"Au nom du père" que je n'avais pas revu depuis très longtemps fait partie de ces films qui vous prennent aux tripes et ne vous lâchent plus jusqu'à la dernière seconde. Le titre a une double signification, politique et religieuse d'une part (des innocents crucifiés sur l'autel de la raison d'Etat), intime de l'autre (la relation très forte d'un père et d'un fils victimes de la même erreur judiciaire).
Le film raconte l'histoire vraie de Gerry Conlon qui parce qu'il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et qu'il avait un profil de coupable idéal (irlandais et délinquant) se retrouve condamné avec une partie de sa famille à une lourde peine de prison pour un attentat qu'il n'a pas commis. Bien que se situant dans le contexte du conflit en Irlande du nord dans les années 70, le film est très actuel en ce qu'il expose les fragilités de toutes les démocraties confrontées au terrorisme. Face à la pression populaire qui exige des coupables et une politique sécuritaire, l'Etat réagit en prenant des mesures d'exception qui bafouent les libertés individuelles et facilitent les erreurs judiciaires (il est rappelé dans le film que les gardes à vue avaient été prolongées à sept jours sans la présence d'un avocat ce qui donnait aux policiers toute latitude pour abuser de leur pouvoir. C'est de cette manière qu'ils parviennent à extorquer de prétendus aveux à Gerry). Quant à la suite de l'affaire, c'est à dire la dissimulation de preuves pouvant innocenter Gerry et les siens et le refus de rouvrir le dossier en dépit de l'arrestation et des aveux du vrai coupable, elle relève d'un scandale d'Etat digne de l'Affaire Dreyfus. Pour des raisons d'efficacité narrative, la machine judiciaire est incarnée par un seul homme, Dixon (Corin REDGRAVE) mais Jim SHERIDAN rappelle à plusieurs reprises que s'il est mouillé jusqu'au cou dans cette sale affaire, il bénéficie de l'appui de tout l'appareil d'Etat. Par ailleurs, l'adversaire de l'Etat britannique, l'IRA n'est pas davantage épargné par le réalisateur, sa violence terroriste (y compris envers les siens lorsqu'ils compromettent ses actions) et ses méthodes mafieuses étant également soulignées. Ce qui est remarquable, c'est que cet affrontement à grande échelle se double de celui qui se joue entre un père et son fils qui en dépit de leur communauté de destin, de leur nature fondamentalement semblable et d'un amour filial très fort sont séparés par un abîme d'incompréhension. Gerry apparaît longtemps comme un adolescent rebelle et immature qui juge son père faible et sermonneur. Pourtant c'est la peur que l'on s'en prenne à lui qui le fait craquer et sa nature profondément non-violente le fera finalement revenir vers lui pour l'aider dans son combat judiciaire pour faire reconnaître leur innocence avec l'aide d'une avocate intègre pugnace, Gareth Peirce (Emma THOMPSON). Daniel DAY-LEWIS et Pete POSTLETHWAITE sont tous deux remarquables.
Même si ce n'est jamais dit explicitement dans le film, le personnage joué par Brad PITT est atteint de troubles du spectre de l'autisme, plus exactement il est asperger. Cette particularité "colore" toute son expérience et par conséquent la notre puisque le spectateur chemine en compagnie du héros et voit à travers ses yeux. Cette expérience, c'est celle de la solitude, de l'isolement et de l'étrangeté. L'espace est l'un des "éléments naturels" de l'autiste, Roy dit d'ailleurs qu'il y est beaucoup plus à l'aise que chez ses prétendus "semblables" qui pour lui sont des aliens. Bien que la stratégie soit dans la réalité plus fréquente chez les femmes asperger que chez leurs congénères masculins, Roy a choisi de camoufler sa différence sous un masque de normalité qui lui coûte un maximum d'énergie, d'ailleurs il ne rêve que d'une chose, trouver la sortie des pièces où se tient une assistance nombreuse. Il déteste également être touché. Pas étonnant que ce qui lui plaise, c'est de passer son temps bien emmitouflé dans une combinaison spatiale avec un casque vissé sur la tête à bonne distance d'autrui, ne communiquant que par le biais des machines et/ou à travers des vitres. Il n'y avait d'ailleurs pas besoin d'ajouter le personnage de son ex-femme qui surligne beaucoup de choses que l'on comprend très bien sans elle. En revanche ce qui est très réussi dans le film, c'est d'une part l'aspect robotique du personnage, très calme, très détaché comme s'il était absent à lui même ce qui lui permet paradoxalement d'agir avec efficacité même dans les situations les plus désespérées alors que les autres sont paralysés de terreur (la scène où il rétablit la position de la fusée au moment de l'atterrissage m'a fait penser au début de "Flight (2012) de Robert ZEMECKIS où le pilote pourtant ivre fait preuve d'un sang-froid hors-normes). Et surtout, sa solitude absolue est remarquablement illustrée par le fait qu'à chaque étape de son périlleux voyage qui l'entraîne toujours plus loin de la terre il réussit à survivre dans un monde qui lui est fondamentalement hostile alors que tous ceux qui s'approchent de lui (avec de bonnes ou de mauvaises intentions) meurent. Tout cela pour retrouver un père dont le comportement semble calqué sur le sien avec sa phobie de la terre, de l'humain, du contact tactile et son obsession de rencontrer une autre forme d'intelligence alors que cette autre forme d'intelligence est en lui mais il ne sait pas la reconnaître.
"Non, rien de rien, non, je ne regrette rien. Ni le bien, qu'on m'a fait, ni le mal, tout ça m'est bien égal"*. Si les personnages d'"Inception" étaient semblables à la chanson qu'ils utilisent pour leur indiquer qu'il est bientôt l'heure de se réveiller parmi les différentes strates de rêves dans lesquels ils sont plongés, il n'y aurait pas "d'Inception". Il n'y aurait pas de coffre à secrets, de phrase malentendue ou mal interprétée, d'acte manqué ou funeste revenant hanter son protagoniste. Il n'y aurait pas de question non résolue telle que "suis-je responsable de la mort de ma femme?", "Pourquoi n'ai-je pas pris le temps de regarder le visage de mes enfants avant de partir?" ou "suis-je un raté aux yeux de mon père?". Ainsi "Inception" derrière ses allures de labyrinthe du casse de l'esprit est aussi une gigantesque thérapie visant à offrir à des personnages tourmentés le repos de l'âme. Peu importe au fond de distinguer le vrai du faux comme le montre la réponse que Cobb implante dans l'esprit de Fisher (qui est d'ailleurs peut-être la vérité, qui sait! Ce qui compte au fond, c'est qu'elle le libère) et la fin volontairement ouverte où l'on se demande si Cobb (Leonardo DiCAPRIO) est véritablement revenu dans la réalité ou s'il ne rêve pas encore. Comme dans "Interstellar" (2014), des personnages qui se sont arrachés de la pesanteur terrestre et des êtres qu'ils y aimaient se perdent dans une autre dimension et ont toutes les peines du monde à revenir au point de ne pas y parvenir comme le montre le personnage de Mal (Marion COTILLARD).
En plus de ces questionnements philosophiques et psychologiques, "Inception" est un grand film de structures virtuoses qui met un peu de temps à démarrer car il lui faut le temps d'exposer son dispositif complexe. Mais quand il se déploie dans toute sa splendeur il en met plein la vue avec ses différents rêves emboîtés aux temporalités différentes mais qui interagissent les uns avec les autres. Ainsi en est-il de la chute du van au ralenti qui provoque les scènes d'apesanteur surréalistes de l'hôtel et les scènes de réveil successif, strate après strate. Les références utilisées par Christopher NOLAN sont nombreuses. Il s'est beaucoup inspiré pour le scénario et certaines scènes de "Paprika" (2006) de Satoshi KON et d'ailleurs le début du film est un clin d'œil au Japon avec notamment un décor dérivé de celui du château Nijo à Kyoto. Mais sur le plan formel, le réalisateur auquel on pense le plus en dehors du "Blade Runner" (1982) de Ridley SCOTT (film également sous influence japonaise et très "architecturé") c'est Stanley KUBRICK, un architecte de l'image explorant l'espace dans "2001, l'odyssée de l'espace" (1968) et flirtant avec le cauchemar paranormal dans "Shining" (1980) (le choix du couloir d'un hôtel comme décor majeur pour le film n'est pas dû au hasard). Evidemment la saga "Matrix" (1998) ne peut pas être occultée à cause notamment de la similitude des va et vient permanents entre monde réel où les personnages sont réveillés et mondes virtuels où pendant qu'ils dorment, on retrouve leur image dans une autre dimension entre rêve et jeu vidéo. "Inception" comme "Matrix" sont des films-métaphores de l'art cinématographique lui-même puisque pendant que notre corps repose dans un fauteuil, notre esprit s'affranchit des contingences du réel pour aller à l'autre bout du monde, sous l'eau ou dans l'espace, dix siècles plus tôt ou mille ans plus tard (sans parler du fait qu'il peut aussi reconfigurer la personnalité physiquement et psychiquement par l'identification aux héros de l'histoire). Des œuvres littéraires ont également influé sur le film, notamment celle de Borges (elle imprègne toute l'œuvre de Christopher NOLAN) et "Alice au pays des merveilles".
*Evidemment, que ce soit intentionnel ou pas, on ne peut s'empêcher de penser aussi à "La Môme" (2007) qui a ouvert les portes d'Hollywood à Marion COTILLARD, protagoniste importante du film de Christopher NOLAN.
Une invention est rarement le fruit du génie d'un seul homme mais plutôt le résultat d'une chaîne d'innovations, celui qui parvient à la rendre décisive passant à la postérité. La paternité du premier film de l'histoire du cinéma est le reflet de la rivalité entre Thomas EDISON et Louis LUMIÈRE, chacun revendiquant l'invention du cinéma. Les historiens s'accordent aujourd'hui à accorder la primauté de la réalisation de films à William Kennedy Laurie Dickson, l'ingénieur électricien de Thomas EDISON qui en a tourné 70 entre 1891 et 1895. "La sortie de l'usine Lumière à Lyon" n'est donc pas le premier film de l'histoire du cinéma mais le premier film Lumière de l'histoire du cinéma. En revanche ce sont bien les célèbres frères qui ont les premiers eu l'idée de projeter au public les films qu'ils avaient tournés en spectacle collectif grâce à leur cinématographe qui était à la fois une caméra, une tireuse et une visionneuse alors que les images tournées par Dickson à l'aide d'une caméra appelée kinétographe ne pouvaient être vues qu'individuellement dans un appareil appelé kinétoscope à travers un œilleton (un peu comme avec un microscope, un télescope ou une paire de jumelles).
"La sortie de l'usine Lumière à Lyon" (usine de plaques photographiques) est typique de l'art cinématographique tel que l'ont conçu les Lumière. De même que Georges MÉLIÈS a naturellement glissé du spectacle de magie vers les effets spéciaux, les Lumière sont passés de la photographie au documentaire. Un art documentaire composé de vues photographiques animées filmées en caméra fixe. Autrement dit l'art des Lumière passe par le choix du cadre et de l'angle de prise de vue ainsi bien sûr que de tous les éléments qui vont se déplacer à l'intérieur de ce cadre (sans parler de la lumière, cruciale pour impressionner suffisamment la pellicule). Car les Lumière sont aussi sans le savoir des "directeurs d'acteurs", en demandant à leurs ouvriers de se partir vers la droite ou vers la gauche une fois la porte franchie. Bien sûr tout cela restait embryonnaire et il ne faut pas oublier que les Lumière ne croyaient pas en la pérennisation de leur invention.
Un autre aspect intéressant de ce film c'est qu'il existe en trois versions (une quatrième a été tournée deux ans plus tard, en 1897). Ceux qui pensent que le "remake" est une invention des studios hollywoodiens ont tout faux ^^^. Néanmoins les raisons de ces multiples versions étaient très différentes d'aujourd'hui, elles étaient avant tout liées à des considérations techniques. Les trois versions se ressemblent beaucoup mais on peut s'amuser à relever les quelques différences, par exemple la version la plus complète où la porte se referme, celle qui ne comporte pas de voiture à cheval et surtout la première où les ouvriers sont en tenue de travail se distingue des deux autres "rejouées" par les costumes du dimanche qu'ils portent.
Autant "Exotica" (1994) en dépit de sa toile de fond désespérée portait un regard compatissant sur ses personnages en souffrance, autant "De beaux lendemains" ressemble a un châtiment (divin?) collectif réactualisant le conte du joueur de flûte de Hamelin dans lequel les habitants d'une bourgade des USA se retrouvent à la suite d'un accident de bus scolaire privés de leurs enfants, donc de toute perspective d'avenir. Si l'on excepte le cas de l'inceste (dont la victime, suprême ironie est la seule survivante parmi les passagers du bus accidenté), les raisons pour lesquelles Atom EGOYAN s'acharne sur ces habitants qui lorsqu'ils ne se retrouvent pas sans descendance sont plus ou moins lourdement handicapés me semblent nébuleuses. Même lourdeur dans le traitement de l'avocat joué par Ian HOLM qui espère tirer un profit de la tragédie en empochant une partie des indemnités qu'il espère obtenir pour ses "clients" à moins que ce ne soit une revanche symbolique face à son impuissance vis à vis de sa fille toxico et séropo qui passe son temps à l'appeler en PCV histoire d'en remettre une couche dans la culpabilité? Une culpabilité dont on a bien du mal à comprendre la nature (à moins qu'il ne s'agisse là encore d'un inceste au vu de l'histoire du couteau, de l'enfant dans le lit de ses parents et de la quasi absence de la mère dans l'histoire etc.) En tout cas la méthode du film puzzle superposant avec une lenteur savamment calculée des éléments disparates dans le temps et dans l'espace pour faire surgir progressivement le nœud de l'intrigue est assez poussive même si on voit où Atom EGOYAN veut en venir. Le personnage de Nicole, la survivante de l'accident qui a appris à ne pas faire confiance aux adultes déjoue leurs plans (celui de l'avocat comme celui de son père) mais même si elle fait mettre un verrou à sa porte, on ne voit pas comment elle peut gagner sa liberté étant donnée qu'elle doit passer le reste de sa vie clouée dans un fauteuil roulant comme la "Martha" (1973) de Rainer Werner FASSBINDER. Alors on peut apprécier la mise en scène atmosphérique mais tout cela est non seulement trop distant mais trop surplombant à tous les sens du terme.
"Mon petit frère de la lune" est un court-métrage d'animation touchant et poétique sur la problématique de l'autisme. C'est aussi un film familial. Le réalisateur Frédéric Philibert est le père du petit Noé dont on entend la voix dans le film et celui-ci a pour narratrice la grande sœur de Noé, Coline. Grande étant un mot tout relatif car elle n'a à l'époque de la réalisation du film que 6 ans. Par conséquent c'est un film vu à hauteur d'une enfant qui raconte avec ses mots, des mots très simples, candides et poétiques la différence de son petit frère. Symboliquement, celui-ci est entouré d'un halo de lumière alors que tous les autres personnages sont dans l'ombre. Ce halo symbolise la bulle autistique dans laquelle il est enfermé mais aussi son étrangeté foncière puisque selon Coline il vient de la lune. Et vu que son regard est toujours tourné vers le ciel et qu'il bat des bras comme un oiseau, il rêve sans doute d'y retourner. C'est extrêmement bien vu car de nombreux autistes se décrivent comme des extra-terrestres et rêvent d'aller vivre sur la lune (ou variante, sur une autre planète ou encore sous l'eau). Coline l'observe et trouve intuitivement les jeux qui peuvent lui permettre d'entrer en contact avec lui, comme de lui présenter des objets qui brillent ou mettre en chapeau sur sa tête et courir pour qu'il essaye de l'attraper, une stimulation sensorielle procurant une sensation d'apaisement*.
* Sachant qu'il y a autant de formes d'autisme que d'autistes, certains auront un système vestibulaire hypersensible qui leur rendront insupportables les mouvements instables ou imprévisibles avec une peur permanente de tomber alors que d'autres, hyposensibles s'autostimuleront en se balançant, sautant, courant ou en tournant en cercle. Il en va de même pour les cinq sens. Noé dans le film ne supporte pas les bruits trop forts et qu'on lui coupe les ongles ou les cheveux mais aime les objets brillants donc les lumières vives.
"Cube" n'est pas devenu culte par hasard, c'est une claque cinématographique. Réalisé avec trois bouts de ficelles, ce film-cerveau canadien claustrophobique et paranoïaque génial se situe entre "Alien, le huitième passager" (1979) (dont il reprend le générique avec les lettres qui apparaissent progressivement), les grands géomètres du cinéma comme Stanley KUBRICK ou Christopher NOLAN et Kafka pour l'absurdité de la situation dans laquelle sont plongés les personnages, prisonniers* sans raison apparente d'un dédale spatio-temporel en forme de Rubik's Cube géant dont ils doivent comprendre les lois pour trouver la sortie sous peine de mourir. "Cube" a quelque chose d'une parabole sur la condition humaine. Chaque personnage porte en effet en lui une partie de la clé de l'énigme du fonctionnement du cube car doté de compétences particulières** mais seule leur collaboration peut leur permettre de la résoudre en totalité. Or "Cube" analyse les effets délétères de l'enfermement comme dans les films de Roman POLANSKI ou dans les jeux de télé réalité: la promiscuité, la peur, la faim, la soif, la fatigue, le désespoir mettent à rude épreuve les personnages jusqu'à révéler les pires aspects de la nature humaine. Ce sont moins les pièges mécaniques du Cube qui tuent, aussi horribles soient-ils que la sauvagerie humaine. Un homme d'ailleurs livré à lui-même car si les personnages se posent beaucoup de questions métaphysiques dans le film (qui a créé le Cube et dans quel but ce qui se rapporte à nos questions sur l'origine de la création de l'univers), les réponses sont claires: il n'y a pas de "Grand architecte" autrement dit pas de Dieu ni même de "Big Brother" totalitaire derrière le Cube. Chacun est ainsi renvoyé à lui-même et à ses représentations, le Cube pouvant s'apparenter à une projection de l'univers mental de chacun aussi bien qu'à une métaphore de la vie sur terre. La rationalité de Leaven peut par exemple déjouer mathématiquement les pièges mortels que renferme le Cube mais pas celui que représente Quentin, flic à l'allure de leader qui s'avère être un psychopathe tueur en série car son comportement échappe à toute logique quantifiable. L'architecte parvient à trouver la sortie mais perd l'envie d'en franchir le seuil devant la perspective de "la bêtise humaine" sans limite qui se trouve derrière.
* Leurs tenues et leurs noms se réfèrent d'ailleurs à des pénitenciers: Quentin, le policier a été baptisé d'après la prison d'état San Quentin à Marin County en Californie, Holloway la femme médecin porte le nom de la prison de Holloway à Londres, Kazan l'autiste se réfère à la prison de Kazan en Russie, Rennes, l'expert en évasion provient de la prison de Rennes en France, Alderson, le premier tué porte le nom de l'Alderson Federal Prison Camp à Alderson, dans l'Etat de Virginie et enfin Leaven, l'étudiante en mathématiques et Worth, l'architecte se partagent le nom du pénitencier de Leavenworth à Leavenworth, Kansas.
** Notamment Worth, l'architecte de la coque du Cube, Leaven qui déchiffre le langage mathématique et Kazan qui selon le cliché le plus répandu concernant les asperger est capable d'effectuer des calculs mentaux complexes. C'est un cliché car il y a beaucoup d'asperger qui n'ont pas de don particulier et pour lesquels les mathématiques sont un véritable cauchemar.
La suite de "Jurassic Park" (1993), réalisée également par Steven SPIELBERG ne bénéficie pas de la même aura que son prédécesseur. Il faut dire que celui-ci avait bénéficié d'un effet de surprise qui ne peut plus opérer. Le scénario du "Monde perdu" a donc un petit côté réchauffé et les personnages sont globalement moins travaillés. Mais il n'en reste pas moins un très bon film tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, il se distingue par des scènes d'action spectaculaires toujours aussi remarquablement mises en scène. Celle de la caravane est un morceau d'anthologie. Quant aux effets spéciaux ils sont évidemment toujours aussi intelligemment utilisés de façon à servir le récit et à nourrir l'émotion. Sur le fond, on retrouve une critique acerbe des actions inconsidérées de l'homme sur la nature pour des motifs aussi peu avouables que la cupidité et la vanité avec des références à plusieurs films des années 20 et 30. Tout d'abord "King Kong" (1932) est ouvertement cité sauf que le gorille géant est remplacé par un T.Rex qui est arraché à son île par des chasseurs à la solde du neveu de John Hammond (devenu écologiste entre temps et donc écarté des affaires ^^) théoriquement pour servir de tête de gondole à un projet de parc d'attraction à San Diego en réalité pour venir semer le bazar en pleine ville. Ensuite l'arrivée du bateau fantôme en pleine ville avec son chargement funeste a quelque chose de "Nosferatu le vampire" (1922), la touche d'ironie en plus (j'adore quand le T.Rex défonce la barrière du port indiquant que les animaux et végétaux importés sont interdits à partir de "ce point", comme si l'homme espérait ainsi empêcher la propagation d'une épidémie, une peur qui est loin d'avoir disparu comme le montre l'exemple actuel du coronavirus). Enfin le titre choisi par Steven SPIELBERG est un hommage au film éponyme de Harry O. HOYT de 1925 dans lequel évoluaient les dinosaures animés en stop motion de Willis O'Brien, également créateur de King Kong. Le plateau à l'écosystème du jurassien coupé du reste du monde imaginé par Conan Doyle est devenue une île menacée. Le fait d'avoir choisi des films de cette époque, dont un allemand n'est pas innocent. Beaucoup de critiques ont souligné à quel point Steven SPIELBERG était hanté par "La Liste de Schindler" (1993) tourné quatre ans plus tôt. De fait "Le Monde perdu" est plus sombre, plus violent et plus désenchanté que "Jurassic Park" (1993). Il illustre la tendance profondément autodestructrice de l'homme qui a le don de désirer ce qui est susceptible de lui faire le plus de mal. Le neveu de John Hammond (Arliss HOWARD) et sa quête insensée du profit, le chasseur Roland Tembo (Peter POSTLETHWAITE) obsédé par l'idée de compléter sa collection de trophées de chasse ou encore l'un de ses acolytes qui s'amuse avec un plaisir sadique à lancer des décharges électriques sur des espèces qui n'ont pourtant manifesté aucune intention agressive à son égard sont trois exemples édifiants du mal humain. Face à eux, c'est moins Ian Malcom (Jeff GOLDBLUM) qui s'impose (pour les besoins du film il est plus homme d'action que de réflexion ce que je trouve dommage) que sa petite amie, le Dr Sarah Harding (Julianne MOORE) qui est comparée à juste titre à Dian Fossey, la célèbre primatologue américaine immortalisée par Sigourney WEAVER dans "Gorilles dans la brume" (1988). Dian Fossey qui paya de sa vie son engagement en faveur des gorilles en raison des intérêts puissants qu'elle contrariait que ce soit ceux des braconniers, ceux des éleveurs ou ceux des trafiquants de bébés gorilles dont certains étaient hauts placés. On en comprend d'autant mieux le parallèle avec King Kong.
Jurassic Park qui à sa sortie a fait sensation notamment en raison de ses effets spéciaux révolutionnaires (et qui conservent toute leur puissance de frappe près de trois décennies plus tard) est aussi l'œuvre d'un grand réalisateur. Soit ce qui manque aux blockbusters actuels, pilotés par des producteurs qui pour maximiser leurs profits recyclent à l'infini les recettes scénaristiques du passé (et Jurassic park qui n'en finit plus d'avoir des avatars sans intérêt ne fait pas exception à la règle) relookés par de la surenchère technologique indigeste.
Jurassic Park se démarque de ceux-ci sur de nombreux points:
- Un art de la mise en scène qui intègre intelligemment les effets spéciaux à des scènes d'action et de suspense qui de ce fait sont passées à la postérité. Deux exemples: la découverte progressive du T.Rex depuis l'intérieur de la voiture et la scène de la cuisine à la fin où l'utilisation de l'espace et des éléments du décor est tout simplement magistrale! De plus, soucieux de conférer le plus grand réalisme possible à ses dinosaures, Steven SPIELBERG a choisi d'intégrer les images de synthèse à des scènes de nuit ou de pluie et a fait étroitement collaborer (et pas seulement cohabiter) les techniques animatroniques et numériques. De ce point de vue "Jurassic park" est un film se situant dans une transition technologique tout à fait passionnante. Car le résultat est bluffant alors que pourtant les dinosaures ne sont présents qu'un quart d'heure à l'écran (9 minutes pour les animatroniques et 6 pour les effets numériques).
- Des acteurs avec une vraie présence campant des personnages bien construits à partir d'une intrigue bien ficelée adaptée du roman de Michael CRICHTON. Sam NEILL et Laura DERN incarnent Alan et Ellie, un couple de paléontologues de renom brusquement confrontés à des dinosaures vivants recréés par la science. Ils sont tous deux fascinés par le fait de pouvoir regarder et toucher les créatures qu'ils n'appréhendaient jusque là qu'à l'état de squelettes. Le mathématicien Ian Malcom (Jeff GOLDBLUM), spécialiste de la théorie du chaos est quant à lui conscient des dangers que l'expérience fait courir à l'humanité et au monde et fait preuve d'esprit critique ce qui énerve le milliardaire inconscient John Hammond (Richard ATTENBOROUGH) qui est à l'origine du projet et passe son temps à répéter qu'il a "dépensé sans compter". Même les enfants ne sont pas là pour faire joli mais ont un vrai rôle à jouer, en particulier le petit Tim (Joseph MAZZELLO) dont les pulsions voyeuristes sont souvent soulignées. Les péripéties que vivent les personnages révèlent soit leur médiocrité (informaticien véreux, avocat d'affaires veule, garde-chasse trop sûr de lui) , soit au contraire leurs qualités (Allan et Ellie se révèlent être des héros qui sauvent la situation et protègent les enfants).
- Les thématiques qui traversent le film sont particulièrement riches et pertinentes. On y trouve d'une part une énième critique de l'homme démiurge/apprenti-sorcier/prométhéen (que l'on peut renommer "hommo occidentalus" ^^) qui croit pouvoir jouer impunément avec les règles de la nature en cherchant à la reconfigurer pour son bon plaisir et à la contrôler alors que bien entendu, elle lui échappe comme l'avait prévu Ian Malcom. A cela s'ajoute une critique de la société du spectacle fondée sur la consommation et le voyeurisme et de la technologie censée remédier aux failles humaines. Le "Jurassic Park" de John Hammond est conçu comme une sorte de zoo géant disneylandisé sauf que la visite (trop) guidée fait un flop retentissant car le vivant ne se plie pas aux désirs mercantiles alimentés par la "pulsion scopique". Lorsque les portes s'ouvrent et que la promenade en voiture (téléguidée) commence il n'y a littéralement rien à voir et les grillages électrifiés s'avèreront très vite dérisoires pour endiguer une sauvagerie moins animale qu'humaine. Le personnage de Dennis Nedry (Wayne KNIGHT), le programmeur du système de gestion automatisé du parc et responsable de la catastrophe est très intéressant à étudier comme un exemple éloquent de l'irrationnalité humaine. Son corps déborde de partout, son bureau en vrac est une poubelle à ciel ouvert, il est accablé par les problèmes financiers (s'il les gère comme son bureau ou son régime alimentaire, on comprend pourquoi) et déborde d'anxiété. Bref c'est l'homme idéal pour commettre une grosse bêtise. Car en coupant l'alimentation électrique pour voler des embryons, il ouvre en même temps la cage des dinosaures et signe son arrêt de mort. D'ailleurs Steven SPIELBERG punit d'une façon ou d'autre autre tous ceux qui cherchent à tirer profit du parc, même le petit Tim se prend un bon coup de jus pour son plaisir un peu trop manifeste devant le spectacle du "gore en live".
Cette seconde adaptation du roman de Sir Conan Doyle après celle, muette, de 1925 par Harry O. HOYT est un monument de kitsch. Le film de Irwin ALLEN apparaît daté avec ses effets spéciaux ridicules (par seulement liés à l'époque mais aussi à un budget réduit à cause du tournage concomitant de "Cléopâtre") (1963) et ses personnages mal joués et stéréotypés jusqu'au bout des ongles dont les costumes, coiffures et maquillages restent impeccables jusqu'au fin fond de la jungle. Difficile de décider si la palme du ridicule va au caniche à rubans roses de Jill (elle-même vêtue de rose) ou aux pauvres reptiles que l'on a affublés de cornes ou d'autres appendices factices afin de les faire passer pour les sauriens de la préhistoire. Ils sont d'ailleurs très peu présents dans le film, on comprend pourquoi. D'autre part sa vision manichéenne des "gentils" (les occidentaux) et des "méchants" (les indigènes et deux membres du groupe vils et cupides qui sont comme par hasard latino et qui sont purement et simplement éliminés) n'est certainement pas sauvée par le personnage d'une sauvageonne au brushing et au bronzage californiens et dont le costume rappelle celui de l'épouse de la famille Pierrafeu, la série de William HANNA et Joseph BARBERA. D'ailleurs le parallèle est d'autant plus pertinent que les deux oeuvres sont contemporaines avec une toile de fond préhistorique qui sert de prétexte à mettre en scène l'american way of life des années 1960. Lequel consiste entre autre dans le film pour Jill à se faire épouser par un Lord (diamonds are girl's best friends, tout en rose ^^) chasseur de fauves et explorateur face auquel le journaliste (un parvenu nommé Ed Malone) n'a aucune chance. Bref s'il y a un certain savoir faire dans la réalisation et la photographie, ce film parfaitement dispensable est une série B qui a mal vieilli et qui ne peut plaire aujourd'hui soit qu'à ceux qui cherchent de l'imagerie naïve et colorée, soit aux amateurs de comique involontaire.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.