Le vampire noir (El vampiro negro)
Roman Vinoly Barreto (1953)
Un Buenos Aires filmé dans superbe un noir et blanc expressionniste, un tueur de petites filles aux faux airs de Peter LORRE qui sifflote l'air de "Peer Gynt", un aveugle qui le reconnaît et lance toute la faune des bas-fonds à ses trousses, tout semble désigner "Le vampire noir" comme étant le remake argentin de "M le Maudit" (1931), peu de temps après celui qu'avait proposé Joseph LOSEY, "M" qui transposait l'intrigue aux Etats-Unis.
Ce serait cependant réducteur. Le film, rempli de trouvailles formelles très réussies qui le rapproche de celles de "Le Troisieme homme" (1948) remonte jusqu'aux faits réels d'origine ce qu'indique le titre qui fait référence au surnom qui avait été donné au tueur, Peter Kürten, "le vampire de Düsseldorf". Fritz LANG en avait tiré une métaphore saisissante de la montée du nazisme en Allemagne. Roman Vinoly Barreto reprend l'idée pour faire du bourreau le reflet des tares cachées de son pays. Comme dans "Que la bete meure" (1952) réalisé un an avant, "Le vampire noir" fait la part belle à l'inconscient, qu'il soit individuel ou collectif. La figure de la spirale et celle du souterrain y sont centrales suggérant le vertige et la chute. A la différence du film de Lang, l'assassin est moins victime de pulsions incontrôlables que d'une société qui le rejette et le condamne. Le générique de début et celui de fin qui montrent sa silhouette écrasée par le décor gigantesque d'une cour de justice se passent de commentaire. A chacun de ses crimes, la police soupçonne un innocent qui est en réalité coupable de déviance par rapport aux normes sociales et morales de la société argentine. Et puis surtout, le portrait du professeur se double de celui, tout aussi remarquable de la femme qui l'a vu agir. Une mère célibataire travaillant la nuit dans un cabaret pour élever sa petite fille qui provoque chez le procureur en apparence très droit dans ses bottes un comportement très ambivalent pour ne pas dire détestable. Son épouse estropiée et immobilisée ajoute au malaise général que le film suscite. Olga ZUBARRY dans le rôle de la chanteuse et Nathan PINZON dans celui de l'assassin sont excellents.