Autant j'ai eu mainte fois l'occasion de souligner la qualité des productions BBC récentes, notamment dans le domaine de l'adaptation littéraire, autant celles du passé sont une "terra incognita". Et pour cause, nombre d'archives radiophoniques et télévisuelles ont disparu parce que notamment dans les années 60 et 70, il était coûteux de les conserver. Les supports d'enregistrements étaient le plus souvent recyclés ou détruits. L'avènement du numérique (et avant lui des moyens de lecture et de commercialisation tels que la VHS et le DVD) ont bouleversé ces paramètres à partir des années 80. La survie de l'intégralité de cette version du roman d'Alexandre Dumas, la seule produite par la BBC que l'on crut longtemps perdue et qui date du milieu des années 60 est donc en soi un petit miracle.
Les contraintes (notamment budgétaires) inhérentes à ce type de production pèsent évidemment sur la réalisation qui privilégie les séquences dialoguées en gros plan. Les personnages vieillissent peu ou pas du tout et les différents masques du comte sont purement et simplement abandonnés. C'est le banquier Thomson de la maison Thomson et French de Rome qui apparaît en personne par exemple dans la plupart des scènes en lieu et place de "Lord Wildmore", l'avatar anglais de Edmond Dantès. Il faut donc invoquer le pouvoir de la fiction pour expliquer que Caderousse ne reconnaisse pas Edmond qui lui apparaît tel qu'il était quatorze ans plus tôt mais revêtu d'une soutane. Le charismatique Alan Badel qui l'interprète a d'ailleurs comme la plupart des comédiens une quarantaine d'années et s'appuie seulement sur son jeu d'acteur pour dépeindre le jeune et naïf Edmond d'avant son arrestation.
L'adaptation par Anthony Steven est cependant d'une grande fidélité au roman d'Alexandre Dumas. Celui-ci est définitivement mieux fait pour la mini-série que pour le cinéma. Quelques personnages sont certes supprimés comme Noirtier, Franz d'Epinay, Edouard de Villefort et le père de Dantès, quelques sous-intrigues passent également à la trappe comme ce qui touche à Caderousse une fois le diamant en poche ou l'empoisonnement de la famille Saint-Méran par Mme de Villefort mais rien de fondamental. Il y a en revanche une véritable volonté de mettre en valeur les aspects les plus audacieux du roman. C'est particulièrement frappant en ce qui concerne le personnage féministe et lesbien d'Eugénie Danglars dont le franc-parler et le refus de jouer le jeu du théâtre social frappent Monte-Cristo au point que dans le roman, il lui fournira de faux papiers pour l'aider à se faire passer pour un homme et s'enfuir. Dans la série, on la voit échafauder son plan d'évasion allongée sur un lit en compagnie de Louise d'Armilly: l'allusion bien que chaste à leur relation est transparente. Il en va de même pour Haydée qui affirme très clairement son amour passionnel et charnel pour le comte, lequel finit par l'accepter, conformément à la fin du roman.
Mae WEST était une personnalité hors-norme. Une femme puissante doublée d'une bombe sexuelle qui sut utiliser le scandale à son avantage pour électriser la scène de Broadway et le cinéma américain pré-code tant par son physique plantureux, sa démarche chaloupée, son accent de Brooklyn, ses regards équivoques tout comme ses dialogues remplis de doubles-sens. Scénariste, productrice, actrice, découvreuse de talents (elle imposa notamment Cary GRANT), Mae WEST était issue du burlesque, entre revue et music-hall grivois avec des femmes peu vêtues. Elle écrivit des pièces pour Broadway telles que "Sex" en 1926 sur les rapports entre sexe et argent et "The Drag" en 1927 avec des travestis de Greenwich village. Cet avant-gardisme qui lui valu de faire un petit séjour en prison pour outrage mais qui lui fit aussi une énorme publicité se retrouve bien évidemment lors de son basculement vers le grand écran: "La vertu, c'est louable mais ça ne remplit pas les caisses des cinémas". On l'y voit jouant les vamps salaces jusqu'à ce que le code Hays en 1934 l'oblige à ruser avec le système puis à se réinventer dans des shows culturistes à Las Vegas. Si l'on ajoute qu'elle mit en avant autant qu'elle le put les talents de la communauté afro-américaine, on voit se dessiner un portrait d'une grande cohérence. Celui d'une femme capable de déjouer toutes les entraves pour imposer sa vision du monde, celui dessiné par des femmes fortes et libres, assumant leurs formes et leurs désirs et complices des minorités invisibilisées et opprimées.
"Macadam à deux voies" est un road-movie qui s'inscrit dans la mouvance de la contre-culture de la fin des années 60 et du début des années 70. Un terme à prendre aussi au sens littéral. Comme son immédiat prédécesseur "Easy Rider" (1969), les personnages font la route en sens inverse des pionniers, de l'ouest vers l'est, de Los Angeles à un hypothétique Chicago, New-York ou Miami, horizon qu'ils n'atteindront jamais. Plutôt que de faire, il s'agit de défaire, plutôt que de progresser, il s'agit de faire le vide. Le nihilisme de ce film, son caractère expérimental confinant à l'abstraction explique sans doute aussi bien son échec à sa sortie que son statut de film culte aujourd'hui. Nihilisme et abstraction dans la caractérisation de personnages privés d'identité: ils sont "le chauffeur", "le mécanicien", "la fille", "GTO". Tous sont privés d'attaches comme d'histoire. Chauffeur et mécanicien parlent peu et seulement de problèmes techniques liés à leur voiture, une Chevrolet trafiquée. La fille tout aussi peu causante semble être une zonarde paumée errant sans but et sans limites d'un véhicule et d'un homme à l'autre. Seul GTO, le conducteur de la Pontiac est bavard mais c'est un pur mythomane. Warren OATES est d'ailleurs le seul véritable acteur parmi les protagonistes principaux, incarnés par des musiciens (James TAYLOR et Dennis Wilson). Bref le spectateur n'a rien à quoi se raccrocher d'autant que ces personnages semblent également dénués d'affects, de réflexion comme de motivations. Soi-disant concurrents, ils déjouent complètement le scénario de la course-poursuite entre leurs deux véhicules, prenant tout leur temps, discutant, échangeant leurs places à bord, s'entraidant. Il en va de même des autres péripéties qui pourraient émerger comme la rivalité amoureuse, la confrontation avec les flics ou avec les rednecks du coin: celles-ci sont systématiquement désamorcées. Cette impuissance à produire un quelconque récit qui fasse sens tout comme à s'ancrer quelque part s'achève dans un geste radical d'autodestruction qui laisse pantois.
L'influence européenne a été souvent soulignée à propos de ce film "méta-physique", notamment celle du théâtre de l'absurde à la Beckett mais personnellement, j'ai reconnu également certains leitmotivs du cinéma de Wim WENDERS. Celui du voyage immobile déconstruisant le "Bildungsroman" ("Faux mouvement") (1975) ou encore celui du non-sens de la vie, résumé par le monologue que Marion prononce devant Damiel dans "Les Ailes du désir" (1987): "Quand j'étais avec quelqu'un, j'étais souvent heureuse mais en même temps, je prenais tout pour des hasards. Ces gens étaient mes parents, mais d'autres aussi auraient pu l'être. Pourquoi ce garçon aux yeux marrons était-il mon frère plutôt que les garçons aux yeux verts que je voyais passer sur le quai d'en face? La fille du chauffeur de taxi était mon amie et de la même façon j'aurais aussi bien pu entourer de mes bras la tête d'un cheval. J'étais avec un homme, amoureuse de lui. Et j'aurais aussi bien pu le planter là et poursuivre ma route avec cet inconnu que nous venions de croiser dans la rue." La présence fugace de Harry Dean STANTON dans le rôle de l'un des auto-stoppeurs embarqués par GTO renforce cette impression.
Film puissant, "Il Bidone" s'inscrit dans le prolongement des deux oeuvres précédentes de Federico FELLINI, "Les Vitelloni" (1953) et "La Strada" (1954). Du premier, il reprend le principe du film de bande, portraiturant à nouveau un groupe de minables vivant aux crochets des autres, sauf qu'au lieu d'êtres des oisifs, ce sont des escrocs. Parmi eux, on reconnaît Franco FABRIZI, séducteur dans "Les Vitelloni", gigolo dans "Il Bidone". Du second, outre la présence de Giulietta MASINA qui apporte l'une des seules sources d'espoir du film, celui-ci révèle le même tournant métaphysique dans sa dernière ligne droite, celui d'un homme qui a refusé la grâce et se retrouve banni du monde des hommes et du royaume de Dieu, pleurant ou agonisant dans un paysage désertique. "Il Bidone" est cependant plus sombre que les deux autres films et se caractérise par d'importantes ruptures de ton et même de genre. La vilénie humaine est d'abord traitée sur le mode de la bouffonnerie avec la description des escroqueries du trio formé par Augusto, Picasso et Roberto qui abusent de la crédulité des plus faibles, se déguisant tantôt en ecclésiastiques pour gruger les paysans et tantôt en fonctionnaires pour arnaquer les demandeurs de logements sociaux vivant dans les bidonvilles. Néanmoins, lorsque surgit Rinaldo, ancien associé d'Augusto qui a réussi dans la vie commence à percer chez ce dernier un abattement, une lassitude qui le détache des deux autres que l'on peut considérer comme des avatars possibles d'Augusto lui-même quand il était jeune (une version candide et l'autre au contraire totalement cynique). Augusto ne cesse en effet de souligner son âge, 48 ans comme si c'était "trop tard", d'autant qu'il en fait en réalité presque vingt ans de plus. Le film va alors peu à peu se resserrer sur lui et lui faire emprunter un véritable chemin de croix, alors même qu'il bascule du néoréalisme vers quelque chose de beaucoup plus existentiel. La rencontre avec sa fille, âgée de 17 ans et qu'il n'a pas élevée lui-même s'avère déterminante. Celle-ci est sur le point de faire un choix quant à son avenir, choix marqué par la gêne financière. Augusto qui vit hors de la réalité est alors paradoxalement ramené sur terre par cette figure de pureté morale qui revient le hanter sous la forme d'une petite paysanne infirme. Mais il refuse de renoncer à l'argent facile et rejette la main tendue de cette incarnation de la grâce. Son châtiment (divin?) sera terrible mais Federico FELLINI le filme jusqu'au bout comme un homme qui souffre, un homme qui doute, un homme ambivalent ayant fait les mauvais choix mais aspirant toujours à rejoindre l'humanité. Sans doute parce Augusto est une part de la personne qu'aurait pu devenir Federico FELLINI, lui qui avait échappé de justesse à ce type de destin, à l'image de Moraldo dans les Vitelloni sous l'influence d'un "Guido" ce qui l'a rendu apte à comprendre aussi bien les "Vitelloni" que les "Bidoni".
Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière (2024)
Chaque génération ou presque voit déferler sur les écrans, petits ou grands son adaptation des grands classiques de Alexandre Dumas. Après avoir signé le scénario des deux volets sortis à ce jour de "Les Trois Mousquetaires" (2023) réalisés par Martin BOURBOULON, Mathieu DELAPORTE et Alexandre de la PATELLIERE se sont lancés dans l'adaptation et la réalisation d'une nouvelle version de l'autre best-seller de Alexandre Dumas, "Le Comte de Monte-Cristo". Le père d'Alexandre, Denys de LA PATELLIERE avait lui-même réalisé une version du roman à la fin des années 70 sous forme de mini-série avec une grande fidélité à l'oeuvre d'origine. Ce n'est pas le cas de cette version modernisée qui sacrifie la profondeur à l'efficacité dramatique. Chaque époque a ses références. Il est assez clair que les réalisateurs ont voulu tirer le roman de Alexandre Dumas du côté du film de super-héros avec les transformations physiques de Edmond Dantès qui ne cesse de changer de masque et une panoplie gothique à faire pâlir de jalousie Batman, le tout fusionné avec l'esthétique romantique du premier tiers du XIX° siècle (et une allusion aux Templiers qui en jette même si on se demande ce qu'elle vient faire là). Mais le théâtre social que répètent à longueur de temps Dantès et ses deux protégés en reste au niveau du marivaudage sentimental et des secrets de famille avec petit clin d'oeil aux sujets du moment (l'homosexualité de Eugénie Danglars, personnage d'ordinaire absent des adaptations tout comme son père est soulignée). La dimension politique, sociale et même psychologique du roman de Dumas passe à la trappe et avec elle une bonne part du sens de cette oeuvre. En dépit des dates qui s'affichent à l'écran, l'histoire semble se dérouler sur quelques mois et non sur vingt ans, les personnages portent le même nom d'un bout à l'autre et ne changent donc pas de statut social, ils évoluent la plupart du temps dans des pièces vides et en dehors des cent jours (et encore), tous les événements historiques sont effacés. Le personnage du parvenu nouveau riche qui est au centre du roman de Dumas avec notamment les intrigues autour des titres, de l'héritage et des alliances matrimoniales n'existe plus. L'exemple le plus frappant de cette opération de neutralisation et de lissage s'opère sur le personnage de Andrea Cavalcanti, une crapule transformée en faux prince pour mieux gruger les ennemis de Dantès. Dans le film il devient un jeune homme vertueux que Dantès élève comme son fils. Et bien sûr histoire de ne pas choquer les bonnes moeurs, Haydée tombe amoureuse d'Albert ce qui est totalement invraisemblable étant donné que celui-ci est le fils de l'homme qui a trahi et fait tuer son père et les a vendues elle et sa mère comme esclaves. Cette superficialité destinée à ratisser large sans faire de vagues (qui vaut aussi pour la mise en scène et la musique) est d'autant plus dommageable que Pierre NINEY est quant à lui excellent dans le rôle principal.
"La nouvelle Eve" m'avait laissé le souvenir d'un vaste bordel sentimental charrié par l'héroïne mais j'avais complètement oublié qu'il existait deux camps dans le film. Celui des Camille libérées et paumées et celui des couples petits-bourgeois étriqués qui en prennent pour leur grade, que ce soit celui du frère rabat-joie de Camille (Laurent LUCAS) ou celui d'Alexis (Pierre-Loup RAJOT) flanquée d'une tour de contrôle jouée par Catherine FROT. Ce genre de petit couple conformiste, on en connaît tous (normal puisque le conformisme est fait pour se dupliquer) et le moule social que cherche à dénoncer Catherine CORSINI est si fort qu'il contamine jusqu'aux amies lesbiennes de Camille. De ce point de vue là, le film voit juste, il faut dire qu'il a été réalisé à l'époque de la mise en place du PACS et précède d'une quinzaine d'années le mariage pour tous. Le PS comme réceptacle des notables (la "gauche caviar") est également dénoncée avec justesse étant donnée que l'on sait aujourd'hui que cela a fini par tuer le parti. Ce sont ces normes sociales étouffantes qui étaient déjà dénoncées dans les années 70 dans des films tels que "Cousin cousine" (1975) que rejette Camille (Karin VIARD). Celle-ci apparaît comme la précurseure de personnages tels que celui de Christina dans "Vicky Cristina Barcelona" (2007) qui sait ce qu'elle ne veut pas mais ne sait pas ce qu'elle veut ou encore de Bahia dans "Le Nom des gens" (2010) dont les méthodes de conversion aux idéaux de gauche sont peu orthodoxes. Bref, c'est frais, pétillant, impulsif, parfois franchement loufoque (Camille boit plus que de raison, se trompe de soirée, saute sur le premier inconnu ou branche la première inconnue qui passe, se cogne aux murs, balance cash ses quatre vérités dans les situations les plus incongrues) mais ça ne mène nulle part. Sous son vernis d'éternelle adolescente adepte d'un romantisme rock and roll Camille est même le prototype d'une autre forme de conformisme social, un pur produit du boboïsme parisien individualiste adepte des soirées branchouilles, plus attirée par l'adultère avec quelqu'un de sa classe sociale (un pote à son frère) qu'une relation avec son déménageur-camionneur (en plus joué par le charismatique Sergi LOPEZ que j'ai découvert à l'occasion de ce film). Pas très transgressif tout ça au final. Il y a mieux comme modèle de rébellion et elle n'a pas de ce point de vue là inventé l'eau chaude, de même que Catherine CORSINI ne possède ni l'élégance d'un Ernst LUBITSCH, ni le sens du rythme et l'humanisme d'un Howard HAWKS.
Ils sont 12 comme les apôtres du Christ, 12 candidats au suicide, prêts à mourir en martyrs de la grande Alliance contre le nazisme. Ils vont jusqu'à communier la veille de leur sacrifice en une scène de repas qui rappelle la Cène. Ces références spirituelles contrastent cependant violemment avec les objectifs guerriers, les méthodes employées et la nature des recrues, un ramassis de crapules condamnées à mort ou à de lourdes peines et qui sous la houlette d'un officier lui-même fâché avec les règlements (Lee MARVIN) va se transformer en commando opérationnel. Cet échantillon d'humanité majoritairement composé d'idiots et de psychopathes que le major Reisman doit mater et souder à la fois tourne en dérision l'armée et ses chefs, aussi malmenés que chez Stanley KUBRICK. Et en même temps se fait jour aussi un certain réalisme. La démythification de l'héroïsme patriotique permet d'évoquer l'anomie des périodes de guerre où des prisonniers de droit commun ont pu servir de supplétifs aux armées régulières. Le cas le plus connu étant celui des Kapos chargés par les nazis d'encadrer la main d'oeuvre des camps de concentration. Mais surtout, le film est une charge virulente contre l'Amérique WASP. L'un des salopards est un afro-américain qui a tué pour ne pas être lynché mais le motif de légitime défense lui a été refusé ce qui sous-entend une partialité de la justice américaine. Surtout, les acteurs choisis pour les rôles des salopards étaient eux-mêmes pour la plupart d'origine étrangère et cantonnés à des rôles d'arrière-plan, voire même pour certains, débutants (Jim Brown était footballeur, Trini López chanteur). Tous n'ont pas tirés profit d'être ainsi projetés dans la lumière, mais pour certains, le film a été un tremplin. C'est particulièrement vrai pour Charles BRONSON qui a enchaîné ensuite avec le rôle qui l'a immortalisé, celui d'Harmonica dans "Il etait une fois dans l'Ouest" (1968). Il est assez jouissif d'ailleurs dans le film de voir le major Reisman contraint de s'appuyer sur lui lors de leur opération d'infiltration du château nazi, le personnage de Charles BRONSON étant le seul à parler allemand (je soupçonne Quentin TARANTINO d'avoir repris cette idée comme d'autres dans "Inglourious Basterds") (2009). Autre exemple, John CASSAVETES dont la carrière d'acteur servait à financer ses projets de films indépendants, en l'occurence à cette époque "Faces" (1968). Enfin, on peut citer dans le rôle du pire de tous les salopards Telly SAVALAS qui n'était pas encore devenu l'inspecteur Kojak et dans celui de l'idiot du village, le canadien Donald SUTHERLAND qui allait voir ensuite sa carrière décoller dans les années 70.
Le premier "Terminator" était déjà une réussite qui allait bien-au delà de son genre initial de blockbuster d'action et de science-fiction pour proposer un récit à la résonance universelle plongeant dans les grandes angoisses collectives de l'humanité. James CAMERON a élaboré une suite qui reprend le même canevas mais en change les paramètres. Le canevas, rappelons-le, c'est le syndrome de Frankenstein de la créature qui se retourne contre son créateur, le paradoxe du grand-père consistant à remonter le temps pour éliminer à la racine une engeance ennemie et le paradoxe de l'écrivain consistant également à remonter le temps pour expliquer à une personne des actes ou des événements qu'elle n'a pas encore commis ou connus. James CAMERON élargit ce concept dans son deuxième film qui forme une boucle temporelle avec le premier. En effet on y découvre que ce sont les restes du robot T-800 détruits par Sarah Connor (Linda HAMILTON) à la fin du premier Terminator qui ont servi de base à la mise au point de l'IA ayant déclenché l'apocalypse nucléaire, puis la guerre des machines contre la résistance humaine. Par conséquent cet effet de boucle temporelle ne peut qu'entraîner la répétition du même schéma de transposition d'une guerre du futur dans le passé: l'envoi d'un second Terminator plus élaboré que le premier (un T-1000) pour détruire John Connor avant qu'il ne devienne adulte et par effet miroir, d'un protecteur chargé de contrecarrer ses desseins par John Connor lui-même. La différence avec le premier film, c'est qu'au lieu d'envoyer son propre père, John Connor envoie un robot, plus précisément le T-800 reprogrammé. Ce qui s'avère être un coup de maître, tant sur le plan scénaristique que sur le plan humain. Sur le plan scénaristique car le T-800 n'est pas seulement chargé d'éliminer le T-1000, il a également pour mission de détruire toute trace de son passage, tant dans le premier film que dans le second, bref de s'anéantir lui-même. Une problématique que traitait également la saga "Retour vers le futur" aboutissant logiquement à la destruction de la DeLorean. Mais James CAMERON nimbe ce scénario d'humanité. Le T-800 reprogrammé dans une mission d'autodestruction mais aussi de protection peut de son propre aveu évoluer au contact des humains -ce que permet sa nature de cyborg- et plus le film avance, plus il gagne en humanité au contact de John enfant (Edward FURLONG). Leurs dialogues se rapprochent de nombre d'oeuvres où les robots se posent des questions sur leur propre nature. Et à l'inverse Sarah Connor remarque qu'il représente un père de substitution plus efficace que tous les humains à qui elle a tenté de donner ce rôle: troublant. Pour Arnold SCHWARZENEGGER, c'est l'occasion d'endosser un rôle de personnage positif (même si habilement le doute plane un certain temps sur son rôle exact), émouvant et drôle avec des répliques devenues cultes comme le "hasta la vista baby". Enfin on ne peut pas évoquer cet opus sans parler de la performance technologique incroyable attachée au T-1000 (Robert PATRICK). Incroyable parce qu'au service encore une fois du récit et complètement en harmonie avec l'univers cameronien. Le T-1000 fait de métal liquide et qui ressemble à l'état brut à une boule de mercure est un incroyable métamorphe qui peut changer de forme comme d'état (solide ou liquide) à sa guise. Seules les températures extrêmes peuvent avoir raison de lui et encore, à condition de l'y maintenir. L'obsession cameronienne pour l'eau trouve dans ce film l'une de ses expressions les plus achevées et les plus marquantes.
Le couple de cinéma formé par James STEWART et Kim NOVAK est entré au panthéon du cinéma en 1958 avec le "Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK. La même année, ils tournaient "L'Adorable voisine" de Richard QUINE dans un registre beaucoup plus léger, celui d'une comédie fantastique. Le film aurait paraît-il inspiré la série "Ma sorciere bien-aimee" (1964). On y retrouve le James STEWART tendre et naïf des comédies de Frank CAPRA et Ernst LUBITSCH mais avec vingt ans de plus. Comme le film est adapté d'une pièce de théâtre et se déroule en grande partie dans une boutique, il m'a fait notamment penser à "The Shop Around the Corner" (1939). Face à lui, une Kim NOVAK magnifiquement photographiée et aussi envoûtante que dans le film de Alfred HITCHCOCK. A ceci près que c'est elle qui mène la danse en jetant son dévolu sur son voisin. Non par amour mais par désir d'avoir une aventure. Le terme de "féline" la concernant s'impose plus que jamais, elle qui jette des sorts en s'appuyant sur son compagnon à quatre pattes. Le comique provient de l'effet de ses manipulations sur le personnage joué par James STEWART qui ne sait plus ou il en est. Quelques adjuvants efficaces dont un tout jeune et déjà désopilant Jack LEMMON viennent renforcer l'effet produit. Mais chassez le naturel, il revient au galop, elle va bien évidemment tomber amoureuse et devoir choisir entre lui et ses pouvoirs ce qui est un pur reflet du puritanisme américain. Le film a donc une conclusion parfaitement convenue qui anéantit la (très relative) force subversive qu'il pouvait avoir en renversant temporairement les rôles. "L'Adorable voisine" est donc au final une comédie sympathique mais inoffensive.
A noter la présence étonnante de Philippe CLAY, chantant dans la boîte de jazz fréquentée par la confrérie sorcière ainsi que Elsa LANCHESTER, la fiancée de Frankenstein, dans le rôle de la tante Queenie.
"La Mariée était en noir" est le "Pas de printemps pour Marnie" de François Truffaut, son héroïne changeant d'identité, de costume et de couleur de cheveux à chaque nouvelle étape de son parcours, le tout sur la musique de Bernard Herrmann. Cependant au lieu de voler, Julie (Jeanne Moreau) tue un par un les hommes responsables de son malheur (joués respectivement par Claude Rich, Michel Bouquet, Michel Lonsdale, Charles Denner et Daniel Boulanger). Il s'agit donc d'une vengeance dont les ressemblances avec le "Kill Bill" de Quentin Tarantino (qui pourtant a juré ne pas connaître le film de Truffaut, ce dont je doute) sont nombreuses: tenue d'une liste dont les noms sont rayés au fur et à mesure que la vengeance s'accomplit, coupables formant un groupe dont le nombre est identique, construction d'une histoire et d'un mode opératoire différent à chaque nouveau crime et surtout, meurtre initial le jour des noces de la Mariée (c'est d'ailleurs son surnom dans les deux films de Tarantino) en pleine église. Cependant l'héroïne de Truffaut est moins un personnage qu'une simple pulsion de mort agissant sous des atours divers. C'est une image, un fantasme obsessionnel, celui de la femme fatale projeté sur les toiles et les murs de l'atelier de Fergus, l'un des cinq coupables qui en jouant les Pygmalion semble être comme un double du réalisateur. Inutile de préciser que dans cette configuration, il n'existe aucun espace permettant à Julie d'exister par elle-même. D'une certaine manière, elle n'est pas plus humaine que le Terminator de James Cameron, ne déviant jamais de son objectif, quitte à y laisser sa liberté et sa vie. Cet aspect programmatique rend le film bien trop prévisible dans son déroulement.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)