J'ai trouvé ce film magnifique par sa simplicité comme par son talent à nous faire ressentir l'intimité qui se déploie naturellement entre deux personnes âgées et esseulées qui pourtant ne se connaissaient pas quelques heures plus tôt. Une fois de plus, l'Iran parvient à nous raconter une histoire d'une portée universelle sans pour autant gommer le contexte spécifique dans laquelle celle-ci se déroule. La chape de plomb de l'intégrisme religieux est d'autant plus mal vécue par les personnes âgées qu'elles ont connu la période qui a précédé la révolution islamiste. Ainsi, Mahin se souvient de fêtes où elle pouvait se rendre en tenue décolletée et Faramarz a été emprisonné pour avoir joué d'un instrument traditionnel, le târ (une sorte de luth) avec un groupe et n'a été libéré que parce qu'il est un vétéran de guerre (il ne précise pas laquelle mais probablement la guerre Iran-Irak de 1980-1988). Le récit est centré sur Mahin car c'est elle qui en est le moteur. Insatisfaite par sa vie solitaire (des enfants vivant à l'étranger et peu disponibles, des amies vues à des intervalles trop espacés, un mari décédé), on la voit se mettre en quête d'un compagnon, d'abord dans un parc où elle ne rencontre que la sinistre police des moeurs puis dans un restaurant réservé aux vétérans et aux veuves de militaires comme elle. Elle y repère bientôt un homme seul, Faramarz qui travaille comme chauffeur de taxi et c'est elle qui l'aborde en lui demandant de la reconduire chez elle. A partir de là, le charme de cette rencontre agit tout seul comme si Mahin et Faramarz se connaissaient depuis toujours. Leur capacité à se fabriquer des bulles d'intimité et de bonheur au coeur d'un régime hostile (incarné par une voisine inquisitrice façon "oeil de Moscou") émerveille. Chaque instant qu'ils passent ensemble est une ode aux plaisirs de la vie et un défi lancé au régime: plaisir de boire du vin (et d'expliquer comment le fabriquer soi-même dans un pays qui l'interdit), d'écouter de la musique, de danser (le moment le plus enivrant du film), de renouer avec son corps et avec ses désirs, sans fausse pudeur (d'autant que Mahin ne porte pas de foulard à l'intérieur de sa maison, comme dans la réalité). Et c'est parce que les deux amoureux communient dans une intimité totale que Faramarz peut enfin se laisser aller: parce qu'il sait qu'il ne sera plus jamais seul. Bouleversant.
Un titre qui définit les trois forces tutélaires sous l'égide desquelles a grandi l'avocat Roland Perez (le film est tiré de son livre autobiographique) ainsi que leur hiérarchie dans sa vie. "Ma Mère Dieu et Sylvie Vartan" m'a fait penser en plus réussi à "Le Dernier des Juifs" (2022). L'amour fusionnel et dévorant d'une mère juive marocaine pour son fils dans le huis-clos d'un appartement HLM est en effet au centre du récit et montré dans toute son ambivalence. Dans la première partie du récit qui se déroule pendant l'enfance de Roland, il est montré comme salvateur. On y voit Esther se battre comme une lionne avec son fils dans les bras contre à peu près tout le monde (son mari résigné, les services sociaux incarnés par une Jeanne BALIBAR raide comme une trique, le voisinage, les médecins) en remuant ciel et terre pour que Roland s'intègre socialement en tant que valide et non en tant que handicapé affligé d'un pied bot. Tous les moyens sont bons, y compris les plus farfelus pour parvenir à ses fins, y compris croire au miracle (puisque les médecins s'avèrent impuissants) sous l'égide de Sylvie VARTAN, l'enfance de Roland se déroulant pendant les années 60, théâtre de l'émergence des idoles yé-yé et de la télévision qui est sa seule fenêtre sur le monde. Finalement la bonne fée s'incarne dans le personnage de la veuve d'un rebouteux (Anne LE NY) qui grâce à une technique traditionnelle nécessitant une longue immobilisation et beaucoup de patience parvient à redresser suffisamment le pied de Roland pour qu'il puisse marcher seul et presque sans boîter. Arrive alors la deuxième partie du film, celle où Roland adulte, joué par Jonathan COHEN doit s'émanciper de sa mère envahissante et de son avatar alias Sylvie VARTAN dont il est devenu l'avocat. Leila BEKHTI crève l'écran en déployant une énergie phénoménale et grâce à un vieillissement très réussi (contrairement au rajeunissement de Sylvie VARTAN via l'IA) nous fait oublier qu'elle est en réalité plus jeune que Jonathan COHEN. En prime on reconnaît Milo MACHADO GRANER, l'enfant de "Anatomie d'une chute" (2022) dans le rôle de l'un des frères de Roland.
J'ai un avis extrêmement partagé sur "Le mari de la coiffeuse". D'un côté, cette rêverie ne manque ni d'originalité, ni de charme. J'ai aimé la sensualité qui se dégage du film, l'attention portée à la lumière, aux couleurs, aux goûts, aux odeurs, au toucher et à l'ouïe. C'est ce dernier sens qui m'a d'ailleurs le plus emporté. D'abord parce que la voix de Jean ROCHEFORT est un poème en soi et ensuite parce que toutes les musiques orientales que l'on entend dans le film constituent une source de dépaysement, un appel vers l'ailleurs. Le toucher occupe la seconde place à égalité avec la vue: la manière de photographier et de filmer la peau et les chevelures flamboyantes des femmes vont de pair avec l'orientalisme marqué du film. Seulement, ce qui ressemble à la projection d'un fantasme masculin a du mal à tenir sur la longueur. Au bout d'un moment, inévitablement, le film tourne en rond dans son tout petit périmètre. Car deuxièmement, à force de se répéter, le charme finit par se dissiper pour laisser place à une impression mortifère. Car le fantasme de cet homme consiste à épouser une coiffeuse, littéralement. Le bonheur dans l'amour fusionnel, replié sur soi-même et sa moitié dans le huis-clos d'un salon d'où chacun sort le moins possible, interagit le moins possible avec les autres ça finit par devenir étouffant et ça ressemble à une envie régressive de retourner dans le ventre de maman. Forcément, un tel amour est sans issue. Enfin, si écouter la voix de Jean ROCHEFORT est un délice, il y a un hiatus entre les fantasmes qui semblent émaner de l'esprit d'un adolescent en proie à ses premiers émois amoureux et sexuels et l'homme d'âge très mûr qu'il était déjà, sa partenaire érotique ayant évidemment l'âge d'être sa fille. Le film aurait pu jouer sur la nostalgie de ce bonheur perdu à l'aide de flashbacks où l'on aurait entendu Jean ROCHEFORT mais où son personnage aurait été joué par un autre acteur plus jeune. Cela aurait peut-être également permis de trouver une vraie fin au film qui se termine en queue de poisson.
"Deux soeurs" est un film puissant, empreint de cette pâte humaine dont Mike LEIGH a le secret. Près de trente ans après "Secrets et mensonges" (1996), il retrouve Marianne JEAN-BAPTISTE pour interpréter le rôle de Pansy, une anti-héroïne que l'on est pas prêt d'oublier. Dès la première séquence, le ton est donné: Pansy se réveille en criant et en sursautant, comme si le retour à l'état conscient était un traumatisme. Et c'est le cas. Le rapport que Pansy entretient au monde est conflictuel. En proie à une colère inextinguible, elle passe son temps à déverser sa bile sur tout ce qui bouge. Ceux qui croisent son chemin subissent ses foudres ce qui donne une série d'esclandres au ton tragi-comique (car la dame a le sens de la formule qui pique). On a donc la version irascible d'un échantillon des albums de Martine avec "Pansy au supermarché", "Pansy chez le dentiste", "Pansy chez le médecin", "Pansy veut acheter un canapé" etc. Evidemment, ces anonymes qui réagissent à son agressivité avec plus ou moins de flegme ne sont que les boucs-émissaires d'une rage qui remonte à l'enfance. C'est là qu'intervient la soeur de Pansy, Chantelle (Michele AUSTIN) qui est son antithèse: solaire, joyeuse, bienveillante. Tout chez elle respire la joie de vivre, son salon de coiffure, son appartement coloré, sa complicité avec ses deux filles alors que l'appartement de Pansy est aseptisé par sa maniaquerie et que son mari (qu'elle ne supporte pas) et son fils (qui la désespère) s'isolent dans leurs bulles ou la fuient le plus possible. Désemparée par la négativité de sa soeur qui lorsqu'elle n'éructe pas ne cesse de se plaindre de tous les maux, elle tente de lui venir en aide, tente de comprendre pourquoi celle-ci est à ce point fâchée avec la vie, tente de la sortir de son marasme et de son isolement en organisant une réunion de famille (comme dans "Secrets et mensonges") (1996). Ce qui est fort, c'est que l'on ressent parfaitement la terrible souffrance qui se cache derrière le caractère impossible de Pansy et la rend aussi asociale que dépressive. Un malheur qui lui vient de son histoire personnelle (Mike LEIGH ne donne pas toutes les clés mais il semble qu'elle ait servi de paratonnerre) et qui est donc transmissible. Son fils Moses qui est obèse, désocialisé et sans situation semble porter sur ses épaules tout le malheur familial. Cependant, avec l'aide de Chantelle, Pansy comprend qu'elle n'en peut plus et qu'elle doit peut être enfin songer à déposer les armes.
Claude MILLER nous gratifie d'un scénario palpitant et d'une mise en scène au cordeau autour d'un chassé-croisé de personnages et d'histoires à la manière de "Jackie Brown" (1997) de Quentin TARANTINO ou de "Short Cuts" (1993) de Robert ALTMAN. Les invraisemblances sont énormes mais on en redemande car Claude MILLER nous sert de grosses tranches de gâteau. Et puis ce qui compte vraiment, par-delà le plaisir de suivre une intrigue bien ficelée, c'est l'enjeu psychologique autour de la maternité. Les trois femmes au coeur de l'histoire n'ont pas plus l'instinct maternel chevillé au corps que le sens de la famille ou une identité et une place claire. Betty (Sandrine KIBERLAIN) qui s'appelle en réalité Brigitte est une auteure à succès et une maman solo qui entretient des rapports distants à son père et à sa mère Margot (Nicole GARCIA). Présentée comme atteinte de troubles mentaux, celle-ci se comporte en petite fille égoïste qui réclame une attention permanente, inversant les rôles et parasitant celle que Betty accorde à son petit garçon, Joseph. Pourtant quand celui-ci disparaît, plongeant Betty dans le désespoir, elle réagit d'une drôle de manière en enlevant dans une cité l'enfant d'une autre maman solo, Carole (Mathilde SEIGNER), serveuse volage qui semble plutôt soulagée d'être délivrée de ce fardeau. Là-dessus se greffent les différents conjoints, amants, amoureux, mac, flics etc. dans une ronde étourdissante qui ne fait pas oublier l'essentiel: la naissance d'un lien filial véritable entre une femme et un enfant, lien qui répare ceux qui ont été brisés, abîmés, jamais créés. Claude MILLER met le romanesque le plus échevelé au service de sentiments vrais (le cri du coeur de Betty lorsqu'elle reconnaît José comme son fils "c'est mon petit garçon") dans une démarche qui rappelle celle de "Mortelle randonnee" (1982) .
Une des nombreuses vues de Louis LUMIERE consacrée aux "petits métiers" de la Belle Epoque, contemporaine de la naissance du cinéma. Celle-ci a pour particularité d'avoir fait partie des dix courts-métrages sélectionnés pour la première projection publique et payante du cinématographe des frères Lumières au Salon Indien du Grand Café de Paris situé au 14 boulevard des Capucines le 28 décembre 1895. Projection mythique qui fut une révélation pour Georges MELIES, présent dans le public. "Les Forgerons" n'est cependant pas passé à la postérité contrairement à "L'Arroseur Arrose" (1895) (le premier gag) ou à "La Sortie de l'usine Lumiere a Lyon" (1895) (le premier film). Pourtant il présente un intérêt spécifique qui par la suite a fait florès dans le cinéma, celui de brouiller la limite entre réalité et fiction. En effet si le film se présente comme un documentaire pris sur le vif en montrant deux ouvriers effectuant leur travail quotidien dans une forge, il nous indique que c'est du cinéma au travers de la tenue vestimentaire du forgeron qui s'est fait beau pour la caméra en arborant une chemise d'un blanc immaculé et une cravate du dimanche.
C'est un film neurasthénique et dont le scénario est cousu de fil blanc. Une énième romance entre un quinquagénaire et une jeune fille de 20 ans qui traduit l'écrasante domination du masculin et de son fantasme de filmer des filles jeunes et jolies essentiellement pour leur physique. Si en plus ce sont des Cosette en détresse qui ont besoin d'un sauveur, c'est encore mieux. Le cinéma français a souvent mal employé Emilie DEQUENNE, notamment dans ce film où elle minaude à mort. Il faut dire que son rôle d'allumeuse/briseuse de coeurs un brin simplette et versatile est si cliché, si creux qu'elle ne peut faire autrement. Heureusement, Jean-Pierre BACRI tient le film à bout de bras. Il apporte à son personnage de dépressif qui veut croire en une histoire perdue d'avance et qui se retrouve plus seul que jamais une profondeur qui le rend touchant, particulièrement dans les dernières séquences du film où il se prend dans la figure l'amère réalité. Et bien qu'elles n'apparaissent que quelques minutes, Catherine BREILLAT dans un rôle à contre-emploi, Axelle ABBADIE et Brigitte CATILLON réussissent à camper des personnages en crise qui offrent un instantané marquant d'une génération dont les ratages sentimentaux confinent au désarroi le plus total. Mais il aurait fallu leur donner une vraie place dans le film, or les actrices de plus de 50 ans sont moins décoratives que celles de 20, CQFD.
Quand les frères Dardenne révélaient des talents bruts j'adhérais complètement à leur cinéma. Depuis "Le Gamin au velo" (2010), je suis moins convaincue. Ainsi "La fille inconnue" nous présente un véritable mur de solitude et d'opacité en la personne de Jenny (Adele HAENEL). Médecin dévouée à son métier qu'elle envisage comme un sacerdoce mais hautaine et bardée de certitudes, elle voit sa vie bouleversée par la mort d'une jeune fille à qui elle a refusé d'ouvrir sa porte. C'est le début d'une longue séance d'expiation et d'auto-flagellation. Après s'être dépouillée symboliquement de tous ses biens (ses ambitions carriéristes, son appartement qu'elle quitte pour dormir au cabinet), Jenny s'en va enquêter dans le désert ou plutôt dans la périphérie de la ville sur la mort de la jeune fille à qui elle veut rendre son identité et offrir une sépulture. Une quête plus qu'une enquête (trop molle) qui n'est pas sans rappeler celle de "Le Fils de Saul" (2015) qui m'avait déjà laissé perplexe. Jenny s'impose un véritable chemin de croix jalonné par les confessions qu'elle réussit à recueillir de la part des gens qui ont tous à voir de près ou de loin avec l'inconnue. Jenny finit ainsi par décrocher le graal de la rédemption tout comme ses "ouailles" qui semblent avoir eu une révélation après avoir vu le visage de la jeune femme prise par une caméra de surveillance peu de temps avant sa mort. Mais tout cela apparaît bien abstrait. Jenny est un personnage complètement vide, sans passé, sans attaches, sans intériorité et sans mystère dont la dureté puis les émotions compassionnelles semblent bien artificielles. Il en va de même des autres dont la conversion brutale manque tout autant de crédibilité.
J'avais adoré le premier volet sorti en 2017 et cette suite tout aussi didactique et ludique sortie 130 ans jour pour jour après la première réalisation des frères Lumière est pareillement un pur enchantement. Grâce au travail de restauration effectué sur les pellicules, ce sont plus de 120 "vues Lumière", la plupart inédites et certaines jamais projetées faute de moyens techniques adéquats à l'époque qui nous sont proposées. Le projet de Thierry FREMAUX est le même qu'en 2017: déconstruire le cliché d'un "cinéma primitif" se réduisant à un plan séquence documentaire fixe en montrant la diversité et la modernité des films Lumière. Après avoir rappelé leur rôle dans la la chaîne d'innovations ayant permis d'aboutir au cinématographe (et notamment la concurrence avec Thomas EDISON), Thierry FREMAUX délaisse la technique pour évoquer l'invention de la grammaire cinématographique des origines. On a donc un festival de panoramas, ces films documentaires tournés dans un moyen de locomotion qui permettaient d'effectuer ce que l'on appelle aujourd'hui des travellings. Dans le même état d'esprit panoramique de découverte du monde, beaucoup de vues sont également prises en plongée, ce que l'on appelle en photographie la vue aérienne oblique qui met en valeur le paysage et la profondeur de champ. Les Lumière et leurs opérateurs sont allé filmer un peu partout en Europe, aux USA, au Japon de l'ère Meiji et dans les colonies françaises (Indochine, Algérie), en mer, en montagne, à la campagne, à Paris, à Lyon et dans d'autres villes de province. Ils ont rapportés un nombre impressionnant de petites fenêtres sur le monde de la Belle Epoque qui grâce à la restauration semblent avoir été tournées hier. Ils ont également filmé un nombre impressionnant de travailleurs en pleine activité, captant les mouvements des paysans, des lavandières, des menuisiers ou des pêcheurs. Mais Thierry FREMAUX rappelle aussi que la célébrissime première comédie de l'histoire, "L'arroseur arrosé" est un film Lumière dont on voit également une variante plus sophistiquée. Le remake est aussi ancien que le cinéma: "La Sortie de l'usine Lumiere a Lyon" (1895) nous est montrée en trois versions simultanément: la première, la plus belle et donc la plus connue uniquement avec des piétons, la deuxième avec en plus une voiture à cheval et des habits plus chauds (Thierry FREMAUX pense que c'est l'original tourné le 19 mars 1895), la troisième avec une voiture conduite par deux chevaux. Plusieurs films Lumière sont des making-of dans lesquels on voit l'opérateur tourner la manivelle (d'où est issu le mot "tournage"). D'autres filment des gens dont le regard est planté sur la caméra. L'influence du cinéma de Georges MELIES se fait ressentir via l'utilisation de trucages, la captation de performances d'artistes de cirque (dont le duo Chocolat & Foottit) et même un film tardif colorisé que l'on pourrait croire de sa main s'il n'y avait pas la signature "Lumière" au bas de l'image. Mais en plus de tout cela, Thierry FREMAUX exhume un film jamais projeté car le format large utilisé (75 mm) ne le permettait pas à l'époque sur l'exposition universelle de 1900 montrant l'extérieur du Grand Palais cadré de loin d'où sort une foule immense qui préfigure le cinéma à grand spectacle d'un D.W. GRIFFITH. Ne surtout pas rater le générique de fin car il recèle une séquence extraordinairement émouvante en forme d'hommage à cet amoureux du cinéma français qu'était Bertrand TAVERNIER.
Excellent documentaire qui retrace la genèse du film culte de Ridley SCOTT dans son contexte et montre son caractère visionnaire au vu des problématiques qui sont les nôtres aujourd'hui. C'est comme si le film sorti en 1991 décrivait déjà l'ère post #Metoo avec d'un côté la prise de conscience des discriminations et violences genrées à tous les niveaux de la société et en même temps la contre-offensive réactionnaire masculiniste dans et hors du film. Le documentaire souligne à quel point le scénario écrit par Callie KHOURI qui était pourtant novice en la matière (et justement peut-être parce qu'elle était novice!) déconstruisait les codes du western dont le road movie est un héritier direct. En plaçant au centre de l'histoire deux amies (relation rarissime au cinéma et souligné d'ailleurs par le "Sois belle et tais-toi" (1976) de Delphine SEYRIG) parties pour une excursion qui se transforme en cavale lorsqu'elle se heurtent à la violence masculine et décident d'y répondre en se plaçant sur le même terrain qu'eux, Callie KHOURI bouleverse les repères et offre une odyssée jouissive et libératrice. Le documentaire analyse plusieurs séquences à l'aune des codes traditionnels, celui du man power et du male gaze pour montrer le renversement des rôles: la scène où Thelma et Louise jouent les pétroleuses et braquent le magasin, celle où elles enferment le policier dans le coffre qui est comparée à celle de "Psychose" (1960), celle où Thelma exprime son désir pour le personnage de Brad PITT vu comme un objet sexuel rapportée à celle du loup de Tex AVERY ou encore celle où elles décident de mourir plutôt que de capituler face à l'autorité masculine vis à vis d'une une séquence de fin alternative qui aurait pu en changer le sens. Le documentaire explique que si le film a pu voir le jour, c'est grâce à la productrice Mimi POLK GITLIN proche de Ridley SCOTT alors que Callie KHOURI essuyait refus sur refus ainsi que grâce à Rebecca Pollack qui dirigeait le studio Pathé. Pourtant, ce dernier n'a pas tout de suite pensé à réaliser le film lui-même alors que Thelma et Louise ne sont pas les premières guerrières qu'il a mis en scène, il y avait déjà eu Ripley dans "Alien, le huitieme passager" (1979). Enfin, le documentaire revient sur les polémiques à sa sortie, le film ayant été taxé de misandre et de violent. Ce qui est évidemment faux. Geena DAVIS rappelle, non sans humour qu'il n'y a que trois morts dans le film, dont Thelma et Louise, très loin de l'abattage en série des films testostéronés de l'époque. Et si les comportements machos sont épinglés, du tyran domestique au harceleur en passant par le violeur, des hommes plus nuancés sont également mis en valeur dans le film, à commencer par le personnage de Harvey KEITEL. Mais le documentaire n'en parle pas et c'est son point faible. Car Harvey KEITEL, toute sa carrière le démontre a construit une masculinité où la virilité n'est pas l'ennemie de la féminité et il aurait été utile de rappeler que deux ans après "Thelma et Louise" (1991), il rayonnait dans "La Lecon de piano" (1993).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.