Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #fantastique tag

Twin Peaks: The Return

Publié le par Rosalie210

David Lynch et Mark Frost (2017)

Twin Peaks: The Return

La troisième saison de "Twin Peaks" a été entièrement écrite et réalisée par David Lynch et Mark Frost qui ont reçu carte blanche de leur chaîne de diffusion. Alors qu'ils avaient dû ruser et parfois plier devant les exigences du public et du diffuseur au cours de la deuxième saison, ils ont pu, 26 ans après, contrôler la totalité de leur création et ne plus faire de compromis. Résultat, "The Return" est moins une série qu'un film expérimental de dix-huit heures dont la radicalité explose tous les codes vus jusque là. Pour l'apprécier, il faut accepter de ne pas tout comprendre, accepter qu'il n'y ait pas qu'une seule vérité à l'image de la multiplicité de réalités dans lesquelles David Lynch nous plonge pour mieux nous perdre.

Néanmoins, l'ADN originel de la série n'a pas été oublié, bien au contraire. Simplement, Lynch et Frost n'en ont gardé que le meilleur. Exit par exemple les intrigues de soap opera qui au pire de la deuxième saison prenaient le dessus sur tout le reste (qui se souvient de l'insignifiant personnage joué par Billy Zane par exemple?). En revanche le mélange des genres est plus que jamais présent dans cette saison foisonnante aux multiples ramifications, bousculant la chronologie et élargissant le cadre. Tout se passe comme si Lynch et Frost avaient pris au pied de la lettre l'expression "usine à rêves" utilisée pour qualifier Hollywood tout en lui ajoutant la dimension cauchemardesque qui lui manquait pour lui donner une dimension holistique. "The Return" fonctionne ainsi comme une machine à produire des récits puisant dans tous les genres hollywoodiens: polar, thriller, film de gangsters, road movie, comédie loufoque, burlesque, musical, fantastique, science-fiction etc. Sauf que tous ces récits semblent avoir été dictés par un inconscient tournant à plein régime: inconscient individuel et inconscient collectif. Beaucoup d'éléments de la culture américaine sont ainsi "retournés" comme s'ils avaient une face B. Je pense par exemple au maïs, symbole de vie et de fertilité qui devient un symbole de mort dans Twin Peaks, notamment parce que les esprits maléfiques se nourrissent du malheur humain qui se matérialise sous forme de maïs à la crème (le Garmonbozia). On peut en dire autant du film de Don Siegel, "Invasion of the body snatchers" qui en 1956 exprimait la paranoïa de la contagion du communisme sous la forme d'un "grand remplacement" de la population américaine à l'échelle d'une ville par des clones sans âme. Les codes du film sont repris quasiment à l'identique dans l'épisode 8 de "Twin Peaks" qui se déroule en partie en 1956, à ceci près que la contagion de la population par le mal provient des radiations nucléaires produites par les américains eux-mêmes. L'American way of life, déjà bien déconstruit dans les deux premières saisons prend des allures de cauchemar post-crise des subprimes avec des quartiers périurbains fantômes. Cela va de pair avec un "let's go home" qui résonne d'autant plus ironiquement qu'il n'y a jamais eu autant de SDF et de mal-logés que dans la série de 2017.

Néanmoins le rêve ne dérive pas toujours vers le cauchemar et parfois la face B devient une face A. Sinon "The Return" serait juste un trip glauque et froid, dénué d'humanité. Or c'est l'humanité dans toute sa complexité que cherchent à approcher Lynch et Frost. La saison 3 nous fait donc passer par toutes les émotions. Même si la ville de Twin Peaks n'est plus le cadre unique du récit, elle reste un lieu essentiel qui fonctionne comme un repère réconfortant pour le spectateur, ravi de retrouver la majorité du casting d'origine dans des lieux familiers tels que le double R, le bureau du Shérif, l'hôtel du grand nord ou le Bang Bang Bar (connu aussi sous le nom de Roadhouse) qui devient une salle de concert à la fin de la majeure partie des épisodes. Le retour 26 ans après de la plupart des acteurs de la série originale est d'autant plus émouvant que certains d'entre eux étaient malades et sont décédés après avoir tourné leurs scènes. Et les personnages de ceux qui étaient décédés avant et qui ont une importance dans le récit reviennent sous d'autres formes.

Mais surtout, "The Return" est un formidable tour de force pour Kyle MacLachlan qui interprète pas moins de quatre personnages, comme autant de facettes d'une même personnalité et au-delà, des contradictions humaines. Il y a d'abord le héros chevaleresque, romantique et mystique des deux premières saisons qui se retrouve prisonnier de la loge noire à la fin de la saison 2. Le spectateur attend son retour. Or cette attente ne cesse d'être déçue par Lynch. En lieu et place du Cooper que l'on croît connaître, on suit le parcours de ses doubles. Celui de "M. C", son double maléfique possédé par "Bob" qui sème la mort et le malheur sur son passage représente toutes les pulsions sombres que le "chevalier blanc" a refoulé, générant une personnalité clivée/dissociée assez typique des sociétés puritaines. Lynch ne cesse d'enfoncer son anti-héros dans les ténèbres avec quelques coups d'éclat "tarantinesques" (la présence parmi ses sbires d'un couple joué par Tim Roth et Jennifer Jason Leigh n'y est pas pour rien). A l'inverse, lorsque le bon Cooper tente de revenir sur terre, il se retrouve enfermé dans l'identité et dans la vie so "american way of life" de Dougie Jones. Car mener une vie conformiste était l'un des désirs de l'agent du FBI. A ceci près que le Dougie Jones "bon citoyen et bon père de famille" mène en réalité une double vie peu glorieuse (dettes de jeu, fréquentation de prostituées...) et que le choc électrique du retour (l'électricité, fil conducteur du passage entre les mondes) ramène Cooper au stade de légume ou de bébé privé de toute autonomie, de façon assez similaire à ce qui arrivait à Léo dans la saison 2. Ce nouvel anti-héros génère une série de situations burlesques et son parcours de "Candide à Sin City" finit par ressembler à une fable à la Frank Capra dans laquelle il réenchante le monde (je suis prête à parier que la clocharde qui devient milliardaire grâce à lui sort tout droit du "Lady for a day" ou de son remake, d'autant que l'histoire repose quand même sur une illusion). Un autre clivage se fait alors jour au sein de Dale Cooper: entre l'homme ordinaire, sans histoires et l'aventurier qui croit pouvoir empiéter sur le terrain des dieux. C'est ce dernier qui prend le pouvoir dans les derniers épisodes. Il veut profiter des pouvoirs surnaturels qu'il a acquis pour remonter le temps, changer l'histoire, effacer le péché originel de la saga et "rentrer à la maison", enfin réunifié. Mais la trilogie de Robert Zemeckis l'avait déjà démontré: on ne joue pas impunément avec les forces qui nous dépassent. Surtout quand ces forces sont mues par l'énergie nucléaire. L'odyssée de ce Cooper là qui semble s'appeler Richard, sous le signe de "Judy" (le mal absolu?) ne le ramènera jamais à Ithaque. Il l'enfermera dans une boucle. Une boucle en forme de 8 (comme le huitième épisode, celui de l'explosion nucléaire aux conséquences incalculables) qui pourra tourner indéfiniment.

Voir les commentaires

Twin Peaks: Les sept derniers jours de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire walk with me)

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1992)

Twin Peaks: Les sept derniers jours de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire walk with me)

"Twin Peaks : Les sept derniers jours de Laura Palmer" (1992) s'ouvre sur un plan hautement significatif: une télévision démolie à coups de hache. On est donc prévenus: David LYNCH reprend les commandes de l'univers "Twin Peaks" dont il s'était désinvesti au cours de la deuxième saison de la série et qui s'était arrêtée prématurément suite aux dures lois de la production télévisuelle. En revenant au format cinéma (Mark FROST co-créateur de la série est absent du film), il a décidé de "lâcher les chiens", en opérant un tournant radical vers la noirceur et le désespoir tout en conservant voire épaississant les mystères de la série. Mais ce qui pour moi fait la puissance du film réside dans le choix de le centrer sur la descente aux enfers de Laura Palmer en la suivant lors des jours précédant sa mort. Celle qui dans la série n'était qu'un fantôme (ou un personnage "jumeau" sans identité propre, Maddy) devient un être de chair et de sang, joué avec une stupéfiante intensité par Sheryl LEE qui fait passer par tout son être une souffrance déchirante. Conjuguée à la mise en scène angoissante de David LYNCH et au jeu flippant de Ray WISE, le père de Laura, le film se transforme en un cauchemar domestique pétri de sensorialité qui donne de la puissance à des réalités dérangeantes alors maintenues sous silence. Ou presque car il y avait eu un précédent: "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée..." (1981) dont la bande originale avait été composée par David BOWIE par ailleurs idole de Christiane qui va l'écouter en concert. Or David BOWIE fait une courte mais marquante apparition dans le film de David LYNCH dans le rôle surréel d'un agent du FBI vêtu de blanc qui surgit dans le dos d'un Dale Cooper (qui on le rappelle est lui revêtu d'un costume noir) dédoublé, tenant des propos obscurs avant de retourner dans son outre-monde. Mais plutôt que Dale (joué par un Kyle MacLACHLAN en retrait suite à son ressentiment vis à vis de l'abandon de Lynch sur la série), c'est une double vie que l'on suit, celle de Laura, un être clivé, lycéenne le jour à l'apparence bien sage et au quotidien stéréotypé (avec meilleure amie, boyfriends, participation à la vie de la communauté etc.) mais s'adonnant à la débauche la nuit, celle-ci n'étant qu'un moyen d'échapper à elle-même et à un enfer pire encore, celui de sa propre maison. Jamais l'expression "home, sweet home" de l'Americain way of life ne résonne plus ironiquement que dans ce film qui fait du foyer l'épicentre de la violence. Le film de David LYNCH lève le voile ou plutôt ouvre le rideau en 1992 sur ce que notre société ne commence à regarder en face qu'aujourd'hui: un "bon père de famille" au-dessus de tout soupçons, si prévenant avec sa femme qu'il lui apporte un verre de lait le soir pour qu'elle fasse un gros dodo pour pouvoir ensuite mieux manger leur enfant (Hitchcock quand tu nous tient). Et "Bob", ce visage du mal absolu qui hante "Twin Peaks" venu tout droit de la loge noire qui s'ouvre lorsque toute-puissance patriarcale et Titan mangeur d'enfants se rencontrent de prendre le caractère du déni, celui du violeur inconnu qui lorsqu'il se dissipe confine à l'horreur pure. Car le véritable interdit n'est pas de commettre l'inceste, l'interdit, c'est d'en parler. Silencio. Cela donne à toutes les scènes dans lesquelles Laura fait semblant de mener une vie normale au milieu de soi-disant proches qui en réalité ne connaissent que son image sociale un double fond: conversation futile en surface qui met en relief les gros plans sur la détresse palpable de son visage qui pense qu'aucun ange ne viendra sauver son âme en train de se consumer. A tort. Car le film de David Lynch donne une résonance extraordinaire aux âmes torturées du père et de la fille et les recueille avec une infinie compassion qui était déjà perceptible dans la série. Le final est ainsi bouleversant lorsque Laura, enfin en paix découvre qu'elle est un ange.

Présentation de cette critique sur Facebook:

Toujours plongée jusqu'au cou dans "Twin Peaks", j'ai regardé le film qui a suivi la fin de la série en 1992 (disponible en replay sur la 5) et dont je préfère le titre en VO ("Fire walk with me") qu'en VF ("Les 7 derniers jours de Laura Palmer"). Premier constat, le temps agit bien à reculons dans "Twin Peaks" puisque les événements racontés se situent avant ceux de la série. Mais il ne s'agit pas pour autant d'une simple préquelle. Les événements soumis à la temporalité linéaire de notre monde sont sans cesse parasités par ceux de l'outre-monde, donnant lieu à des passages complètement dingues où des personnages et des entités de forme diverses (beaucoup issus de la série, certains nouveaux) apparaissent et disparaissent, brouillant les notions de passé, présent et futur. Le mot parasité convient d'autant mieux qu'il semble que l'électricité joue un rôle conducteur du passage entre les mondes via notamment l'ascenseur et la neige télévisuelle. Mais en même temps, les codes sont différents de ceux de la série: Mark Frost, son co-créateur est absent du film et la hache qui s'abat d'entrée sur la tv indique que narration et mise en scène obéiront à d'autres lois. Exit donc le cocon télévisuel qui amortissait les chocs, place à un véritable récit d'épouvante, celui de la descente aux enfers de Laura jusqu'à son assassinat faisant la jonction avec la série, dont on retrouve une partie des personnages et acteurs à l'exception notable de Lara Flynn Boyle dans le rôle de Donna, la meilleure "school friend" de Laura (je préfère ce terme à "meilleure amie" car Laura ne peut parler à personne de la réalité de sa vie ce qui créé d'ailleurs un décalage glaçant entre la futilité de façade et l'horreur sous-jacente). La sensorialité du film, sa radicalité et sa frontalité jettent une lumière crue sur le tu (j'ai pensé à l'un des maîtres-mots du cinéma de Lynch, "Silencio"): l'enfer domestique du "home sweet home", celui que dénonçait autrefois Alice Miller dans "L'enfant sous terreur" et aujourd'hui Edouard Durand dans "Protéger la mère, c'est protéger l'enfant". Puisque passé, présent et futur se confondent si bien, j'ai vu au détour d'une scène le visage de Dominique Pélicot se greffer sur celui de Leland lorsqu'il donne un verre de lait à son épouse (une allusion à "Soupçons?") avant qu'il ne laisse "Bob", le démon intérieur qui l'habite se déchaîner sur Laura dont l'âme se consume chaque jour un peu plus (bouleversante Sheryl Lee). Le sauvetage d'âmes perdues par des anges rédempteurs qui était sous-entendu dans la série devient ici explicite mais promis "on ne parlera pas de Judy"...

Voir les commentaires

Mystères à Twin Peaks (Twin Peaks)

Publié le par Rosalie210

David Lynch et Mark Frost (1990/1991)

Mystères à Twin Peaks (Twin Peaks)

La mort de David LYNCH dont j'aimais l'univers et les documentaires qui ont été diffusés à cette occasion ont été à l'origine de ma résolution de regarder enfin les deux saisons de la série "Mystère à Twin Peaks" ce que je voulais faire depuis des années comme un rendez-vous longtemps attendu et maintes fois reporté. Son visionnage a eu un impact sur mon activité onirique (parce que l'ayant regardée sur près de dix jours sans chercher à connaître la suite, j'ai eu le temps d'en rêver, littéralement et de m'en souvenir au réveil), ravivé ma mémoire du temps où j'étais téléphage, stimulé mes neurones. J'ai eu envie d'écrire ce qu'elle m'inspirait sous forme d'abécédaire concocté par mes soins n'ayant aucune prétention à l'exhaustivité. Ne les ayant pas encore regardés, il n'inclut ni le film, ni la troisième saison tournée 26 ans après.

A comme ARBRES: ils font partie des leitmotivs qui conduisent le spectateur vers une autre dimension que celle des plateaux-théâtres statiques codifiés des séries. Les plans sur leur frémissement (autant que la musique de Angelo BADALAMENTI) est un appel vers les forces obscures de la forêt qui sous-tendent toute la série selon un dualisme comparable à "Blue Velvet" (1986).

B comme BUCHE: Morceau de tronc d'arbre portatif ne quittant jamais les bras de Margaret, lui permettant de se connecter à son troisième oeil ^^.

C comme CORRUPTION: Elle est endémique dans toute la série comme une gangrène qui ressurgit même au sein d'une entité maléfique repentie ayant essayé de l'arrêter en se coupant le bras ^^.

D comme DUALITE: Elle est au coeur de la série. La ville bien nommée "Twin Peaks" est à la fois un cocon protecteur de l'american way of life et la poubelle où se déverse le refoulé du puritanisme américain (drogue, prostitution, corruption, proxénétisme etc.) Les personnages sont eux-mêmes bipolarisés, dédoublés qu'ils aillent du lumineux vers le sombre ou du sombre vers le lumineux, certains se retrouvant coincés entre leurs deux facettes opposées d'où un nombre impressionnant de chocs, traumatismes, comas et autres coups de folie dans la série.

E comme EPICURIEN: Un aspect très important de la philosophie de vie du personnage principal, Dale Cooper (Kyle MacLACHLAN). Cela commence par le petit cadeau qu'il se fait à lui-même chaque jour en savourant une gorgée de café, un beignet ou une part de tarte à la cerise (variante du livre de Philippe Delerm "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" qui a été tant cité au moment de la sortie de "Le Fabuleux destin d'Amelie Poulain" (2001)) et cela se termine plus profondément par l'absence de crainte face à la mort qu'il affronte dans un état proche des limbes au début de la saison 2: "ce n'est pas si terrible tant qu'on peut empêcher la peur d'envahir son esprit".

Attention spoiler (ne pas lire si pas vu la fin):

Cela rend d'autant plus terrible la tasse de café solidifié, imbuvable du dernier épisode dans lequel son psychisme s'écroule quand il est possédé à son tour par le mal.



F comme FRONTIERE: Twin Peaks est une ville-frontière, celle qui sépare les USA du Canada mais il s'agit d'une frontière dans de nombreux autres domaines: entre la ville et la forêt, les vivants et les morts, le rêve et la réalité, les dieux et les hommes, les cieux et les souterrains, la sagesse et la folie, le jour et la nuit.

G comme GEANT: Esprit messager qui apparaît dans les visions de Dale Cooper dans les moments critiques pour essayer de le guider.

H comme HIBOUX: Ces créatures de la nuit sont intimement liées à la forêt et aux forces obscures. Ce sont de puissants esprits messagers voire des guides spirituels. Le fait que Dale Cooper n'aime pas les oiseaux et ne sache donc pas décrypter leurs messages ("les hiboux ne sont pas ce qu'ils semblent être") agit comme un présage funeste de son destin.

I comme INNOCENCE: Quête ou état commun à de nombreux personnages et qui se manifeste de multiples manières: l'innocence de l'idiot, la tentative de se refaire une virginité en devenant bon ou en fréquentant un homme bon, le fait de retomber en enfance, la claustration volontaire pour se protéger du mal ou de la corruption. Cela peut être traité en mode comique ou tragique.

J comme Judy Garland: Le major Briggs, un des personnages les plus mystiques de la série, bien caché sous ses habits militaires comme Dale Cooper sous son costume d'enquêteur du FBI a pour prénom Garland (cela ne s'invente pas) et sous substance psychotrope croit qu'on l'appelle "Judy Garland". Mais ce qui m'a le plus touché dans la série faisant référence à l'actrice et à l'oeuvre fétiche de David LYNCH, "Le Magicien d'Oz" (1938), c'est le sauvetage par Dale Cooper de Audrey Horne, séquestrée et droguée dans le bordel "Jack n'a qu'un oeil". J'ai eu la certitude à ce moment-là qu'il s'agissait de la projection du désir de David LYNCH d'arracher Judy GARLAND adolescente à l'enfer de la drogue administrée par les corrupteurs hollywoodiens. D'ailleurs "Blue Velvet" (1986) présente un schéma similaire avec un personnage féminin prénommé Dorothy (cela ne s'invente pas non plus) qu'un jeune homme (déjà joué par Kyle MacLACHLAN) veut arracher au monde des ténèbres, prenant le risque de se faire contaminer lui aussi.

K comme Kubrick: Les moments les plus angoissants de la série m'ont ramené à mes toutes premières sensations devant la bande-annonce de "Shining" (1980). Lents travellings flippants, moquette aux motifs géométriques de la salle d'attente de la loge noire et surtout, plan cauchemardesque de "Bob" surgissant depuis l'arrière-plan du salon pour sauter à la gorge de Maddy (dont la caméra épouse le point de vue). Le sang de "Shining" sortant de l'ascenseur pour envahir le cadre m'avait fait le même effet. Il y a aussi bien sûr les esprits maléfiques en quête de possession d'êtres vulnérables à la peur et cet hôtel du grand nord qui est le théâtre d'une grande partie de l'intrigue dont on ne sait pas s'il a été construit sur un cimetière indien mais dont le terrain a été volé aux indigènes (avant que les descendants des colons ne s'entretuent ou ne s'arnaquent pour les posséder comme on le voit dans la série). Les messages extra-terrestre font penser quant à eux à "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968).

L comme LUNE: Leitmotiv de la série que l'on peut rattacher aux arbres, au monde de la nuit, forces obscures, cosmiques mais qui fait aussi figure de repère (comme les feux tricolores) dans un monde où le temps semble s'écouler de façon cyclique plutôt que linéaire. On s'aperçoit en effet que le temps ne semble pas avancer dans la série, parfois même il recule avec tous ces personnages ramenés au stade bébé-enfant-adolescent ou bien n'existe plus dans la loge où les esprits parlent à l'envers.

M comme MIROIR: Lié à la dualité. La première image de la série tout comme la dernière (de la deuxième saison) montre un personnage face à son miroir et lie ainsi les destins de Josie (personnage dévoré par le mal sous un visage d'ange) et de Dale Cooper (ange dont la tranquillité d'esprit cache une faille par où celui-ci peut pénétrer). Entre les deux, l'assassin de Laura Palmer aura eu largement le temps de nous montrer son visage diabolique de l'autre côté de ce même miroir. James Baldwin avait essayé en son temps de tendre un miroir à la société américaine WASP se mirant sous les traits de Doris DAY ou de Gary COOPER tout en projetant ses pulsions indésirables sur les afro-américains.

N comme NAIN: Celui qui danse dans les rêves et visions de Dale Cooper s'avère être un esprit de la loge. Un Munchkin échappé de "Le Magicien d'Oz" (1938)? Eux aussi comme Judy GARLAND avaient leur propre dualité: personnages merveilleux dans la fiction, acteurs infernaux en réalité comme le révèle notamment le documentaire "Lynch/Oz" (2022), sans doute pour se venger de leur infériorisation (notamment salariale).

O comme OTNI: objet télévisuel non identifié. "Twin Peaks" est à l'image de son contenu, une série duale. D'un côté, elle se rattache à des genres bien identifiables pour les spectateurs de télévision afin qu'ils mordent à l'hameçon comme le polar ou le soap opéra. Je me suis ainsi souvenue d'un rebondissement identique que j'avais vu dans "Santa Barbara" (1984), un personnage féminin soi-disant mort mais revenant sous un déguisement et une fausse identité. De l'autre, elle les déglingue afin d'essayer de les entraîner en territoire inconnu. Ainsi les personnages sont à la fois stéréotypés et décalés puisqu'ils ont tous des manies ou des infirmités qui les rendent tantôt drôles, tantôt mystérieux et parfois terrifiants quand on découvre "la face cachée de la lune".

P comme PEUR: La porte d'entrée du mal dans l'esprit humain. Cela m'a fait penser à "La peur dévore l'âme", la pièce de Rainer Werner FASSBINDER qui a servi de base au scénario de "Tous les autres s'appellent Ali" (1973) où cette phrase est prononcée par le personnage principal.

Q comme QUALITE: Alors que la saison 1 et les premiers épisodes de la saison 2 sont d'une qualité exceptionnelle, la série connaît ensuite un véritable trou d'air avant la claque que représente le dernier épisode. Le critique Victor Inisan explique cette brusque baisse de qualité par l'effacement de David LYNCH de la mise en scène après avoir cédé aux demandes du public et aux pressions de la chaîne qui diffusait la série en révélant le nom de l'assassin dès le 14ème épisode. On touche du doigt la contradiction inhérente à la culture télévisuelle grand public: celle-ci réclame du plaisir immédiat alors que les dimensions plus subtiles et plus profondes prennent du temps avant d'être comprises et appréciées à leur juste valeur. Et "Twin Peaks" est une série qui se caractérise par sa lenteur justement. Heureusement, David LYNCH est revenu pour réaliser le dernier épisode de la saison 2, un coup d'éclat vis à vis de tous ceux qui ne voulaient voir en "Twin Peaks" qu'une simple série policière ou un soap opera.

R comme RIDEAUX: Les rideaux sont la forêt de l'âme et m'ont fait penser à mon peintre préféré, René Magritte. Les rideaux rouges de "Twin Peaks" cachent ainsi bien autre chose qu'une scène de théâtre et ce même si "Twin Peaks" comporte sa/ses séquences scéniques chantées et/ou dansées.

S comme SATURNE: Le portail de la loge noire s'ouvre lorsque Saturne entre en conjonction avec Jupiter. Logique, ce sont deux planètes portant des noms de divinités romaines symbolisant "le mal que les hommes font". Jupiter symbolise la toute-puissance patriarcale alors que Saturne est la romanisation de Cronos, le Dieu qui a mangé ses propres enfants. "Twin Peaks" est une série révolutionnaire en ce qu'elle se place du point de vue des gens qui souffrent avec une forte empathie pour les femmes et des jeunes filles dont Laura Palmer est la quintessence ainsi que pour les hommes exprimant leur masculinité d'une manière autre que prédatrice. Quant aux prédateurs, ils sont à un moment ou à un autre frappés par le destin et ramenés à leur condition première d'être en souffrance.

T comme TIBET: Un autre aspect très important de la philosophie de vie de Dale Cooper est sa fascination pour le bouddhisme tibétain. Elle m'a ramené à mon premier contact avec cette spiritualité, "Tintin au Tibet" qui m'avait fasciné et dont toute l'enquête est fondée sur un rêve/une vision qui confine à la télépathie ou au chamanisme. Si "Tintin" est la seule BD franco-belge à laquelle j'ai accroché dans mon enfance, c'était notamment à cause de l'amitié entre Tintin/Hergé et Tchang qui l'ouvrait sur d'autres horizons qui allaient bien au-delà du simple feuilleton d'aventures exotiques.

U comme UNIVERS: "Twin Peaks" est un univers complet et cohérent qui brasse diverses mythologies allant de la légende arthurienne au seigneur des anneaux.

V comme VENUS: Les statues de Vénus de la loge noire peuvent représenter les femmes objets de désirs et pétrifiées par la mort par opposition aux planètes symboles de masculinité toxique qui l'ouvrent et aux esprits maléfiques qui la peuplent.

W comme WEST SIDE STORY: "Twin Peaks" est traversé de références au cinéma américain et particulièrement à la comédie musicale, bien que le terme convienne mal à "West Side Story" (1960) qui est un drame. Deux acteurs de "Twin Peaks" proviennent du film de Robert WISE et Jerome ROBBINS: Richard BEYMER alias Tony qui joue le rôle de Benjamin Horne, un homme d'affaires peu recommandable de prime abord et Russ TAMBLYN alias Riff, le meilleur ami de Tony qui joue le docteur Jacoby, un psychiatre complètement perché qui lors d'un moment savoureux vient tenter de soigner la régression au stade infantile de Benjamin Horne.

X comme X-FILES: Parce que Si "Twin Peaks" a absorbé de multiples références, elle est à son tour devenue une source d'inspiration pour d'autres, à commencer par "X-Files". Les agents Scully et Mulder sont des émanations de Dale Cooper et du major Briggs. La filiation est présente jusque dans le casting. David DUCHOVNY joue un rôle savoureux dans "Twin Peaks" alors que Don DAVIS alias le major Briggs joue de façon très logique le père de Dana Scully (Gillian ANDERSON).

Y comme YIN/YANG: Parce que l'univers de "Twin Peaks" est basé sur un savant équilibre entre les dualités qui régissent l'univers et que celles-ci donnent lieu parfois à de savoureux rebondissements. Par exemple lorsqu'un nouveau personnage de prédateur/gangster/mâle alpha apparaît tel que Jean Renault qui veut détruire Dale Cooper survient dans le même épisode Denise Bryson (alias David DUCHOVNY) agent du FBI transgenre qui vient enquêter sur les accusations contre Dale Cooper et qui est évidemment l'antidote à Jean Renault. Cependant dans le tout dernier épisode, ce principe d'équilibre se rompt.

Z comme ZEMECKIS: Il y a une parenté évidente entre les deux cinéastes, mise en valeur par le documentaire "Lynch/Oz" (2022). "Twin Peaks" ressemble au "Hill Valley" des années cinquante du premier "Retour vers le futur" (1985). Cet aspect vintage se retrouve dans les lieux, les personnages, les situations et même les programmes TV! Cependant si Robert ZEMECKIS est critique vis à vis de ce prétendu âge d'or de l'American way of life dont il montre les travers (la psychose nucléaire par exemple) et les promesses non tenues, David LYNCH est carrément horrifique, faisant surgir des coins les plus sombres les pires monstres. Autre point commun, l'attirance pour les outre-mondes. Le major Briggs à l'écoute des messages extra-terrestre m'a fait penser au personnage de Jodie FOSTER dans "Contact". (1997)

Voir les commentaires

Better Man

Publié le par Rosalie210

Michael Gracey (2025)

Better Man

"Gainsbourg (Vie heroique)" (2009) (que j'aimerais bien revoir d'ailleurs) montrait dans plusieurs séquences comment l'auteur-compositeur-interprète se voyait, sa tête étant remplacée par un chou ou par une marionnette artisanale un peu grotesque accentuant les proéminences de son nez et de ses oreilles. Il faut dire que l'homme était croqué par un réalisateur également dessinateur de BD. "Better Man" qui est consacré au parcours agité d'un autre auteur-compositeur-interprète, Robbie WILLIAMS le représente sous la forme d'un chimpanzé numérique tout au long du film. Une manière de souligner son sentiment d'inadaptation, notamment dans les situations de groupe (les autres personnages étant tous humains) et de contourner la problématique de la ressemblance du comédien avec son modèle. C'est aussi un moyen de représenter les démons qui le poursuivent. A chaque fois qu'il croit enfin s'en sortir, les visages simiesques correspondant aux moments les moins glorieux de sa vie, de ses débuts dans un boys band dans lequel il se sentait exposé comme une bête de foire à ses excès "sexe, drogue et pop-rock and roll" reviennent le narguer. Autre caractéristique du film, il s'agit d'une comédie musicale dans laquelle les tubes du chanteur sont utilisés pour illustrer les moments importants de sa vie. Celle-ci est racontée de façon chronologique, de ce point de vue, on est dans une narration parfaitement balisée. J'ai apprécié l'énergie dégagée par les morceaux chantés et dansés ainsi que leur esthétique. Certains sont très réussis, comme "Rock DJ" qui se déroule sur Regent Street et donne un cachet british à un film dont tous les codes sont pourtant ceux du blockbuster américain ou "She's the one" qui ressemble à un ballet féérique. J'aime les chansons de Robbie WILLIAMS dont j'ai apprécié de découvrir les paroles sous-titrées en français. Néanmoins le film épouse un rythme survolté (trop selon moi) et n'évite pas le pathos. Ainsi le final vendu comme émouvant m'a surtout paru politiquement correct et profondément gênant.

Voir les commentaires

Bird

Publié le par Rosalie210

Andréa Arnold (2025)

Bird

Belle proposition de cinéma pour cette cinquième réalisation de Andrea ARNOLD qui cherche l'équilibre entre récit d'émancipation adolescente, âpre réalisme social des laissés-pour-compte et désir éperdu de s'échapper dans l'art et la nature. Jamais le bestiaire de son film n'aura été si bien rempli: chien, chevaux, papillons, crapaud, insectes divers tatoués sur le corps du père (qui s'appelle lui-même Bug) mais surtout oiseaux, passion de l'héroïne, Bailey (Nykiya Adams, l'une de ces non-professionnelles à la forte présence dont Andrea ARNOLD a le secret) dont le quotidien oscille entre rage et désespoir. On peine à croire qu'elle n'a que douze ans, on lui en donne facilement quinze voire seize. Il faut dire qu'elle est confrontée à des problèmes qui ne sont pas de son âge et contre lesquels elle ne peut opposer que son imaginaire et son téléphone portable qui lui sert à filmer le monde. Ses parents que l'on découvre tour à tour sont deux paumés qui l'ont eu alors qu'ils étaient adolescents et qui ne semblent pas avoir beaucoup gagné en maturité depuis. Le père (Barry KEOGHAN) qui ressemble à un gamin vit d'expédients (plutôt comiques avec son crapaud cracheur de bave hallucinogène!) dans un squat et bien que de nature aimante, il est trop autocentré pour véritablement s'occuper de sa fille et du demi-frère de celle-ci qui s'apprête à reproduire le même modèle. La mère enchaîne les relations toxiques et vit avec les trois petits demi-frères et soeurs de Bailey dans une colocation jonchée de détritus avec un petit ami extrêmement violent. "Bird" est néanmoins une histoire de métamorphose et de résilience. Malgré tout ce que sa vie a de plombant, Bailey qui ressemble au début du film a un petit hérisson plein de piquants devient progressivement une belle jeune fille qui s'ouvre à la vie en puisant des motifs d'espérer dans son environnement. Les tags se transforment en autant de messages d'encouragement et la nature amie lui envoie un drôle d'allié, sorte de vagabond à la nature hybride qui semble tout droit échappé de "Le Regne animal" (2022) et qui est joué par l'acteur fétiche de Christian PETZOLD, Franz ROGOWSKI. Même si son intégration dans l'histoire souffre de quelques maladresses d'écriture, ce personnage d'homme-enfant (à l'image de son père) est une bouffée d'air frais qui apporte à l'héroïne l'aide dont elle a besoin pour grandir.

Voir les commentaires

Sans jamais nous connaître (All of Us Strangers)

Publié le par Rosalie210

Andrew Haigh (2023)

Sans jamais nous connaître (All of Us Strangers)

La bande-annonce, censée donner envie d'aller voir un film m'avait plutôt fait fuir. Ca avait l'air trop mélo, trop chromo et noyé dans une bande-son abrutissante. Si le film n'évite effectivement pas ces écueils (oui, c'est racoleur et assumé comme tel), il est plus subtil qu'il en a l'air. Il faut dire qu'il s'agit de l'adaptation (la deuxième) d'un roman japonais, "Strangers" de Taichi Yamada. Cette influence, on la ressent au travers des fantômes qui obsèdent Adam (Andrew SCOTT que j'avais beaucoup aimé dans "Pride") (2014). Ils l'obsèdent tellement que sa vie présente est un désert. Pourtant, une autre solitude vient à lui. Cela m'a fait penser un bref instant à "Une journee particuliere" (1977), ces deux solitaires exclus de la vie qui se croisent dans un immeuble vide. Mais Adam ferme sa porte à Harry (Paul MESCAL). Il préfère imaginer tout ce qu'il aurait aimé dire à ses parents disparus quand il avait 12 ans ce qui donne lieu à des scènes assez troublantes de par le choix de faire jouer les parents par des acteurs plus jeunes que Andrew SCOTT (Claire FOY et Jamie BELL alias "Billy Elliot") (2000). On pense à un moment donné que Adam va se réconcilier avec la vie, on pense que celle-ci est représentée par Harry qui finit par s'inviter chez lui, dans sa vie et dans ses rêves, bref par pénétrer son intimité. Mais ce Harry là n'est peut-être qu'une illusion lui aussi. Evidemment on a du mal à démêler le vrai du faux tant la réalité et le rêve se confondent à l'image. Néanmoins, ce travail de deuil qu'Adam ne semble pas parvenir à faire jette un doute sur sa capacité à sortir de son isolement. Dommage d'avoir exprimé des émotions simples et universelles avec des images parfois clichetoneuses qui à l'image d'Adam mettent le spectateur à distance, le tout sur un rythme qui se traîne.

Voir les commentaires

Here-Les Plus Belles Années de notre vie (Here)

Publié le par Rosalie210

Robert Zemeckis (2024)

Here-Les Plus Belles Années de notre vie (Here)

Après des films de commande que j'ai volontairement laissé passer, "Here - Les Plus Belles Annees de notre vie" (2024)" marque le retour de l'expérimentateur qu'a toujours été Robert ZEMECKIS, le "savant fou" du cinéma. Ainsi on retrouve dans "Here" pas mal d'éléments issus de ses précédents films. Cela va d'une esthétique à la Norman Rockwell à l'obsession pour le voyage dans le temps en passant par l'utilisation d'effets numériques pour rajeunir ou vieillir notamment Robin WILLIAMS et Tom HANKS, le couple fétiche de "Forrest Gump" (1994). Tom HANKS est par ailleurs l'acteur le plus transformiste de la filmographie de Robert ZEMECKIS, que les transformations soient naturelles (l'amaigrissement spectaculaire dans "Seul au monde") (2001) ou non (la motion capture de "Le Pole Express"). (2004) "Here" est l'adaptation d'un roman graphique de Richard McGuire (primé à Angoulême en 2016) qui repose sur un concept très simple: dérouler l'histoire de l'humanité depuis un seul lieu, un seul point de vue et en plan fixe ce qui ramène aux origines du cinéma, celle des vues Lumière. Le point de vue unique étant l'angle du salon où l'auteur a grandi (ou l'environnement naturel qui existait avant la construction de la maison selon l'époque abordée). L'image de la fenêtre sur le monde n'a jamais été aussi appropriée que pour ce film. S'y ajoute la fragmentation du cadre. A la manière d'un magicien (et cela aussi fait penser aux origines du cinéma, celle fois on pense à Georges MELIES), Robert ZEMECKIS fait apparaître et disparaître des cadres dans le cadre qui lui permettent de changer d'époque ou simplement de faire des clins d'oeils spatio-temporels dans l'une des parties de l'image. Le film est donc construit sur un système d'échos voire de répétitions à des années, des décennies voire des centaines d'années d'intervalle. Pour ne donner qu'un exemple, la mort de la grippe (espagnole?) d'un personnage fait écho un siècle plus tard à la mort d'un autre atteint par le covid. De même, on assiste aux rituels des familles américaines, mariages, enterrements, sapins de noël, fêtes de Thanksgiving, anniversaires qui se répètent avec de subtiles variations, esthétiques ou technologiques. C'est amusant d'observer par exemple l'évolution des canapés, des téléphones, des télévisions et de leurs programmes etc. Mais bien conscient du risque d'abstraction posé par le dispositif, Robert ZEMECKIS raconte tout de même une histoire, celle de Richard et Margaret incarnés par son couple d'acteurs vedettes, ainsi que celle de leurs parents et de leur enfant. Une histoire dans laquelle le désenchantement vient contrebalancer un système fait pour justement enchanter. L'american way of life a souvent été critiqué par Robert ZEMECKIS, notamment dans sa trilogie "Retour vers le futur" mais dans "Here", c'est le renoncement de Richard à ses rêves artistiques pour faire vivre sa famille et la frustration de Margaret de ne pas parvenir à quitter le nid qui finissent par donner une teinte douce-amère à l'ensemble. Dommage que les autres époques évoquées soient ainsi survolées malgré quelques allusions réussies: aux expérimentations de Robert ZEMECKIS (un inventeur et un aviateur risque-tout habitent un temps la maison), au passé des USA (la maison est construite sur un cimetière indien et la fenêtre donne sur une maison coloniale, un saisissant résumé de l'histoire des USA) ou à ses problèmes actuels (le passage où le père afro-américain explique à son fils comment se comporter face à la police). Au final, le caractère de palimpseste du film est manifeste, tant sur les décors que sur les visages, ceux de Tom HANKS et de Robin WRIGHT en particulier avec pour une fois une utilisation intelligente de l'IA (même si le caractère artificiel de leur apparence jeune m'a gêné, surtout au début).

Voir les commentaires

L'Adorable voisine (Bell, Book and Candle)

Publié le par Rosalie210

Richard Quine (1958)

L'Adorable voisine (Bell, Book and Candle)

Le couple de cinéma formé par James STEWART et Kim NOVAK est entré au panthéon du cinéma en 1958 avec le "Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK. La même année, ils tournaient "L'Adorable voisine" de Richard QUINE dans un registre beaucoup plus léger, celui d'une comédie fantastique. Le film aurait paraît-il inspiré la série "Ma sorciere bien-aimee" (1964). On y retrouve le James STEWART tendre et naïf des comédies de Frank CAPRA et Ernst LUBITSCH mais avec vingt ans de plus. Comme le film est adapté d'une pièce de théâtre et se déroule en grande partie dans une boutique, il m'a fait notamment penser à "The Shop Around the Corner" (1939). Face à lui, une Kim NOVAK magnifiquement photographiée et aussi envoûtante que dans le film de Alfred HITCHCOCK. A ceci près que c'est elle qui mène la danse en jetant son dévolu sur son voisin. Non par amour mais par désir d'avoir une aventure. Le terme de "féline" la concernant s'impose plus que jamais, elle qui jette des sorts en s'appuyant sur son compagnon à quatre pattes. Le comique provient de l'effet de ses manipulations sur le personnage joué par James STEWART qui ne sait plus ou il en est. Quelques adjuvants efficaces dont un tout jeune et déjà désopilant Jack LEMMON viennent renforcer l'effet produit. Mais chassez le naturel, il revient au galop, elle va bien évidemment tomber amoureuse et devoir choisir entre lui et ses pouvoirs ce qui est un pur reflet du puritanisme américain. Le film a donc une conclusion parfaitement convenue qui anéantit la (très relative) force subversive qu'il pouvait avoir en renversant temporairement les rôles. "L'Adorable voisine" est donc au final une comédie sympathique mais inoffensive.

A noter la présence étonnante de Philippe CLAY, chantant dans la boîte de jazz fréquentée par la confrérie sorcière ainsi que Elsa LANCHESTER, la fiancée de Frankenstein, dans le rôle de la tante Queenie.

Voir les commentaires

Alice au pays des merveilles (Alice in Wonderland)

Publié le par Rosalie210

Norman Z. McLeod (1933)

Alice au pays des merveilles (Alice in Wonderland)

Une curiosité que cet "Alice au pays des merveilles" adapté pour la deuxième fois en version sonore (la première version muette connue date de 1903 et la première version parlante de 1931) par Norman Z. McLEOD, un habitué du cinéma surréaliste puisqu'il a réalisé deux films des Marx Brothers à l'époque où ils travaillaient pour la Paramount, "Monnaie de singe" (1931) et "Plumes de cheval" (1932). Cette version se distingue par son faste et son nombre élevé de stars au mètre carré, même si elles sont méconnaissables sous leur costume. La Paramount en avait fait un argument publicitaire avec un générique de trois minutes prenant la peine de montrer chacune d'elle avec le rôle correspondant qui s'est retourné contre elle car le film a été un échec. Les spectateurs n'ont pas apprécié de ne pouvoir reconnaître Gary COOPER, Cary GRANT ou encore W.C. FIELDS, même si on entend distinctement leur voix. Autre bémol, le film fusionne les deux livres de Lewis Carroll, "Alice au pays des merveilles" et "Alice de l'autre côté du miroir" ce qui encombre particulièrement le début de l'histoire. Enfin, le style du film qui se compose de petits tableaux juxtaposés les uns aux autres a vieilli. Mais il n'en reste pas moins qu'il est très fidèle à l'oeuvre d'origine et bénéficie d'un travail conséquent sur les décors, les costumes et les maquillages, travail qui a été une évidente source d'inspiration pour Walt DISNEY. Il contient d'ailleurs une séquence animée très réussie dans le style de l'époque, repris récemment dans le jeu vidéo "Cuphead".

Voir les commentaires

Vampyr: l'étrange aventure de David Grey (Vampyr)

Publié le par Rosalie210

Carl Theodor Dreyer (1931)

Vampyr: l'étrange aventure de David Grey (Vampyr)

"Vampyr : l'etrange aventure de David Grey" (1931) a sans nul doute contribué à fixer les codes du film de vampire, au même titre que deux autres classiques du genre, "Nosferatu le vampire" (1922) et "Dracula" (1931). Ainsi par exemple le professeur de "Le Bal des vampires" (1967) ressemble beaucoup au médecin de "Vampyr", l'auberge a également comme un air familier. Le film de Tod BROWNING partage par ailleurs avec celui de Carl Theodor DREYER le fait d'avoir été tourné au début de l'ère du cinéma parlant. Dans "Vampyr", cette transition se ressent particulièrement: les dialogues sont parcimonieux, les intertitres, nombreux (au point de m'avoir fait douter au début du film de sa nature parlante!), l'expressionnisme s'impose avec notamment un ballet d'ombres ayant parfois plus de consistance que les corps de chair et d'os, souvent noyés dans la brume (un effet involontaire au départ dû à un incident technique qui renforce le caractère de cauchemar éveillé du film). Cependant "Vampyr" est surtout un film surréaliste, sans solution de continuité narrative, peuplé d'images-symboles qui frappent l'esprit. C'est à la fois sa force et sa limite. Sur le plan de la technique cinématographique, le film est audacieux, multipliant les expérimentations visuelles dont une scène particulièrement marquante en caméra subjective où le personnage principal se retrouve cloué dans un cercueil. Mais le film est également très lent et décousu voire nébuleux avec trop de passages explicatifs, notamment la lecture des extraits du livre. Des scènes ont été perdues ce qui sans doute a contribué à cette impression de confusion dans l'intrigue. Tel qu'il est, "Vampyr" est inconfortable, malaisant, clivant, paradoxal, en tout cas bien moins accessible que les deux autres films cités au début de cette critique ce qui explique sans doute qu'il soit moins présent dans la mémoire collective. Si son importance dans l'histoire du cinéma est indiscutable, cela reste une oeuvre cinématographique bancale, très moderne par certains aspects et poussiéreuse sur d'autres.

Voir les commentaires

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>