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Music Box

Publié le par Rosalie210

Costa-Gavras (1989)

Music Box

"Music box" est un film aux enjeux dramatiques très puissants qu'il ne faut pas prendre qu'au sens littéral. Comme "Incendies" (2010) de Denis VILLENEUVE d'après la pièce de Wajdi Mouawad, tragédie historique et tragédie familiale sont inextricablement mêlées, la seconde libérant ses effets dévastateurs avec une génération de décalage par rapport à la première en raison d'un exil nord-américain qui a fait momentanément table rase du passé. Mais comme on peut également le constater avec les lois d'amnistie, s'il est possible et même nécessaire dans l'immédiat de refouler le passé pour se reconstruire hors du champ de la conscience, tôt ou tard, celui-ci finit par ressurgir. Dans le film de COSTA-GAVRAS, cela se matérialise dans une scène extrêmement forte (celle qui donne son titre au film) où la véritable identité d'un proche est révélée. Il est remarquable d'ailleurs que ce soit d'un objet insignifiant en apparence que sortent les preuves irréfutables des crimes commis par Michael Laszlo alors que la grosse machine judiciaire déployée auparavant pour le confondre semble avoir échoué. Je dis "semble" car en fait, les témoignages bouleversants des victimes survivantes du tortionnaire nazi font leur chemin dans la tête de la fille de Michael Laszlo, Ann (Jessica LANGE dont le visage peu à peu défait reflète les tourments qui la tenaillent). Celle-ci, en avocate chevronnée prend en charge l'affaire de son père avec une redoutable efficacité, usant de toutes les ressources procédurales avec talent pour le disculper. Mais si son personnage social semble sans faille, il n'en va pas de même de sa personnalité intime, peu à peu assaillie par le doute. Car non seulement les témoignages sont bouleversants mais ils sont concordants et l'amènent à s'interroger sur le personnage que prétend être son père, y compris auprès d'elle et de son frère, ce personnage qui lui a permis d'obtenir la nationalité américaine et qu'il risque de perdre si l'on prouve ses crimes. C'est pourquoi en parallèle, elle mène une enquête sur lui et bien que celle-ci reste longtemps cantonnée à l'arrière-plan, elle finit par porter ses fruits. Ann illustre alors parfaitement la phrase de Peter Sichrovsky "Les enfants des nazis portent le poids des sentiments de culpabilité que leurs parents n'ont pas voulu accepter". Le scénario original de Joe ESZTERHAS (qui s'inspire de sa propre histoire) s'intitulait à l'origine "Les péchés des pères". Pour qu'ils ne retombent pas sur leurs enfants et les enfants de leurs enfants (le film souligne l'antisémitisme du père mais aussi du beau-père d'Ann et la façon dont son jeune fils l'absorbe insidieusement), s'affranchir de cette monstrueuse filiation s'avère une nécessité vitale, quel qu'en soit le prix à payer.

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Les quatre filles du docteur March (Little Women)

Publié le par Rosalie210

Vanessa Caswill (2017)

Les quatre filles du docteur March (Little Women)

Comme nombre de grands classiques de la littérature populaire, "Les quatre filles du docteur March" a été adapté de nombreuses fois au cinéma mais aussi à la télévision. Ma génération, celle qui a grandi avec la Cinq se souvient du générique de la série de la Nippon Animation chanté par Claude LOMBARD "Toutes pour une, une pour toutes". Mais la BBC a également sa version en mini-série de trois épisodes réalisée un an avant le film de Greta GERWIG. Pas de stars dans les rôles principaux, hormis la fille de deux célébrités* dans le rôle de Jo (à quand son "Marcello Mio"?) (2023) mais un casting particulièrement relevé pour les rôles secondaires. Emily WATSON dans le rôle de Mary March, Michael GAMBON dans celui de James Laurence, le grand-père de Laurie (pour rappel, c'est lui qui interprète Dumbledore dans la saga Harry Potter à partir de "Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban") (2004) et enfin dans le rôle de la tante March, Angela LANSBURY dans son dernier rôle où elle s'avère aussi drôle qu'émouvante. La série est comme la plupart des adaptations de la BBC particulièrement soignée, très fidèle au roman de Louisa May Alcott mais avec une touche de finesse psychologique en plus dispensée ici et là autour des "démons intérieurs" que chaque soeur doit tenter de surmonter comme l'impulsivité, la colère, la coquetterie ou la timidité. Jo y écrase en effet moins ses soeurs que dans d'autres adaptations. S'il est difficile de développer un personnage aussi conventionnel que celui de Meg, la scénariste Heidi THOMAS s'appuie beaucoup sur les caractères antinomiques de Beth et d'Amy qui représentent également deux facettes de la personnalité de Jo. Elle partage avec la première un lourd sentiment d'inadaptation au monde étriqué promis aux femmes du XIX° siècle alors qu'elle est en rivalité avec la seconde à qui tout semble mieux réussir qu'à elle, que ce soit au niveau artistique ou relationnel.


* Maya HAWKE est la fille de Uma THURMAN et Ethan HAWKE.

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Vacances romaines (Roman Holiday)

Publié le par Rosalie210

William Wyler (1953)

Vacances romaines (Roman Holiday)

Film vu et revu au charme aussi atemporel que celui de la ville éternelle où il a été tourné. C'est à la fois un conte de fées et un récit initiatique qui conserve les pieds sur terre même dans ses moments les plus magiques. La princesse Ann s'échappe durant 24h de sa prison dorée pour faire l'expérience de la liberté sous un nom d'emprunt avant que le poids de ses responsabilités ne la rappelle à son devoir. Entre temps la petite fille sera devenue une femme (avec le symbole de la coupe de cheveux). Audrey HEPBURN dans son premier grand rôle est absolument délicieuse. Elle ressemble à un petit oiseau qui tombe du nid, directement ou presque dans les bras du (presque) parfait gentleman qu'est Gregory PECK. Car si la tentation vénale effleure son personnage de journaliste ce qui donne lieu à d'hilarants moments de comédie avec Irving (Eddie ALBERT) le photographe, il s'avère capable de se hisser à la hauteur de "son altesse royale". Et puis "Vacances romaines" est une ode à la capitale de l'Italie. 40 ans avant le plan-séquence culte de "Journal intime" (1993), la visite en Vespa de ses monuments emblématiques antiques et baroques symbolise la dolce vita. L'allégresse, la légèreté de ce film est rehaussée d'une pointe de mélancolie sur la fin quand le retour à la réalité est marqué par la barrière désormais infranchissable qui sépare la plèbe des têtes couronnées. L'allusion transparente à la pantoufle de vair de Cendrillon en introduction annonce d'emblée que le bal permettant de s'affranchir de l'étiquette identitaire s'achèvera à minuit.

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Bobby Deerfield

Publié le par Rosalie210

Sydney Pollack (1977)

Bobby Deerfield

"Bobby Deerfied" n'est pas le film le plus connu de Sydney POLLACK. C'est l'une de ces pépites secrètes qu'un cinéphile est ravi de découvrir au fond du panier. Un film américain aux accents européens, plus précisément Mitteleuropa. C'est logique puisqu'il s'agit d'une adaptation du roman de Erich Maria Remarque "Le Ciel n'a pas de préférés". D'ailleurs on pense également à son contemporain Thomas Mann et à "La Montagne magique". Deux des plus grands auteurs allemands de la première moitié du XX° siècle dont les livres furent brûlés par les nazis. On ne cesse de voyager dans "Bobby Deerfied" sur les circuits automobiles français, dans les Alpes suisse puis à plusieurs reprises via le tunnel du Simplon près du lac de Côme et jusqu'à Florence où se déroule la majeure partie de l'intrigue. L'action qui se déroule juste après la seconde guerre mondiale est transposée dans les années 70, période de tournage du film. De même que "Le vent se leve" (2013), autre film "déterritorialisé" se référant à Thomas Mann racontait la relation entre un concepteur d'avions de guerre et une jeune femme tuberculeuse, le film de Sydney POLLACK narre la rencontre amoureuse entre deux jeunes gens marqués par la mort: un pilote de formule 1 hanté par le décès en pleine course de son coéquipier et une jeune femme leucémique. Outre l'excellence de l'interprétation par Al PACINO et Marthe KELLER qui comme chacun sait sont réellement tombés amoureux sur le tournage du film, ce qui m'a plu est la fantaisie qui se dégage du personnage de Lillian. Parce que le temps lui est compté, elle vit à 100 à l'heure en brûlant la chandelle par les deux bouts alors que le champion automobile fatigué est lui plutôt à l'arrêt dans sa vie. Cela donne des scènes assez drolatiques où Bobby est complètement dépassé par l'énergie un peu fo-folle de sa partenaire qui n'a au contraire aucune inhibition et ne cesse de le "challenger". Intrigué, agacé, jaloux puis bouleversé quand il apprend la raison de son comportement déroutant, il se laisse aller lui aussi à quitter la boucle dans laquelle il tourne en rond pour emprunter ces chemins de traverse de la vie que tant de gens ne voient pas (lui-même porte longtemps des lunettes noires symbole de sa cécité comme de sa vanité). Comme dans "Les Ombres du coeur" (1993) auquel j'ai beaucoup pensé, c'est la proximité de la mort qui contraint ces jeunes gens à vivre avec intensité et sincérité une histoire qu'ils savent sans issue. Avec une justesse de ton qui déjoue tous les pièges liés au mélodrame, Sydney POLLACK filme l'étincelle qui jaillit du choc des contraires, le chemin qu'ils parcourent ensemble et l'empreinte ineffaçable que Lillian laissera dans la vie de Bobby.

"Le vent se lève, il faut tenter de vivre" (Paul Valéry, le cimetière marin).

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Peter Lorre, Derrière le masque du maudit (Peter Lorre - Hinter der maske des bösen)

Publié le par Rosalie210

Evelyn Schels (2023)

Peter Lorre, Derrière le masque du maudit (Peter Lorre - Hinter der maske des bösen)

Peter LORRE avait un physique atypique avec son visage lunaire, ses yeux globuleux et sa silhouette trapue. Il est aussi un acteur à jamais associé à un rôle, celui de M dans "M le Maudit" (1931) de Fritz LANG. Il a d'ailleurs à la fin de sa carrière plusieurs fois joué avec un autre acteur hors-norme associé à un rôle de monstre à visage humain: Boris KARLOFF. Cependant ce qui frappe lorsqu'on regarde le documentaire qui lui est consacré, c'est le parallèle que l'on peut faire entre la personnalité tourmentée de l'acteur et un parcours qui ne l'est pas moins. La carrière de Peter LORRE comme celle de ses contemporains austro-hongrois épouse en effet les soubresauts de l'histoire. Né dans un Empire englouti à la fin de la première guerre mondiale, il part faire carrière dans le théâtre à Berlin au cours des années 20 avant de jouer dans le film de Fritz LANG qui le rendit célèbre dans le monde entier. Contraint à l'exil après l'arrivée au pouvoir de Hitler qui ne l'avait pourtant pas identifié au départ comme juif (ce qu'il était, son véritable nom étant Laszlo Löwenstein), il entame une deuxième carrière au Royaume-Uni puis aux USA où il excelle dans des seconds rôles de classiques tels que la première version de "L'Homme qui en savait trop" (1934), "Arsenic et vieilles dentelles" (1941) ",Le Faucon maltais" (1941) ou encore "Casablanca" (1942). Néanmoins, il est cantonné dans des rôles de méchant et ne parvient pas à s'affranchir de l'image de monstre qui lui colle à la peau. C'est peut-être pour exorciser ses démons (externes mais aussi internes, l'homme étant enclin aux addictions et instable) qu'il retourna en Allemagne réaliser son seul film, au titre profondément évocateur, "Un homme perdu" (1951). Son échec le contraignit à revenir aux USA et à des films fantastiques de série B où l'on constate la dégradation de son apparence avant une mort prématurée en 1964.

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Classe tous risques

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1960)

Classe tous risques

Claude SAUTET est définitivement l'un de mes cinéastes préférés. Même dans une oeuvre de jeunesse comme "Classe tous risques" on reconnaît sa personnalité. Pourtant ce deuxième film aurait pu être écrasé sous les références, aussi bien françaises qu'américaines. Il s'agit en effet de l'adaptation d'un roman de José Giovanni avec Lino VENTURA dans le rôle principal d'un "bandit d'honneur"* ce qui établit une parenté avec le cinéma de Jean-Pierre MELVILLE, "Le Deuxieme souffle" (1966) en particulier. De l'autre, certains plans où l'on voit Jean-Paul BELMONDO déambuler dans les rues de Paris ne sont pas sans rappeler "A bout de souffle" (1960) sorti peu de temps avant. L'influence de la nouvelle vague est également palpable dans la manière dont a été filmée le hold-up du début, en pleine rue, au milieu des passants et en caméra cachée. Jean-Luc GODARD et Jean-Pierre MELVILLE étaient par ailleurs très influencés par le polar américain et l'on retrouve cette influence logiquement dans "Classe tous risques".

Bien qu'étant un film de genre très bien réalisé, "Classe tous risques" est aussi un drame intimiste où l'on retrouve la sensibilité de Claude SAUTET envers les plus faibles. Ainsi Abel (Lino VENTURA) "voyage" avec sa famille et après le drame qui la frappe par sa faute, on est attristé par le sort de ses deux petits garçons dont il est bien obligé de se séparer avant de s'enfoncer dans une spirale sans issue. Quant à Eric (Jean-Paul BELMONDO), il a le coeur sur la main que ce soit avec Abel qu'il vient aider (contrairement à ses anciens complices embourgeoisés qui lui tournent le dos), ses gosses ou avec Liliane (Sandra MILO) qu'il défend contre un homme violent.

* Bien qu'il soit inspiré du gangster Abel Danos surnommé "Le Mammouth" qui collabora au sein de la Gestapo française avec les allemands et en profita pour s'enrichir pendant la seconde guerre mondiale et qui n'avait rien d'un bandit d'honneur.

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L'Arbre aux papillons d'or (Bên trong vỏ kén vàng)

Publié le par Rosalie210

Thien An Pham (2023)

L'Arbre aux papillons d'or (Bên trong vỏ kén vàng)

Le début du film amorce un récit prometteur que l'on voit s'effilocher avec une certaine consternation sur près de trois heures. A partir d'un drame initial (la mort de sa belle-soeur), le personnage principal qui est retourné dans son village natal pour assister aux funérailles se déleste de ses liens terrestres (il fait le deuil de son ancien amour devenue bonne soeur et lui confie son neveu Dao âgé de cinq ans) pour partir à la recherche de son grand frère, le père de Dao, mystérieusement disparu. Le film est d'une grande beauté plastique et produit un réel effet d'immersion grâce à une bande-son aussi travaillée que la photographie. Quelques plans sont franchement sublimes (dont celui qui donne son titre au film) mais l'atmosphère est cafardeuse et le contenu, anémique. Les quelques pistes suivies par le personnage (recherche de la foi, recherche de son frère) ne perdent dans les sables et plus on avance, plus ce que l'on regarde devient abstrait, voire abscons à force de silence et de lenteur. Dans ce film contemplatif aux plans-séquence étirés à l'extrême, l'être humain finit par n'être plus qu'un minuscule point dans le paysage, les expériences et les liens entre les êtres deviennent purement théoriques. La fin qui entremêle rêve et réalité à moins que cela ne soit différentes temporalités fait penser à Apichatpong WEERASETHAKUL. Bref on est sur un premier film qui suit la tendance d'un cinéma d'auteur contemplatif qui certes fait preuve d'une grande maîtrise formelle mais délaisse humanité, émotions et dramaturgie. Pas sûr que cette direction marque les esprits durablement.

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Les Misérables

Publié le par Rosalie210

Claude Lelouch (1995)

Les Misérables

"Les Misérables" librement adaptés par Claude LELOUCH, c'est une fresque historique courant sur un demi-siècle qui n'est pas sans rappeler le roman-feuilleton populaire* avec ses personnages archétypaux et ses situations ne cessant de faire retour. La structure cyclique du film est d'ailleurs symbolisée par une scène de bal en introduction (en 1900) et en conclusion (cinquante ans plus tard) dans lesquelles la caméra tourbillonne avec les personnages qui dansent. La transposition du roman dans la première moitié du XX° siècle permet de superposer les moments clés de l'intrigue du roman avec les événements les plus dramatiques de cette période, tout particulièrement ceux de la seconde guerre mondiale, les misérables devenant les juifs persécutés. On y croise plusieurs Fantine, Thénardier, Javert, Cosette et Valjean (mais un seul monseigneur Myriel, l'impérial Jean MARAIS). Ils ne sont pas toujours représentés par les mêmes acteurs et à l'inverse, un même acteur peut jouer deux rôles à la fois (Jean-Paul BELMONDO joue d'abord le rôle d'un bagnard, puis celui de son fils qui dans son enfance a été une Cosette exploitée par un Thénardier après la mort de sa mère). Pour complexifier encore cette structure, Henry Fortin (le personnage joué par Jean-Paul BELMONDO) se fait lire des extraits du roman de Victor Hugo et se projette dedans (en Jean Valjean bien sûr). Il faut dire que le film de Claude LELOUCH est également un hommage au cinéma dont on fêtait alors le centenaire. Il est précisé que Henry Fortin est né quasiment avec lui et on le voir regarder enfant des adaptations muettes du roman de Hugo avant qu'adulte, il n'assiste à la projection de celle de Raymond BERNARD. Son père avait sans le savoir croisé lors du bal ouvrant le film Robert HOSSEIN qui avait été le dernier avant lui à endosser le rôle de Valjean au cinéma. Les images avant la lettre puisque Fortin est longtemps analphabète. Enfin ce film choral (une caractéristique du cinéma de Lelouch) est intrinsèquement lié à la prestation saluée d'un César du second rôle de Annie GIRARDOT. En fait, celle-ci lors d'une scène bouleversante où elle semble dépassée par ses émotions ouvre la possibilité de faire bifurquer le récit dans une direction inattendue. Cela ne se concrétise pas hélas, la suite la faisant rentrer dans le rang de son rôle de Mme Thénardier de l'occupation (après Nicole CROISILLE pour la Thénardier de la Belle Epoque, leurs époux respectifs étant joués par Philippe LEOTARD et RUFUS). Mais rien que pour ce moment de grâce, et celui qu'elle a ensuite imprimé lors de la cérémonie des César, le film acquiert un supplément d'âme, épaulé par un Michel BOUJENAH qu'on aurait aimé voir plus souvent dans un tel registre dramatique.

* Même si Victor Hugo ne goûtait guère le roman-feuilleton, son roman finit par être publié en épisodes dans "Le Rappel" co-fondé par lui-même, vingt ans après sa première parution en recueil.

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Un amour impossible

Publié le par Rosalie210

Catherine Corsini (2018)

Un amour impossible

L'histoire est puissante comme l'est la personnalité de celle qui la porte, Christine ANGOT. Elle raconte en effet avec beaucoup d'acuité une rencontre qui n'aurait jamais dû avoir lieu et qui a généré autant de violence que de souffrance: celle de ses parents. La réalisation très classique de Catherine CORSINI ôte cependant en grande partie la cruauté, l'âpreté de ce récit. Elle aurait dû fouiller beaucoup plus les portraits respectifs de Rachel et Philippe et choisir deux acteurs complètement dissemblables au lieu du couple assorti Virginie EFIRA-Niels SCHNEIDER. En ce qui concerne Rachel, elle colle trop et trop longtemps à son illusion romantique, à sa croyance en une "passion réciproque". En revanche, elle n'insiste pas assez sur le gouffre socio-culturel qui la sépare de Philippe et sur la guerre sourde que celui-ci lui livre. Pourtant, il y a assez d'éléments distillés dans le film (à commencer par son prénom) pour comprendre que celui-ci est le pur produit d'un milieu bourgeois pétainiste qui n'a pas digéré la défaite. Dans les années cinquante, époque de leur rencontre, le souvenir de la guerre est tout proche et d'une certaine manière, Philippe utilise Rachel comme le moyen pour son clan de prendre une revanche symbolique sur "L'Anti-France" celle du Front Populaire, assimilée aux communistes et aux juifs. Philippe va jusqu'à épouser une allemande et à vanter leur capacité à choyer les hommes à cause des énormes pertes de la guerre. Au cas où l'on n'aurait pas compris son esprit partisan, il ajoute qu'il en va de même des japonaises. Implicitement, Rachel est assimilée à l'autre camp, celui des "rouges" et des anglo-saxons "enjuivés" (peu importe que la Russie compte le plus d'hommes tués au front, on est dans l'idéologie, pas dans le fait historique). L'ennemi à abattre est aussi "l'esprit de jouissance" du Front populaire qui a constitué une période émancipatrice pour les femmes. Philippe ne cesse en effet de reprocher à Rachel d'être trop puissante, de réclamer trop d'attention. De fait, celle-ci réussit à s'accomplir professionnellement et à élever sa fille seule à une époque où cela n'avait rien d'évident. C'est pourquoi il va s'engouffrer dans la principale faille de Rachel qui est son obsession à ce qu'il reconnaisse leur fille, c'est à dire qu'il lui donne son patronyme. Car si Rachel a appris à se passer d'un homme, elle est prisonnière d'une vision patriarcale de la famille qui aujourd'hui a encore beaucoup d'adeptes. L'instrument de la revanche se déplace alors de Rachel sur sa fille Chantal que jamais il ne reconnaîtra comme sa fille car comme le dira plus tard Chantal (alias Christine ANGOT) c'est contraire à la logique de leur camp. Chantal devient donc le plus sûr moyen d'anéantir Rachel et Philippe utilise la plus terrible des armes pour y parvenir.

Il y avait donc de quoi faire un grand film avec ce récit. Mais faute de hauteur de vue, on reste trop au ras des pâquerettes et c'est bien dommage.

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La Chasse (Cruising)

Publié le par Rosalie210

William Friedkin (1980)

La Chasse (Cruising)

C'est un drôle d'Alice de l'autre côté du miroir que ce "Cruising" qui raconte l'histoire d'une errance qui prend l'allure d'une mue à bas bruit. Le film de William Friedkin longtemps maudit et aujourd'hui réhabilité s'ouvre et se ferme sur les mêmes images de traversée de l'Hudson au large de Manhattan par un bateau qui commence repêcher un membre et semble ensuite draguer (au sens littéral) le fond. Cette traversée très métaphorique (d'où le titre en VO), ce sont les boîtes de nuit gay SM du New-York underground* fréquentées par Steve Burns (Al Pacino), flic infiltré dont l'identité vacille au fur et à mesure qu'il s'enfonce en eaux eaux profondes et troubles. Si la lecture littérale du scénario est une enquête policière consistant à découvrir un serial killer sévissant au sein du milieu, c'est évidemment la dimension psychanalytique qui en fait tout l'intérêt. Outre la métamorphose ("je change" dira à un moment Steve Burns à son supérieur, le capitaine Edelson), le film traite en effet du double tout à la fait à la manière d'un Hitchcock ou d'un De Palma (qui voulait réaliser le film et dont le "Pulsions" a des contours assez proches**). Steve est "casté" par Edelson (Paul Sorvino) parce qu'il a un physique proche de celui des victimes et du tueur (dont le visage semble d'ailleurs changer d'un crime à l'autre). Les meurtres sont ritualisés et filmés graphiquement d'une manière qui rappelle "Psychose". Les rôles sont renversés, le flic devenant la proie. Tellement d'ailleurs que dans une scène ironique, il est refoulé de la boîte parce qu'il ne porte pas le costume adéquat ce soir-là qui est celui justement d'un policier.  La scène de confrontation finale entre le flic et le tueur est troublante: les deux hommes, habillés de façon strictement identique fonctionnent en miroir au point qu'on ne sait plus qui est le chassé et qui est le chasseur. Et la fin est un sommet d'ambiguïté. 

* Milieu dépeint de façon documentaire et immersive avec des détails très crus mais sans aucun jugement moral. Car le mal selon Friedkin ne réside pas dans la pratique d'une sexualité marginale mais dans le refoulement des pulsions par le puritanisme de la société américaine. 

** "Un Couteau dans le coeur" de Yann Gonzalez qui rend hommage à Brian de Palma et aux giallos italiens fait aussi référence à "Cruising" en mêlant plaisir et souffrance. Les scènes d'amour filmées comme des scènes de meurtre et vice-versa sont un des grands leitmotivs du cinéma de Alfred Hitchcock.

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