Le mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun)
Rainer Werner Fassbinder (1979)
"Le mariage de Maria Braun" est l'un des films les plus célèbres de Rainer Werner Fassbinder. Il s'inscrit dans une trilogie de films sur l'histoire de son pays entre la fin des années 70 et le début des années 80 cherchant le juste équilibre entre distance critique (la raison) et mélodrame (l'émotion). C'est notamment frappant dans la mise en scène qui multiplie les barrières qu'elles soient visuelles avec des sur cadrages (murs, portes, fenêtres, mots du générique qui recouvrent l'écran, cloisons à la gare, dans le train, au bureau) ou sonores (bruits agressifs et parasites, radio invasive qui couvre à moitié les propos des personnages) avec un jeu sur le premier plan et l'arrière-plan.
De fait, le film à l'image de son héroïne puissante et entravée à la fois est rempli d'ambivalences.
Maria ne sait pas à quel sein se vouer. Elle croit être libre et fidèle à son amour perdu tout en désirant mener sa barque comme elle l'entend et finit par comprendre qu'elle n'est qu'un objet transactionnel entre hommes et ce qu'ils symbolisent (le nazisme puis son fantôme à travers son époux Herman, l'impérialisme américain à travers Bill le G.I., le capitalisme incarné par Oswald son patron franco-allemand).
Le destin de Maria permet ainsi à Fassbinder de faire la critique de son pays. La trajectoire historique est claire: le film s'ouvre sur un portrait d'Hitler presque aussitôt décroché d'un mur par un bombardement à la fin de la guerre et se referme sur celui de plusieurs chanceliers de la RFA vus en négatif sauf le dernier, Helmut Schmidt, celui du présent (du tournage du film). L'après-guerre est un champ de ruines, allusion à "Allemagne année zéro" et à "Le temps d'aimer et le temps de mourir" (Douglas Sirk étant l'un des maîtres de Fassbinder). La reconstruction n'est qu'une parenthèse dans laquelle les femmes se croient maître d'un jeu aux dés pipés (notamment par le fantôme d'un passé mis trop vite sous le tapis) avant d'être renvoyées à la cuisine (où Maria dans un geste d'un absolu nihilisme fait comme Chantal Akerman dans "Saute ma ville") par les hommes de pouvoir: politiques, militaires, industriels. Le film s'achève ironiquement sur la victoire de la RFA à la coupe du monde en 1954 commentée à la radio, le sport étant d'après la remarque de George Orwell en 1945 "la guerre sans les fusils": effet de boucle garanti!
Hanna Schygulla, flamboyante et fétichisée à l'extrême fait penser à la Lola de Jacques Demy (celle du film au titre éponyme mais aussi celle de "Model Shop") en "sainte putain". D'un côté la femme romantique qui s'accroche à un idéal qui lui tient lieu de sens existentiel. De l'autre l'arriviste s'abîmant dans les fausses valeurs de la réussite matérielle avant de réaliser que cet idéal à qui elle a finalement tout sacrifié n'est en réalité que le cadavre oublié du nazisme dans le placard, ce "passé qui ne passe pas" et qui la conduit dans une impasse. La boucle est bouclée.