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Articles avec #horreur tag

Climax

Publié le par Rosalie210

Gaspar Noé (2018)

ClimaxClimax

La curiosité. Voilà ce qui m'a poussé à regarder "Climax". Je n'avais jamais vu de film de Gaspard NOE mais beaucoup entendu parler de lui et compris que l'on avait affaire à un cinéaste clivant. Et puis à force de voir des extraits dans l'émission "Blow up", j'ai remarqué qu'il avait un univers reconnaissable avec une caméra tournoyante filmant en plongée un sol qui devient le plafond et vice-versa ce qui nous rappelle que la terre est sphérique. Cette volonté de brouiller les repères est d'ailleurs partout dans "Climax": dans le positionnement des génériques où il n'y a ni début, ni fin, dans celui des livres et des cassettes vidéo qui entourent la télévision où défile le casting: une partie des titres est à l'endroit, l'autre à l'envers. Je me suis repassé d'ailleurs cette séquence deux fois pour avoir le temps de les lire car ces oeuvres n'ont pas été choisies au hasard, elles ont valeur programmatique. "De l'hédonisme au nihilisme", voilà ce qui les relie.

"Climax" ressemble à l'un de ces innombrables films d'horreur de série B qui montre une bande de jeunes décérébrés et interchangeables tomber dans un piège mortel du genre "Chroniques de Tchernobyl" (2011). Sauf qu'il y a un cerveau derrière qui orchestre sous forme de maelstrom de sensations sa vision on ne peut plus noire de l'existence. "Climax" s'ouvre sur un plan-séquence de 12 minutes que j'ai vu plusieurs fois, notamment à l'exposition "Disco" qui explore justement ce qui se cache derrière l'hédonisme de cette culture et son temple, la discothèque: une utopie du mélange dans laquelle toutes les barrières (de couleur, de genre, d'origine sociale) seraient effacées par la magie de la musique, de la danse et d'une atmosphère brouillant les repères (fumée, obscurité, lumières stroboscopiques). Cette séquence euphorique tourne ensuite après une période d'incubation où l'on mesure l'animalité et la vacuité de personnages réduits à leurs pulsions primaires au pur cauchemar quand la drogue cachée dans la sangria (la boisson du "melting-pot") fait son effet. Une sangria filmée également à la verticale par la caméra tout comme un nouveau numéro de danse en forme de "battle" ce qui renforce la figure du cercle infernal et annonce la suite. C'est au tour des repères moraux et sociaux d'être pulvérisés dans ce qui s'apparente à une grande orgie de sexe et de violence aboutissant à une destruction symbolique de l'espèce par l'infanticide et l'inceste. La caméra fait d'ailleurs très "oeil de dieu" et ce d'autant plus que le blanc envahit les premières et dernières images (jusque là saturées d'un rouge et d'un vert très organiques) avec des personnages défoncés au regard tourné vers le ciel. C'est à ce moment-là que les titres des oeuvres citées au début du film prennent tout leur sens, tels que "Salo ou les 120 jours de Sodome" (1975), "Un Chien andalou" (1929), "Suicide, mode d'emploi" ou "De l'inconvénient d'être né". Eprouvant, dérangeant, sans doute trop long dans sa dernière partie qui paraît interminable mais un film qui ne laisse pas indifférent.

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La Malédiction des hommes-chats (The Curse of the Cat People)

Publié le par Rosalie210

Gunther V. Fritsch et Robert Wise (1943)

La Malédiction des hommes-chats (The Curse of the Cat People)

Un joli titre n'ayant strictement rien à voir avec le film. La traduction "la malédiction du peuple chat" passe mieux car elle peut faire allusion aux femmes dotées de pouvoirs surnaturels. Le maître d'oeuvre du film est le scénariste et producteur Val LEWTON qui après les flop commerciaux des deux premiers films de Orson WELLES reçut la mission de renflouer la RKO avec des films d'horreur à petits budget et de courte durée inspirés de ceux d'Universal. Mais Val LEWTON et son équipe qui comptait notamment le réalisateur Jacques TOURNEUR et Robert WISE qui était alors seulement monteur surent créer un univers fantastique original, féminin, poétique, onirique et gothique dans lequel régnait une atmosphère d'angoisse impalpable. "La malédiction des hommes-chats" doit ainsi son titre au fait d'être conçu comme une suite de "La Feline" (1942) avec les mêmes acteurs (dont Simone SIMON) et c'est le premier long-métrage de Robert WISE, ce dernier ayant remplacé au bout de 18 jours Gunther von FRITSCH qui ne parvenait pas à tenir les délais.

Néanmoins "La malédiction des hommes-chats" qui se place à hauteur d'enfant a son identité propre et a dû beaucoup inspirer Tim BURTON pour "Vincent" (1982), "Edward aux mains d'argent" (1990) ou encore "Sleepy Hollow - La legende du cavalier sans tete" (2000). Comment ne pas penser également à "La Nuit du chasseur" (1955) et à "Du silence et des ombres" (1962) avec son bestiaire enchanté (pour l'un) et son fantôme protecteur (pour l'autre). L'ombre de Charles Dickens plane également avec sa demeure quasi hantée par une vieille femme un peu inquiétante et sa fille adulte qu'elle refuse de reconnaître, lui préférant la petite Amy. On comprend qu'elle préfère se mettre en danger avec ces femmes étranges plutôt que de rester avec des parents qui ne pensent qu'à la faire rentrer dans le rang. Il faut dire que les enfants sont des éponges et qu'un secret de famille (directement issu du film de Jacques TOURNEUR) plane sur la maison. Un bien beau film.

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Les Prédateurs (The Hunger)

Publié le par Rosalie210

Tony Scott (1983)

Les Prédateurs (The Hunger)

Le vampire est éternel... également sur les écrans. Comme tous les mythes, chaque époque s'en empare et le réinterprète. Avant les versions des années 90 ("Dracula" de Coppola, "Entretien avec un vampire" de Neil Jordan), la saga "Twilight" des années 2000 et la relecture de Jim Jarmush, "Only Lovers Left Alive" en 2013, "Les Prédateurs", le premier long-métrage de Tony Scott en a offert une version eighties chic, arty et saphique devenue culte avec le temps. Exit les vieux artefacts associés au vampirisme (les croix, l'ail, la lumière, les miroirs etc.) Dans "Les Prédateurs", ceux-ci sont jeunes, beaux, classe avec leurs costumes haute-couture taillés sur mesure. Ils ont les visages iconiques de Catherine Deneuve (période "Le Dernier Métro") et de David Bowie (période "Let's Dance"). Ils vivent dans de somptueuses résidences pleines de bibelots anciens et se repaissent autant de sang que de grande musique (magnifiquement utilisée que ce soit le trio de Schubert aussi suggestif que dans "Barry Lyndon" ou le Lakmé de Léo Delibes). Un sang étroitement lié au sexe, les vampires se nourrissant au moment de leurs ébats torrides avec leurs proies ce qui fait évidemment penser au sida alors en pleine émergence (et le film de Coppola enfoncera ensuite le clou). L'esthétique baroque tout autant que la thématique m'a fait penser spontanément à Blade Runner, réalisé par Ridley Scott, frère de Tony en 1982: clairs obscurs, lâcher de colombes, fumigènes, voilages volant au vent, ambiance hypnotique, créatures inhumaines en proie à des questions existentielles. Car l'immortalité des vampires de Tony Scott s'avère conditionnelle: elle dépend du désir d'un autre. Cet autre est longtemps Miriam, sorte de déesse égyptienne qui élit ceux qui lui plaisent jusqu'à ce qu'elle s'en lasse. Alors ceux-ci vieillissent brutalement et finissent par se transformer en momie. C'est précisément ce qui arrive à John dont le maquillage est par ailleurs très réussi (son auteur, Dick Smith a travaillé notamment sur "L'Exorciste"). Miriam a en effet trouvé un autre objet de désir en la personne de Sarah (Susan Sarandon), médecin spécialiste des effets du vieillissement. Mais avec elle, le processus s'inverse comme si la science dévorait la croyance. Les scènes entre Catherine Deneuve et Susan Sarandon ne sont pas pour rien dans le statut culte du film: la première est devenue une icône lgbt et la seconde incarne une femme forte et indépendante qui annonce celle de "Thelma et Louise". 

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Magic

Publié le par Rosalie210

Richard Attenborough (1978)

Magic

Le cinéma n'a pas attendu "The Substance" (2024) pour mettre en scène l'histoire d'un personnage peu à peu dévoré par le double illusoire qu'il a lui-même créé: un double plus beau, plus jeune, plus parfait, plus charismatique. Une "meilleure version" qui finit par se transformer en un tel cauchemar que seule la mort peut y mettre fin. Mais "Magic" qui a été réalisé en 1978, entre deux des superproductions dont Richard ATTENBOROUGH était le spécialiste, "Un pont trop loin" (1977) (avec déjà Anthony HOPKINS dans un second rôle) et "Gandhi" (1982) est de façon assez évidente un avatar de "Psychose" (1960). Comme Norman Bates, Corky Withers est un homme gentil et introverti qui donne vie à une poupée/à une momie en usant de ses dons de ventriloque et en lui prêtant la partie de son psychisme qu'il refoule. Ainsi Fats, la marionnette au visage calqué sur le visage de Anthony HOPKINS, sorte d'ancêtre de Chucky est la manifestation de son inconscient, que ce soit au niveau du langage sans filtre et des pulsions sexuelles ou meurtrières. Elle lui permet de rencontrer le succès, que ce soit dans ses prestations scéniques ou dans la séduction de la jeune fille dont il est amoureux depuis le lycée. Mais très vite, Corky va perdre le contrôle sur Fats qui va l'entraîner dans une spirale sanglante infernale. La mise en scène de Richard ATTENBOROUGH est trop appliquée, trop molle, trop lente pour susciter l'angoisse, raison sans doute de l'oubli relatif du film mais la prestation fiévreuse et habitée de Anthony HOPKINS est quant à elle mémorable et préfigure évidemment celle de Hannibal Lecter. Ajoutons que c'est Burgess MEREDITH qui joue le rôle de son impresario, deux ans être apparu dans le rôle du coach d'un certain "Rocky" (1976) et que le scénario est signé de William GOLDMAN d'après son propre roman. William Goldman est l'auteur également du scénario de "Les Hommes du President" (1976) et du roman et scénario de "Marathon Man" (1976).

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Eraserhead

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1977)

Eraserhead

"Eraserhead", le premier long-métrage de David LYNCH est le terreau de tous ses autres films ainsi que de la série Twin Peaks. Mais c'est une oeuvre expérimentale, aride, radicale, à la fois passionnante et repoussante qui a mis cinq ans à voir le jour, se taillant un succès d'estime underground mais durable qui a suffi pour que Mel BROOKS repère le talent du réalisateur et lui confie les clés de ce qui allait devenir son premier grand succès (et futur grand classique), "Elephant Man" (1980).

"Eraserhead", c'est la rencontre de deux univers. L'un, purement mental est énoncé dès le générique: nous allons plonger dans la tête de Henry (Jack NANCE, l'un des fidèles coéquipiers au long cours du cinéaste), jeune homme qui voit lui tomber dessus une conjugalité et une paternité non désirées, thème que l'on retrouve dans sa dernière oeuvre cinématographique "Twin Peaks : Le Retour" (2017). L'autre, environnemental, est une zone industrielle désolée et crasseuse de la ville de Philadelphie que David LYNCH qui y a vécu quelques années transforme en terrain de jeux pour ses expérimentations visuelles et sonores. On ressent l'influence de l'artiste-peintre, plasticien, animateur et musicien à chaque seconde, sa fascination pour les textures, les bruits de fond et les formes notamment dont beaucoup deviendront des leitmotivs dans sa filmographie: le grésillement des lampes, les trous noirs, le rideau de scène par exemple. Quant au fond, "Eraserhead" est construit comme le seront ses futures oeuvres sur des allers-retours permanents entre les mondes. Henry qui arbore une coiffure chargée d'électricité statique (la même que celle qui deviendra plus tard la signature de David LYNCH) cherche à fuir une réalité subie qui l'oppresse et que David LYNCH nous fait ressentir sensoriellement (espace exigu, fenêtre murée, gémissement ou bourdonnement incessant) en s'évadant dans le rêve. Rêve plus ou moins lunaire dans lequel il s'imagine avoir une aventure avec sa superbe voisine ou bien rejoindre une simili Marilyn Monroe se produisant sur scène derrière le radiateur, "over the rainbow". Mais ses angoisses contaminent ses rêves tels ces vers en forme de cordons ombilicaux ou de spermatozoïdes géants qui tombent sur la scène et que la fille écrase avec jubilation, son visage aux joues hypertrophiées ou les vagissements qui perturbent ses ébats avec la voisine. Le bébé prématuré aux allures de lapin écorché est un pur produit de body horror qui suscite chez le spectateur comme chez Henry des pulsions de meurtre. Soit exactement l'effet que produit à l'autre bout du spectre lynchien le personnage de Richard Horne dans "Twin Peaks : Le Retour" (2017), lui aussi le fruit d'une conception non désirée dont le comportement monstrueux nous fait penser comme le bébé de "Eraserhead" qu'il est une aberration de la nature  (ou d'un monde post-apocalyptique très fortement suggéré par la minéralité, la pollution, l'absence de lumière et la plante morte près du lit) et qu'il doit y retourner au plus vite. Et ce n'est pas la seule "aberration" récurrente puisque "Eraserhead" flirte aussi avec le thème de l'inceste. Non celui qui se cache au coeur de "Twin Peaks" mais sous la forme que l'on peut observer dans "Sailor & Lula" (1990): une belle-mère se jetant avidement sur son beau-fils comme si elle allait le dévorer.

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Twin Peaks: The Return

Publié le par Rosalie210

David Lynch et Mark Frost (2017)

Twin Peaks: The Return

La troisième saison de "Twin Peaks" a été entièrement écrite et réalisée par David Lynch et Mark Frost qui ont reçu carte blanche de leur chaîne de diffusion. Alors qu'ils avaient dû ruser et parfois plier devant les exigences du public et du diffuseur au cours de la deuxième saison, ils ont pu, 26 ans après, contrôler la totalité de leur création et ne plus faire de compromis. Résultat, "The Return" est moins une série qu'un film expérimental de dix-huit heures dont la radicalité explose tous les codes vus jusque là. Pour l'apprécier, il faut accepter de ne pas tout comprendre, accepter qu'il n'y ait pas qu'une seule vérité à l'image de la multiplicité de réalités dans lesquelles David Lynch nous plonge pour mieux nous perdre.

Néanmoins, l'ADN originel de la série n'a pas été oublié, bien au contraire. Simplement, Lynch et Frost n'en ont gardé que le meilleur. Exit par exemple les intrigues de soap opera qui au pire de la deuxième saison prenaient le dessus sur tout le reste (qui se souvient de l'insignifiant personnage joué par Billy Zane par exemple?). En revanche le mélange des genres est plus que jamais présent dans cette saison foisonnante aux multiples ramifications, bousculant la chronologie et élargissant le cadre. Tout se passe comme si Lynch et Frost avaient pris au pied de la lettre l'expression "usine à rêves" utilisée pour qualifier Hollywood tout en lui ajoutant la dimension cauchemardesque qui lui manquait pour lui donner une dimension holistique. "The Return" fonctionne ainsi comme une machine à produire des récits puisant dans tous les genres hollywoodiens: polar, thriller, film de gangsters, road movie, comédie loufoque, burlesque, musical, fantastique, science-fiction etc. Sauf que tous ces récits semblent avoir été dictés par un inconscient tournant à plein régime: inconscient individuel et inconscient collectif. Beaucoup d'éléments de la culture américaine sont ainsi "retournés" comme s'ils avaient une face B. Je pense par exemple au maïs, symbole de vie et de fertilité qui devient un symbole de mort dans Twin Peaks, notamment parce que les esprits maléfiques se nourrissent du malheur humain qui se matérialise sous forme de maïs à la crème (le Garmonbozia). On peut en dire autant du film de Don Siegel, "Invasion of the body snatchers" qui en 1956 exprimait la paranoïa de la contagion du communisme sous la forme d'un "grand remplacement" de la population américaine à l'échelle d'une ville par des clones sans âme. Les codes du film sont repris quasiment à l'identique dans l'épisode 8 de "Twin Peaks" qui se déroule en partie en 1956, à ceci près que la contagion de la population par le mal provient des radiations nucléaires produites par les américains eux-mêmes. L'American way of life, déjà bien déconstruit dans les deux premières saisons prend des allures de cauchemar post-crise des subprimes avec des quartiers périurbains fantômes. Cela va de pair avec un "let's go home" qui résonne d'autant plus ironiquement qu'il n'y a jamais eu autant de SDF et de mal-logés que dans la série de 2017.

Néanmoins le rêve ne dérive pas toujours vers le cauchemar et parfois la face B devient une face A. Sinon "The Return" serait juste un trip glauque et froid, dénué d'humanité. Or c'est l'humanité dans toute sa complexité que cherchent à approcher Lynch et Frost. La saison 3 nous fait donc passer par toutes les émotions. Même si la ville de Twin Peaks n'est plus le cadre unique du récit, elle reste un lieu essentiel qui fonctionne comme un repère réconfortant pour le spectateur, ravi de retrouver la majorité du casting d'origine dans des lieux familiers tels que le double R, le bureau du Shérif, l'hôtel du grand nord ou le Bang Bang Bar (connu aussi sous le nom de Roadhouse) qui devient une salle de concert à la fin de la majeure partie des épisodes. Le retour 26 ans après de la plupart des acteurs de la série originale est d'autant plus émouvant que certains d'entre eux étaient malades et sont décédés après avoir tourné leurs scènes. Et les personnages de ceux qui étaient décédés avant et qui ont une importance dans le récit reviennent sous d'autres formes.

Mais surtout, "The Return" est un formidable tour de force pour Kyle MacLachlan qui interprète pas moins de quatre personnages, comme autant de facettes d'une même personnalité et au-delà, des contradictions humaines. Il y a d'abord le héros chevaleresque, romantique et mystique des deux premières saisons qui se retrouve prisonnier de la loge noire à la fin de la saison 2. Le spectateur attend son retour. Or cette attente ne cesse d'être déçue par Lynch. En lieu et place du Cooper que l'on croît connaître, on suit le parcours de ses doubles. Celui de "M. C", son double maléfique possédé par "Bob" qui sème la mort et le malheur sur son passage représente toutes les pulsions sombres que le "chevalier blanc" a refoulé, générant une personnalité clivée/dissociée assez typique des sociétés puritaines. Lynch ne cesse d'enfoncer son anti-héros dans les ténèbres avec quelques coups d'éclat "tarantinesques" (la présence parmi ses sbires d'un couple joué par Tim Roth et Jennifer Jason Leigh n'y est pas pour rien). A l'inverse, lorsque le bon Cooper tente de revenir sur terre, il se retrouve enfermé dans l'identité et dans la vie so "american way of life" de Dougie Jones. Car mener une vie conformiste était l'un des désirs de l'agent du FBI. A ceci près que le Dougie Jones "bon citoyen et bon père de famille" mène en réalité une double vie peu glorieuse (dettes de jeu, fréquentation de prostituées...) et que le choc électrique du retour (l'électricité, fil conducteur du passage entre les mondes) ramène Cooper au stade de légume ou de bébé privé de toute autonomie, de façon assez similaire à ce qui arrivait à Léo dans la saison 2. Ce nouvel anti-héros génère une série de situations burlesques et son parcours de "Candide à Sin City" finit par ressembler à une fable à la Frank Capra dans laquelle il réenchante le monde (je suis prête à parier que la clocharde qui devient milliardaire grâce à lui sort tout droit du "Lady for a day" ou de son remake, d'autant que l'histoire repose quand même sur une illusion). Un autre clivage se fait alors jour au sein de Dale Cooper: entre l'homme ordinaire, sans histoires et l'aventurier qui croit pouvoir empiéter sur le terrain des dieux. C'est ce dernier qui prend le pouvoir dans les derniers épisodes. Il veut profiter des pouvoirs surnaturels qu'il a acquis pour remonter le temps, changer l'histoire, effacer le péché originel de la saga et "rentrer à la maison", enfin réunifié. Mais la trilogie de Robert Zemeckis l'avait déjà démontré: on ne joue pas impunément avec les forces qui nous dépassent. Surtout quand ces forces sont mues par l'énergie nucléaire. L'odyssée de ce Cooper là qui semble s'appeler Richard, sous le signe de "Judy" (le mal absolu?) ne le ramènera jamais à Ithaque. Il l'enfermera dans une boucle. Une boucle en forme de 8 (comme le huitième épisode, celui de l'explosion nucléaire aux conséquences incalculables) qui pourra tourner indéfiniment.

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Twin Peaks: Les sept derniers jours de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire walk with me)

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1992)

Twin Peaks: Les sept derniers jours de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire walk with me)

"Twin Peaks : Les sept derniers jours de Laura Palmer" (1992) s'ouvre sur un plan hautement significatif: une télévision démolie à coups de hache. On est donc prévenus: David LYNCH reprend les commandes de l'univers "Twin Peaks" dont il s'était désinvesti au cours de la deuxième saison de la série et qui s'était arrêtée prématurément suite aux dures lois de la production télévisuelle. En revenant au format cinéma (Mark FROST co-créateur de la série est absent du film), il a décidé de "lâcher les chiens", en opérant un tournant radical vers la noirceur et le désespoir tout en conservant voire épaississant les mystères de la série. Mais ce qui pour moi fait la puissance du film réside dans le choix de le centrer sur la descente aux enfers de Laura Palmer en la suivant lors des jours précédant sa mort. Celle qui dans la série n'était qu'un fantôme (ou un personnage "jumeau" sans identité propre, Maddy) devient un être de chair et de sang, joué avec une stupéfiante intensité par Sheryl LEE qui fait passer par tout son être une souffrance déchirante. Conjuguée à la mise en scène angoissante de David LYNCH et au jeu flippant de Ray WISE, le père de Laura, le film se transforme en un cauchemar domestique pétri de sensorialité qui donne de la puissance à des réalités dérangeantes alors maintenues sous silence. Ou presque car il y avait eu un précédent: "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée..." (1981) dont la bande originale avait été composée par David BOWIE par ailleurs idole de Christiane qui va l'écouter en concert. Or David BOWIE fait une courte mais marquante apparition dans le film de David LYNCH dans le rôle surréel d'un agent du FBI vêtu de blanc qui surgit dans le dos d'un Dale Cooper (qui on le rappelle est lui revêtu d'un costume noir) dédoublé, tenant des propos obscurs avant de retourner dans son outre-monde. Mais plutôt que Dale (joué par un Kyle MacLACHLAN en retrait suite à son ressentiment vis à vis de l'abandon de Lynch sur la série), c'est une double vie que l'on suit, celle de Laura, un être clivé, lycéenne le jour à l'apparence bien sage et au quotidien stéréotypé (avec meilleure amie, boyfriends, participation à la vie de la communauté etc.) mais s'adonnant à la débauche la nuit, celle-ci n'étant qu'un moyen d'échapper à elle-même et à un enfer pire encore, celui de sa propre maison. Jamais l'expression "home, sweet home" de l'Americain way of life ne résonne plus ironiquement que dans ce film qui fait du foyer l'épicentre de la violence. Le film de David LYNCH lève le voile ou plutôt ouvre le rideau en 1992 sur ce que notre société ne commence à regarder en face qu'aujourd'hui: un "bon père de famille" au-dessus de tout soupçons, si prévenant avec sa femme qu'il lui apporte un verre de lait le soir pour qu'elle fasse un gros dodo pour pouvoir ensuite mieux manger leur enfant (Hitchcock quand tu nous tient). Et "Bob", ce visage du mal absolu qui hante "Twin Peaks" venu tout droit de la loge noire qui s'ouvre lorsque toute-puissance patriarcale et Titan mangeur d'enfants se rencontrent de prendre le caractère du déni, celui du violeur inconnu qui lorsqu'il se dissipe confine à l'horreur pure. Car le véritable interdit n'est pas de commettre l'inceste, l'interdit, c'est d'en parler. Silencio. Cela donne à toutes les scènes dans lesquelles Laura fait semblant de mener une vie normale au milieu de soi-disant proches qui en réalité ne connaissent que son image sociale un double fond: conversation futile en surface qui met en relief les gros plans sur la détresse palpable de son visage qui pense qu'aucun ange ne viendra sauver son âme en train de se consumer. A tort. Car le film de David Lynch donne une résonance extraordinaire aux âmes torturées du père et de la fille et les recueille avec une infinie compassion qui était déjà perceptible dans la série. Le final est ainsi bouleversant lorsque Laura, enfin en paix découvre qu'elle est un ange.

Présentation de cette critique sur Facebook:

Toujours plongée jusqu'au cou dans "Twin Peaks", j'ai regardé le film qui a suivi la fin de la série en 1992 (disponible en replay sur la 5) et dont je préfère le titre en VO ("Fire walk with me") qu'en VF ("Les 7 derniers jours de Laura Palmer"). Premier constat, le temps agit bien à reculons dans "Twin Peaks" puisque les événements racontés se situent avant ceux de la série. Mais il ne s'agit pas pour autant d'une simple préquelle. Les événements soumis à la temporalité linéaire de notre monde sont sans cesse parasités par ceux de l'outre-monde, donnant lieu à des passages complètement dingues où des personnages et des entités de forme diverses (beaucoup issus de la série, certains nouveaux) apparaissent et disparaissent, brouillant les notions de passé, présent et futur. Le mot parasité convient d'autant mieux qu'il semble que l'électricité joue un rôle conducteur du passage entre les mondes via notamment l'ascenseur et la neige télévisuelle. Mais en même temps, les codes sont différents de ceux de la série: Mark Frost, son co-créateur est absent du film et la hache qui s'abat d'entrée sur la tv indique que narration et mise en scène obéiront à d'autres lois. Exit donc le cocon télévisuel qui amortissait les chocs, place à un véritable récit d'épouvante, celui de la descente aux enfers de Laura jusqu'à son assassinat faisant la jonction avec la série, dont on retrouve une partie des personnages et acteurs à l'exception notable de Lara Flynn Boyle dans le rôle de Donna, la meilleure "school friend" de Laura (je préfère ce terme à "meilleure amie" car Laura ne peut parler à personne de la réalité de sa vie ce qui créé d'ailleurs un décalage glaçant entre la futilité de façade et l'horreur sous-jacente). La sensorialité du film, sa radicalité et sa frontalité jettent une lumière crue sur le tu (j'ai pensé à l'un des maîtres-mots du cinéma de Lynch, "Silencio"): l'enfer domestique du "home sweet home", celui que dénonçait autrefois Alice Miller dans "L'enfant sous terreur" et aujourd'hui Edouard Durand dans "Protéger la mère, c'est protéger l'enfant". Puisque passé, présent et futur se confondent si bien, j'ai vu au détour d'une scène le visage de Dominique Pélicot se greffer sur celui de Leland lorsqu'il donne un verre de lait à son épouse (une allusion à "Soupçons?") avant qu'il ne laisse "Bob", le démon intérieur qui l'habite se déchaîner sur Laura dont l'âme se consume chaque jour un peu plus (bouleversante Sheryl Lee). Le sauvetage d'âmes perdues par des anges rédempteurs qui était sous-entendu dans la série devient ici explicite mais promis "on ne parlera pas de Judy"...

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Mystères à Twin Peaks (Twin Peaks)

Publié le par Rosalie210

David Lynch et Mark Frost (1990/1991)

Mystères à Twin Peaks (Twin Peaks)

La mort de David LYNCH dont j'aimais l'univers et les documentaires qui ont été diffusés à cette occasion ont été à l'origine de ma résolution de regarder enfin les deux saisons de la série "Mystère à Twin Peaks" ce que je voulais faire depuis des années comme un rendez-vous longtemps attendu et maintes fois reporté. Son visionnage a eu un impact sur mon activité onirique (parce que l'ayant regardée sur près de dix jours sans chercher à connaître la suite, j'ai eu le temps d'en rêver, littéralement et de m'en souvenir au réveil), ravivé ma mémoire du temps où j'étais téléphage, stimulé mes neurones. J'ai eu envie d'écrire ce qu'elle m'inspirait sous forme d'abécédaire concocté par mes soins n'ayant aucune prétention à l'exhaustivité. Ne les ayant pas encore regardés, il n'inclut ni le film, ni la troisième saison tournée 26 ans après.

A comme ARBRES: ils font partie des leitmotivs qui conduisent le spectateur vers une autre dimension que celle des plateaux-théâtres statiques codifiés des séries. Les plans sur leur frémissement (autant que la musique de Angelo BADALAMENTI) est un appel vers les forces obscures de la forêt qui sous-tendent toute la série selon un dualisme comparable à "Blue Velvet" (1986).

B comme BUCHE: Morceau de tronc d'arbre portatif ne quittant jamais les bras de Margaret, lui permettant de se connecter à son troisième oeil ^^.

C comme CORRUPTION: Elle est endémique dans toute la série comme une gangrène qui ressurgit même au sein d'une entité maléfique repentie ayant essayé de l'arrêter en se coupant le bras ^^.

D comme DUALITE: Elle est au coeur de la série. La ville bien nommée "Twin Peaks" est à la fois un cocon protecteur de l'american way of life et la poubelle où se déverse le refoulé du puritanisme américain (drogue, prostitution, corruption, proxénétisme etc.) Les personnages sont eux-mêmes bipolarisés, dédoublés qu'ils aillent du lumineux vers le sombre ou du sombre vers le lumineux, certains se retrouvant coincés entre leurs deux facettes opposées d'où un nombre impressionnant de chocs, traumatismes, comas et autres coups de folie dans la série.

E comme EPICURIEN: Un aspect très important de la philosophie de vie du personnage principal, Dale Cooper (Kyle MacLACHLAN). Cela commence par le petit cadeau qu'il se fait à lui-même chaque jour en savourant une gorgée de café, un beignet ou une part de tarte à la cerise (variante du livre de Philippe Delerm "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" qui a été tant cité au moment de la sortie de "Le Fabuleux destin d'Amelie Poulain" (2001)) et cela se termine plus profondément par l'absence de crainte face à la mort qu'il affronte dans un état proche des limbes au début de la saison 2: "ce n'est pas si terrible tant qu'on peut empêcher la peur d'envahir son esprit".

Attention spoiler (ne pas lire si pas vu la fin):

Cela rend d'autant plus terrible la tasse de café solidifié, imbuvable du dernier épisode dans lequel son psychisme s'écroule quand il est possédé à son tour par le mal.



F comme FRONTIERE: Twin Peaks est une ville-frontière, celle qui sépare les USA du Canada mais il s'agit d'une frontière dans de nombreux autres domaines: entre la ville et la forêt, les vivants et les morts, le rêve et la réalité, les dieux et les hommes, les cieux et les souterrains, la sagesse et la folie, le jour et la nuit.

G comme GEANT: Esprit messager qui apparaît dans les visions de Dale Cooper dans les moments critiques pour essayer de le guider.

H comme HIBOUX: Ces créatures de la nuit sont intimement liées à la forêt et aux forces obscures. Ce sont de puissants esprits messagers voire des guides spirituels. Le fait que Dale Cooper n'aime pas les oiseaux et ne sache donc pas décrypter leurs messages ("les hiboux ne sont pas ce qu'ils semblent être") agit comme un présage funeste de son destin.

I comme INNOCENCE: Quête ou état commun à de nombreux personnages et qui se manifeste de multiples manières: l'innocence de l'idiot, la tentative de se refaire une virginité en devenant bon ou en fréquentant un homme bon, le fait de retomber en enfance, la claustration volontaire pour se protéger du mal ou de la corruption. Cela peut être traité en mode comique ou tragique.

J comme Judy Garland: Le major Briggs, un des personnages les plus mystiques de la série, bien caché sous ses habits militaires comme Dale Cooper sous son costume d'enquêteur du FBI a pour prénom Garland (cela ne s'invente pas) et sous substance psychotrope croit qu'on l'appelle "Judy Garland". Mais ce qui m'a le plus touché dans la série faisant référence à l'actrice et à l'oeuvre fétiche de David LYNCH, "Le Magicien d'Oz" (1938), c'est le sauvetage par Dale Cooper de Audrey Horne, séquestrée et droguée dans le bordel "Jack n'a qu'un oeil". J'ai eu la certitude à ce moment-là qu'il s'agissait de la projection du désir de David LYNCH d'arracher Judy GARLAND adolescente à l'enfer de la drogue administrée par les corrupteurs hollywoodiens. D'ailleurs "Blue Velvet" (1986) présente un schéma similaire avec un personnage féminin prénommé Dorothy (cela ne s'invente pas non plus) qu'un jeune homme (déjà joué par Kyle MacLACHLAN) veut arracher au monde des ténèbres, prenant le risque de se faire contaminer lui aussi.

K comme Kubrick: Les moments les plus angoissants de la série m'ont ramené à mes toutes premières sensations devant la bande-annonce de "Shining" (1980). Lents travellings flippants, moquette aux motifs géométriques de la salle d'attente de la loge noire et surtout, plan cauchemardesque de "Bob" surgissant depuis l'arrière-plan du salon pour sauter à la gorge de Maddy (dont la caméra épouse le point de vue). Le sang de "Shining" sortant de l'ascenseur pour envahir le cadre m'avait fait le même effet. Il y a aussi bien sûr les esprits maléfiques en quête de possession d'êtres vulnérables à la peur et cet hôtel du grand nord qui est le théâtre d'une grande partie de l'intrigue dont on ne sait pas s'il a été construit sur un cimetière indien mais dont le terrain a été volé aux indigènes (avant que les descendants des colons ne s'entretuent ou ne s'arnaquent pour les posséder comme on le voit dans la série). Les messages extra-terrestre font penser quant à eux à "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968).

L comme LUNE: Leitmotiv de la série que l'on peut rattacher aux arbres, au monde de la nuit, forces obscures, cosmiques mais qui fait aussi figure de repère (comme les feux tricolores) dans un monde où le temps semble s'écouler de façon cyclique plutôt que linéaire. On s'aperçoit en effet que le temps ne semble pas avancer dans la série, parfois même il recule avec tous ces personnages ramenés au stade bébé-enfant-adolescent ou bien n'existe plus dans la loge où les esprits parlent à l'envers.

M comme MIROIR: Lié à la dualité. La première image de la série tout comme la dernière (de la deuxième saison) montre un personnage face à son miroir et lie ainsi les destins de Josie (personnage dévoré par le mal sous un visage d'ange) et de Dale Cooper (ange dont la tranquillité d'esprit cache une faille par où celui-ci peut pénétrer). Entre les deux, l'assassin de Laura Palmer aura eu largement le temps de nous montrer son visage diabolique de l'autre côté de ce même miroir. James Baldwin avait essayé en son temps de tendre un miroir à la société américaine WASP se mirant sous les traits de Doris DAY ou de Gary COOPER tout en projetant ses pulsions indésirables sur les afro-américains.

N comme NAIN: Celui qui danse dans les rêves et visions de Dale Cooper s'avère être un esprit de la loge. Un Munchkin échappé de "Le Magicien d'Oz" (1938)? Eux aussi comme Judy GARLAND avaient leur propre dualité: personnages merveilleux dans la fiction, acteurs infernaux en réalité comme le révèle notamment le documentaire "Lynch/Oz" (2022), sans doute pour se venger de leur infériorisation (notamment salariale).

O comme OTNI: objet télévisuel non identifié. "Twin Peaks" est à l'image de son contenu, une série duale. D'un côté, elle se rattache à des genres bien identifiables pour les spectateurs de télévision afin qu'ils mordent à l'hameçon comme le polar ou le soap opéra. Je me suis ainsi souvenue d'un rebondissement identique que j'avais vu dans "Santa Barbara" (1984), un personnage féminin soi-disant mort mais revenant sous un déguisement et une fausse identité. De l'autre, elle les déglingue afin d'essayer de les entraîner en territoire inconnu. Ainsi les personnages sont à la fois stéréotypés et décalés puisqu'ils ont tous des manies ou des infirmités qui les rendent tantôt drôles, tantôt mystérieux et parfois terrifiants quand on découvre "la face cachée de la lune".

P comme PEUR: La porte d'entrée du mal dans l'esprit humain. Cela m'a fait penser à "La peur dévore l'âme", la pièce de Rainer Werner FASSBINDER qui a servi de base au scénario de "Tous les autres s'appellent Ali" (1973) où cette phrase est prononcée par le personnage principal.

Q comme QUALITE: Alors que la saison 1 et les premiers épisodes de la saison 2 sont d'une qualité exceptionnelle, la série connaît ensuite un véritable trou d'air avant la claque que représente le dernier épisode. Le critique Victor Inisan explique cette brusque baisse de qualité par l'effacement de David LYNCH de la mise en scène après avoir cédé aux demandes du public et aux pressions de la chaîne qui diffusait la série en révélant le nom de l'assassin dès le 14ème épisode. On touche du doigt la contradiction inhérente à la culture télévisuelle grand public: celle-ci réclame du plaisir immédiat alors que les dimensions plus subtiles et plus profondes prennent du temps avant d'être comprises et appréciées à leur juste valeur. Et "Twin Peaks" est une série qui se caractérise par sa lenteur justement. Heureusement, David LYNCH est revenu pour réaliser le dernier épisode de la saison 2, un coup d'éclat vis à vis de tous ceux qui ne voulaient voir en "Twin Peaks" qu'une simple série policière ou un soap opera.

R comme RIDEAUX: Les rideaux sont la forêt de l'âme et m'ont fait penser à mon peintre préféré, René Magritte. Les rideaux rouges de "Twin Peaks" cachent ainsi bien autre chose qu'une scène de théâtre et ce même si "Twin Peaks" comporte sa/ses séquences scéniques chantées et/ou dansées.

S comme SATURNE: Le portail de la loge noire s'ouvre lorsque Saturne entre en conjonction avec Jupiter. Logique, ce sont deux planètes portant des noms de divinités romaines symbolisant "le mal que les hommes font". Jupiter symbolise la toute-puissance patriarcale alors que Saturne est la romanisation de Cronos, le Dieu qui a mangé ses propres enfants. "Twin Peaks" est une série révolutionnaire en ce qu'elle se place du point de vue des gens qui souffrent avec une forte empathie pour les femmes et des jeunes filles dont Laura Palmer est la quintessence ainsi que pour les hommes exprimant leur masculinité d'une manière autre que prédatrice. Quant aux prédateurs, ils sont à un moment ou à un autre frappés par le destin et ramenés à leur condition première d'être en souffrance.

T comme TIBET: Un autre aspect très important de la philosophie de vie de Dale Cooper est sa fascination pour le bouddhisme tibétain. Elle m'a ramené à mon premier contact avec cette spiritualité, "Tintin au Tibet" qui m'avait fasciné et dont toute l'enquête est fondée sur un rêve/une vision qui confine à la télépathie ou au chamanisme. Si "Tintin" est la seule BD franco-belge à laquelle j'ai accroché dans mon enfance, c'était notamment à cause de l'amitié entre Tintin/Hergé et Tchang qui l'ouvrait sur d'autres horizons qui allaient bien au-delà du simple feuilleton d'aventures exotiques.

U comme UNIVERS: "Twin Peaks" est un univers complet et cohérent qui brasse diverses mythologies allant de la légende arthurienne au seigneur des anneaux.

V comme VENUS: Les statues de Vénus de la loge noire peuvent représenter les femmes objets de désirs et pétrifiées par la mort par opposition aux planètes symboles de masculinité toxique qui l'ouvrent et aux esprits maléfiques qui la peuplent.

W comme WEST SIDE STORY: "Twin Peaks" est traversé de références au cinéma américain et particulièrement à la comédie musicale, bien que le terme convienne mal à "West Side Story" (1960) qui est un drame. Deux acteurs de "Twin Peaks" proviennent du film de Robert WISE et Jerome ROBBINS: Richard BEYMER alias Tony qui joue le rôle de Benjamin Horne, un homme d'affaires peu recommandable de prime abord et Russ TAMBLYN alias Riff, le meilleur ami de Tony qui joue le docteur Jacoby, un psychiatre complètement perché qui lors d'un moment savoureux vient tenter de soigner la régression au stade infantile de Benjamin Horne.

X comme X-FILES: Parce que Si "Twin Peaks" a absorbé de multiples références, elle est à son tour devenue une source d'inspiration pour d'autres, à commencer par "X-Files". Les agents Scully et Mulder sont des émanations de Dale Cooper et du major Briggs. La filiation est présente jusque dans le casting. David DUCHOVNY joue un rôle savoureux dans "Twin Peaks" alors que Don DAVIS alias le major Briggs joue de façon très logique le père de Dana Scully (Gillian ANDERSON).

Y comme YIN/YANG: Parce que l'univers de "Twin Peaks" est basé sur un savant équilibre entre les dualités qui régissent l'univers et que celles-ci donnent lieu parfois à de savoureux rebondissements. Par exemple lorsqu'un nouveau personnage de prédateur/gangster/mâle alpha apparaît tel que Jean Renault qui veut détruire Dale Cooper survient dans le même épisode Denise Bryson (alias David DUCHOVNY) agent du FBI transgenre qui vient enquêter sur les accusations contre Dale Cooper et qui est évidemment l'antidote à Jean Renault. Cependant dans le tout dernier épisode, ce principe d'équilibre se rompt.

Z comme ZEMECKIS: Il y a une parenté évidente entre les deux cinéastes, mise en valeur par le documentaire "Lynch/Oz" (2022). "Twin Peaks" ressemble au "Hill Valley" des années cinquante du premier "Retour vers le futur" (1985). Cet aspect vintage se retrouve dans les lieux, les personnages, les situations et même les programmes TV! Cependant si Robert ZEMECKIS est critique vis à vis de ce prétendu âge d'or de l'American way of life dont il montre les travers (la psychose nucléaire par exemple) et les promesses non tenues, David LYNCH est carrément horrifique, faisant surgir des coins les plus sombres les pires monstres. Autre point commun, l'attirance pour les outre-mondes. Le major Briggs à l'écoute des messages extra-terrestre m'a fait penser au personnage de Jodie FOSTER dans "Contact". (1997)

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The Substance

Publié le par Rosalie210

Coralie Fargeat (2024)

The Substance

A l'image de son affiche, "The Substance" joue à fond des contrastes tels que le clinique et l'organique. Mais aussi le propre et le sale, le noir et le blanc, le vieux et le jeune, la laideur et la beauté ou bien les trois couleurs primaires: jaune de l'oeuf (sur lequel est expérimenté la substance), de l'activator du dédoublement et du manteau d'Elisabeth ("la matrice" de son double jeune), rouge du sang et des organes et le "rêve bleu" des chimères, la robe de princesse des contes et du sommet des dieux hollywoodiens. Tous ces pôles de contrastes sont reliés entre eux par un cordon ombilical serpentin (repris sur le motif du peignoir d'Elisabeth) ou par de longs corridors qui ont un caractère de révélateur de la vraie nature de ce qui est relié, comme les deux facettes d'une même pièce. Pour ne donner qu'un exemple, le click and collect dans lequel Elisabeth vient récupérer son kit et ses recharges est, à l'image de sa salle de bain, d'une blancheur éblouissante alors que cette dernière dissimule un cadavre dans le placard et que pour accéder aux casiers il faut traverser un garage désaffecté et jonché de détritus. Cette esthétique de l'agencement des contraires par le montage, Coralie FARGEAT l'a puisé dans le cinéma de David LYNCH et Stanley KUBRICK dont elle se réapproprie les labyrinthes mentaux de "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968) et de "Shining" (1980). Mais, et c'est ce qui rend son film jouissif, elle se les réapproprie avec beaucoup d'ironie. Dans cette réinvention féministe de "Le Portrait de Dorian Gray" (1944) croisée avec le syndrome de Frankenstein, "Ainsi parlait Zarathoustra" n'annonce pas la venue d'un être supérieur mais accouche au contraire d'un monstre qui n'est pas sans rappeler "Elephant Man" (1980). Le personnage d'Elisabeth est une coquille vide qui ne vit que de des souvenirs de son ancienne gloire (comme dans "Boulevard du crepuscule") (1950) et d'images, celles que lui renvoie le monde patriarcal dans lequel elle vit, obsédé par le jeunisme et le corps parfait. Lorsque son âge la prive de la dernière émission qu'elle présentait (un show matinal d'aérobic à la Jane FONDA) par la décision d'un producteur masculiniste grotesque (Dennis QUAID) ayant décrété que 50 ans était une date de péremption, elle a l'impression de ne plus exister car elle n'a plus rien à quoi se raccrocher. La scène où elle tente sans succès de sortir de son isolement en se heurtant sans cesse à un miroir lui renvoyant un reflet haï souligne cet enfermement mortifère dans l'apparence. L'expérience de dissociation à laquelle elle se livre entre un moi jeune (idéalisé*) et un moi vieux (haï) tourne donc à l'autodestruction et non à la collaboration comme le présuppose un protocole médical qui semble avoir été produit par une IA plutôt que par un humain. Mais elle en fait également profiter la société du spectacle dont elle est le produit ce qui nous gratifie de quelques séquences hautement jubilatoires digne de la fin de "Carrie au bal du diable" (1976) croisé avec la mutation de "Akira" (1988) et de "La Mouche" (1986). Demi MOORE est exceptionnelle, n'ayant peur de rien et surtout pas des transformations physiques les plus audacieuses ce qui donne lieu, là encore à des séquences désopilantes faisant penser à la vieille sorcière de Blanche-Neige.

* Les séquences avec Margaret QUALLEY filmées avec un male gaze appuyé sont là encore un summum d'ironie, montrant que Elisabeth n'a généré qu'une version ancienne d'elle-même, poupée gonflable objet des fantasmes masculins n'ayant aucune existence propre. Elisabeth s'avère incapable de la moindre forme de détachement de cette aliénation au regard masculin concupiscent, lequel est tourné en ridicule de façon jouissive.

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Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles)

Publié le par Rosalie210

Terence Fisher (1959)

Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles)

Tout ce que je connais de la Hammer, c'est un extrait de l'un de ses "Dracula" avec Christopher LEE. Quant à Peter CUSHING il est pour moi associé à l'épisode 4 de Star Wars (et à "Rogue One: A Star Wars Story" (2016) où il est ressuscité par la grâce des effets spéciaux), question de génération. Je ne suis pas non plus une spécialiste de l'univers de Sherlock Holmes, que ce soient les romans ou leurs adaptations. Je ne connais que le film de Billy WILDER dans lequel Christopher LEE jouait Mycroft, le frère de Sherlock et la série transposant le mythe dans un univers contemporain. Ce qui m'a frappé donc dans cette adaptation, c'est d'abord son style gothique flamboyant. Les couleurs, la lumière, l'atmosphère, les costumes m'ont fait immédiatement penser à "Les Contrebandiers de Moonfleet" (1955) qui lui est contemporain. Un style repris de nos jours par Tim BURTON: lande désolée nageant dans le brouillard, manoir lugubre, pleine lune, hurlements lointains, éclairs et tonnerre, ruines etc. C'est pourquoi la version du célèbre roman de Conan Doyle par Terence FISHER fait moins penser à un polar qu'à une aventure fantastique, cousine britannique des films américains de Roger CORMAN. D'ailleurs, les deux réalisateurs ont également dirigé des acteurs indissociables du genre: Vincent PRICE pour Roger CORMAN, Christopher LEE associé à Peter CUSHING pour Terence FISHER. Encore que dans "Le chien des Baskerville" le premier ne joue pas le rôle d'un monstre mais du dernier descendant légitime d'une famille en proie à une malédiction. C'est elle que combat Sherlock, joué par un Peter CUSHING qui impressionne avec son visage émacié et son regard presque dément. Le tout s'accorde avec une mise en scène représentant la violence de manière stylisée mais hautement suggestive: la scène de la tarentule, jouant sur l'effet de suspense est encore aujourd'hui assez éprouvante à regarder (sauf si on aime ces araignées), de même la scène d'ouverture impressionne par la brutalité des rapports de classe et de genre.

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