"Le Chant du Danube" fait partie des films les moins connus de Alfred HITCHCOCK sans doute parce que sa diffusion est devenu au fil du temps une rareté. Il existe pourtant en DVD zone 2, seul ou à l'intérieur d'un coffret. Mais Hitchcock n'avait pas beaucoup d'estime pour ce film si l'on se fie à ce qu'il en disait dans ses entretiens avec François TRUFFAUT. Selon moi, il avait tort. Déjà parce qu'il y a toujours quelque chose de bon à retirer d'un film de Alfred HITCHCOCK, même considéré comme mineur. Et ensuite, parce que bien qu'atypique dans sa filmographie, "Le Chant du Danube" porte bien sa signature et est plus inventif, dynamique et intéressant (tant sur le fond que sur la forme) que d'autres films qu'il a pu faire à la même époque (par exemple "Junon et le paon") (1929) ou même ultérieurement ("Joies matrimoniales") (1941).
Il est difficile de définir le genre auquel appartient "Le Chant du Danube", c'est selon moi l'un de ses charmes. Il s'agit de l'adaptation d'une opérette, "Walzer aus Wien" (le titre du film en VO) de Heinz Reichter, A.M. Willner et Ernst Marishka, créée à Vienne le 30 octobre 1930 sur des musiques de Johann Strauss père et fils arrangées par Erich Korngold. Pourtant, le résultat à l'écran n'a rien à voir avec ce que l'on pourrait craindre: une grosse pâtisserie meringuée façon "Sissi" (1955). Il est bien question pourtant de pâtisserie dans "Le Chant du Danube" et aussi de biographie romancée, et évidemment de musique mais c'est pour mieux échapper aux clichés. Alfred HITCHCOCK créé un film extrêmement libre (surtout pour l'époque) qui si je devais le définir se situe quelque part entre le récit d'émancipation et la comédie à tendance burlesque. Il fait le portrait particulièrement attachant de Johann Strauss junior dont le génie créatif est étouffé par un père castrateur et une fiancée possessive. Mais un troisième personnage, la comtesse Helga von Stahl lui apporte au contraire une aide décisive (et un grand souffle de liberté). On est charmé par la manière très imagée (et rythmée) avec laquelle Hitchcock transcrit la genèse de la création de la célèbre valse de Strauss junior "Le Beau Danube bleu", la façon dont il parvient à la faire entendre au public ainsi que par quelques moments où la comédie s'emballe jusqu'aux limites de la transgression notamment au début et à la fin, bâties sur le même modèle. Une fin qui m'a beaucoup fait penser à l'acte II du "Mariage de Figaro"* dont le sous-titre est "La folle journée".
* Pour mémoire, il s'agit du moment où le comte surgit chez la comtesse, persuadé de son infidélité, pour y débusquer Chérubin qui s'est caché dans le cabinet adjacent. Mais Chérubin parvient à sauter par la fenêtre et Suzanne a le temps de prendre sa place juste avant que le comte n'oblige la comtesse à ouvrir la porte du cabinet. Dans "Le Chant du Danube", le comte, persuadé que sa femme le trompe avec Strauss junior se précipite chez lui pour se faire ouvrir la porte de sa chambre mais ce n'est pas non plus la personne à laquelle il pense qui en sort à la suite de péripéties savoureuses que je ne dévoilerai pas.
L'ombre de la seconde guerre mondiale et le passage à l'âge adulte sont des thèmes récurrents dans la filmographie de Claude MILLER et en regardant la silhouette juvénile de Romane BOHRINGER dans "L'accompagnatrice", je n'ai pu m'empêcher de penser à celle de Charlotte GAINSBOURG que Claude Miller dirigea à deux reprises à la même époque alors qu'elle était adolescente et jeune adulte. Avoir un père célèbre et être de la même génération n'est pas leur seul point commun, elles ont une histoire familiale marquée par la guerre (tout comme Claude Miller). Quand Romane BOHRINGER tourna le film, elle venait juste d'être révélée par "Les Nuits fauves" (1992) et se retrouve à jouer avec son père, ce qui donne une résonance particulière à la séquence où Benoît (Julien RASSAM) demande la main de son personnage à Charles Brice, joué par Richard Bohringer qui lui répond qu'il n'est pas son père et que d'ailleurs, elle n'en a pas. Charles Brice par ailleurs marié à une cantatrice, comment ne pas songer à "Diva" (1980)?
"L'accompagnatrice" est un film qui a pour originalité d'établir un parallèle implicite entre la vie et la scène en adoptant le point de vue d'un personnage de l'ombre qui se fait le témoin des événements racontés dont elle reste majoritairement une spectatrice. Au début de l'histoire, il existe un contraste extrêmement tranché entre le monde terne et étriqué de Sophie fait de privations et de frustrations et celui des Brice, lumineux, luxueux et aventureux dont elle rêve de faire partie. Pourtant, l'envers du décor nous est montré presque immédiatement avec l'apparition de personnages douteux qui nous font comprendre que le couple s'est compromis avec le régime de Vichy et l'occupant et que c'est cela qui lui permet de maintenir son train de vie (Charles Brice aime à répéter qu'il était déjà riche avant la guerre). Sentant cependant le vent tourner (l'histoire se déroule en 1942/1943), les Brice décident cependant de partir se réfugier à Londres. A moins que ce ne soit un moyen pour Charles de reconquérir Irène qui vit une passion avec un résistant. Sophie choisit de partager leur sort (et donc de se faire le témoin de leur histoire) jusqu'au bout comme si elle préférait vivre vivre sa vie par procuration plutôt que de céder à Benoît, décrit par Irène comme "un futur employé des PTT" (soit le retour à la case départ). La fin de l'histoire est de ce point de vue très amère puisque Sophie perd finalement sur tous les tableaux.
Si le film se suit agréablement et est rehaussé par l'interprétation intense de Richard Bohringer dans le rôle d'un personnage complexe et au final tragique, il n'en reste pas moins que la transposition du roman d'origine de Nina Berberova me semble très affadie. Sophie telle que l'interprète Romane Bohringer semble fascinée par les Brice et avide de partager la moindre miette de leur existence bien plus que jalouse ou haineuse. Elle semble dénuée de toute conscience politique ou sociale malgré quelques tirades qui semblent tomber comme un cheveu sur la soupe et ressemble davantage à un fantôme qu'à une "deus ex machina" prête à se venger. L'ambivalence de sa relation aux Brice et surtout à Irène est à peine effleurée. La portée du film en est évidemment très amoindrie en apparaissant finalement comme une remake de "L'Effrontée", la fraîcheur de l'adolescence en moins.
Le documentaire "Hallelujah, les mots de Léonard Cohen" traite de deux sujets entre lesquels les réalisateurs ont eu visiblement du mal à choisir. Le premier est une évocation (un peu trop rapide) des sources d'inspiration des textes poétiques de Léonard Cohen qualifié de "troubadour des temps modernes". D'une d'entre elles surtout, celle qui donne son titre au film. Car le deuxième sujet est l'histoire peu commune du parcours de cette chanson extraite d'un album intitulé "Various positions" passé inaperçu à sa sortie au milieu des années 80 et même retoqué dans un premier temps aux USA par la maison de disques Columbia. Ce sont les reprises effectuées par d'autres artistes et en particulier par Jeff Buckley dans les années 90 qui vont assoir peu à peu sa notoriété. La mort de ce dernier à l'âge de 30 ans en 1997 va amplifier la portée de cet hymne qui deviendra ensuite dans une version expurgée l'un des titres-phares de la bande originale du premier "Shrek" (2001) puis de "Tous en scène" (2016). "Hallelujah" est le parfait exemple d'une oeuvre née dans les marges (outre son créateur, on peut citer l'interprète de l'une des premières reprises du titre dans un album-hommage à Léonard Cohen en 1991, John Cale, co-fondateur du groupe "The Velvet Underground") qui peu à peu s'impose jusqu'au centre de l'industrie anglo-saxonne du divertissement, que ce soit dans le cinéma d'animation, à la télévision dans les émissions de télé-crochet du type "The Voice" ou encore lors d'hommages comme celui en mémoire des victimes du coronavirus. Non sans avoir perdu quelques plumes au passage. "Hallelujah" est en effet dans sa version d'origine un texte d'inspiration religieuse comme son titre l'indique (il signifie "loué soit dieu" dans l'ancien testament soit en hébreu "hallelu" "Yah" (vé) devenu dans le nouveau testament "Alleluia", "loué soit le seigneur"). Le succès de cette chanson provient en partie du moins de cette inspiration dans le sacré de par sa capacité à fédérer, à faire communier comme dans une grand messe laïque (religion signifie "relier" dieu et les hommes et l'art fait partie du divin). Mais dans le texte d'origine, ce mysticisme était également intimement relié à l'acte sexuel, certains passages étant très explicites. Et ce sont eux qui évidemment ont disparu car cela aurait fait fuir le public familial ou même tout simplement le grand public. Le sexe et le sacré étant pourtant profondément liés, Léonard Cohen se montre bien plus authentiquement religieux que tant de théoriciens autoproclamés de la foi. Loué soit-il de nous l'avoir rappelé.
Sixième film du tandem Fred ASTAIRE-Ginger ROGERS, "Sur les ailes de la danse" possède les mêmes qualités et les mêmes défauts que leurs autres films réalisés à la chaîne pour la RKO dans les années 30 (neuf au total). Le réalisateur n'est pas Mark SANDRICH cette fois mais George STEVENS. On ne voit guère la différence car ce n'est certainement pas par la réalisation que ces films se distinguent et encore moins par leurs scénarios ectoplasmiques. Il s'agissait à l'époque de changer les idées du public américain frappé par la crise en leur offrant du rêve, exactement celui dont se nourrit Cécilia, l'héroïne de "La Rose pourpre du Caire" (1985) de Woody ALLEN qui va sécher ses larmes en allant au cinéma voir "Top Hat" (1935). Le réalisateur a également intégré à l'un de ses films le standard jazzy le plus connu de "Sur les ailes de la danse", à savoir "The way you look tonight" de Jerome Kern (musique) et Dorothy Fields (paroles): c'est la regrettée Carrie FISHER qui l'interprète dans "Hannah et ses soeurs" (1986). Il figure également dans la bande originale de "Chinatown" (1974) de Roman POLANSKI. En entendant Fred ASTAIRE jouer au piano les premières notes, c'est tout un pan de l'histoire du cinéma qui a surgi devant moi. Rien que pour ces moments de magie-là, ça vaut la peine de se replonger dans ces films au style si suranné avec leurs décors de music-hall art déco, des " oeuvres ingrates aux intrigues désespérantes de pauvreté, mornes au comique poussif et rarement léger… " pour citer Jacques Lourcelles. J'évoquais la magie de la musique mais il en va de même avec les chorégraphies de Hermes PAN qui ont l'habitude de mettre le duo Astaire-Rogers sur orbite. Qui croirait en les regardant s'élever gracieusement dans les airs comme s'ils ne pesaient rien, le travail, la sueur et le sang que cela pouvait représenter. Fred Astaire bénéficie en prime d'un numéro solo assez extraordinaire, "Bojangle of Harlem" où grimé en hommage au danseur noir Bill Bojangle Robinson, il danse devant trois ombres géantes le représentant.
"La Cour" est un téléfilm de Hafsia Herzi, actrice passée depuis quelques années à la réalisation mais qui s'essaie pour la première fois à une fiction pour le petit écran, celui d'Arte. Je l'ai regardé car le sujet m'intéresse particulièrement. En effet quand je veux expliquer ce qu'est la géopolitique c'est à dire un conflit de pouvoir pour un territoire, je prends souvent pour exemple la cour d'une école primaire et la façon dont l'espace y est réparti. Des garçons en occupent la plus grande partie à jouer au foot avec des cages occupant le centre de l'espace. Les filles sont reléguées sur les côtés et doivent raser les murs pour atteindre l'autre côté de la cour ou bien la traverser à leurs risques et périls, un peu comme on traverserait une autoroute au milieu de bolides lancés à pleine vitesse*. Cette inégalité spatiale n'a longtemps même pas été questionnée, c'était la norme, entérinée par les adultes (responsables de l'agencement de la cour). Les garçons se devaient d'avoir plus d'espace que les filles parce qu'ils en auraient besoin pour se dépenser alors que les filles seraient calmes par nature. Ces préjugés sexistes sont encore renforcés par les quelques filles qui jouent au foot avec les garçons (ce sont des garçons manqués, forcément) et par la minorité de garçons qui n'aiment pas le foot (des "petites natures" évidemment). De nos jours, les choses ont bien peu évolué, "la journée sans ballon" équivalent à "la journée de la femme", un moyen de se donner bonne conscience sans remettre fondamentalement en cause l'aspect structurel des inégalités. "La Cour" raconte comment la remise en question de cet ordre par une petite fille n'ayant jusque là pas été scolarisée débouche sur la déstabilisation de l'ordre établi, la remise en cause des rôles de chacun et une guerre entre enfants sous les yeux d'adultes dépassés qui minimisent ou banalisent la situation. Si les personnages sont bien écrits et bien interprétés, il est dommage que le terrain de jeu devenu terrain d'affrontement soit abandonné en cours de route. Le film aurait été bien plus fort en conservant son unité de lieu d'un bout à l'autre du film d'autant que la fin est bien trop gentillette. C'est à ce moment-là qu'on regrette que Hafsia Herzi n'ait pas été plus ambitieuse.
* Yves Lacoste, géographe et géopolitologue écrivait en 1976 que la géographie, ça servait d'abord à faire la guerre. Le film entérine complètement cette vision des choses. La cour est vue comme une "carte du monde" qu'il faut conquérir ou défendre. Le langage guerrier est omniprésent tout au long du film alors que la réalisatrice souligne combien chacun souffre au final de la place à laquelle il est assigné.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, la Cinémathèque propose durant environ un mois de voir l'un des films de Kira MOURATOVA sur sa plateforme de streaming, HENRI. "Le Syndrome asthénique" est déjà le cinquième film de la réalisatrice à être ainsi proposé gratuitement. Réalisé en 1989 durant l'ère de la Perestroïka de Gorbatchev (dont on aperçoit une photo dans l'une des scènes du film), c'est le dernier film de Kira Mouratova à avoir été réalisé sous l'ère soviétique. Alors que ceux qu'elle avait réalisé au début de sa carrière sortaient tout juste du placard où ils avaient été enfermés, "Le Syndrome asthénique" a quant à lui pu franchir les frontières puisqu'il a été primé au festival de Berlin.
Comme les autres films de la réalisatrice, "le Syndrome asthénique" est déroutant, chaotique, expérimental, profondément pessimiste. Pour la première fois, j'ai perçu une parenté entre Kira Mouratova et Kirill SEREBRENNIKOV, le réalisateur russe de "La Fièvre de Petrov" (2021) (le côté fébrile, les digressions, le désespoir, les va et vient entre noir et blanc et couleur, l'agressivité omniprésente et sans doute aussi le nombre élevé de scènes de nu). Scindé en deux parties qui se font écho, l'une en noir et blanc et l'autre en couleurs, le film commence par ce qui s'avère être une mise en abyme à savoir un film dans le film. On y sent comme une odeur de mort, on y voit un monde en putréfaction contre lequel ne cesse de se cogner une femme en deuil manifestement en colère, Natasha. Ses tentatives pour secouer les gens autour d'elle ne suscitent que de l'apathie. De même, quand on passe de l'autre côté du miroir afin d'interroger les spectateurs sur ce qu'ils ont vu (et qui est sans doute une métaphore de l'URSS en décomposition), on voir ceux-ci prendre la fuite, ne laissant dans la salle qu'un régiment aux ordres et un homme endormi, Nikolaï. C'est autour de lui que tourne la deuxième partie du film en couleurs car c'est lui qui est atteint du syndrome asthénique qui donne son titre au film. Incapable contrairement à Natasha de se battre (comme le montre une scène où il tente pitoyablement de faire réagir un élève qui refuse de lui obéir), il réagit à l'agressivité de son environnement par la fuite que lui offre la narcolepsie. L'impuissance de ces personnages à agir sur un monde qui se dérobe, la transformation des gens en une masse anonyme inhumaine indifférente à ce qui l'entoure, l'enfermement de chacun dans sa bulle, le délitement de toutes les structures (à commencer par celle de la famille), le tout dans un environnement agressif (hormis quelques pauses mélodiques et mélancoliques) préfigure "Mélodie pour orgue de barbarie" (2009). Les digressions enfoncent un peu plus le clou. Par exemple les nombreuses scènes mettant en scène des animaux les montrent soit subissant de mauvais traitements, soit en position de prédateur.
"Astrid et Raphaëlle" qui en est à sa troisième saison se bonifie d'année en année et je me réjouis de son succès qui est tel d'ailleurs que France 2 a décidé de ne plus diffuser qu'un seul épisode au lieu de deux à partir du 16 septembre 2022, histoire de faire durer le plaisir... et l'audience. Succès qui n'allait pas de soi. Les "buddy cop movies" déclinés en films de cinéma ou en séries télévisées sont été longtemps une affaires d'hommes avec bastons et explosions à la clé (qui ne se souvient pas de "Starsky et Hutch, les chevaliers au grand coeur mais qui n'ont jamais peur de rien"?). "Astrid et Raphaëlle" a beau évoluer dans le milieu très balisé de l'enquête policière à boucler en moins d'une heure chrono par épisode (multiplié par 8), il n'en reste pas moins que son principe relève du domaine du "rendez-vous en terre inconnue". Mettre sur le devant de la scène deux femmes possédant une véritable personnalité (c'est à dire qui ne sont pas réduites à leur genre, auxquelles on peut donc s'attacher et s'identifier de façon universelle) s'avère extrêmement vivifiant. Entre Raphaëlle, l'impulsive rebelle et garçon manqué qui se cache encore pour fumer comme une adolescente attardée prise en faute et Astrid, la jeune femme autiste asperger qui combat à ses côtés autant pour l'aider à résoudre les enquêtes que pour se faire une place au soleil au milieu des neurotypiques, on ne s'ennuie jamais. La finesse avec laquelle ces deux personnages sont dépeintes et interprétées (par Lola DEWAERE et Sara MORTENSEN) ainsi que la dynamique de leur relation est sans aucun doute la clé du succès de la série. Celle-ci bénéficie également lors de cette troisième saison d'intrigues souvent à double détente que je trouve mieux ficelées et également mieux reliées à l'histoire personnelle des enquêtrices, en particulier d'Astrid. Des images mentales telles que le labyrinthe au plafond (comme l'échiquier dans "Le Jeu de la dame") (2019) ou les photos de baisers nous font entrer visuellement (comme le fait un autiste) dans ses pensées pour y découvrir par quel chemin sinueux elle parvient à conjuguer son atypie avec un concours d'entrée dans la police ou avec un amour naissant. Sa passion pour les énigmes prend alors un sens plus profond qu'un simple intérêt restreint. On appréciera d'autant plus le clin d'oeil appuyé à "Le Silence des agneaux" (1989) dans l'épisode 4 ("la Chambre ouverte") où celle-ci est aidée par un criminel auteur de polars et passe-muraille (joué par Stéphane GUILLON), leurs face-à face et leurs propos faisant irrésistiblement penser à ceux des personnages de Jodie FOSTER et Anthony HOPKINS (qui a d'ailleurs été officiellement diagnostiqué autiste asperger en 2014). Mention très bien également pour Valérie KAPRISKY qui a un véritable personnage à défendre, personnage qui au fil des épisodes, ne cesse de gagner en épaisseur.
Il y a deux films en un dans "Garde à vue" et même peut-être trois:
- Un polar (des crimes, une enquête, des flics, un commissariat, un suspect).
- Un film noir. Tellement noir d'ailleurs qu'avant d'être exposé à la lumière, les visages de Martinaud (Michel SERRAULT) et de sa femme Chantal (Romy SCHNEIDER dans son avant-dernier rôle) restent dans l'ombre lorsqu'ils apparaissent pour la première fois. Une grande partie de l'enjeu du film consiste à éclairer leurs zones d'ombre. Film noir également par le fait que les deux membres de ce couple s'apparentent aux stéréotypes du genre: l'homme faible et la femme fatale (et vénale).
- Une étude de moeurs, celle d'une bourgeoisie de province que l'on pourrait qualifier de décadente. Cet aspect est fondamental dans le film. Le personnage de Martinaud se définit d'abord par son statut social. Il est notaire et se faire donc appeler "maître Martinaud", il a un beau smoking (on est le soir de la Saint-Sylvestre), de l'argent, des biens, une belle femme. Mais tout cela est à double tranchant. Si dans un premier temps, cela en impose d'autant que l'homme a l'arrogance de sa caste et de l'éloquence au point qu'il donnerait presque l'impression à certains moments de renverser les rôles et de prendre le contrôle du commissariat, on s'aperçoit au fur et à mesure que le film avance que cette apparence respectable cache des secrets inavouables qui pourtant finiront par être mis sur la table. C'est d'ailleurs davantage comme des métaphores du secret que comme des images réalistes que je perçois les flashs mentaux qui ponctuent le film (un bunker, un bois, un couloir, une porte qui se ferme, un phare). Ce renversement de situation donne aux policiers une occasion en or de prendre une revanche qui est aussi sociale. Le huis-clos du commissariat se transforme alors en ring de boxe dans lequel Martinaud se retrouve pris en étau entre les mains du rusé inspecteur Gallien (Lino VENTURA) qui le malmène psychologiquement et du rustre inspecteur Belmont (Guy MARCHAND) qui le rudoie physiquement. C'est à ce moment-là qu'on se souvient du premier film de Claude MILLER, "La Meilleure façon de marcher" (1975) dans lequel deux moniteurs développaient une relation trouble et cruelle placée sous le sceau du tabou. Il règne la même ambiance trouble et cruelle dans un "Garde à vue" qui aurait pu aussi s'appeler "Une exécution ordinaire" à une époque où la peine de mort était juste en train d'être abolie en France. Outre l'excellence de la mise en scène, du scénario et de l'interprétation (le mano à mano intense de Lino Ventura et de Michel Serrault est resté dans les annales, valant au second le César du meilleur acteur), la qualité des dialogues signés de Michel AUDIARD (percutants mais au service des personnages et non pour faire mousser leur auteur) est également à souligner.
"Le Lâche", c'est "Le Mépris" (1963) en version indienne. Les ingrédients ne sont pas tout à fait les mêmes cependant car plus encore que le mépris que lui inspire son ancien amant, c'est l'amertume qui semble dominer le coeur de Karuna (Madhabi MUKHERJEE, l'actrice de "Charulata" (1964) et de "La Grande ville") (1963). Mariée à un homme qu'elle n'aime manifestement pas mais qui la traite avec courtoisie, elle se retrouve par hasard obligée de cohabiter durant près de 24h avec Amit Roy (Soumitra CHATTERJEE) à qui son mari (qui ignore tout de leur ancienne liaison et ne voit manifestement rien) a donné l'hospitalité suite à une panne de voiture. Satyajit RAY filme alors deux personnes qui n'ont pas le même ressenti vis à vis de leur passé commun. Alors que chez Roy, c'est la nostalgie et les regrets qui dominent (flashbacks à l'appui) doublé de l'espoir de reconquérir le coeur de Karuna, celle-ci se montre froide, distante, piquante, ironique, amère et hermétique à tous ses arguments. Remarquable par sa concision, le film se termine sur une chute absolument glaçante qui confirme que le coeur de Karuna a été irrémédiablement brisé. Cette scène fait écho au couperet définitif par lequel dans le flashback de la rupture, Amit perd Karuna. Alors que celle-ci lui proposait alors de renoncer à son train de vie aisé pour vivre avec lui, Amit a réagi en hésitant et en lui demandant du temps. "Ce n'est pas de temps dont tu as besoin, mais d'autre chose" répond-elle, laissant le soin au spectateur de préciser dans sa tête de quoi il est question. Le sentiment qui domine est celui d'un énorme gâchis. Karuna et Amit en dépit de leurs différences sociales ont une sensibilité artistique commune (la première étudie aux beaux-arts, le second devient scénariste) qui finit par se perdre dans les sables. Karuna épouse un homme tout ce qu'il y a de plus trivial (c'est sans doute pour cela qu'il ne se doute de rien) alors que Amit considère son travail comme alimentaire. Bref, c'est la désillusion à tous les étages.
"L'Homme des vallées perdues" est un western des années 50 un peu étrange et inégal. D'un côté, le point de vue adopté, celui d'un enfant naïf (et quelque peu agaçant par son omniprésence et son jeu) renvoie la vision du monde manichéenne du western classique avec d'un côté, Shane un chevalier blanc sorti de nulle part pour protéger sa famille et de l'autre des méchants bien méchants avec à leur tête, un silencieux mais très inquiétant tueur vêtu de noir joué par Jack PALANCE: le parfait double inversé de Alan LADD. De plus, le premier peuple spolié de sa terre, celui des indiens est absent, le conflit se concentrant uniquement sur le conflit de territoire entre ranchers et agriculteurs. Certaines scènes, très lentes et aux effets appuyés font "gros sabots". Mais de l'autre, le film détone du classicisme hollywoodien sur tellement d'aspects qu'il n'est guère étonnant qu'il ait autant inspiré le western "moderne" et même au-delà. Le cavalier solitaire qui surgit du fond de l'écran et qui y retourne à la fin, c'est "L'homme sans nom" de Sergio LEONE et encore plus "Pale Rider - Le cavalier solitaire" (1985) de Clint EASTWOOD qui est presque un remake inavoué du film de George STEVENS. On peut même aller jusqu'à "Drive" (2011) qui présente un schéma assez semblable. La rudesse et le réalisme des décors et des costumes ne sont pas non plus habituels dans ce type de westerns de même que la sécheresse et la brièveté des scènes de violence comme la mort du personnage de Elisha COOK Jr. (qui a inspiré Sam PECKINPAH pour ses propres westerns). La très belle photographie et le choix des cadrages ramènent les hommes à une dimension bien modeste par rapport à un environnement grandiose. Enfin, le film repose sur beaucoup de non-dits. Le personnage de Shane ne se dévoile que très peu et on se rend compte peu à peu que de nombreux personnages cachent également leurs états d'âme (la femme du fermier jouée par Jean ARTHUR qui semble le reconnaître tout comme le personnage joué par Jack PALANCE, l'un des hommes de main de l'éleveur Ryker qui change de camp après s'être battu avec Shane etc.)
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.