sommet du succès avec tous ceux qui acceptent de le suivre dans son délire de toute-puissance sur fond de revanche sociale. Le portrait de cette Amérique-là est fort juste, on y trouve tout ce qui caractérise ses pires travers: l'individualisme exacerbé nourri de darwinisme social (derrière les histoires édifiantes de pauvres femmes sorties du ruisseau grâce à lui, la jouissance de pouvoir "entuber" les autres), le culte du dieu dollar (il faut voir avec quel mépris Jordan traite tous ceux qui ne croulent pas sous le fric), le mode de vie ostentatoire et vulgaire qui en résulte, l'inconscience des ravages causés par ses actes, les excès en tous genres qui rappellent notamment ceux du "Scarface" (1983) de Brian DE PALMA avec l'alcool coulant à flot sur les montagnes de coke et de cachets tandis que l'adrénaline accumulée est déchargée dans les orgies de sexe qui servent de substitut aux fusillades, les femmes, toutes vénales ou presque étant ravalées au rang d'objets sexuels interchangeables. Leonardo DiCAPRIO est phénoménal dans le rôle principal par son abattage avec quelques scènes d'anthologie comme celle du téléphone.
Néanmoins 3h d'un tel barnum, c'est trop. Au bout d'une heure on a bien compris à qui on avait affaire et la répétition ad nauseam de ce schéma nous mène à l'épuisement pour ne pas dire à l'écoeurement. Il y a un problème d'équilibre dans le film. Car certes, Martin SCORSESE nous ramène parfois dans le monde réel, au détour de quelques scènes qui sont de loin celles que j'ai trouvé les plus intéressantes: celle où Jordan avoue dans un rare moment d'introspection que le loup le dévore de l'intérieur, celle où il bat sa femme et tente d'embarquer de force sa petite fille complètement terrorisée, celle dans laquelle l'agent du FBI prend le métro et regarde (et la caméra avec lui) la misère qui l'environne, celle dans laquelle Jordan est condamné par la justice. Mais ces moments sont trop rares pour dissiper l'impression que le réalisateur s'est laissé happer dans le tourbillon de la fascination pour son personnage et qu'il a eu bien du mal à redescendre. Du loup au vampire il n'y a qu'un pas et Martin SCORSESE m'a paru un peu trop "mordu".
Après avoir vu ce documentaire riche et éclairant - que l'on peut juger trop court mais qui fait quand même 1h17 soit plus que la moyenne standard de 52 minutes - j'ai déduit que Clint EASTWOOD était un pont, à l'image de celui qui illustre l'un de ses films les plus célèbres, "Sur la route de Madison" (1995). Un pont entre l'Amérique et l'Europe, entre la télévision et le cinéma, entre la country et le jazz (comme "The Blues Brothers" (1980), on y entend le thème de la série "Rawhide" (1959) dans laquelle il joua alors que "Bird" (1987) célèbre la musique de Charlie PARKER), entre le masculin et le féminin, facette de sa personnalité qui a été révélée au monde par "Sur la route de Madison" (1995) mais qui était déjà présente dans l'un de ses premiers films, "Breezy" (1973). Un pont aussi entre conservatisme et progressisme: connu pour ses idées républicaines et ses discours parfois réacs, Clint EASTWOOD n'a pas moins mis en scène dans ses films la plupart des minorités: des indiens ("Josey Wales, hors-la-loi") (1976), des afro-américains ("Bird") (1987), des Hmong ("Gran Torino" où d'ailleurs il tourne son image de réac raciste en dérision) (2008), des témoins de Jéhovah et des détenus en cavale ("Un monde parfait") (1993), des hippies ("Breezy") (1973), des transsexuels ("Minuit dans le jardin du bien et du mal") (1997). Enfin si le film s'intitule "Clint Eastwood, la dernière légende", c'est aussi parce qu'il fait le pont entre le cinéma classique hollywoodien (le film met en évidence l'influence d'acteurs tels que Gary COOPER et James CAGNEY sur son jeu) et le cinéma contemporain. A ce titre, l'un des moments les plus mémorables du documentaire est une archive dans laquelle Orson WELLES dit que Clint EASTWOOD était au début des années 80 l'un des réalisateurs les plus sous-estimés du monde. En effet de nombreuses images d'archives attestent qu'à l'image de Sergio LEONE, Clint EASTWOOD était alors dénigré par une critique snobinarde aussi bien comme acteur que comme réalisateur et ce jusqu'au festival de Cannes. L'homme a depuis fait taire les mauvaises langues et mis tout le monde d'accord. Même "Dirty Harry" (1971) a droit à une relecture intéressante. Outre le travail de Don SIEGEL qui a servi de modèle à Clint EASTWOOD pour son propre style de réalisation, le personnage apparaît dans certaines des scènes les plus violentes comme habité par la folie ce qui l'éloigne des super-héros surjouant leur virilité en dépit de ce que suggère la longueur du calibre qu'il utilise.
Je ne suis vraiment pas fan des histoires impliquant des têtes couronnées mais la présence de Sandra HULLER dans le rôle de la dame d'honneur de l'impératrice Elisabeth (Susanne WOLFF) m'a donné envie de jeter un coup d'oeil au film. Celui-ci en effet adopte des partis-pris intéressants. Comme le "Marie-Antoinette" (2005) de Sofia COPPOLA il donne une tournure rock and roll à la vie de Sissi à l'aide d'une bande-son anachronique idoine mais aussi en insistant sur les excentricités d'une impératrice à la fois terriblement bridée par ses obligations (intimes comme publiques) et toujours en mouvement. Pour la première fois dans un film, j'ai ressenti le lien entre la pression extérieure extrême exercée sur un corps (symbolisée comme dans "Titanic" (1997) et je le suppose d'après son titre puisque je ne l'ai pas vu, "Corsage" (2022) par les lacets d'un corset que l'on serre jusqu'à l'étouffement dès les premières images) et le traitement de choc infligé à ce corps par l'esprit qui l'habite pour en reprendre le contrôle comme pour s'en évader (drogue, tatouage, troubles du comportement alimentaire, exercices physiques, blessures, fuite sous des climats exotiques à l'opposé du carcan monarchique et conjugal etc.) On se croirait presque chez Rimbaud lorsqu'il évoque "le dérèglement de tous les sens" mais évidemment pas dans le même objectif. Frauke FINSTERWALDER créé un film solaire et organique en faisant la part belle aux fluides corporels qui viennent constamment rappeler les êtres vivants qui se dissimulent sous les costumes du XIX° siècle: sang, vomi, sueur, sperme, urine, diarrhée, larmes, pus. La sensorialité du film est particulièrement axée sur le goût au vu de l'obsession du contrôle alimentaire de Sissi mais également sur les odeurs. En témoigne le passage dans la Casbah d'Alger où ce beau monde se met de la menthe sous le nez pour conjurer les miasmes de leur environnement immédiat. Enfin "Sissi et moi" comme son titre l'indique adopte le point de vue de la dame d'honneur complètement fascinée pour ne pas dire énamourée du personnage à la fois punk et assujetti qu'elle doit accompagner ce qui fait penser à "Les Adieux a la Reine" (2012). Mais le personnage joué par Sandra HULLER est intéressant en lui-même. Vieille fille rabaissée et violentée par sa mère parce qu'elle n'entre pas dans les cases, elle est tiraillée, on le comprend assez vite entre sa pruderie qui en fait une (plus très jeune) vierge effarouchée par la personnalité de Ludwig, le cousin de Sissi et son attirance pour l'impératrice.
Nouveau portrait en creux de Bob DYLAN après le film expérimental de Todd HAYNES, "I'm Not There" (2007) dans lequel chacune de ses facettes devenait un personnage à part entière incarné par un acteur ou une actrice dans des styles variés (noir et blanc, couleur, musical, récitation de poèmes face caméra etc.) et celui des frères Coen "Inside Llewyn Davis" (2013), qui s'attachait aux pas d'un avatar loser. James MANGOLD fait un autre choix: tout en prenant des libertés avec la réalité historique, il retrace les cinq années fondatrices de la vie de l'auteur-compositeur-interprète entre 1961 (son arrivée à New-York) et 1965 (le concert de Newport où il électrisa le folk au grand dam du public). Le film ne cherche pas du moins en apparence à éclaircir le "mystère Dylan", il fait même de l'opacité de l'artiste qui brouillait les pistes sur son passé comme sur son identité une sorte de bouclier sur lequel viennent s'échouer toutes les tentatives d'approche. L'interprétation introvertie de Timothee CHALAMET dont on ne peut que saluer le travail puisqu'il joue et chante lui-même tous les titres avec brio au point qu'on a du mal à distinguer sa prestation de l'original est parfaitement en accord avec cette vision. Le flux musical presque continu dans lequel baigne le film est une grande réussite. Les chansons sont non seulement interprétées en live mais immergées dans leur contexte d'époque, que ce soit l'hymne repris par toute une génération "The Times There Are a-Changin'" ou l'ambiance électrique du concert de Newport de 1965. Car la reconstitution historique est l'autre point fort du film. L'hystérie collective provoquée par la crise des missiles de Cuba ou la lutte pour les droits civiques ne sont pas seulement une toile de fond mais la matière même sur laquelle s'appuie Bob Dylan pour composer ses chansons contestataires. Une contestation qui s'étend aux querelles de chapelles dont il brouille les frontières. Jamais là où on l'on croit, Dylan semble se dérober en permanence et être toujours en mouvement. Le seul point de fixation qu'il semble se donner, c'est sa filiation avec Woody GUTHRIE à qui il rend régulièrement visite à l'hôpital où celui-ci est soigné. Les autres membres de son entourage expriment à un moment ou à un autre leur frustration ou leur incompréhension face à cet artiste insaisissable, de Pete Seeger (Edward NORTON) à Joan Baez (Monica BARBARO) en passant par sa petite amie "officielle" (Elle FANNING) dont on se demande ce qu'elle trouve à ce garçon très talentueux certes mais fermé comme une huître. Autre bémol les effets spéciaux d'incrustation dans les images d'archives sont assez grossiers, surtout quand on les compare aux prouesses d'un Robert ZEMECKIS.
Un documentaire riche en forme d'enquête qui aborde en une heure l'art de David LYNCH, non seulement sa carrière cinématographique mais aussi son oeuvre d'artiste plasticien et ses sources d'inspiration picturales, rappelant qu'il a commencé par les beaux-arts puis par l'animation avant de se lancer dans le cinéma. L'exposition que lui a consacré en 2007 la fondation Cartier est d'ailleurs évoquée. Les films et la série "Mysteres a Twin Peaks" (1990) sont abordés de manière chronologique et ponctués d'interventions de spécialistes et de son entourage, notamment ses acteurs les plus emblématiques: Kyle MacLACHLAN, Laura DERN, Isabella ROSSELLINI ou Naomi WATTS. La chambre rouge de Twin Peaks occupe une place centrale dans le film, réunissant nombre de symboles de la filmographie du cinéaste (rose, boîte et clé bleue notamment) quand le restaurant favori de David LYNCH ne sert pas une oreille en guise de repas à Kyle MacLACHLAN, allusion à "Blue Velvet" (1986). La récurrence de l'esthétique années 50, période de l'enfance de David LYNCH mais aussi de l'apogée de "l'American way of life" est couplée avec l'exploration du "dark side" de cette même Amérique. On remarque que les violences faites aux femmes y occupent une grande place, y compris dans des aspects tabous à l'époque comme l'inceste. Gros bémol cependant: je ne m'explique pas l'absence totale de "Une histoire vraie" (1999) alors que toutes ses autres oeuvres sont évoquées, sans exception. Parce qu'il n'y a pas d'énigme à résoudre dans "The Straight Story" (1999)? Justement, quelle est la place de ce film solaire dénué a priori de mystère et de surréalisme dans l'imaginaire du cinéaste? En confiant à David LYNCH le rôle de John FORD dans "The Fabelmans" (2021), Steven SPIELBERG a en partie donné la réponse.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)