C'est très compliqué d'aller à l'encontre de l'avis majoritaire qui dans le cas de "Pénélope mon amour" semble même être exclusivement laudatif. Pourtant ce que j'ai ressenti en le regardant, c'est surtout du malaise. Un malaise profond. J'ai eu l'impression d'être prise en otage entre d'un côté des images très dures de souffrances infligées à une gosse doublement handicapée (autisme profond + syndrome de Rett) et de l'autre un discours conduit exclusivement par la mère de Pénélope faisant hiatus avec les images qu'elle donne à voir. Ce que j'ai vu dans "Pénélope mon amour", ce n'est pas de l'amour mais de l'acharnement à faire plier un corps qui résiste obstinément à tous les "traitements" qu'on lui inflige. La première scène dans laquelle Claire DOYON annonce à Pénélope qu'elle va la mettre en institution, provoquant chez celle-ci qui est privée de langage une angoisse intense que l'on entend par la respiration est glaçante d'emblée et tout le reste du film semble n'exister que pour justifier cet abandon. Certes, Claire DOYON semble faire un travail critique sur elle-même et tous ceux qu'elle nomme les "normopathes" en montrant de nombreuses séquences dans lesquelles divers "thérapeutes" utilisent l'apprentissage par la récompense pour tenter d'inculquer à Pénélope les outils nécessaires à une scolarisation vue comme un graal à atteindre. Mais son obsession pour la normalité finit toujours par la rattraper, comme lorsqu'elle avoue son soulagement à "fondre" sa fille dans la masse le temps d'un marathon. Soulagement aussi dans la manière dont elle présente sa deuxième fille, Tatiana qui ressemble à Pénélope mais sans ses handicaps. Alors certes, à voir ce film, on a l'impression que Claire DOYON est seule à porter le fardeau, qu'elle a bien gagné son étiquette de "mère courage". Mais au vu du peu de place qu'elle laisse à la parole des autres, on se dit qu'elle a peut-être fait le vide autour d'elle. Et ce n'est pas par manque de moyens car toutes les familles ne peuvent pas payer tous ces spécialistes ni tous ces voyages autour du monde, sans que cela ne change quoi que ce soit d'ailleurs, la jeune fille opposant son irréductible différence à tout ce cirque, comme les jeunes autistes scrutés par Fernand Deligny. Rarement je n'ai eu autant l'impression d'avoir à faire avec un titre aussi trompeur. Le sujet du film n'est pas Pénélope mais la posture ou plutôt l'imposture de sa mère qui ne se demande jamais une seule fois si elle est heureuse ou comment la rendre heureuse. Alors ce "mon amour" a fini par me faire penser au ministère de l'amour du "1984" de George Orwell.
"Le Juge et l'assassin" témoigne des qualités du cinéma de Bertrand TAVERNIER:
- Une talent manifeste pour incarner l'histoire, amenant la reconstitution du passé sur le terrain du présent, de l'urgence, du documentaire et la mettant à hauteur des individus. D'ailleurs, l'intrigue du film s'inspire d'une histoire authentique ayant défrayée la chronique à la fin du XIX° siècle. Celle du parcours criminel de l'un des premiers serial killers français, Joseph Vacher devenu dans le film Joseph Bouvier et surnommé le "jack l'éventreur du sud-est". Ses crimes sont contemporains de l'Affaire Dreyfus et de l'émergence de la presse à grand tirage qui a médiatisé ces affaires ce dont le film se fait l'écho.
- Cela va de pair avec un amour pour le cinéma français de patrimoine dénigré par la nouvelle vague que Bertrand TAVERNIER nous a invité à redécouvrir dans "Voyage a travers le cinéma francais" (2016) et qu'il a remis en selle en faisant appel au duo de scénaristes emblématiques formé par Pierre BOST peu avant sa mort et Jean AURENCHE.
- Une attirance pour les personnages complexes voire amoraux à rebours de tout manichéisme. Si on ne perd jamais de vue l'horreur des crimes commis par Joseph Bouvier, celui-ci apparaît à l'image de Conan comme à la fois bourreau et victime. Il suscite aussi bien l'horreur que la pitié ce qui en fait un personnage tragique (ce que soulignent les superbes paysages ardéchois dans lesquels il vagabonde). Son antagoniste, le juge Rousseau s'avère derrière son apparente bonhomie être aussi bien arriviste que manipulateur.
- De fructueuses collaborations avec les acteurs qu'il a souvent lancé ou relancé tels que ici Philippe NOIRET, la regrettée Christine PASCAL (que l'on voit à la fin du film) ou encore Isabelle HUPPERT. Véritable génie du casting, Bertrand TAVERNIER savait les mettre en valeur comme personne. Dans "Le juge et l'assassin", la prestation à contre-emploi de Michel GALABRU, puissante et saisissante lui a valu un César.
Alors oui, parfois Bertrand TAVERNIER a la main un peu trop lourde sur la lutte des classes et le didactisme avec un final quelque peu superflu mais cela n'altère pas la qualité de l'ensemble.
"Il n'y a pas d'amour, il n'y a que du désir. Il n'y a pas de bonheur, il n'y a que du pouvoir". Cette phrase que prononce Mabuse dans le film de Fritz LANG fait écho à son statut omniscient et omnipotent de "maître du jeu des hommes et des destins". Le réalisateur est allé chercher son personnage diabolique dans la littérature populaire de l'époque, celle des sérials dominés par des génies du crime comme Fantômas et Fu Manchu. Cet aspect feuilletonesque se ressent dans la durée du film en deux parties totalisant près de 5h ainsi que dans les nombreux protagonistes, péripéties, rebondissements ainsi que dans les prouesses quasi surnaturelles de son mastermind aux mille visages. Mais il a inséré le personnage créé par Norbert Jacques dans une esthétique expressionniste qui le rapproche de son contemporain, "Nosferatu le vampire" (1922) et surtout il en a fait une métaphore frappante de la République de Weimar prise entre les démons de l'après-guerre et ceux du nazisme. "Docteur Mabuse le joueur" sorti en 1922 soit un an avant la crise d'hyper inflation et le putsch de la Brasserie qui faillit faire basculer l'Allemagne dans le nazisme avec 10 ans d'avance offre une photographie saisissante d'un Berlin peuplé d'une faune de nouveaux riches décadents sur lesquels le diabolique psychanalyste exerce son emprise. Quelques années avant "Metropolis" (1927)Fritz LANG filme la ville comme une Babylone en perdition, corrompue par l'argent et le vice. Face aux passions tristes de ses contemporains, il oppose une figure intègre, celui du procureur Wenk qui tente de protéger les victimes de Mabuse et de démasquer "l'inconnu" qui tire les ficelles dans l'ombre avec ses complices.
Était-ce une époque propice aux titres à rallonge remplis de questionnements existentiels pour ce qui était alors la nouvelle génération de cinéastes allemands nés de la seconde guerre mondiale? Toujours est-il qu'après "L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty" (1971) de Wim WENDERS vint "La grande extase du sculpteur sur bois Steiner" (1974) de son compatriote Werner HERZOG. De sculpture sur bois, il n'en sera guère question dans ce documentaire dont le sujet central est le saut à skis dont le dénommé Walter Steiner fut un champion au brillant palmarès* survolant c'est le cas de le dire tous les autres participants. Lui-même passionné par ce sport Werner HERZOG en fait une métaphore de sa vision du cinéma. Je connais peu la filmographie de Werner HERZOG mais tout de même assez pour y voir une quête philosophique et spirituelle du dépassement qui s'accorde parfaitement avec le sujet du film mais aussi avec son traitement. Là encore, comme son compatriote, Wim WENDERS, Herzog filme le vol comme un état de grâce absolu. Il en fait un moment qui échappe aux lois terrestres grâce au pouvoir que possède le cinéma de distordre le temps. Celui-ci plus que jamais suspend son vol avec de superbes ralentis d'éternité avant le moment inévitable de la chute qui marque le retour au réel. Un réel qui ramène au contexte dans lequel a été réalisé le film, celui des compétitions sportives servant d'exutoire aux peuples captifs du rideau de fer, ici la Yougoslavie de Tito qui organisait les championnats du monde en 1972 à Planica (aujourd'hui en Slovénie). Comme le cinéma, le sport est tiraillé entre son pouvoir émancipateur et son instrumentalisation à des fins politiques (distraire les masses, faire la propagande du régime). Comme à l'époque des gladiateurs, peuple et organisateurs en quête de frissons et de records tentent de pousser au-delà des limites un champion hors-normes animé par le désir mystique de fusion avec l'univers, quitte à mettre sa vie en danger.
* Il fut deux fois champion du monde de vol à skis en 1972 donc mais aussi en 1977 et vice-champion olympique à Sapporo en 1972.
J'ai eu du mal à entrer dans le film avec son début bling-bling oscillant entre boîte de strip-tease, maison de fils de milliardaire et casinos de Las Vegas, le tout au service d'un rêve en toc. Sans doute l'héroïne voit-elle ce qui lui arrive comme un conte de fées, celui du prince qui épouse la bergère mais quand on connaît un peu Sean BAKER, il est impossible de prendre ces images pour argent comptant. Car il prolonge d'une certaine manière avec "Anora" "The Florida Project" (2017) avec son hôtel "Magic Castle" destiné initialement aux touristes de Disney World et finalement investi par des déshérités. Anora (Mikey MADISON) qui en fait partie comme le montre la première séquence réaliste où on la voit dans sa vie quotidienne rêve justement de passer sa lune de miel dans le célèbre parc d'attraction. Et elle peut d'autant mieux rêver qu'elle a tiré le gros lot. Avec sa connaissance du russe (elle-même étant d'origine ouzbèque), elle a été mise en relation par sa boîte avec l'héritier pourri gâté d'un oligarque russe qui l'inonde de fric pour s'assurer ses services et finit sur un coup de tête par lui proposer le mariage. Evidemment, c'est le début des ennuis. Car Ivan ne s'avère être que la marionnette immature et lâche de ses parents qui envoient aussitôt la nouvelle connue leurs sbires aux trousses du couple. C'est seulement à ce moment que le film prend sa véritable dimension. On bascule dans une sorte de folie burlesque dans laquelle Anora, déchaînée met en pièce le décor et les sbires qui s'avèrent totalement dépassés par la situation. Mention spéciale au montage qui n'est pas pour rien dans l'impression de chaos indescriptible qui s'empare de la mise en scène. L'effet tornade se poursuit ensuite dans la recherche du mari évanoui dans la nature pendant la mêlée, les petites bombes semées auparavant par Sean BAKER (par exemple la rivalité entre Anora et une autre stripteaseuse de la même boîte) explosant au moment opportun. Mais au fur et à mesure que le rêve vire au cauchemar, une mélancolie sourde perce à l'écran tandis qu'une nouvelle trame scénaristique se révèle. C'est toute la force du film d'avoir ainsi mis en avant une intrigue tapageuse pour mieux dérouler une autre histoire dans son ombre. Cette construction savante et parfaitement huilée souligne le degré de maîtrise du film. J'avais adoré Yuriy BORISOV dans "Compartiment No6" (2021) et son rôle d'Igor semble en être le prolongement. Tout aussi peu loquace, il est le témoin silencieux mais pas indifférent de la déconfiture que subit Anora et tente discrètement de lui venir en aide. Face à cette présence qui ne parle quasiment qu'avec le regard (on l'a comparé à Buster KEATON mais je lui trouve des caractéristiques plus chaplinesques que keatoniennes), on voit celle-ci multiplier les mécanismes de défense envers lui jusqu'à la toute dernière scène qui va chercher bien plus loin dans sa vie (on le devine) que les péripéties auxquelles nous avons assisté dans le film. Car comme dans "Compartiment No6" (2021), début et fin se répondent sauf qu'au lieu de voir un visage triste s'illuminer, on voit un sourire plaqué s'évanouir dans un déluge de larmes "rien de plus fermé qu'un sourire forcé. La vraie tristesse est bien plus avenante que la fausse gaité" (René Bellaïche).
Tout ce que je connais de la Hammer, c'est un extrait de l'un de ses "Dracula" avec Christopher LEE. Quant à Peter CUSHING il est pour moi associé à l'épisode 4 de Star Wars (et à "Rogue One: A Star Wars Story" (2016) où il est ressuscité par la grâce des effets spéciaux), question de génération. Je ne suis pas non plus une spécialiste de l'univers de Sherlock Holmes, que ce soient les romans ou leurs adaptations. Je ne connais que le film de Billy WILDER dans lequel Christopher LEE jouait Mycroft, le frère de Sherlock et la série transposant le mythe dans un univers contemporain. Ce qui m'a frappé donc dans cette adaptation, c'est d'abord son style gothique flamboyant. Les couleurs, la lumière, l'atmosphère, les costumes m'ont fait immédiatement penser à "Les Contrebandiers de Moonfleet" (1955) qui lui est contemporain. Un style repris de nos jours par Tim BURTON: lande désolée nageant dans le brouillard, manoir lugubre, pleine lune, hurlements lointains, éclairs et tonnerre, ruines etc. C'est pourquoi la version du célèbre roman de Conan Doyle par Terence FISHER fait moins penser à un polar qu'à une aventure fantastique, cousine britannique des films américains de Roger CORMAN. D'ailleurs, les deux réalisateurs ont également dirigé des acteurs indissociables du genre: Vincent PRICE pour Roger CORMAN, Christopher LEE associé à Peter CUSHING pour Terence FISHER. Encore que dans "Le chien des Baskerville" le premier ne joue pas le rôle d'un monstre mais du dernier descendant légitime d'une famille en proie à une malédiction. C'est elle que combat Sherlock, joué par un Peter CUSHING qui impressionne avec son visage émacié et son regard presque dément. Le tout s'accorde avec une mise en scène représentant la violence de manière stylisée mais hautement suggestive: la scène de la tarentule, jouant sur l'effet de suspense est encore aujourd'hui assez éprouvante à regarder (sauf si on aime ces araignées), de même la scène d'ouverture impressionne par la brutalité des rapports de classe et de genre.
Hayao MIYAZAKI n'en finit pas de faire des petits. En témoigne ce très beau film qui s'inspire de ses oeuvres post-apocalyptiques et plus précisément de sa série "Conan, le fils du futur" (1978). Autre inspiration majeure, celle de Alfonso CUARON, notamment dans l'art de faire monter la tension à l'intérieur de plans-séquence. Enfin, l'influence du jeu vidéo est manifeste dans le caractère immersif du film avec une caméra qui rase le sol dans les courses-poursuite, plonge avec le chat ou vole avec les oiseaux. Cependant, les choix de Gints ZILBALODIS sont bien plus radicaux que ceux dont on a l'habitude dans ce type de récit. C'est à une expérience de désanthropisation qu'il nous convie, tant sur la forme que dans le fond. Non seulement les hommes sont totalement absents du film, sinon par les traces qu'ils ont laissé mais celui-ci refuse toute forme d'anthropomorphisme et est donc dépourvu de dialogues. Les héros de l'histoire sont des animaux au comportement réaliste qui tentent de survivre à une brusque montée des eaux, thème d'une brûlante actualité. Le film raconte ainsi la cohabitation forcée à bord d'une barque de fortune entre un chat solitaire, un capybara paresseux, un lémurien collectionneur d'objets qui brillent, un chien labrador séparé de sa meute et un échassier estropié et rejeté par les siens. Leur périple, semé d'embûches suscite des émotions mélangées. La nature est dépeinte comme à la fois merveilleuse et terrifiante, notamment dans l'imprévisibilité et la puissance dévastatrice de ses manifestations alors que l'anthropocène en ruines continue à marquer les paysages et invite à la contemplation et à la rêverie. Quant aux animaux, ils doivent s'adapter pour survivre c'est à dire apprendre à vivre ensemble alors qu'ils appartiennent à des espèces différentes (ce qui remet en question les idées reçues sur la prétendue "loi de la jungle" au profit d'une solidarité qui n'est pas sans rappeler l'arche de Noé), acquérir des compétences pour conduire le bateau et apprivoiser leur environnement ce qui renvoie au titre du film. On remarque également que le réalisateur a voulu effacer les repères spatiaux-temporels. Les ruines, monumentales, sont difficilement datables (on pense autant à l'antiquité grecque qu'à des temples asiatiques) et les animaux viennent d'horizons divers.
Biopic pas transcendant mais pas honteux non plus, "Monsieur Aznavour" est un travail trop scolaire pour emporter pleinement l'adhésion. Son principal défaut à mes yeux est d'avoir voulu mettre un maximum d'éléments de la vie pléthorique du chanteur-acteur alors que le format du cinéma est plutôt fait pour trancher dans le vif. Conséquence: trop de survol, pas assez d'approfondissement ce qui aurait été possible en ayant un point de vue sur l'artiste. Il y avait de quoi faire dix films avec tout ce qui est déballé sur la vie de Charles Aznavour. Pour ma part ce que j'ai trouvé le plus intéressant et réussi est la relation complexe qu'il a eu avec Edith Piaf, d'autant que celle-ci est interprétée de façon convaincante par Marie-Julie BAUP. On assiste à une inversion des rôles traditionnels entre le mentor et son disciple ce qui renvoie à tout ce qui faisait de Aznavour un homme atypique et raillé comme tel. La séquence de la genèse de "Comme ils disent" bien que trop courte acquiert un certain relief à l'aune des stigmatisations subies sur le nom, l'origine, l'apparence physique et la voix. Mais ces passages sont noyés dans un océan de scénettes voulant également raconter les années de vaches maigres et de galères, l'arrivisme d'un ambitieux acharné au travail ou le tandem façon "buddy movie" avec Pierre Roche (Bastien BOUILLON). Quant à Tahar RAHIM, quoi qu'on ait pu dire sur l'aide apportée par les effets spéciaux, il porte le film sur les épaules.
Les spectateurs étrangers ayant en tête l'univers de "Harry Potter" à l'évocation d'un collège anglais avec ses vénérables portraits, ses boiseries, ses uniformes et ses préfets risquent de déchanter. Car c'est plutôt à un camp de concentration dissimulé sous une architecture gothique que ressemble "If....", véritable brûlot contestataire typique de l'esprit de mai 1968. Le réalisateur, Lindsay ANDERSON s'est inspiré d'un film beaucoup plus ancien, celui de Jean VIGO, "Zero de conduite" (1933) traversé par le même souffle libertaire et onirique à l'intérieur d'un système moins éducatif que répressif et carcéral. Les élèves subissent à longueur de journée un lavage de cerveau destinés à en faire de futurs bons petits soldats au service de la sainte trinité du système: l'école, l'église et l'armée. Les représentants de ces trois institutions se contentent cependant d'asséner leurs discours de propagande, laissant leurs hommes de main, les "whips" le soin de faire régner la discipline. Ceux-ci, recrutés parmi les élèves de dernière année ne sont rien d'autre que des kapos fliquant les autres élèves avec sadisme et abusant de leur pouvoir pour satisfaire leurs désirs les plus troubles, même si ceux-ci ne sont que suggérés (on est pas chez Pier Paolo PASOLINI). Un élève leur résiste particulièrement, Michael Travis alias Malcolm McDOWELL qui faisait avec ce film une entrée remarquée au cinéma. Tellement remarquée que Stanley KUBRICK allait lui donner peu après le rôle principal de "Orange mecanique" (1971). Dans "If...." il incarne déjà par sa seule présence magnétique, sa nonchalance et son rictus goguenard une jeunesse de plus en plus remontée à bloc au fur et à mesure que les brimades s'accumulent. Plus le film avance et moins on arrive à distinguer le réel du rêve, tant le film est traversé de fulgurances, certaines en noir et blanc ce qui est plus ou moins accidentel mais accentue le sentiment d'étrangeté d'un film que l'on croit longtemps intemporel jusqu'au final explosif qui semble inéluctable.
J'ai aimé l'atmosphère de "Woyzeck", son alternance entre la place d'une ville typique d'Europe centrale qui enferme les personnages pour toutes les scènes en rapport avec le théâtre social et ses échappées dans une campagne bucolique pour les scènes où les instincts sauvages prennent le dessus. Le travail sur la photographie, brumeuse ou en clair-obscur est fabuleux et plusieurs scènes ressemblent à des tableaux vivants. La scène du meurtre au ralenti est très expressive. Mais le propos m'a paru trop alambiqué. On y voit un soldat (joué par l'acteur fétiche de Werner HERZOG, Klaus KINSKI, complètement halluciné) se faire constamment harceler et humilier par ses supérieurs, par ses pairs, par le médecin militaire du camp qui effectue des expériences douteuses sur lui-même et sur les animaux, par sa femme aguicheuse qui le trompe. Et ce jusqu'à ce qu'il sombre dans la folie meurtrière. Cependant, on a bien peu d'empathie pour le personnage de Klaus KINSKI lequel apparaît frappadingue dès les premières images alors que les propos tenus par ceux qui l'entourent sont alourdis par des considérations philosophiques sur la condition humaine quelque peu hermétiques. Enfin le fait que le seul échappatoire que trouve Woyzeck à ses malheurs soit de commettre un féminicide achève de le rendre complètement repoussant. En résumé j'ai admiré l'esthétique du film mais je suis resté complètement en dehors de ce qui s'y jouait.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)