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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Les Roseaux sauvages

Publié le par Rosalie210

André Téchiné (1994)

Les Roseaux sauvages

Mon film préféré de Andre TECHINE est aussi celui dans lequel il a glissé le plus de souvenirs personnels. Pourtant, à la base il s'agissait d'une commande d'Arte qui souhaitait produire une collection de neuf téléfilms sur l'adolescence intitulée "Tous les garçons et les filles de leur âge". Parmi eux, trois finissent par sortir au cinéma en version longue dont celui de Andre TECHINE qui reçoit le prix Louis Delluc et quatre César.

Les qualités du film sont nombreuses: il fait souffler un vent de fraîcheur sur le cinéma français en révélant une nouvelle génération d'acteurs dont Elodie BOUCHEZ, il évoque avec une grande sensibilité le passage à l'âge adulte dans le contexte dans lequel Andre TECHINE l'a vécu, celui de la fin de la guerre d'Algérie dans le sud-ouest de la France avec le retour des pieds-noirs. La mort qui rôde autour des jeunes appelés et le désir bouillonnant des adolescents se mêlent harmonieusement. Le film est à la fois lumineux et douloureux. Lumineux car de nombreuses scènes ont été tournées en pleine nature et exaltent ce désir adolescent en pleine éclosion qui fait fi des clivages politiques, sociaux et même de façon éphémère de l'orientation sexuelle. Douloureux aussi car ces mêmes adolescents sont tourmentés par le contexte historique et politique qui les impactent plus ou moins directement (le frère appelé de l'un, l'appartenance de la mère de l'autre au PCF, la présence en classe d'un jeune pied-noir ombrageux et révolté) mais aussi par leur sexualité. Le personnage de François (Gael MOREL) qui peut être vu comme un double du réalisateur découvre son homosexualité à une époque où elle était taboue. Le poids de sa différence, Andre TECHINE nous le fait ressentir à travers la scène du mariage campagnard et ses chansons paillardes, le père agriculteur qui se méprend sur la nature de sa relation avec son âme soeur, Maïté (Elodie BOUCHEZ) son rapport à la littérature et au cinéma en décalage avec son environnement, ses relations avec le garçon fruste qu'il désire, Serge (Stephane RIDEAU) ou enfin, sa tentative de trouver un interlocuteur en la personne d'un adulte homosexuel dont la bouche cousue et le regard plein de désarroi en disent plus long que tous les discours. Pourtant François est le personnage le plus libre de tous et au vu des scènes finales, son influence sur l'évolution du rapport de Maïté à son corps, à ses désirs et au reste du monde semble déterminante. Leurs partenaires, en dehors de quelques parenthèses enchantées dont la plus frappante est celle de la fin sont rattrapés par le poids de leur héritage familial et se soumettent à cette fatalité en mettant leur individualité de côté.

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Je suis toujours là (Ainda Estou Aqui)

Publié le par Rosalie210

Walter Salles (2025)

Je suis toujours là (Ainda Estou Aqui)

Ce film qui m'en en rappelé d'autres par son sujet ("They Shot the Piano Player" (2022) pour l'Argentine, "Missing/Porte disparu" (1982) pour le Chili ou même la pièce de théâtre "L'Atelier" de Jean-Claude GRUMBERG dans laquelle un personnage reçoit quelques années après la guerre un acte de décès de son mari mentionnant qu'il est "mort à Drancy") est comme une flamme qui s'éteint. Bien que le réalisateur nous fasse ressentir dès la première image la menace que représente la dictature brésilienne, celle-ci paraît durant un certain temps lointaine pour la famille Paiva dont on découvre le quotidien joyeux et insouciant. Leur maison lumineuse, joyeuse, traversée en tous sens par les cinq enfants toujours en mouvement est le théâtre d'une effervescence artistique permanente (par le cinéma, la danse, la photo) et donne directement sur la plage de Copacabana. C'est la période hippie et l'aînée des enfants ressemble à n'importe quel jeune étudiante américaine ou européenne de ces années-là, écoutant la même musique, fréquentant les mêmes chevelus et fumant les mêmes joints. Mais le contrôle musclé qu'ils subissent en traversant un tunnel en voiture a valeur d'avertissement, pour eux comme pour le spectateur: il y a bien une épée de Damoclès qui pèse sur eux. Le régime est sur les dents. En dépit de son apparence inoffensive, Rubens Paiva, le père est dans la ligne de mire du régime en tant qu'ex-député travailliste aux opinions de gauche soutenant les persécutés du régime. Dès que la maison est investie par les hommes du régime et que Rubens est enlevé ainsi que durant quelques jours sa femme et l'une de ses filles, temps et mouvement s'arrêtent, portes et fenêtres se ferment, tout n'est plus que pénombre, silence et fixité, bref la vie est brisée et rien ne sera plus jamais comme avant. Mais un deuxième film commence avec le combat d'Eunice, l'épouse rescapée de Rubens pour connaître la vérité mais aussi pour prendre sa relève et assurer la subsistance de sa famille. Ce deuil d'une vie révolue à laquelle il faut s'arracher est admirablement décrit de même que le courage de cette femme pour se réinventer à 48 ans. Fernanda TORRES a remporté à juste titre un golden globe pour ce rôle qu'elle interprète sur plusieurs décennies. Walter SALLES veut rendre compte des évolutions du Brésil, un peu comme l'a fait Florian HENCKEL von DONNERSMARCK dans "La Vie des autres" (2006) mais il a du mal à trouver des idées sur la fin. Cependant cela n'enlève rien à la force d'évocation de ce film inspiré d'une histoire vraie comme il y en eu tant au Brésil dans ces années-là.

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L'Armée du crime

Publié le par Rosalie210

Robert Guédiguian (2009)

L'Armée du crime

40 ans après "L'Armee des ombres" (1969), le chef d'oeuvre de Jean-Pierre MELVILLE sortait "L'Armee du crime" (2009), éclairant un autre visage de la Résistance, beaucoup plus méconnu. Celui des immigrés communistes et souvent juifs qui se battirent pour les idéaux de la République que Vichy, régime xénophobe et antisémite avait renié, s'alliant aux nazis pour traquer le "judéo-bolchévisme". Cette haine fut cristallisée par l'Affiche rouge, document de propagande de février 1944 présentant le groupe Manouchian qui venait d'être arrêté, expéditivement jugé et exécuté comme un ramassis de terroristes. Soit 22 hommes et 1 femme appartenant aux FTP-MOI (francs tireurs et partisans de la main-d'oeuvre immigrée en région parisienne) dont seulement une dizaine apparaît sur l'affiche. S'ils ne furent pas oubliés, c'est notamment grâce au poème de Louis Aragon, "Strophes pour se souvenir" publié en 1955 mis en musique par Leo FERRE et rebaptisé "L'affiche rouge" en 1961. C'est à ce même groupe que Robert GUEDIGUIAN a voulu rendre hommage, leur combat résonnant avec le sien. Comme il est impossible de se focaliser sur 23 parcours, il choisit les figures les plus charismatiques: Missak Manouchian (Simon ABKARIAN que j'ai découvert dans ce film et qui est d'une justesse remarquable), poète arménien qui a formé le groupe et en a pris la tête, Thomas Elek (Gregoire LEPRINCE-RINGUET) un brillant lycéen juif et communiste révolté et Marcel Rayman (Robinson STEVENIN), un jeune ouvrier lui aussi juif et communiste du genre tête brûlée par ailleurs champion de natation. Le film met en valeur leurs doutes et leurs contradictions: en prenant les armes, même pour une juste cause, ils s'engagent dans une spirale de violence dont ils sentent qu'ils ne sortiront pas. Néanmoins Robert GUEDIGUIAN nuance leurs portraits. Elek et Rayman n'ont aucun scrupule à tuer des soldats allemands mais reculent face aux civils alors que Manouchian répugne longtemps à tuer qui que ce soit. Face à eux, des fonctionnaires zélés dont le réalisateur montre les motivations idéologiques ou opportunistes et les agissements sordides et crapuleux (mention spéciale à Jean-Pierre DARROUSSIN dans le rôle d'un parfait salaud). La mise en scène est très sage, l'arrière-plan schématique et on peut trouver le propos très manichéen, surtout quand on le compare à celui de Jean-Pierre MELVILLE qui montrait de nombreuses ambiguïtés chez des Résistants aux mains beaucoup plus sales que celles des héros du film de Robert GUEDIGUIAN qui semblent longtemps être un club de jeunes idéalistes exaltés n'ayant aucun problème à gérer de front leur engagement et leur vie familiale et sociale. Il n'en reste pas moins que l'éclairage que porte sur eux Robert GUEDIGUIAN est digne et nécessaire: Missak et sa femme Mélinée Manouchian (jouée par Virginie LEDOYEN dans le film) ont fini par entrer au Panthéon en 2024, leurs camarades ayant droit à une plaque commémorative à l'entrée du caveau.

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Le Bal (Ballando, Ballando)

Publié le par Rosalie210

Ettore Scola (1983)

Le Bal (Ballando, Ballando)

La filmographie de Ettore SCOLA est remplie de films confrontant petite et grande histoire. Grande histoire évoquée généralement de façon indirecte, soit à travers le cinéma ("Nous nous sommes tant aimes") (1974), soit par la bande-son en hors-champ ("Une journee particuliere" (1977), "La Famille") (1987). "Le Bal" est une variante originale de ce dispositif, réussissant à nous faire traverser un demi-siècle d'histoire, de 1936 à 1983 sans bouger du dancing art-déco parisien qui constitue le décor unique du film par le biais de la musique, de la danse, des costumes et éléments du décor. Ettore SCOLA adapte en effet une pièce créée en 1981 par la troupe du théâtre du Campagnol (qui reprennent leurs rôles dans le film). Mais il ajoute sa pierre à l'édifice avec des moyens proprement cinématographiques: la bande-son, les lumières, la photographie et puis bien sûr la musique. "Le Bal" constitue en effet l'unique collaboration entre Ettore SCOLA et Vladimir COSMA qui a réalisée la bande originale. Celle-ci est la clé de voûte de l'édifice. Vladimir Cosma a composé des chansons et en a arrangé d'autres préexistantes et ce sont elles le meilleur commentaire puisque le film est dépourvu de dialogues. Les acteurs-danseurs sont tous remarquables, parvenant à créer des personnalités expressives à partir de leurs postures et de leurs gestuelle. La dancing est tantôt le support de bals musette populaires comme en 1936 où l'on fête la victoire du Front populaire, tantôt le théâtre de danses de salon plus guindées avant que le disco ne fasse éclater les codes. La présence d'un ou plusieurs personnages typés aide à caractériser l'époque: un sosie (très crédible) de Jean GABIN s'invite au milieu de "La Belle équipe" (1936) avant de refaire un come-back 20 ans plus tard en inspecteur bedonnant. Un officier allemand (joué par Jean-Francois PERRIER alias M. Interligator dans "Delicatessen") (1990) tente par l'intermédiaire de son sous-fifre collabo de s'attirer les bonnes grâces des danseuses françaises avant d'être remplacé par des GI et du Coca-Cola puis par des appelés en Algérie alors qu'une ratonnade éclate dans les toilettes. Les blousons noirs sont remplacés par les rebelles de mai 68. Tout change pour que rien ne change alors que seules les photos accrochées au mur à la fin de chaque séquence témoignent du passage du temps.

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Napoléon

Publié le par Rosalie210

Abel Gance (1927)

Napoléon

Un monument du cinéma mondial qui me poursuit depuis mon adolescence, depuis que lors des fêtes du bicentenaire de la Révolution, j'avais acheté un livre répertoriant les films incontournables de cette période dans lequel "Napoléon" occupait une bonne place. Mais je ne l'avais jamais vu jusqu'ici. La dernière restauration en date effectuée par la Cinémathèque française a fait passer cette oeuvre monumentale ayant dès l'origine existé en plusieurs versions (on en compterait 22 au total!) de 5h30 à 7h18. Je n'ai cependant pu voir que la première partie dans ce nouveau format, la deuxième ayant déjà disparu du replay de France télévision. Je me suis donc rabattue sur l'avant-dernière version, celle du British film institute par Kevin Brownlow en 2000. De toutes façons, il faudra y revenir, la Cinémathèque préparant la restauration de la version présentée au cinéma Apollo en 1927 d'une durée de 9h40 (la plus longue de toutes donc à ce jour) mais sans les triptyques de la dernière demi-heure ayant participé à construire la légende du film. J'imagine qu'à terme, on aura une version de 10h la plus complète possible!

S'il ne fallait qu'un mot pour caractériser ce film-fleuve, ce serait le souffle qui s'en dégage. Tout y apparaît vivant et dynamique, de la caméra ultra-mobile aux tableaux hiératiques animés par les éléments déchaînés (vent, feu, vagues, grêle, musique!) Les morceaux de bravoure s'enchaînent, plus inspirés les uns que les autres et dressent une fresque plus révolutionnaire que proprement napoléonienne. Fresque opératique dans laquelle la naissance des hymnes (de la "Marseillaise" et on pense beaucoup à Rude et Delacroix au "Chant du départ") tiennent une grande place, traversant le corps social d'un élan collectif quasi-mystique qui semble rendre invincible l'armée la plus dépenaillée! En effet le titre du film est impropre, il aurait dû s'appeler: "L'ascension de Bonaparte" ou "Bonaparte et la Révolution". En effet Abel GANCE avait le projet encore plus fou de réaliser plusieurs films sur le personnage mais l'arrivée du parlant a fait prendre au cinéma une autre direction (où l'on se rend compte qu'on a beaucoup perdu en terme d'inventivité dans la narration par l'image) qui a coupé court à son entreprise. "Napoléon" raconte donc les jeunes années de Bonaparte, de ses 11 ans à Brienne (où il est déjà montré comme un stratège hors pair en bataille de boule de neige et une icone flanqué d'un chapeau et d'un aigle qui le caractériseront toute sa vie) aux débuts de la campagne d'Italie en 1796 où après avoir été adoubé à la Convention par les fantômes des trois "dieux" (Robespierre, Marat, Danton) il va porter les idéaux de la Révolution hors des frontières. L'accent est mis sur le génie visionnaire (systématiquement incompris d'où la solitude inhérente au héros), le patriotisme du Corse ombrageux et son refus des compromissions qui lui ont valu quelques sérieux déboires. Mais c'est pour mieux revenir à chaque fois, plus triomphal que jamais. Une narration à la D.W. GRIFFITH, une expressivité à la Sergei EISENSTEIN pour donner à l'Europe l'épopée de sa propre naissance en tant que nation-civilisation contemporaine, celle de la démocratie héritée des Lumières avec toute l'imagerie qui l'accompagne. Abel GANCE a vu très grand et son film fourmille d'idées plus dingues les unes que les autres. Le triptyque final fait encore aujourd'hui un effet "waouh", qu'il soit utilisé pour élargir le champ de vision façon Cinémascope ou fragmenté pour créer un écho entre des images réalistes et symboliques. Mais avant cela, il y a déjà dans la conclusion de certaines séquences des découpages d'écran qui semblent jouer le rôle d'accélérateur d'histoire. Et cette caméra mobile qui semble tantôt plonger dans la foule, tantôt voler en rase-motte par-dessus, tantôt tanguer comme un bateau en prise avec des flots déchaînés et qui électrise par exemple la séquence en montage alterné dans laquelle Bonaparte affronte une tempête pendant que la Convention s'apprête à condamner à mort les girondins. Gare à l'effet de houle!

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La Plus précieuse des marchandises

Publié le par Rosalie210

Michel Hazanavicius (2024)

La Plus précieuse des marchandises

La rencontre entre Michel HAZANAVICIUS et Jean-Claude GRUMBERG a accouché d'un conte qui entre en collision avec l'Histoire. La demeure isolée dans la forêt, le bébé abandonné dans la neige et recueilli par une pauvre bûcheronne en mal d'enfant, l'effroi qu'inspire au début le bûcheron puis ses collègues de travail que l'on identifie à des ogres. Mais impossible d'ignorer le contexte historique: la guerre est mentionnée, les trains ne cessent de traverser la forêt, non loin de la maison des bûcherons et lorsque le point de vue change, adoptant celui du père du bébé jeté par-dessus bord, on découvre que le camp de Auschwitz n'est qu'à quelques pas. Comment ne pas penser à "Shoah" (1985) et aux témoignages des paysans polonais gavés de préjugés antisémites ayant regardé passer les trains? Les nazis avaient bien retourné le cerveau de ces populations incultes sous l'emprise d'un catholicisme obscurantiste pour qu'ils deviennent les complices de leurs crimes. Pourtant c'est aussi en Pologne qu'il y a eu le plus de Justes et ce film le rappelle, au travers du couple de bûcherons protecteurs et également d'une gueule cassée de la grande guerre qui va apporter à l'enfant une drôle de mère nourricière sans lequel il n'aurait pas survécu. L'appel de la vie fut parfois plus fort que n'importe quelle idéologie, plus fort que les passions les plus tristes. Le choix de l'animation permet un travail remarquable de stylisation qui rend l'approche sensible: sur le blanc cotonneux de la neige étouffant les sons, les trains se détachent tels des masses noires sifflantes crachant le feu de l'enfer. Ils hantent les cauchemars des personnages, des gens simples pris dans des enjeux qui les dépassent et dont aucun ne sortira indemne. Ce qui également contribue à la force du récit, c'est d'entendre comme sortie d'outre-tombe la voix de Jean-Louis TRINTIGNANT qui a eu tout juste le temps d'enregistrer la voix du narrateur de l'histoire avant de s'éteindre en 2022.

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Le Capitaine Volkonogov s'est échappé (Kapitan Volkonogov bezhal)

Publié le par Rosalie210

Natasha Merkulova et Aleksey Chupov (2021)

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé (Kapitan Volkonogov bezhal)

Si j'ai quelque chose à reprocher à ce film, c'est son caractère programmatique et un peu mécanique. Une fois que "Le Capitaine Volkonogov s'est echappe" (2021) et surtout, une fois qu'il a reçu (en rêve) la mission qui donne du sens à son évasion, on devine sans peine dans quelle direction le film va et comment il va se terminer. De plus, même si cela est fait d'une manière élégante, parfois même burlesque, l'odyssée du capitaine se résume à des variations autour d'un même enjeu à la manière d'un film à sketches: rencontrer des familles de personnes victimes des purges staliniennes auxquelles il a participé afin d'obtenir un pardon et ainsi, sauver son âme. On objectera que chaque rencontre enrichit un peu plus le tableau de l'effroyable totalitarisme stalinien. Bienvenue dans un système de terreur orwellien et kafkaïen reposant sur la paranoïa et la délation où n'importe qui pouvait être torturé et exécuté non pour les crimes qu'il avait commis mais pour ceux qu'il était susceptibles de commettre sur la foi de ses origines, de ses liens de parenté ou de camaraderies, de ses activités, de ses comportements. Un système dans lequel grâce à des "méthodes spécifiques", des innocents finissaient par avouer une culpabilité imaginaire ce qui justifiait leur élimination bien réelle. Quant aux familles, elle n'étaient pas informées et certaines préféraient pour leur propre survie renier ceux que le régime avait frappé. Un système dans lequel, Volkonogov l'apprend à ses dépends, le chasseur devient le chassé le jour où STALINE décide de retourner les grandes purges contre leurs auteurs afin de les "réévaluer" c'est à dire leur faire porter le chapeau des crimes et de s'en exempter lui-même. D'ailleurs, celui qui poursuit Volkonogov a lui-même une épée de Damoclès sur la tête. Bref, c'est irrespirable et on ressent bien la culture de mort qui règne dans le film ainsi que l'absence de toute humanité (aucun lien n'est possible puisqu'il est aussitôt entaché de soupçon et chacun apparaît comme un mort en sursis). Seulement ce caractère monolithique du film est franchement plombant à la longue en dépit d'une esthétique rétro-futuriste originale (on appréciera particulièrement l'utilisation de la couleur rouge) et de l'interprétation magistrale de Yuriy BORISOV.

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Le Juge et l'assassin

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1976)

Le Juge et l'assassin

"Le Juge et l'assassin" témoigne des qualités du cinéma de Bertrand TAVERNIER:
- Une talent manifeste pour incarner l'histoire, amenant la reconstitution du passé sur le terrain du présent, de l'urgence, du documentaire et la mettant à hauteur des individus. D'ailleurs, l'intrigue du film s'inspire d'une histoire authentique ayant défrayée la chronique à la fin du XIX° siècle. Celle du parcours criminel de l'un des premiers serial killers français, Joseph Vacher devenu dans le film Joseph Bouvier et surnommé le "jack l'éventreur du sud-est". Ses crimes sont contemporains de l'Affaire Dreyfus et de l'émergence de la presse à grand tirage qui a médiatisé ces affaires ce dont le film se fait l'écho.
- Cela va de pair avec un amour pour le cinéma français de patrimoine dénigré par la nouvelle vague que Bertrand TAVERNIER nous a invité à redécouvrir dans "Voyage a travers le cinéma francais" (2016) et qu'il a remis en selle en faisant appel au duo de scénaristes emblématiques formé par Pierre BOST peu avant sa mort et Jean AURENCHE.
- Une attirance pour les personnages complexes voire amoraux à rebours de tout manichéisme. Si on ne perd jamais de vue l'horreur des crimes commis par Joseph Bouvier, celui-ci apparaît à l'image de Conan comme à la fois bourreau et victime. Il suscite aussi bien l'horreur que la pitié ce qui en fait un personnage tragique (ce que soulignent les superbes paysages ardéchois dans lesquels il vagabonde). Son antagoniste, le juge Rousseau s'avère derrière son apparente bonhomie être aussi bien arriviste que manipulateur.
- De fructueuses collaborations avec les acteurs qu'il a souvent lancé ou relancé tels que ici Philippe NOIRET, la regrettée Christine PASCAL (que l'on voit à la fin du film) ou encore Isabelle HUPPERT. Véritable génie du casting, Bertrand TAVERNIER savait les mettre en valeur comme personne. Dans "Le juge et l'assassin", la prestation à contre-emploi de Michel GALABRU, puissante et saisissante lui a valu un César.

Alors oui, parfois Bertrand TAVERNIER a la main un peu trop lourde sur la lutte des classes et le didactisme avec un final quelque peu superflu mais cela n'altère pas la qualité de l'ensemble.

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Un Peuple et son Roi

Publié le par Rosalie210

Pierre Schoeller (2018)

Un Peuple et son Roi

Il y a des éclairs de génie dans "Un peuple et son roi", à l'image de cette pierre de la Bastille qui tombe, faisant symboliquement entrer le soleil dans le quartier populaire du faubourg Saint-Antoine. Comme un mai 1968 avant la lettre ("Let the sun shine, let the sun shine in"). Dans le même esprit, il y a cette petite fille qui danse au milieu des plumes échappées des oreillers éventrés lors de l'assaut des Tuileries du 10 août 1792. Mais le problème, c'est que ces moments visionnaires ne parviennent pas à s'assembler pour former un tout cohérent et puissant qui nous emporte tout en nous éclairant sur une période historique riche et complexe. En effet, où que l'on se tourne, le film apparaît bancal. Sur le plan historique tout d'abord, le film s'intitule "Un peuple et son roi" mais il ne respecte pas le contrat en introduisant un troisième protagoniste: l'assemblée législative. Or cette assemblée, le film en escamote complètement les origines ce qui d'ailleurs explique que la prise de la Bastille soit évoquée sans être expliquée (attaquer un symbole de l'arbitraire royal oui mais pourquoi à ce moment là? Aller prendre de la poudre, oui mais dans quel but?) C'est ennuyeux parce que soit il ne fallait pas en parler du tout, soit il fallait au moins montrer qu'elle était issue d'un vote populaire et qu'elle représentait les aspirations populaires, au moins à ses débuts. Cela aurait permis de mieux comprendre le fossé croissant entre la bourgeoisie (bien représentée à l'assemblée) et les classes populaires (réduites au rang de spectateurs et privées du droit de vote) jusqu'à la rupture définitive de la fusillade du champ de Mars du 17 juillet 1791. Mais on s'éloignait sans doute trop du sujet. Autre problème majeur, l'escamotage quasi complet du clergé et de la noblesse, les ordres privilégiés qui tout autant que le roi étaient au coeur du pouvoir sous l'Ancien Régime. Dans le film de Pierre SCHOELLER, on a l'impression que le roi gouverne seul et qu'il est la seule cible des soulèvements populaires. Or le film escamote complètement la grande peur, jacquerie qui s'est répandue dans la majorité des campagnes françaises à la suite de la prise de la Bastille et a conduit à l'abolition des privilèges puis à l'adoption de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le versant sombre des émeutes populaires comme les massacres de septembre 1792 est également ignoré. De même que le rôle des soldats fédérés dans l'assaut des Tuileries. Il faut dire que les personnages issus du peuple sont à une exception près des artisans et ouvriers parisiens. Et l'exception, c'est un vagabond pas vraiment représentatif de la paysannerie française (et puis choisir Gaspard ULLIEL, ça fait très "Jacquou le croquant"). On a donc une vision de l'histoire abusivement simplifiée. Car sur le plan romanesque, ce n'est guère plus convaincant. Pierre SCHOELLER tente de relier petite et grande histoire en suivant toute une série de personnages, célèbres ou anonymes mais fatalement, il s'éparpille. Plus ennuyeux encore, il alterne des scènes qui se veulent épiques (mais qui manquent d'ampleur, faute de moyens?) et des joutes oratoires très statiques à l'assemblée. C'est dommage au regard de la qualité du casting (Olivier GOURMET est une fois de plus excellent tout comme Laurent LAFITTE dans le rôle d'un Louis XVI dépassé par les événements) et le réalisateur fait un effort louable pour mettre en avant le rôle des femmes (les lavandières jouées par Adele HAENEL et Izia HIGELIN). Mais il est noyé sous le poids d'une Histoire trop lourde pour ses frêles épaules.

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Au revoir les enfants

Publié le par Rosalie210

Louis Malle (1987)

Au revoir les enfants

"Au revoir les enfants" est un film bouleversant. Un film à la fois juste, précis et d'une très grande sensibilité. Car il est construit au travers du regard de Julien, un enfant plus sensible que les autres (c'est à dire le réalisateur lui-même -il s'agit de ses souvenirs, même s'ils sont romancés-). Les autres, ce sont les camarades du pensionnat religieux où il étudie avec lesquels il n'a guère d'affinités. La première scène où sa mère aimante le serre dans ses bras sur le quai de gare avant le départ nous fait prendre conscience de son innocence, de sa vulnérabilité, de son besoin de tendresse. Elle renvoie à la terrible scène de la fin du film dans laquelle Julien regarde longuement, sans un mot, Joseph, l'ancien homme à tout faire du collège, celui qui a dénoncé à la Gestapo le père Jean et les trois enfants juifs qu'il cachait dont Jean Bonnet qui était devenu son ami, le renvoyant à nouveau dans sa solitude, l'innocence en moins. La scène dans laquelle Julien et Jean se retrouvent seuls, perdus dans la forêt, ce dernier lui demandant s'il n'y a pas de loups (plus tard, il lui dira qu'il a tout le temps peur) est une métaphore assez transparente de l'histoire du film tout entier si celui-ci avait été un conte. Car l'autre aspect frappant du film de Louis MALLE, c'est la précision et la justesse de sa reconstitution de la France de Vichy. Dans "Lacombe Lucien" (1974) qui avait fait scandale, il avait déjà taillé en pièces le mythe résistancialiste et montré le parcours sinueux d'un jeune homme aux motivations primaires. Il reprend le même procédé dans "Au revoir les enfants", avec Joseph qu'il définit comme "le petit cousin de Lucien". Mais il y a beaucoup d'autres personnages secondaires dans "Au revoir les enfants" dont les comportements ou les propos renvoient l'image d'un pays nageant en eaux troubles. Cela va de la religieuse qui dénonce un enfant juif du regard pendant qu'un surveillant (réfractaire du STO) essaye de le cacher à la mère de Julien qui lâche un "il ne manquerait plus que ça" (que nous soyons juifs) à un camarade de classe de Julien qui dit un "Tu crois qu'ils vont nous emmener? On a rien fait, nous, hein?" qui renvoie à une supposée culpabilité intrinsèque des juifs. La culpabilité d'ailleurs imprègne aussi le personnage de Julien (double de Louis MALLE) qui semble suggérer que c'est son regard vers Jean sous l'oeil du chef de la Gestapo qui l'a dénoncé. Le père Jean lui-même, héroïque figure de la Résistance est montré comme un homme en proie aux doutes (la scène de l'hostie le met en face d'un terrible dilemme, trahir Jean Bonnet ou trahir la religion de celui-ci) et faillible (le renvoi de Joseph édicté selon sa ligne de conduite morale est le déclencheur de la tragédie finale). Tant de nuances dans un film où si peu de mots sont prononcés mais où le regard (celui des personnages, celui de la caméra) en dit tant est tout simplement admirable.

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