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L'Enfant du carnaval

Publié le par Rosalie210

Ivan Mosjoukine (1921)

L'Enfant du carnaval

"L'Enfant du carnaval" maintenant disponible sur la plateforme HENRI de la Cinémathèque fait partie des films qui ont permis au public français de découvrir au début des années vingt Ivan MOSJOUKINE. Acteur russe exilé en France après la révolution de 1917, Ivan MOSJOUKINE a réalisé deux films pour les studios Albatros: celui-ci et "Le Brasier ardent" (1923). Ce déraciné est ensuite parti aux USA puis est revenu en Europe, d'abord en Allemagne puis de nouveau en France où il a terminé sa carrière notamment en jouant dans le remake parlant de "L'Enfant du carnaval" (1934) réalisé cette fois par Alexandre VOLKOFF.

"L'Enfant du carnaval" qui a été souvent comparé au beaucoup plus célèbre "Le Gosse" (1921) de Charles CHAPLIN*, notamment parce que les deux films sont sortis à quelques mois d'intervalle, abordent des thématiques proches et ont pour figure principale un acteur-réalisateur d'origine immigrée est cependant une oeuvre au ton singulier, naviguant entre comédie et mélodrame avec une fin poignante "à la russe". Le charisme de Ivan MOSJOUKINE y est incandescent et son jeu moderne, sensible et expressif m'a fascinée dès les premières secondes. Il incarne dans le film un aristocrate immature, noceur invétéré qui va voir sa vie bouleversée lorsqu'il trouve un bébé abandonné sur le pas de sa porte. Le comique burlesque lié à sa vie de fêtard cède alors la place à des émotions de plus en plus profondes au contact de ce bébé et de sa mère en détresse qui refait surface en prenant l'identité de sa nurse. A signaler également une superbe photographie de Fedote BOURGASOFF, notamment lors d'un plan en ombres chinoises d'une farandole de noceurs sur la promenade des Anglais qui n'est pas sans faire penser à celle qui clôt "Le Septieme sceau" (1957) de Ingmar BERGMAN.

* Preuve de cette célébrité mondiale, le personnage du vagabond apparaît sur l'un des chars du carnaval de Nice dans le film.

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Belle de jour

Publié le par Rosalie210

Luis Bunuel (1967)

Belle de jour

Un film déconcertant et plutôt mystérieux sous ses dehors très lisses. Il faut dire que l'essentiel ne s'y montre pas à visage découvert mais sous forme d'indices à déchiffrer ce qui est la logique du rêve. Et il est parfois difficile de démêler dans "Belle de jour" si ce que l'on voit se déroule dans la réalité ou dans un rêve. Ce qui est certain en revanche, c'est que Luis BUNUEL et Jean-Claude CARRIERE qui collaboraient pour la deuxième fois après "Le Journal d'une femme de chambre" (1963) s'attaquent à une bourgeoisie parisienne catholique dont ils révèlent des dessous érotiques décadents et mortifères. L'époque à laquelle a été écrite le livre de Joseph Kessel (les années 20) comme celle du tournage du film (années 60) étaient propices à la dissimulation: la maison de passe se cache derrière une plaque hypocrite nommée "Anaïs-Modes" tenue par une maquerelle distinguée (Genevieve PAGE), les pratiques sulfureuses se regardent par le trou de la serrure, une boîte à musique s'ouvre sur un bruit de moustique mais refuse de montrer son contenu, on se glisse sous une table ou sous un cercueil pour s'adonner à des jeux interdits. On remarquera également que le film esquive la monstration tant du sexe que de la nudité. Même celle de Catherine DENEUVE reste suggérée. Après Jacques DEMY et Roman POLANSKI, Luis BUNUEL est le troisième cinéaste majeur qui a su employer l'actrice de façon remarquable. Avant François TRUFFAUT dans "La Sirène du Mississipi" (1969), il en a fait une silhouette hitchcockienne se dérobant constamment au voyeurisme du spectateur, une "page blanche à noircir de rêves", mise en scène dans toutes sortes de situations scabreuses, dégradantes, humiliantes, transgressives sans que pour autant son image "blanche comme neige" n'en soit altérée. C'est d'ailleurs de ce décalage que naît une partie du trouble suscité par ce film encore aujourd'hui. Car le film a deux facettes tout comme celles qui gouvernent les représentations de la féminité depuis la dichotomie biblique Vierge Marie/Marie-Madeleine. D'une part il laisse l'inconscient des personnages s'exprimer (celui de Séverine mais celui également de son entourage), de l'autre, il tend un miroir au spectateur.

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Les Roseaux sauvages

Publié le par Rosalie210

André Téchiné (1994)

Les Roseaux sauvages

Mon film préféré de Andre TECHINE est aussi celui dans lequel il a glissé le plus de souvenirs personnels. Pourtant, à la base il s'agissait d'une commande d'Arte qui souhaitait produire une collection de neuf téléfilms sur l'adolescence intitulée "Tous les garçons et les filles de leur âge". Parmi eux, trois finissent par sortir au cinéma en version longue dont celui de Andre TECHINE qui reçoit le prix Louis Delluc et quatre César.

Les qualités du film sont nombreuses: il fait souffler un vent de fraîcheur sur le cinéma français en révélant une nouvelle génération d'acteurs dont Elodie BOUCHEZ, il évoque avec une grande sensibilité le passage à l'âge adulte dans le contexte dans lequel Andre TECHINE l'a vécu, celui de la fin de la guerre d'Algérie dans le sud-ouest de la France avec le retour des pieds-noirs. La mort qui rôde autour des jeunes appelés et le désir bouillonnant des adolescents se mêlent harmonieusement. Le film est à la fois lumineux et douloureux. Lumineux car de nombreuses scènes ont été tournées en pleine nature et exaltent ce désir adolescent en pleine éclosion qui fait fi des clivages politiques, sociaux et même de façon éphémère de l'orientation sexuelle. Douloureux aussi car ces mêmes adolescents sont tourmentés par le contexte historique et politique qui les impactent plus ou moins directement (le frère appelé de l'un, l'appartenance de la mère de l'autre au PCF, la présence en classe d'un jeune pied-noir ombrageux et révolté) mais aussi par leur sexualité. Le personnage de François (Gael MOREL) qui peut être vu comme un double du réalisateur découvre son homosexualité à une époque où elle était taboue. Le poids de sa différence, Andre TECHINE nous le fait ressentir à travers la scène du mariage campagnard et ses chansons paillardes, le père agriculteur qui se méprend sur la nature de sa relation avec son âme soeur, Maïté (Elodie BOUCHEZ) son rapport à la littérature et au cinéma en décalage avec son environnement, ses relations avec le garçon fruste qu'il désire, Serge (Stephane RIDEAU) ou enfin, sa tentative de trouver un interlocuteur en la personne d'un adulte homosexuel dont la bouche cousue et le regard plein de désarroi en disent plus long que tous les discours. Pourtant François est le personnage le plus libre de tous et au vu des scènes finales, son influence sur l'évolution du rapport de Maïté à son corps, à ses désirs et au reste du monde semble déterminante. Leurs partenaires, en dehors de quelques parenthèses enchantées dont la plus frappante est celle de la fin sont rattrapés par le poids de leur héritage familial et se soumettent à cette fatalité en mettant leur individualité de côté.

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Dans la peau de Blanche Houellebecq

Publié le par Rosalie210

Guillaume Nicloux (2024)

Dans la peau de Blanche Houellebecq

Guillaume NICLOUX me paraît être un réalisateur éclectique. En effet ses deux derniers films, "Sarah Bernhardt, La Divine" (2024) et "Dans la peau de Blanche Houellebecq" sont très différents, à part peut-être l'excentricité de leur tête d'affiche. Encore qu'il semble dormir debout le Michel HOUELLEBECQ dans le film. Les diverses substances qu'il s'injecte et la langueur des îles n'expliquent pas tout ^^. Heureusement, il cohabite à l'insu de son plein gré durant les 2/3 du film avec une Blanche GARDIN (elle aussi dans son propre rôle) dont le prénom est en soi tout un programme dans le contexte guadeloupéen. L'apparition dès les cinq premières minutes de film de Jean-Pascal ZADI qui prolonge son personnage en quête de rôle de "Tout simplement noir" (2019) (mockumentaire auquel j'ai beaucoup pensé) auprès d'un Gaspard NOE (dans son propre rôle également) prêt à embaucher Michel HOUELLEBECQ dans son prochain film "pas très catholique" donne le ton. Ca va tirer à boulets rouges sur les séquelles du colonialisme avec une galerie de locaux bien décidés à en découdre avec le sulfureux duo symbole de la "blanchité métropolitaine". Alors certes, ça part dans tous les sens mais il y a quand même pas mal de dialogues et de situations qui font mouche. Le gag de Jean-Pascal ZADI neveu de Francoise LEBRUN rappelle "l'albinos de la famille" de "Le Havre" (2011), les tresses africaines de Luc, l'assistant juif de Houellebecq deviennent sujet de polémique avant l'inévitable concurrence victimaire à la DIEUDONNE et tout le film est dans cette tonalité là. Michel HOUELLEBECQ en dépit de son état de zombie joue assez bien la carte de l'autodérision alors que Blanche GARDIN qui en prend aussi pour son grade devient sans jeu de mots son ange gardien ce qui ne manque pas de sel quand on connaît sa personnalité et ses opinions.

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Viens je t'emmène

Publié le par Rosalie210

Alain Guiraudie (2020)

Viens je t'emmène

"Viens je t'emmène" (2020) est un petit cru de la part de Alain GUIRAUDIE. Cela ressemble presque à une comédie de boulevard (avec mari jaloux et amant collant), la crudité sexuelle et l'onirisme en plus. Comme toujours chez Alain GUIRAUDIE, le désir danse avec la mort sans que l'on sache où il nous mène mais la sauce a du mal à prendre. Les craintes suscitées par le jeune Sélim, hormis dans un rêve ont tout du pétard mouillé tant l'attitude du jeune homme ne concorde pas avec les événements terroristes dépeints à l'image. Jamais il ne fait peur et jamais il ne suscite le trouble. En le recueillant, Médéric prend un risque donc limité d'autant que la plupart des voisins de l'immeuble pensent comme lui, le seul qui râle s'avérant hypocrite. Le film tourne donc à la farce burlesque avec la prostituée-mariée-battue et contente quinquagénaire jouée par Noemie LVOVSKY qui gueule de laisir dans tous les coins, la frustration permanente de Médéric qui ne parvient jamais à "conclure" avant qu'une sonnerie retentisse ou ses filatures qui se heurtent à un "surmoi" du genre flic intrusif ou bande de jeunes menaçants (en réalité de petits dealers). C'est marrant mais ça ne va pas très loin, sans doute parce que le style du réalisateur ne fonctionne pas aussi bien dans un contexte réaliste et qu'il se perd un peu dans toutes les directions.

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Twin Peaks: The Return

Publié le par Rosalie210

David Lynch et Mark Frost (2017)

Twin Peaks: The Return

La troisième saison de "Twin Peaks" a été entièrement écrite et réalisée par David Lynch et Mark Frost qui ont reçu carte blanche de leur chaîne de diffusion. Alors qu'ils avaient dû ruser et parfois plier devant les exigences du public et du diffuseur au cours de la deuxième saison, ils ont pu, 26 ans après, contrôler la totalité de leur création et ne plus faire de compromis. Résultat, "The Return" est moins une série qu'un film expérimental de dix-huit heures dont la radicalité explose tous les codes vus jusque là. Pour l'apprécier, il faut accepter de ne pas tout comprendre, accepter qu'il n'y ait pas qu'une seule vérité à l'image de la multiplicité de réalités dans lesquelles David Lynch nous plonge pour mieux nous perdre.

Néanmoins, l'ADN originel de la série n'a pas été oublié, bien au contraire. Simplement, Lynch et Frost n'en ont gardé que le meilleur. Exit par exemple les intrigues de soap opera qui au pire de la deuxième saison prenaient le dessus sur tout le reste (qui se souvient de l'insignifiant personnage joué par Billy Zane par exemple?). En revanche le mélange des genres est plus que jamais présent dans cette saison foisonnante aux multiples ramifications, bousculant la chronologie et élargissant le cadre. Tout se passe comme si Lynch et Frost avaient pris au pied de la lettre l'expression "usine à rêves" utilisée pour qualifier Hollywood tout en lui ajoutant la dimension cauchemardesque qui lui manquait pour lui donner une dimension holistique. "The Return" fonctionne ainsi comme une machine à produire des récits puisant dans tous les genres hollywoodiens: polar, thriller, film de gangsters, road movie, comédie loufoque, burlesque, musical, fantastique, science-fiction etc. Sauf que tous ces récits semblent avoir été dictés par un inconscient tournant à plein régime: inconscient individuel et inconscient collectif. Beaucoup d'éléments de la culture américaine sont ainsi "retournés" comme s'ils avaient une face B. Je pense par exemple au maïs, symbole de vie et de fertilité qui devient un symbole de mort dans Twin Peaks, notamment parce que les esprits maléfiques se nourrissent du malheur humain qui se matérialise sous forme de maïs à la crème (le Garmonbozia). On peut en dire autant du film de Don Siegel, "Invasion of the body snatchers" qui en 1956 exprimait la paranoïa de la contagion du communisme sous la forme d'un "grand remplacement" de la population américaine à l'échelle d'une ville par des clones sans âme. Les codes du film sont repris quasiment à l'identique dans l'épisode 8 de "Twin Peaks" qui se déroule en partie en 1956, à ceci près que la contagion de la population par le mal provient des radiations nucléaires produites par les américains eux-mêmes. L'American way of life, déjà bien déconstruit dans les deux premières saisons prend des allures de cauchemar post-crise des subprimes avec des quartiers périurbains fantômes. Cela va de pair avec un "let's go home" qui résonne d'autant plus ironiquement qu'il n'y a jamais eu autant de SDF et de mal-logés que dans la série de 2017.

Néanmoins le rêve ne dérive pas toujours vers le cauchemar et parfois la face B devient une face A. Sinon "The Return" serait juste un trip glauque et froid, dénué d'humanité. Or c'est l'humanité dans toute sa complexité que cherchent à approcher Lynch et Frost. La saison 3 nous fait donc passer par toutes les émotions. Même si la ville de Twin Peaks n'est plus le cadre unique du récit, elle reste un lieu essentiel qui fonctionne comme un repère réconfortant pour le spectateur, ravi de retrouver la majorité du casting d'origine dans des lieux familiers tels que le double R, le bureau du Shérif, l'hôtel du grand nord ou le Bang Bang Bar (connu aussi sous le nom de Roadhouse) qui devient une salle de concert à la fin de la majeure partie des épisodes. Le retour 26 ans après de la plupart des acteurs de la série originale est d'autant plus émouvant que certains d'entre eux étaient malades et sont décédés après avoir tourné leurs scènes. Et les personnages de ceux qui étaient décédés avant et qui ont une importance dans le récit reviennent sous d'autres formes.

Mais surtout, "The Return" est un formidable tour de force pour Kyle MacLachlan qui interprète pas moins de quatre personnages, comme autant de facettes d'une même personnalité et au-delà, des contradictions humaines. Il y a d'abord le héros chevaleresque, romantique et mystique des deux premières saisons qui se retrouve prisonnier de la loge noire à la fin de la saison 2. Le spectateur attend son retour. Or cette attente ne cesse d'être déçue par Lynch. En lieu et place du Cooper que l'on croît connaître, on suit le parcours de ses doubles. Celui de "M. C", son double maléfique possédé par "Bob" qui sème la mort et le malheur sur son passage représente toutes les pulsions sombres que le "chevalier blanc" a refoulé, générant une personnalité clivée/dissociée assez typique des sociétés puritaines. Lynch ne cesse d'enfoncer son anti-héros dans les ténèbres avec quelques coups d'éclat "tarantinesques" (la présence parmi ses sbires d'un couple joué par Tim Roth et Jennifer Jason Leigh n'y est pas pour rien). A l'inverse, lorsque le bon Cooper tente de revenir sur terre, il se retrouve enfermé dans l'identité et dans la vie so "american way of life" de Dougie Jones. Car mener une vie conformiste était l'un des désirs de l'agent du FBI. A ceci près que le Dougie Jones "bon citoyen et bon père de famille" mène en réalité une double vie peu glorieuse (dettes de jeu, fréquentation de prostituées...) et que le choc électrique du retour (l'électricité, fil conducteur du passage entre les mondes) ramène Cooper au stade de légume ou de bébé privé de toute autonomie, de façon assez similaire à ce qui arrivait à Léo dans la saison 2. Ce nouvel anti-héros génère une série de situations burlesques et son parcours de "Candide à Sin City" finit par ressembler à une fable à la Frank Capra dans laquelle il réenchante le monde (je suis prête à parier que la clocharde qui devient milliardaire grâce à lui sort tout droit du "Lady for a day" ou de son remake, d'autant que l'histoire repose quand même sur une illusion). Un autre clivage se fait alors jour au sein de Dale Cooper: entre l'homme ordinaire, sans histoires et l'aventurier qui croit pouvoir empiéter sur le terrain des dieux. C'est ce dernier qui prend le pouvoir dans les derniers épisodes. Il veut profiter des pouvoirs surnaturels qu'il a acquis pour remonter le temps, changer l'histoire, effacer le péché originel de la saga et "rentrer à la maison", enfin réunifié. Mais la trilogie de Robert Zemeckis l'avait déjà démontré: on ne joue pas impunément avec les forces qui nous dépassent. Surtout quand ces forces sont mues par l'énergie nucléaire. L'odyssée de ce Cooper là qui semble s'appeler Richard, sous le signe de "Judy" (le mal absolu?) ne le ramènera jamais à Ithaque. Il l'enfermera dans une boucle. Une boucle en forme de 8 (comme le huitième épisode, celui de l'explosion nucléaire aux conséquences incalculables) qui pourra tourner indéfiniment.

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Quand vient l'automne

Publié le par Rosalie210

François Ozon (2024)

Quand vient l'automne

Je ne suis pas une grande fan de Francois OZON, je le trouve inégal, parfois superficiel, inutilement tortueux, caricatural ou lourdement théâtral et référencé mais c'est un très bon directeur d'acteurs. Dans "Gouttes d'eau sur pierres brulantes" (2000) il a éclairé Bernard GIRAUDEAU sous un jour différent, mettant notamment en avant ses qualités de danseur, il a donné un rôle marquant à Charlotte RAMPLING dans "Sous le sable" (2000) en tenant tête aux producteurs qui la jugeaient trop âgée et dans "Ete 85" (2019) il a fait éclater le talent de Benjamin VOISIN. "Quand vient l'automne" met au premier plan deux actrices âgées et non retouchées, Josiane BALASKO et Helene VINCENT qui n'avait jamais obtenu jusqu'ici de premier rôle au cinéma ce qui m'a paru proprement incroyable. La sororité qu'entretiennent leurs personnages m'a un peu rappelé celle de "La Ceremonie" (1995) même si les héroïnes étaient beaucoup plus jeunes, le film de Francois OZON a d'ailleurs été qualifié de chabrolien. L'autre aspect du film que j'ai bien aimé et qui existait déjà dans "Une nouvelle amie" (2014) ou "Le Refuge" (2009) est celui de la réinvention des modèles familiaux hors des codes dominants de la société, y compris sur le plan moral. Michelle et Marie-Claude, deux vieilles dames a priori sans histoires traînent un passé de prostituées qui les poursuit et les condamne à la solitude. Michelle se rebelle avec les armes qu'elle possède contre cette opprobre qui l'ostracise. Elle fait corps avec son amie mais aussi avec le fils de celle-ci, un voyou qui sort tout juste de prison mais qui n'a pas renié sa mère. Quant je disais plus haut que Francois OZON était un bon directeur d'acteurs, on lui doit aussi d'avoir donné un rôle substantiel à Pierre LOTTIN à qui je l'espère on offrira les rôles qu'il mérite à l'avenir. Une relation filiale se noue donc entre Vincent et Michelle qui compense le violent rejet qu'elle subit de la part de sa fille, Valérie qui lui attribue son mal-être et l'empêche de voir son petit-fils (un rôle hélas caricatural offert à Ludivine SAGNIER qui empêche totalement le spectateur de s'intéresser à son sort). Francois OZON filme des plans émouvants de Michelle regardant tendrement Vincent jouer comme un enfant avec les objets de la chambre de son petit-fils ou Marie-Claude, pourtant terriblement renfrognée et "défaitiste" de son propre aveu esquisser un sourire en la regardant danser avec Vincent dans le bar qu'il vient d'ouvrir grâce à son aide financière (alors que Valérie attend juste que sa mère meure pour faire main-basse sur ses biens). Les liens affectifs qui se tissent entre ces trois marginaux et la façon dont Lucas, le petit-fils s'y épanouit peut être perçu comme quelque peu dérangeant, d'autant que comme toujours chez ce cinéaste, l'ensemble repose sur le non-dit et l'ambiguïté. Mais Francois OZON nous fait réfléchir sur le bien et le mal à la manière d'un Maupassant dans "Aux Champs" et j'aime beaucoup cette citation tirée du film "l’important n’est pas tant de faire le mal que d’avoir voulu faire le bien". Je dirai même que le plus important, c'est que ce qui ressort de ses actes génère du bien pour soi et autour de soi. Une cure "détox" radicale qui questionne les idées reçues.

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Twin Peaks: Les sept derniers jours de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire walk with me)

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1992)

Twin Peaks: Les sept derniers jours de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire walk with me)

"Twin Peaks : Les sept derniers jours de Laura Palmer" (1992) s'ouvre sur un plan hautement significatif: une télévision démolie à coups de hache. On est donc prévenus: David LYNCH reprend les commandes de l'univers "Twin Peaks" dont il s'était désinvesti au cours de la deuxième saison de la série et qui s'était arrêtée prématurément suite aux dures lois de la production télévisuelle. En revenant au format cinéma (Mark FROST co-créateur de la série est absent du film), il a décidé de "lâcher les chiens", en opérant un tournant radical vers la noirceur et le désespoir tout en conservant voire épaississant les mystères de la série. Mais ce qui pour moi fait la puissance du film réside dans le choix de le centrer sur la descente aux enfers de Laura Palmer en la suivant lors des jours précédant sa mort. Celle qui dans la série n'était qu'un fantôme (ou un personnage "jumeau" sans identité propre, Maddy) devient un être de chair et de sang, joué avec une stupéfiante intensité par Sheryl LEE qui fait passer par tout son être une souffrance déchirante. Conjuguée à la mise en scène angoissante de David LYNCH et au jeu flippant de Ray WISE, le père de Laura, le film se transforme en un cauchemar domestique pétri de sensorialité qui donne de la puissance à des réalités dérangeantes alors maintenues sous silence. Ou presque car il y avait eu un précédent: "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée..." (1981) dont la bande originale avait été composée par David BOWIE par ailleurs idole de Christiane qui va l'écouter en concert. Or David BOWIE fait une courte mais marquante apparition dans le film de David LYNCH dans le rôle surréel d'un agent du FBI vêtu de blanc qui surgit dans le dos d'un Dale Cooper (qui on le rappelle est lui revêtu d'un costume noir) dédoublé, tenant des propos obscurs avant de retourner dans son outre-monde. Mais plutôt que Dale (joué par un Kyle MacLACHLAN en retrait suite à son ressentiment vis à vis de l'abandon de Lynch sur la série), c'est une double vie que l'on suit, celle de Laura, un être clivé, lycéenne le jour à l'apparence bien sage et au quotidien stéréotypé (avec meilleure amie, boyfriends, participation à la vie de la communauté etc.) mais s'adonnant à la débauche la nuit, celle-ci n'étant qu'un moyen d'échapper à elle-même et à un enfer pire encore, celui de sa propre maison. Jamais l'expression "home, sweet home" de l'Americain way of life ne résonne plus ironiquement que dans ce film qui fait du foyer l'épicentre de la violence. Le film de David LYNCH lève le voile ou plutôt ouvre le rideau en 1992 sur ce que notre société ne commence à regarder en face qu'aujourd'hui: un "bon père de famille" au-dessus de tout soupçons, si prévenant avec sa femme qu'il lui apporte un verre de lait le soir pour qu'elle fasse un gros dodo pour pouvoir ensuite mieux manger leur enfant (Hitchcock quand tu nous tient). Et "Bob", ce visage du mal absolu qui hante "Twin Peaks" venu tout droit de la loge noire qui s'ouvre lorsque toute-puissance patriarcale et Titan mangeur d'enfants se rencontrent de prendre le caractère du déni, celui du violeur inconnu qui lorsqu'il se dissipe confine à l'horreur pure. Car le véritable interdit n'est pas de commettre l'inceste, l'interdit, c'est d'en parler. Silencio. Cela donne à toutes les scènes dans lesquelles Laura fait semblant de mener une vie normale au milieu de soi-disant proches qui en réalité ne connaissent que son image sociale un double fond: conversation futile en surface qui met en relief les gros plans sur la détresse palpable de son visage qui pense qu'aucun ange ne viendra sauver son âme en train de se consumer. A tort. Car le film de David Lynch donne une résonance extraordinaire aux âmes torturées du père et de la fille et les recueille avec une infinie compassion qui était déjà perceptible dans la série. Le final est ainsi bouleversant lorsque Laura, enfin en paix découvre qu'elle est un ange.

Présentation de cette critique sur Facebook:

Toujours plongée jusqu'au cou dans "Twin Peaks", j'ai regardé le film qui a suivi la fin de la série en 1992 (disponible en replay sur la 5) et dont je préfère le titre en VO ("Fire walk with me") qu'en VF ("Les 7 derniers jours de Laura Palmer"). Premier constat, le temps agit bien à reculons dans "Twin Peaks" puisque les événements racontés se situent avant ceux de la série. Mais il ne s'agit pas pour autant d'une simple préquelle. Les événements soumis à la temporalité linéaire de notre monde sont sans cesse parasités par ceux de l'outre-monde, donnant lieu à des passages complètement dingues où des personnages et des entités de forme diverses (beaucoup issus de la série, certains nouveaux) apparaissent et disparaissent, brouillant les notions de passé, présent et futur. Le mot parasité convient d'autant mieux qu'il semble que l'électricité joue un rôle conducteur du passage entre les mondes via notamment l'ascenseur et la neige télévisuelle. Mais en même temps, les codes sont différents de ceux de la série: Mark Frost, son co-créateur est absent du film et la hache qui s'abat d'entrée sur la tv indique que narration et mise en scène obéiront à d'autres lois. Exit donc le cocon télévisuel qui amortissait les chocs, place à un véritable récit d'épouvante, celui de la descente aux enfers de Laura jusqu'à son assassinat faisant la jonction avec la série, dont on retrouve une partie des personnages et acteurs à l'exception notable de Lara Flynn Boyle dans le rôle de Donna, la meilleure "school friend" de Laura (je préfère ce terme à "meilleure amie" car Laura ne peut parler à personne de la réalité de sa vie ce qui créé d'ailleurs un décalage glaçant entre la futilité de façade et l'horreur sous-jacente). La sensorialité du film, sa radicalité et sa frontalité jettent une lumière crue sur le tu (j'ai pensé à l'un des maîtres-mots du cinéma de Lynch, "Silencio"): l'enfer domestique du "home sweet home", celui que dénonçait autrefois Alice Miller dans "L'enfant sous terreur" et aujourd'hui Edouard Durand dans "Protéger la mère, c'est protéger l'enfant". Puisque passé, présent et futur se confondent si bien, j'ai vu au détour d'une scène le visage de Dominique Pélicot se greffer sur celui de Leland lorsqu'il donne un verre de lait à son épouse (une allusion à "Soupçons?") avant qu'il ne laisse "Bob", le démon intérieur qui l'habite se déchaîner sur Laura dont l'âme se consume chaque jour un peu plus (bouleversante Sheryl Lee). Le sauvetage d'âmes perdues par des anges rédempteurs qui était sous-entendu dans la série devient ici explicite mais promis "on ne parlera pas de Judy"...

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Mystères à Twin Peaks (Twin Peaks)

Publié le par Rosalie210

David Lynch et Mark Frost (1990/1991)

Mystères à Twin Peaks (Twin Peaks)

La mort de David LYNCH dont j'aimais l'univers et les documentaires qui ont été diffusés à cette occasion ont été à l'origine de ma résolution de regarder enfin les deux saisons de la série "Mystère à Twin Peaks" ce que je voulais faire depuis des années comme un rendez-vous longtemps attendu et maintes fois reporté. Son visionnage a eu un impact sur mon activité onirique (parce que l'ayant regardée sur près de dix jours sans chercher à connaître la suite, j'ai eu le temps d'en rêver, littéralement et de m'en souvenir au réveil), ravivé ma mémoire du temps où j'étais téléphage, stimulé mes neurones. J'ai eu envie d'écrire ce qu'elle m'inspirait sous forme d'abécédaire concocté par mes soins n'ayant aucune prétention à l'exhaustivité. Ne les ayant pas encore regardés, il n'inclut ni le film, ni la troisième saison tournée 26 ans après.

A comme ARBRES: ils font partie des leitmotivs qui conduisent le spectateur vers une autre dimension que celle des plateaux-théâtres statiques codifiés des séries. Les plans sur leur frémissement (autant que la musique de Angelo BADALAMENTI) est un appel vers les forces obscures de la forêt qui sous-tendent toute la série selon un dualisme comparable à "Blue Velvet" (1986).

B comme BUCHE: Morceau de tronc d'arbre portatif ne quittant jamais les bras de Margaret, lui permettant de se connecter à son troisième oeil ^^.

C comme CORRUPTION: Elle est endémique dans toute la série comme une gangrène qui ressurgit même au sein d'une entité maléfique repentie ayant essayé de l'arrêter en se coupant le bras ^^.

D comme DUALITE: Elle est au coeur de la série. La ville bien nommée "Twin Peaks" est à la fois un cocon protecteur de l'american way of life et la poubelle où se déverse le refoulé du puritanisme américain (drogue, prostitution, corruption, proxénétisme etc.) Les personnages sont eux-mêmes bipolarisés, dédoublés qu'ils aillent du lumineux vers le sombre ou du sombre vers le lumineux, certains se retrouvant coincés entre leurs deux facettes opposées d'où un nombre impressionnant de chocs, traumatismes, comas et autres coups de folie dans la série.

E comme EPICURIEN: Un aspect très important de la philosophie de vie du personnage principal, Dale Cooper (Kyle MacLACHLAN). Cela commence par le petit cadeau qu'il se fait à lui-même chaque jour en savourant une gorgée de café, un beignet ou une part de tarte à la cerise (variante du livre de Philippe Delerm "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" qui a été tant cité au moment de la sortie de "Le Fabuleux destin d'Amelie Poulain" (2001)) et cela se termine plus profondément par l'absence de crainte face à la mort qu'il affronte dans un état proche des limbes au début de la saison 2: "ce n'est pas si terrible tant qu'on peut empêcher la peur d'envahir son esprit".

Attention spoiler (ne pas lire si pas vu la fin):

Cela rend d'autant plus terrible la tasse de café solidifié, imbuvable du dernier épisode dans lequel son psychisme s'écroule quand il est possédé à son tour par le mal.



F comme FRONTIERE: Twin Peaks est une ville-frontière, celle qui sépare les USA du Canada mais il s'agit d'une frontière dans de nombreux autres domaines: entre la ville et la forêt, les vivants et les morts, le rêve et la réalité, les dieux et les hommes, les cieux et les souterrains, la sagesse et la folie, le jour et la nuit.

G comme GEANT: Esprit messager qui apparaît dans les visions de Dale Cooper dans les moments critiques pour essayer de le guider.

H comme HIBOUX: Ces créatures de la nuit sont intimement liées à la forêt et aux forces obscures. Ce sont de puissants esprits messagers voire des guides spirituels. Le fait que Dale Cooper n'aime pas les oiseaux et ne sache donc pas décrypter leurs messages ("les hiboux ne sont pas ce qu'ils semblent être") agit comme un présage funeste de son destin.

I comme INNOCENCE: Quête ou état commun à de nombreux personnages et qui se manifeste de multiples manières: l'innocence de l'idiot, la tentative de se refaire une virginité en devenant bon ou en fréquentant un homme bon, le fait de retomber en enfance, la claustration volontaire pour se protéger du mal ou de la corruption. Cela peut être traité en mode comique ou tragique.

J comme Judy Garland: Le major Briggs, un des personnages les plus mystiques de la série, bien caché sous ses habits militaires comme Dale Cooper sous son costume d'enquêteur du FBI a pour prénom Garland (cela ne s'invente pas) et sous substance psychotrope croit qu'on l'appelle "Judy Garland". Mais ce qui m'a le plus touché dans la série faisant référence à l'actrice et à l'oeuvre fétiche de David LYNCH, "Le Magicien d'Oz" (1938), c'est le sauvetage par Dale Cooper de Audrey Horne, séquestrée et droguée dans le bordel "Jack n'a qu'un oeil". J'ai eu la certitude à ce moment-là qu'il s'agissait de la projection du désir de David LYNCH d'arracher Judy GARLAND adolescente à l'enfer de la drogue administrée par les corrupteurs hollywoodiens. D'ailleurs "Blue Velvet" (1986) présente un schéma similaire avec un personnage féminin prénommé Dorothy (cela ne s'invente pas non plus) qu'un jeune homme (déjà joué par Kyle MacLACHLAN) veut arracher au monde des ténèbres, prenant le risque de se faire contaminer lui aussi.

K comme Kubrick: Les moments les plus angoissants de la série m'ont ramené à mes toutes premières sensations devant la bande-annonce de "Shining" (1980). Lents travellings flippants, moquette aux motifs géométriques de la salle d'attente de la loge noire et surtout, plan cauchemardesque de "Bob" surgissant depuis l'arrière-plan du salon pour sauter à la gorge de Maddy (dont la caméra épouse le point de vue). Le sang de "Shining" sortant de l'ascenseur pour envahir le cadre m'avait fait le même effet. Il y a aussi bien sûr les esprits maléfiques en quête de possession d'êtres vulnérables à la peur et cet hôtel du grand nord qui est le théâtre d'une grande partie de l'intrigue dont on ne sait pas s'il a été construit sur un cimetière indien mais dont le terrain a été volé aux indigènes (avant que les descendants des colons ne s'entretuent ou ne s'arnaquent pour les posséder comme on le voit dans la série). Les messages extra-terrestre font penser quant à eux à "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968).

L comme LUNE: Leitmotiv de la série que l'on peut rattacher aux arbres, au monde de la nuit, forces obscures, cosmiques mais qui fait aussi figure de repère (comme les feux tricolores) dans un monde où le temps semble s'écouler de façon cyclique plutôt que linéaire. On s'aperçoit en effet que le temps ne semble pas avancer dans la série, parfois même il recule avec tous ces personnages ramenés au stade bébé-enfant-adolescent ou bien n'existe plus dans la loge où les esprits parlent à l'envers.

M comme MIROIR: Lié à la dualité. La première image de la série tout comme la dernière (de la deuxième saison) montre un personnage face à son miroir et lie ainsi les destins de Josie (personnage dévoré par le mal sous un visage d'ange) et de Dale Cooper (ange dont la tranquillité d'esprit cache une faille par où celui-ci peut pénétrer). Entre les deux, l'assassin de Laura Palmer aura eu largement le temps de nous montrer son visage diabolique de l'autre côté de ce même miroir. James Baldwin avait essayé en son temps de tendre un miroir à la société américaine WASP se mirant sous les traits de Doris DAY ou de Gary COOPER tout en projetant ses pulsions indésirables sur les afro-américains.

N comme NAIN: Celui qui danse dans les rêves et visions de Dale Cooper s'avère être un esprit de la loge. Un Munchkin échappé de "Le Magicien d'Oz" (1938)? Eux aussi comme Judy GARLAND avaient leur propre dualité: personnages merveilleux dans la fiction, acteurs infernaux en réalité comme le révèle notamment le documentaire "Lynch/Oz" (2022), sans doute pour se venger de leur infériorisation (notamment salariale).

O comme OTNI: objet télévisuel non identifié. "Twin Peaks" est à l'image de son contenu, une série duale. D'un côté, elle se rattache à des genres bien identifiables pour les spectateurs de télévision afin qu'ils mordent à l'hameçon comme le polar ou le soap opéra. Je me suis ainsi souvenue d'un rebondissement identique que j'avais vu dans "Santa Barbara" (1984), un personnage féminin soi-disant mort mais revenant sous un déguisement et une fausse identité. De l'autre, elle les déglingue afin d'essayer de les entraîner en territoire inconnu. Ainsi les personnages sont à la fois stéréotypés et décalés puisqu'ils ont tous des manies ou des infirmités qui les rendent tantôt drôles, tantôt mystérieux et parfois terrifiants quand on découvre "la face cachée de la lune".

P comme PEUR: La porte d'entrée du mal dans l'esprit humain. Cela m'a fait penser à "La peur dévore l'âme", la pièce de Rainer Werner FASSBINDER qui a servi de base au scénario de "Tous les autres s'appellent Ali" (1973) où cette phrase est prononcée par le personnage principal.

Q comme QUALITE: Alors que la saison 1 et les premiers épisodes de la saison 2 sont d'une qualité exceptionnelle, la série connaît ensuite un véritable trou d'air avant la claque que représente le dernier épisode. Le critique Victor Inisan explique cette brusque baisse de qualité par l'effacement de David LYNCH de la mise en scène après avoir cédé aux demandes du public et aux pressions de la chaîne qui diffusait la série en révélant le nom de l'assassin dès le 14ème épisode. On touche du doigt la contradiction inhérente à la culture télévisuelle grand public: celle-ci réclame du plaisir immédiat alors que les dimensions plus subtiles et plus profondes prennent du temps avant d'être comprises et appréciées à leur juste valeur. Et "Twin Peaks" est une série qui se caractérise par sa lenteur justement. Heureusement, David LYNCH est revenu pour réaliser le dernier épisode de la saison 2, un coup d'éclat vis à vis de tous ceux qui ne voulaient voir en "Twin Peaks" qu'une simple série policière ou un soap opera.

R comme RIDEAUX: Les rideaux sont la forêt de l'âme et m'ont fait penser à mon peintre préféré, René Magritte. Les rideaux rouges de "Twin Peaks" cachent ainsi bien autre chose qu'une scène de théâtre et ce même si "Twin Peaks" comporte sa/ses séquences scéniques chantées et/ou dansées.

S comme SATURNE: Le portail de la loge noire s'ouvre lorsque Saturne entre en conjonction avec Jupiter. Logique, ce sont deux planètes portant des noms de divinités romaines symbolisant "le mal que les hommes font". Jupiter symbolise la toute-puissance patriarcale alors que Saturne est la romanisation de Cronos, le Dieu qui a mangé ses propres enfants. "Twin Peaks" est une série révolutionnaire en ce qu'elle se place du point de vue des gens qui souffrent avec une forte empathie pour les femmes et des jeunes filles dont Laura Palmer est la quintessence ainsi que pour les hommes exprimant leur masculinité d'une manière autre que prédatrice. Quant aux prédateurs, ils sont à un moment ou à un autre frappés par le destin et ramenés à leur condition première d'être en souffrance.

T comme TIBET: Un autre aspect très important de la philosophie de vie de Dale Cooper est sa fascination pour le bouddhisme tibétain. Elle m'a ramené à mon premier contact avec cette spiritualité, "Tintin au Tibet" qui m'avait fasciné et dont toute l'enquête est fondée sur un rêve/une vision qui confine à la télépathie ou au chamanisme. Si "Tintin" est la seule BD franco-belge à laquelle j'ai accroché dans mon enfance, c'était notamment à cause de l'amitié entre Tintin/Hergé et Tchang qui l'ouvrait sur d'autres horizons qui allaient bien au-delà du simple feuilleton d'aventures exotiques.

U comme UNIVERS: "Twin Peaks" est un univers complet et cohérent qui brasse diverses mythologies allant de la légende arthurienne au seigneur des anneaux.

V comme VENUS: Les statues de Vénus de la loge noire peuvent représenter les femmes objets de désirs et pétrifiées par la mort par opposition aux planètes symboles de masculinité toxique qui l'ouvrent et aux esprits maléfiques qui la peuplent.

W comme WEST SIDE STORY: "Twin Peaks" est traversé de références au cinéma américain et particulièrement à la comédie musicale, bien que le terme convienne mal à "West Side Story" (1960) qui est un drame. Deux acteurs de "Twin Peaks" proviennent du film de Robert WISE et Jerome ROBBINS: Richard BEYMER alias Tony qui joue le rôle de Benjamin Horne, un homme d'affaires peu recommandable de prime abord et Russ TAMBLYN alias Riff, le meilleur ami de Tony qui joue le docteur Jacoby, un psychiatre complètement perché qui lors d'un moment savoureux vient tenter de soigner la régression au stade infantile de Benjamin Horne.

X comme X-FILES: Parce que Si "Twin Peaks" a absorbé de multiples références, elle est à son tour devenue une source d'inspiration pour d'autres, à commencer par "X-Files". Les agents Scully et Mulder sont des émanations de Dale Cooper et du major Briggs. La filiation est présente jusque dans le casting. David DUCHOVNY joue un rôle savoureux dans "Twin Peaks" alors que Don DAVIS alias le major Briggs joue de façon très logique le père de Dana Scully (Gillian ANDERSON).

Y comme YIN/YANG: Parce que l'univers de "Twin Peaks" est basé sur un savant équilibre entre les dualités qui régissent l'univers et que celles-ci donnent lieu parfois à de savoureux rebondissements. Par exemple lorsqu'un nouveau personnage de prédateur/gangster/mâle alpha apparaît tel que Jean Renault qui veut détruire Dale Cooper survient dans le même épisode Denise Bryson (alias David DUCHOVNY) agent du FBI transgenre qui vient enquêter sur les accusations contre Dale Cooper et qui est évidemment l'antidote à Jean Renault. Cependant dans le tout dernier épisode, ce principe d'équilibre se rompt.

Z comme ZEMECKIS: Il y a une parenté évidente entre les deux cinéastes, mise en valeur par le documentaire "Lynch/Oz" (2022). "Twin Peaks" ressemble au "Hill Valley" des années cinquante du premier "Retour vers le futur" (1985). Cet aspect vintage se retrouve dans les lieux, les personnages, les situations et même les programmes TV! Cependant si Robert ZEMECKIS est critique vis à vis de ce prétendu âge d'or de l'American way of life dont il montre les travers (la psychose nucléaire par exemple) et les promesses non tenues, David LYNCH est carrément horrifique, faisant surgir des coins les plus sombres les pires monstres. Autre point commun, l'attirance pour les outre-mondes. Le major Briggs à l'écoute des messages extra-terrestre m'a fait penser au personnage de Jodie FOSTER dans "Contact". (1997)

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Drôle de couple (The Odd Couple)

Publié le par Rosalie210

Gene Saks (1968)

Drôle de couple (The Odd Couple)

Jack LEMMON et Walter MATTHAU ont tourné dix films ensemble dont trois sous la direction de Billy WILDER. En 2001, le New-York Times a souligné qu'ils avaient formé l'un des couples de cinéma les plus réussis d'Hollywood, sans doute le meilleur duo comique depuis Laurel et Hardy. Ils ont contribué à façonner le genre du buddy movie: une camaraderie entre deux hommes aux tempéraments opposés qui s'adorent mais se querellent tout le temps. C'est exactement la recette de "Drôle de couple" qui ne fait pas mystère avec un tel titre de son sujet. Cela a été souligné, c'est l'adaptation d'une pièce de théâtre et même s'il y a des réparties amusantes et pleines d'esprit, Gene SAKS n'est pas aussi inspiré au niveau de la mise en scène que Billy WILDER dans "Speciale premiere" (1974) tiré également d'un succès de Broadway. Le démarrage du film est laborieux là où il aurait fallu une entame incisive et la mise en scène est trop plan-plan. La mécanique comique fonctionne néanmoins grâce à l'alchimie parfaite entre les deux acteurs dont les personnages ont les pires difficultés à cohabiter dans le même appartement, l'un étant négligeant, bordélique et goguenard et l'autre pleurnichard, angoissé et fée du logis maniaque. Cerise sur le gâteau, alors que les buddies movies glorifient l'amitié virile et laissent les femmes en hors-champ, la scène avec les soeurs Pigeon (Carole SHELLEY et Monica EVANS) est sans doute l'une des plus drôles du film, celles-ci déjouant les codes de la séduction pour partir dans des directions inattendues.

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