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Beetlejuice

Publié le par Rosalie210

Tim Burton (1988)

Beetlejuice

"Beetlejuice" préfigure "Mars Attacks!" (1997) c'est à dire le côté "affreux, sale et méchant" (et très sarcastiquement drôle) de Tim BURTON. Mais alors que "Mars Attacks!" (1997) est une satire politique, "Beetlejuice" se concentre sur la sphère domestique avec ce qu'on pourrait appeler une bataille rangée pour l'appropriation d'une maison entre deux clans aussi caricaturaux l'un que l'autre:

- D'un côté le couple Maitland (Alec BALDWIN et Geena DAVIS alors tout jeunots) qui incarne l'Amérique profonde, celle qui ne jure que par le "home, sweet home". Cela donne (en caricaturant juste un peu) un couple qui ne rêve que de rester chez lui, y compris pendant les vacances et pour qui "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Eux mêmes le sont tellement (gentils) qu'ils n'osent pas toucher à la décoration vieillotte de leur maison qui est l'œuvre de l'ancienne propriétaire, laquelle œuvre à les en chasser. En effet ils font tache dans le paysage de "L'Américan way of life" car ils n'ont pas d'enfants et donc "la maison est trop grande pour eux". Finalement, les vœux des uns et des autres finissent par se réaliser avec l'accident qui coûte la vie aux Maitland. Ces derniers se retrouvent à l'état de fantômes enchaînés à leur maison pour 125 ans (ils vont en bouffer du "home, sweet home!") alors que l'ancienne propriétaire, débarrassée d'eux va pouvoir choisir des propriétaires plus conformes à ses souhaits.

-Pourtant les Deetz qui leur succèdent ne sont pas non plus les candidats idéaux. Ce sont des néo-ruraux issus de la bourgeoisie new-yorkaise affairiste et branchée. A travers eux, Tim BURTON caricature les élites urbaines avec délectation, que ce soit leur snobisme ou leur recherche du profit. Je pense en particulier à leurs goûts esthétiques discutables que ce soit les sculptures de Delia (Catherine O HARA) ou le réaménagement de la maison façon art moderne sous la direction de Otho (Glenn SHADIX) ainsi qu'à leur réaction intéressée lorsqu'ils découvrent que la maison est hantée. Il n'est guère étonnant que les Maitland fassent un "rejet" de ces nouveaux occupants et cherchent à leur tour à les chasser de la maison.

-Finalement c'est le personnage de Lydia (Winona RYDER) qui représente le terrain d'entente permettant à tous ces gens de cohabiter ensemble. D'une part parce que c'est une enfant permettant aux Maitland de remplir la case "famille" qui leur manquait. D'autre part parce que sa sensibilité gothique lui permet d'entrer en contact avec les fantômes, une excentricité qui plaît aux Deetz, eux qui aimeraient bien faire du business autour de l'aspect macabre de la maison. En revanche, Bételgeuse/Beetlejuice (Michael KEATON qui cabotine à qui mieux mieux) sorte de (mauvais) esprit frappeur, s'il permet d'animer (au sens propre comme au sens figuré) quelques séquences hautes en couleur est bien trop intenable pour pouvoir s'installer à demeure comme le montre l'échec de sa tentative de mariage avec Lydia.

Finalement, il s'agit d'une histoire qui est à l'image d'un film où cohabitent les contraires dans un joyeux bazar: la grosse farce et le macabre, les prises de vue réelles et l'animation, les décors champêtres en extérieurs et les décors de studios qui font penser à l'expressionnisme allemand des années 20, le tout combiné à des effets kitsch typiques des années 80!

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Rentrée des classes

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1956)

Rentrée des classes

Ce que j'aime particulièrement dans les courts-métrages, c'est qu'ils offrent la quintessence du style et de l'âme d'un cinéaste. "Rentrée des classes", le premier court-métrage de Jacques ROZIER est considéré comme l'un des films fondateurs de la Nouvelle Vague mais c'est aussi la quintessence du cinéma que développera par la suite ce cinéaste si singulier. Le titre annonce l'entrée dans un cadre normé pour mieux offrir dès que possible une bifurcation vers un espace-temps de liberté avant de retourner dans le cadre. La "parenthèse enchantée" pourrait être le titre de tous les films de Jacques ROZIER. A chaque fois, il s'agit de quitter la civilisation et son chemin tout tracé pour s'évader sur les chemins de traverse offerts par la nature (forêt, mer, îles ou ici rivière). Au temps productiviste et rigide rythmé par les contraintes s'oppose celui, dilaté et sinueux, de la contemplation. "L'Ecole buissonnière" (titre alternatif du film) du jeune René Boglio devient une échappée impressionniste et lyrique où éclate le talent de Jacques ROZIER pour filmer le vivant notamment grâce à l'attention portée aux variations de lumières et à une bande-son alternant les bruits de cigales et d'eau avec des extraits de la "Flûte enchantée" de Mozart. Et lorsque René retourne à ses cahiers, il a une petite surprise dans sa poche dont l'intrusion suffit à jeter la classe sans dessus dessous. Preuve s'il en est qu'une petite révolution (cinématographique) se prépare. Il faut dire que Jacques ROZIER a été à l'école des deux Jean, Jean VIGO et Jean RENOIR. Du premier à qui il a consacré un portrait il a le caractère fondamentalement insoumis et n'a jamais caché que "Rentrée des classes" était un petit frère de "Zéro de conduite" (1933). Du second, il a le même sens de la captation des frémissements de la nature, la filiation impressionniste de "Rentrée des classes" ne faisant aucun doute.

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Le Nouveau Monde (The New World)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (2005)

Le Nouveau Monde (The New World)

Terrence MALICK filme la Virginie à l'aube de sa colonisation par l'Angleterre comme un paradis perdu rousseauiste. Un territoire vierge et innocent à l'image de ses habitants indigènes qui vivent dans une communion mystique avec la nature. Du matin au soir ils répètent comme des rituels des gestes embrassant l'énergie cosmique qui font penser à ceux du Qi-Gong chinois. La voix intérieure de John Smith les décrit comme dénués de jalousie, n'ayant aucun sens de la possession, doux, affectueux, fidèles, exempts de toute fourberie, ne connaissant ni le mensonge, ni la cupidité, ni la tromperie, ni l'envie, ni la calomnie. Leur princesse Pocahontas ressemble à une déesse d'une beauté surnaturelle.

Par contraste, les premiers colons anglais apportent avec eux la crasse, la misère, l'individualisme et la division. Terrence MALICK ne les caricature pas, c'est important de le souligner. Là où ils sont, il n'y a que la forêt et les marécages à se partager. Le seul or disponible est celui des rayons du soleil. Des richesses que Terrence MALICK magnifie avec sa caméra ondoyante qui s'appuie somptueusement sur les premières mesures de "l'Or du Rhin" de Wagner. Mais à côté de ces princes de la nature que sont les indiens, les anglais font figure d'handicapés, inaptes à voir les beautés de ce monde et encore moins à vivre avec. Au lieu de s'intégrer dans l'environnement, ils construisent un fort en abattant les arbres pour s'y retrancher, laissant les indigènes et la nature à l'extérieur. Une traduction saisissante de cet apartheid de la "sauvagerie" qui pousse les anglais à domestiquer tout ce qui entre en contact avec eux. Par conséquent leur univers, clos derrière des murs est froid et stérile. Le père de Pocahontas, clairvoyant, perçoit l'incompatibilité de leur vision du monde avec celle de la tribu et veut les chasser avant qu'ils ne contaminent tout. Ce sont les gestes de fraternité de Pocahontas (la nourriture, les semences, l'apprentissage de la langue) à leur égard lié à son amour pour John Smith qui en décideront autrement.

Même s'il s'agit d'une version romancée des premiers contacts entre colons et indiens, ces événements permettent de restaurer le sens profond de la fête de Thanksgiving dont les valeurs sont à l'opposé de celles qui sont prônées par la civilisation occidentale. Ce n'est pas la seule trace du passage de Pocahontas (Q ORIANKA KILCHER) puisqu'après avoir été reniée par sa tribu et abandonnée par John Smith (Colin FARRELL) qui est dépeint comme pro-indien mais n'en reste pas moins une âme de colon égoïste qui ne veut ni donner ni s'engager, elle épouse un aristocrate John Rolfe (Christian BALE) avec lequel elle a un petit garçon. Même dans les jardins taillés au cordeau, même contenue dans des vêtements corsetés, même frappée par les maux du désespoir et de la maladie, elle parvient encore à irradier de son harmonie intérieure.

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Le Lys brisé (Broken Blossoms)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1919)

Le Lys brisé (Broken Blossoms)

"Le Lys brisé" a tout juste un siècle. Et pourtant en dépit de son pathos quelque peu obsolète, il est encore bien d'actualité. S'y pose en effet la question de la représentation des minorités ethniques au cinéma ainsi que celle de la maltraitance infantile.

Le fait de choisir des acteurs occidentaux pour jouer les personnages noirs et asiatiques remonte aux origines d'Hollywood et se perpétue de nos jours sous des formes plus ou moins hypocrites (par exemples des personnages décrits comme noirs, indiens, asiatiques ou métis dans les romans, comics ou mangas sont incarnés par des blancs à l'écran). C'est ce que l'on appelle le "whitewashing" ou le "racebending". Dans "Naissance d une Nation" (1915), les noirs sont joués par des blancs grimés et il en va de même des chinois dans "Le Lys brisé". Richard BARTHELMESS est certes excellent mais là n'est pas le problème. Le problème est celui de l'invisibilité de ces minorités ainsi "blanchies" et caricaturées par cette forme de censure déguisée. De plus cela signifie que pour que le public américain adhère au discours lénifiant de D.W. GRIFFITH sur la grandeur d'âme de "l'homme jaune" il ne suffit pas que l'homme blanc, Battling Buttler (Donald CRISP) soit très méchant, il faut que l'homme jaune n'en soit pas vraiment un. Quant au métissage que l'Amérique profonde a en horreur, il est tout aussi prohibé dans "Le Lys brisé" qu'il ne l'était dans "Naissance d une Nation" (1915). Cheng n'a le choix qu'entre la chasteté, le viol ou le suicide, le geste d'auto-défense de Lucy montrant qu'elle ne se laissera jamais approcher par un non-blanc et que rien n'a évolué depuis "Naissance d une Nation" (1915). C'est pourquoi quand je lis encore aujourd'hui des critiques qui affirment que "Le Lys brisé" est un film anti-raciste j'ai envie de rire...jaune.

La maltraitance des enfants par leurs parents qui est au cœur du film n'a pas du tout disparu. Rien qu'en France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents. Un problème beaucoup moins médiatisé que celui des femmes car celles-ci en tant qu'adultes autonomes ont aujourd'hui les moyens de se faire entendre contrairement aux enfants qui restent sans voix dans un monde qui n'est pas fait pour eux. Le martyre de Lucy met donc en lumière le triste sort des enfants non désirés (que certains s'acharnent cependant toujours à vouloir faire venir au monde à tout prix) avec toute la force de frappe de l'expressivité du muet, de la maîtrise cinématographique de D.W. GRIFFITH et de la bouleversante interprétation de Lillian GISH. Comme Emil JANNINGS dans "Le Dernier des hommes (1924)" son frêle corps est ployé par le poids de sa souffrance et son visage crispé et terrifié devant son père semble prématurément vieilli comme celui des enfants-cobayes de "Akira" (1988). Cela ne rend que plus effrayant encore ses sourires forcés qu'elle se compose avec les doigts. De toute manière chaque face à face avec son père est un moment de tension brute qui flirte avec le film d'épouvante. La scène du cagibi dont la porte est défoncée à coups de hache par le père a d'ailleurs servi de modèle à Stanley KUBRICK pour "Shining" (1980). Cette scène est plus parlante que celles du même genre qui ont pu être tournées par la suite avec le son. L'intensité des cris de Lillian GISH était telle pendant le tournage que ceux qui les entendaient avaient bien du mal à ne pas courir à son secours. Et lorsque l'on voit ce visage déformé par la terreur la plus brute, on a pas besoin d'entendre les cris pour comprendre pourquoi.

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Du côté d'Orouët

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1973)

Du côté d'Orouët

"Du côté d'Orouët" ça sonne comme "Du côté de chez Swann" et ce n'est certainement pas un hasard. Au lieu de raconter une histoire structurée par un scénario, Jacques ROZIER préfère nous immerger dans un grand bain sensoriel rythmé par les jours qui passent, s'en vont et ne reviendront plus. Il saisit sur le vif des éclats de vie d'autant plus spontanés qu'ils s'inscrivent dans des moments de creux, de "vacance", de vide. Il extrait ses personnages de leur quotidien corseté, rythmé par les contraintes pour les filmer en vacances, dans une parenthèse à la fois hors du temps et éphémère. Cela rend son film très proche et vivant d'autant que sa caméra est aussi légère et libre que le jeu des acteurs, en partie improvisé. Une méthode issue de la Nouvelle Vague et que l'on trouve aussi dans le cinéma indépendant américain de cette époque. Bien qu'il ne se passe "rien" à proprement parler, qu'il n'y ait "rien" à voir puisque Jacques ROZIER élude tous les faits saillants, le fait d'être à ce point plongé dans l'intimité des personnages fait que les 2h34 du film passent en un éclair et qu'on en voudrait encore. Encore de quoi? Du goût des gâteaux à la crème et des gaufres dont les trois filles Caroline (Caroline CARTIER), Joëlle (Danièle CROISY) et Kareen (ou Karine? jouée par Françoise GUÉGAN) s'empiffrent, de l'odeur iodée qu'elles respirent à plein poumons, de la chaleur du soleil qui caresse leur peau et du bruit du vent qui souffle en tempête et les pousse à se pelotonner sous la couette avec un thé chaud, des biscuits et un jeu de cartes à la main, des sentiers boisés qu'elles parcourent à cheval et de l'eau qui entre par paquets dans le voilier sur lequel elles sont pris place. Et puis pour troubler le jeu il y a Gilbert (Bernard MENEZ dans son premier rôle) et Patrick (Patrick VERDE). Gilbert, le petit chef de bureau maladroit qui s'incruste au milieu du gynécée au prix de la perte de sa virilité symbolisée par la scène des anguilles. Face à cet eunuque réduit malgré lui au rôle de larbin et de souffre-douleur, Patrick le sportif bronzé incarne au contraire la séduction de la force virile tranquille qui attise les rivalités féminines pour mieux s'en jouer. Comme si l'autre sexe ne pouvait exister qu'en position de victime ou de bourreau. C'est lorsque Gilbert finit par plier bagages, dégoûté par le traitement que lui font subir les filles que celles-ci réalisent ce qu'elles ont perdu. Caroline fond en larmes et plus tard, lorsque Joëlle trouve une sardine de tente dans le jardin qu'elle décide de laisser en souvenir de son passage, Caroline ajoute "Tu dis qu'il était ennuyeux mais sans lui on aurait eu des vacances complètement ratées". Et Joëlle d'ajouter "oui...peut-être". Et la caméra continue à s'attarder longuement sur cette sardine plantée dans une corne d'abondance, souvenir d'un temps désormais à jamais révolu.

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Les Horizons morts

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1951)

Les Horizons morts

C'est le film de fin d'études de Jacques DEMY réalisé alors qu'il sortait de l'école de Vaugirard (l'Ecole nationale supérieure Louis Lumière à Paris aujourd'hui situé dans la Cité du cinéma à Saint-Denis). D'une durée de huit minutes il présente un intérêt certain pour ceux qui veulent mieux connaître le cinéaste. On y voit un jeune homme neurasthénique (Jacques DEMY lui-même qui au début de sa carrière interprétait parfois de petits rôles chez ses confrères tels François TRUFFAUT) errer misérablement dans sa chambre de bonne aux allures de taudis. Les films de cette époque comme "Pickpocket" (1959) sont la meilleure pîqure de rappel qui soit pour visualiser les conséquences de la crise du logement des années 50. Un rapide flasback nous permet de comprendre que c'est une trahison amoureuse qui est le déclencheur du désespoir du héros, lequel songe alors dans la plus pure tradition romantique au suicide.

En dépit du cadre minimaliste du film, le savoir-faire de Jacques DEMY dans l'utilisation du découpage des plans et du montage est déjà très élaboré. Surtout certaines thématiques propres à ce réalisateur émergent déjà. C'est d'ailleurs le principal intérêt de ces premières oeuvres de les présenter si crûment. Le plan sur la croix chrétienne qui fait renoncer le personnage à son envie de suicide traduit le poids de son éducation religieuse dans sa conscience. Une éducation qui a façonné son apparence physique de "premier communiant" jusqu'au moment où les ravages de la maladie dans les années 80 viendront fissurer cette apparence si lisse abritant une conscience tourmentée. La contradiction irréconciliable entre la morale (le surmoi) et les désirs (le ça) du cinéaste se retrouve dans tous ses films. On voit ainsi dans les "Horizons morts" le personnage aller sans arrêt de sa fenêtre au miroir et du miroir à la fenêtre, une alternance fondamentale de tout son cinéma qui oscille entre la chambre et le port: "Les Horizons morts tracent une frontière fondamentale du cinéma de Jacques Demy qui tangue du repli à l'évasion, du désir de se fuir et celui de se trouver. Avec ce doute infini dont tous ses films seraient au fond agités: des horizons enclos de la rêverie ou de ceux éperdus du voyage, lesquels sont mortifères?" (Camille Taboulay)

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Adieu Philippine

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1962)

Adieu Philippine

Les films de la Nouvelle Vague sont le reflet d'une époque où la jeunesse éprouve un besoin profond de liberté et d'émancipation des modèles parentaux tout en restant enfermée dans le cadre étouffant construit par les générations précédentes (du moins jusqu'à l'explosion de 1968). Ce sont des films en mouvement, où l'on marche, où l'on court, où on danse, où l'on vit mais où on finit toujours par se heurter au mur qui se cache invisible derrière l'horizon de ces symboles d'évasion que sont la plage et le port (quand on ne meurt pas en chemin dans un accident de voiture). En effet de l'autre côté, c'est la mort avec la guerre d'Algérie qui constitue la toile de fond de nombre de films de cette cinématographie: "Le Petit soldat" (1960) de Jean-Luc GODARD, "Muriel ou le temps d un retour (1962)" de Alain RESNAIS, "Cléo de 5 à 7" (1961) de Agnès VARDA, "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) de Jacques DEMY et donc "Adieu Philippine", le premier long-métrage de Jacques ROZIER dans lequel un ancien appelé répondant qu'il n'a "rien" à raconter évoque en creux l'indicible de ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée.

Le film décrit avec beaucoup de fraîcheur et de spontanéité le marivaudage à la "Jules et Jim" (1962) de trois jeunes gens à Paris puis en Corse. Car c'est la marque des films de Jacques ROZIER: ils sont toujours scindés en deux parties. Une première partie sur des rails dans laquelle les personnages sont encore relativement contraints et une partie où ils prennent la tangente dans des lieux de vacances ancrés dans le terroir français (il n'y a qu'à écouter la musicalité des accents pour s'en rendre compte) mais sauvages et lunaires. Mais ce qui donne tout son sens au film, c'est le sombre cadre qui entoure les tranches de frivolité dans lesquelles s'ébattent les personnages. L'ouverture sur un fond noir dans lequel on nous rappelle que 1960 est la sixième année de la guerre d'Algérie, l'épée de Damoclès qui pèse tout au long du film sur Michel (Jean-Claude Aimini) le machiniste de plateaux TV qui attend sa feuille de route et la séquence de fin qui le voit embarquer sur un bateau en direction du continent (pour des raisons de censure, Jacques ROZIER le fait partir de Calvi vers la France mais à cette époque, faire son service militaire signifiait partir pour l'Algérie). C'est cette tragédie en arrière-plan qui explique la fuite en avant de cette jeunesse, son refus de l'engagement et des contraintes. N'ayant pas de perspective, elle vit dans l'instant présent comme si chaque jour était le dernier et qu'il fallait en profiter le plus possible. Le fait que Michel ne choisisse aucune des deux filles est révélateur de cette impasse existentielle. A quoi bon construire une relation stable si c'est pour mourir?

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Le Pont des espions (Bridge of Spies)

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2015)

Le Pont des espions (Bridge of Spies)

Comme l'un de ses mentors Stanley KUBRICK, Steven SPIELBERG a couvert de nombreux conflits du XX° siècle: la première guerre mondiale avec "Cheval de guerre" (2011), la seconde guerre mondiale avec "La Liste de Schindler" (1993) et "Il faut sauver le soldat Ryan" (1998) et plus récemment la guerre froide avec "Le Pont des espions". Il s'agit d'un film prenant du début à la fin, basé sur des faits réels: l'échange en février 1962 de l'américain Gary Powers, pilote d'un avion-espion abattu au-dessus du territoire soviétique contre l'espion communiste Rudolf Abel, emprisonné aux Etats-Unis. Mais aucun d'eux n'est le héros de Steven SPIELBERG car il préfère se focaliser sur l'avocat James Donovan (Tom HANKS), le négociateur de l'échange. Donovan est un homme ordinaire embarqué dans une situation extraordinaire. Bien que le mot ordinaire ne soit pas tout à fait approprié en ce qui le concerne puisqu'il s'agit d'un Mensch. Dans la culture juive, ce terme désigne un homme qui fait le bien et se comporte avec droiture, un héros du quotidien. C'est la métaphore de "l'homme debout" qui revient plusieurs fois dans la bouche de Rudolf Abel. Steven SPIELBERG privilégie toujours les ponts aux murs et la fraternité aux logiques étatiques. Dans des films tels que "Rencontres du troisième type" (1977), "E.T. L'extra-terrestre" (1982) ou encore "Munich" (2006), l'autre est considéré par l'Etat comme un ennemi à détruire ou un alien à exploiter. C'est le désir de communiquer qui fait reconnaître en cet autre un frère. De fait, Donovan se retrouve plongé au départ presque malgré lui dans des rouages et des calculs diplomatiques qui le dépassent. il s'implique totalement dans sa tâche qui est d'abord de défendre équitablement Rudolf Abel (Mark RYLANCE, admirable de sobriété) puis de lui sauver la vie. Pour cela il joue habilement sur deux tableaux: l'image d'exemplarité démocratique que doivent renvoyer les USA au monde pour damer le pion aux soviétiques et le fait que garder en vie l'espion constitue une monnaie d'échange au cas où l'un des leurs tomberait entre leurs mains. Mais ces arguments de bon sens sont mis à mal par l'atmosphère paranoïaque qui règne aux USA à cette époque. Alors que la télévision et l'école terrifient les gens avec des images d'apocalypse nucléaire, la famille de James Donovan est victime de ses propres concitoyens. Steven SPIELBERG rappelle comme de nombreux cinéastes avant lui la sauvagerie présente au sein du peuple américain, toujours prête à bondir sous forme de lynchages et autres formes de "justice expéditive". La mission de Donovan se complexifie encore lorsqu'il se rend à Berlin pour négocier l'échange. En effet, de sa propre initiative et contre sa hiérarchie, il se met en tête de récupérer non seulement l'espion américain Gary Powers mais également un étudiant innocent pris au piège durant la construction du mur et qui en dehors de sa nationalité américaine ne représente aucun intérêt pour la CIA. Tâche d'autant plus délicate que l'étudiant est détenu par les autorités de la RDA qui ne supportent pas d'être traitées comme les larbins des soviétiques et veulent dicter leurs propres conditions. C'est pour cela que si l'échange des espions a lieu sur le pont de Glienicke, la remise de l'étudiant se déroule à Checkpoint Charlie, symbole de la "souveraineté" de la RDA (dont Brejnev rappellera toutefois combien elle est limitée). 

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Fin d'automne (Akibiyori)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1960)

Fin d'automne (Akibiyori)

"Fin d'automne" est un remake par Yasujiro OZU de l'un de ses propres films, "Printemps tardif" (1949). La trame est donc identique mais Ozu introduit d'intéressantes variations liées au fait que 11 ans séparent les deux films. Yasujiro OZU est en effet un maître dans la description des effets du passage du temps. On remarque donc plusieurs changements significatifs:
- "Printemps tardif" (1949) était en noir et blanc, "Fin d'automne" est en couleurs. Il s'agit donc de l'un des derniers films de Yasujiro OZU puisqu'il a été réalisé trois ans avant sa mort.
- Dans "Printemps tardif" (1949) Setsuko HARA jouait le rôle de la fille (elle avait alors 29 ans). Dans "Fin d'automne", âgée de 40 ans, elle joue la mère.
- La relation fusionnelle père/fille de "Printemps tardif" (1949) est remplacée par la relation fusionnelle mère/fille dans "Fin d'automne". Cette variation permet à Yasujiro OZU de se concentrer davantage sur la condition des femmes au Japon. Le duo central formé par Akiko (Setsuko HARA) et sa fille Ayako (Yoko Tsukasa) très traditionnel et enfermé dans des codes rigides (soulignés par les plans fixes et les surcadrages) est cornaqué et balloté du début à la fin par trois hilarants vieux barbons, anciens amis de lycée du défunt mari de Akiko. Tous trois veulent absolument caser Ayako ce qui leur permet de réaliser leur désir secret par procuration: épouser Akiko. L'un des trois, Hirayama (Ryûji KITA) qui est également veuf est d'ailleurs tellement travaillé par sa libido qu'il part au toilettes pour "se laver les mains" à chaque fois qu'il pense pouvoir "conclure l'affaire" avec la mère. Mais ces éléments de comédie n'occultent pas que le sort des deux femmes est au final dicté par les convenances: la fille se marie et la mère s'efface. Heureusement Ozu fait la part belle à un troisième personnage féminin, Yuriko (Mariko OKADA), l'amie de Ayako beaucoup plus moderne et affranchie. On le voit aussi bien dans son code vestimentaire que dans son expressivité en rupture avec l'éternel masque de façade arboré par la plupart des autres personnages (et qui agit lui aussi comme une prison). Au lieu de subir la loi des patriarches, c'est elle qui se joue d'eux (gentiment, on est bienveillant chez Yasujiro OZU) et qui mène la danse de manière totalement décomplexée. Sa fraîcheur, son espièglerie et sa franchise font merveille ainsi que sa sensibilité. Elle n'hésite pas à remettre les barbons à leur place (ceux-ci ressemblent alors à des petits garçons pris en faute) à secouer Ayako (qu'elle traite à plusieurs reprises d'égoïste et de gamine au grand dam de celle-ci) et à manifester de délicates attentions vis à vis d'Akiko après le départ de sa fille. Elle incarne une jeune génération occidentalisée prête à s'émanciper des traditions tout comme les filles des patriarches d'ailleurs qui rejettent l'intrusion des parents dans leur vie privée.

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Monsieur Smith au Sénat (Mr Smith goes to Washington)

Publié le par Rosalie210

Frank Capra (1939)

Monsieur Smith au Sénat (Mr Smith goes to Washington)

En France, particulièrement en ce moment, on nous rebat les oreilles avec la défense de la démocratie, de la République et de ses valeurs humanistes comme si tout ce qui se décidait en leur nom était conforme à ces valeurs et qu'il était hors de question d'en discuter. C'est d'ailleurs en ce sens que sont conçus les programmes d'éducation morale et civique au collège et au lycée. Des programmes appuyés par des manuels qui sanctifient les interventions militaires ("c'est pour assurer la paix et étendre la démocratie dans le monde ainsi qu'apporter une aide humanitaire aux civils en détresse") et la politique sécuritaire de la France ("Vigipirate, l'état d'urgence et le fichage c'est pour votre plus grand bien"), fustigeant la montée de l'abstentionnisme ("si les français se détournent du vote c'est qu'ils sont de mauvais citoyens") ou encensant les médias pour lesquels la pression des pouvoirs est (dixit Laurent Joffrin de "Libération" en 2009 dans "Médias-Paranoïa") "rarissime et facile à repousser".

C'est pourquoi le film de Frank CAPRA est si précieux et si actuel, lui qui a mieux fait pour l'éducation civique de la population américaine que toutes les leçons de morale. Car ce que rappelle Frank CAPRA c'est que démocratie et République sont des coquilles vides et leurs valeurs, des mots creux si elles ne sont pas incarnées par des hommes et des femmes prêts à tout pour les défendre contre ceux qui veulent les détourner dans le sens de leurs intérêts. Car le (gros) mot est lâché, celui que les manuels d'éducation morale et civique (pour qui tous nos dirigeants sont des saints uniquement guidés par le souci de l'intérêt général) censurent: l'influence des intérêts privés sur les politiques publiques. C'est pourquoi lorsque je lis certaines critiques taxant Frank Capra de naïveté et de manichéisme, j'ai envie de rire étant donné qu'il est un champion de clairvoyance à côté de ces manuels propagandistes qui pourtant sont des outils tout à fait officiels d'enseignement. Et pour un pays comme la France dont les soulèvements populaires contre les abus de pouvoir (1789,1830,1848) sont maintenant qualifiés péjorativement de populisme, celui de Capra fait du bien. Son film, sorti en 1939 a d'ailleurs été interdit dans les dictatures totalitaires et mal reçu à Washington, c'est un signe qui ne trompe pas. Il montre que la mise à l'écart du peuple de la conduite d'un pays produit un système élitiste incestueux où règne la corruption du politique et du médiatique par les financiers avides de s'enrichir. Il évoque même le "bon sens" populaire contre la malédiction d'être trop futé (ça rappelle un discours récent où un membre du gouvernement disait qu'ils avaient été "trop intelligents et trop subtils"). Jefferson Smith (James STEWART), homme du peuple au patronyme synonyme de refondation démocratique est introduit dans les milieux très fermés du pouvoir pour servir d'homme de paille à un projet d'éléphant blanc conçu pour enrichir son commanditaire. Mais il refuse de jouer le jeu et avec l'aide d'une femme de tête qui connaît les rouages du système, Clarissa Saunders (Jean ARTHUR) il s'empare des outils institutionnels mis à sa disposition pour combattre la corruption et le mensonge. Un combat de David contre Goliath à dimension christique sacrificielle qui préfigure celui des lanceurs d'alerte durant lequel James STEWART accomplit une extraordinaire performance. Revitalisant ainsi la célèbre formule du préambule de la constitution américaine "We, the people".

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