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Mélodie pour orgue de barbarie (Melodiya dlya sharmanki)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (2009)

Mélodie pour orgue de barbarie (Melodiya dlya sharmanki)

Le film le plus récent et le plus accessible de Kira Mouratova que j'ai pu voir jusqu'ici est un drame social épousant la forme d'un conte de noël tiré du folklore russe mais qui ne cache pas ses références à "La petite fille aux allumettes" de Hans Christian Andersen, au "Un chant de Noël" de Dickens et à "Le Petit garçon à l'arbre de noël du Christ" de Dostoïevski. A ceci près que les deux orphelins en cavale n'ont plus le réconfort de l'au-delà qui était de mise dans les oeuvres d'un XIX° siècle beaucoup moins sécularisé que notre XXI° siècle matérialiste et consumériste. Autrement dit la magie de noël n'est plus qu'un décor de carton-pâte cachant une effroyable misère matérielle, morale et spirituelle, celle des sociétés post-soviétiques qui ressemblent à un cauchemar post-apocalyptique. On retrouve le même profond pessimisme sur la nature humaine que celui qui était exprimé dans "L'Accordeur" où un escroc profitait de la souffrance affective de deux vieilles femmes vulnérables pour les dépouiller. Là ce sont deux enfants de pères différents refusant d'être séparés à la mort de leur mère qui se retrouvent victimes des adultes et des autres enfants dans la même situation qu'eux. Kira Mouratova utilise la présence des enfants comme un miroir révélateur des travers de de l'Ukraine post-soviétique*. Leur quête pour retrouver leurs pères respectifs se heurte à des murs d'indifférence ou à une peur paranoïaque. Leurs demandes restent la plupart du temps sans réponses, ils sont chassés des endroits où ils cherchent à se réfugier, leurs maigres biens leur sont volés, les quelques miettes mises à leur portée sont dérobées avant qu'ils aient pu mettre la main dessus alors que lorsqu'ils cherchent à voler à leur tour, ils sont immédiatement repérés contrairement aux adultes qui eux peuvent s'en mettre plein les poches en toute impunité et pour certains, afficher des fortunes tapageuses (une façon détournée d'évoquer l'enrichissement des oligarques dans les Etats de l'ancienne URSS). Kira Mouratova dresse le portrait d'une société férocement individualiste dans laquelle chacun est enfermé en lui-même (la scène des portables à la gare), indifférente au malheur d'autrui ou bien le considérant comme une gêne ou un danger ou au contraire comme un objet à acheter. Ajoutons que l'esthétique du film est particulièrement soignée avec un contraste quasi-permanent entre le monde blanc et noir du dehors (neige et nuit) et celui, coloré des arbres de noël et des lieux censés représenter la chaleur du foyer mais qui sont affreusement dénaturés, ouverts à tous les vents, inadaptés aux enfants ou bien inaccessibles.

* Si je devais faire une rétrospective sur ce thème, je mettrai ce film aux côtés de "Nobody Knows" de Hirokazu Kore-Eda ou de "La Nuit du Chasseur" de Charles Laughton. La référence biblique du massacre des innocents qui ouvre le film est commune à tous ces films, reflets de sociétés en crise.

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Diplomatie

Publié le par Rosalie210

Volker Schlöndorff (2014)

Diplomatie

Diplomatie repose sur un dispositif particulièrement efficace, tiré de son origine théâtrale: une unité de lieu (la suite de l'hôtel Meurice où le gouverneur allemand von Choltitz avait établi son QG), une unité de temps (la nuit de la libération de Paris du 24 au 25 août 1944) et une unité d'action autour d'un enjeu clair: le sauvetage de la capitale de la destruction ordonnée par Hitler. Le dialogue tendu à huis-clos entre von Choltitz et le consul de Suède Raoul Nordling parvient à captiver et Volker Schlondörff réussit également à éviter le théâtre filmé, d'une part en collant aux basques des acteurs (Niels Arestrup et André Dussollier, tous deux excellents qui reprennent les rôles qu'ils interprétaient déjà sur les planches) et de l'autre en n'oubliant jamais le troisième protagoniste de l'histoire: Paris. Le générique de début qui à l'aide d'images d'archives relate la destruction de Varsovie rappelle que la seconde guerre mondiale fut une guerre d'anéantissement dans laquelle des villes entières furent rasées au nom de la guerre totale. Plus discrètement, la fenêtre ouverte sur la ville pendant la joute verbale de Choltitz et Nordling reflète l'évolution de leur négociation: de silencieuse et plongée dans la pénombre, elle s'éclaire et s'anime peu à peu. Enfin, de nouvelles images d'archives montrent les rues de la capitale transformées en champ de bataille lors de l'arrivée de la division Leclerc.

La pièce de théâtre comme le film prennent cependant de grandes liberté avec la vérité historique. Nordling et Choltitz se sont rencontrés plusieurs fois et avaient besoin d'un interprète, supprimé dans la fiction parce que cela aurait alourdi la dramaturgie. L'action de Nordling qui jouait le rôle d'intermédiaire entre les allemands et la Résistance a été considérablement simplifiée alors que la décision de von Choltitz d'épargner la ville n'a pas seulement été motivée par l'intervention de Nordling. D'autres acteurs firent pression sur le général qui par ailleurs étant sur le terrain, avait conscience de l'inutilité voire de l'aspect contre-productif d'un tel acte, sans parler du fait qu'il n'aurait pas eu les moyens de l'accomplir (en tout cas pas comme cela est présenté dans le film). Enfin von Choltitz savait que la guerre était perdue et espérait ainsi que cet acte effacerait son ardoise, lui qui avait participé à de nombreux crimes commis par l'armée allemande à l'est. De même que le scénario évacue le fait que Nordling avait des intérêts dans la capitale et n'oeuvrait pas seulement pour la beauté du geste, il n'est jamais fait mention de la différence de traitement entre l'ouest et l'est, là où les nazis déployèrent toute l'étendue de leur barbarie au nom de la lutte contre le judéo-bolchévisme (et de leur théorie raciale du sous-homme slave).

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Le Grand Alibi (Stage Fright)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1950)

Le Grand Alibi (Stage Fright)

Film méconnu, à tort, (comme la majorité de sa filmographie) de Alfred Hitchcock, "Le Grand Alibi" appartient avec "Les Amants du Capricorne" à sa parenthèse britannique avant qu'il ne retourne filmer pour Hollywood avec le succès que l'on sait. Ce retour aux sources lui permet de renouer avec la comédie policière et l'humour anglais de ses débuts tout en creusant des thèmes sous-jacents au reste de son oeuvre. C'est ainsi que "Le Grand Alibi" fait immédiatement penser (en mode plus léger) à "L'Ombre d'un doute": Eve (Jane Wyman) une jeune oie blanche attirée par un mal(e) aux atours séduisants dont elle ne soupçonne évidemment pas la vraie nature mène une (en)quête initiatique en eaux troubles qui l'amène tout droit dans le ventre du loup dont elle sort transformée ainsi que l'objet de son désir (qui s'est entretemps déplacé du criminel au justicier, le détective Smith, joué par Michael Wilding déjà présent sur "Les Amant du Capricorne"). A cette intrigue, se superpose une réflexion, récurrente chez Hitchcock sur les liens entre réalité et artifice. Le monde du théâtre auquel appartient Eve (on pense aussi au film au titre éponyme de Mankiewicz, forcément) l'amène à jouer un rôle d'habilleuse pour s'infiltrer dans l'intimité de Charlotte (Marlène Dietrich) alors que son amant, Jonathan (Richard Todd), le présumé meurtrier lui raconte sa version des faits à l'aide d'un faux flashback qui oblige le spectateur à s'interroger sur son rapport aux images. C'est d'ailleurs avec ce film que l'influence de Alfred Hitchcock dans les films de David Lynch m'est apparue la plus évidente. Que ce soit l'interpénétration de deux univers a priori étanches, l'un fait de lumière et l'autre d'ombre ("Blue Velvet") ou la réflexion méta sur fond d'images sujettes à caution ("Mulholland Drive").

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Molière ou la vie d'un honnête homme

Publié le par Rosalie210

Ariane Mnouchkine (1978)

Molière ou la vie d'un honnête homme

"Molière ou la vie d'un honnête homme" qui totalise quatre heures (en version cinéma avec deux époques de deux heures, il existe aussi une version en épisodes télévisés de cinq fois une heure) est l'équivalent cinématographique du haut-relief de l'Arc de Triomphe "La Marseillaise" de François Rude: ces deux monuments historiques avec leurs visages si expressifs saisis dans la pierre/le nitrate d'argent sont traversées par un souffle épique saisissant et intense sur lesquels le temps n'a pas de prise. D'ailleurs s'il y a une chose qui définit la fresque monumentale que Ariane Mnouchkine a consacrée au prince de la comédie à la fin des années 70 c'est paradoxalement sa légèreté et son dynamisme. Ce "Molière" est une ode au mouvement avec de nombreuses scènes d'itinérance utilisant une diagonale qui accentue la profondeur de champ dans des paysages superbes. Dans ces scènes en particulier, le vent joue un rôle essentiel. D'ailleurs, l'une de celles qui m'était le mieux resté en mémoire montre le théâtre de la troupe Dufresne jouant en plein air emporté par le vent, poursuivi par la troupe de Molière jusqu'au bord d'un précipice. Ce n'est pas non plus un hasard si le crasseux et obscurantiste maître d'école rejette les grands principes de la circulation qui venaient alors d'être découvert par Harvey à l'échelle de l'homme (la circulation sanguine) et par Galilée à l'échelle de l'univers (la rotation des planètes autour du soleil).

Mais ce qui frappe l'esprit lorsqu'on regarde "Molière", c'est également l'importance de la terre (ou plus précisément de la boue) qui elle aussi est du voyage. En dépit de l'indéniable parfum de liberté et d'aventure picaresque qui accompagne la troupe mue également par une circulation du désir sur lesquels les dévots jettent l'opprobre faute de pouvoir le contrôler, la pénibilité, la dureté de cette époque ne nous est pas cachée. En parcourant les campagnes de France, les acteurs croisent des vagabonds mais aussi des paysans affamés qui mangent la viande crue de leurs chevaux. L'ombre de la grande faucheuse n'est jamais très loin, que ce soit au travers de la répression (morale et politique) d'un carnaval transformé en rébellion contre la religion et la pression fiscale (superbe morceau de bravoure là aussi) ou bien des maladies qui s'acharnent particulièrement sur les femmes et les enfants. Lorsque la troupe de Molière s'installe à Versailles et devient dépendante du roi, la sédentarisation s'accompagne elle aussi d'un paradoxe: c'est à la fois le temps de la gloire (les succès qui s'enchaînent) et le début de la fin avec la description de la mort au travail sur le corps de Molière qui se consume sous les différentes pressions dont il fait l'objet (haine des courtisans dont il raille les travers mais surtout des dévots redoutablement influents). Tout est prêt pour l'ultime scène-choc, celle de l'agonie de Molière après la quatrième représentation du "Malade imaginaire" sous l'égide du "King Arthur" de Purcell dans laquelle la troupe court encore mais n'avance plus: elle fait du sur-place, elle s'enlise alors que le maquillage de Molière se défait, non cette fois sous le poids de l'échec lorsqu'il essayait de se couler dans des habits qui n'étaient pas faits pour lui mais sous celui des fluides qui s'échappent de son corps et de sa mémoire qui rembobine les images marquantes de sa vie. Cette façon de travailler la matière organique comme de faire cohabiter harmonieusement les contraires d'une époque aussi glorieuse que miséreuse, aussi obscurantiste qu'éclairée est la marque des grands.

En effet "Molière", porté par la prestation très puissante de Philippe Caubère (qui ne s'est jamais tout à fait remis de son expérience avec Ariane Mnouchkine) est aussi un témoignage du génie de cette metteuse en scène et de son théâtre du Soleil dont les deux représentations que j'ai pu voir dans les années 90 (l'une d'Iphigénie d'Euripide dans un théâtre à l'antique construit en plein air au bord de la Garonne et l'autre du Tartuffe à la Cartoucherie transposé dans un pays oriental qui faisait alors référence à la guerre civile en Algérie et annonçait l'obscurantisme des islamistes radicaux) ont laissé en moi une empreinte ineffaçable.

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L'Etau (Topaz)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1969)

L'Etau (Topaz)

Lève-toi et marche! (Ou plutôt vole!) Dans cet antépénultième film de Alfred Hitchcock (suivront "Frenzy" et "Complot de Famille"), on voit le réalisateur sortir d'une chaise roulante, métaphore de son physique handicapant dans un aéroport qui lui est la métaphore du cinéma-évasion*. Il faut dire que question dépaysement, "l'Etau", thriller d'espionnage adapté du roman de Leon Uris a de quoi combler les fans du genre: Moscou, Copenhague, Washington, New-York, Cuba, Paris... En revanche, question scénario, c'est plus laborieux. "L'Etau" se suit sans déplaisir mais est alourdi par sa construction en segments reliés par un fil ténu (un personnage d'espion joué par un acteur inexistant, Frederick Stafford) qui compartimentent les personnages, les intrigues et les genres aussi bien dans la romance que dans le suspens. Reste que le savoir-faire de Alfred Hitchcock acquis durant sa période muette est intact et donne lieu à des passages sans paroles extrêmement réussis mobilisant toute l'attention du spectateur: le début par exemple avec l'exfiltration d'un haut fonctionnaire soviétique qui veut passer à l'ouest avec sa famille, la mise au parfum (il utilise la couverture d'un magasin de fleurs ^^) puis les manoeuvres d'un agent martiniquais et journaliste pour approcher et corrompre le secrétaire d'un chef castriste possédant des documents confidentiels sur la teneur de l'aide militaire de l'URSS à Cuba ou la fin avec un Michel Piccoli qui, s'il avait été présent depuis le début aurait pu faire figure de nouveau docteur Mabuse (son rôle d'agent double français s'inspire de faits réels). Et un plan devenu à juste titre iconique, celui de la mort de Juanita (Karin Dor) dont la robe, filmée en plongée s'ouvre comme la corole d'une fleur quand elle s'effondre et évoque une mare de sang. Bref, s'il n'est pas un Hitchcock majeur, "l'Etau" me semble sous-estimé et mérite d'être redécouvert dans sa filmographie.

* Comme Hayao Miyazaki qui a compensé toute sa vie sa myopie l'ayant empêché de devenir pilote par l'obsession des engins volants dans ses films.

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Pleure, ô pays bien-aimé (Cry, The Beloved Country)

Publié le par Rosalie210

Zoltan Korda (1952)

Pleure, ô pays bien-aimé (Cry, The Beloved Country)

Film sobre et poignant à la fois, "Pleure, ô mon pays bien-aimé" a été produit et scénarisé par Alan Paton d'après son roman éponyme, fruit de son expérience vécue lors des premières années de l'Apartheid en Afrique du sud. Deux personnages au moins ont hérité d'une part de lui-même: le directeur de la maison de redressement pour jeunes délinquants, poste qu'il occupait dans les années 30 et Arthur Jarvis, fils d'un propriétaire terrien travaillant au rapprochement entre noirs et blancs. Tout dans le film (dont la réalisation par Zoltan Korda, réalisateur d'origine hongroise est au service de l'histoire) respire la véracité. Les scènes dans les townships sont d'ailleurs proches du documentaire.

Contrairement aux attentes qu'un spectateur occidental peut avoir sur un tel sujet, le film n'évoque pas frontalement l'Apartheid. Il en montre plutôt les ravages sur la communauté noire qui comme dans la plupart des autres pays colonisés par les occidentaux a vu son mode de vie traditionnel dévasté. Avec les mêmes conséquences avilissantes un peu partout liées à la dissolution des liens tribaux et familiaux: l'alcool, la drogue, la délinquance, la criminalité, la prostitution, la misère etc. Stephen Kumalo, vieux pasteur ("umfundisi" en zoulou) très respecté parti à Johannesburg tenter de retrouver sa soeur, son frère et son fils ne peut que constater, impuissant, leur déchéance morale et aller de souffrance en souffrance. L'autre axe majeur du film est de montrer l'absurdité de la ségrégation. Un terrible événement va rapprocher le pasteur de James Jarvis, propriétaire terrien qui dans leur campagne éloignée ne s'étaient jamais adressés la parole. Jarvis et Kumalo ne seront d'ailleurs jamais aussi proches de leurs fils qu'en éprouvant la douleur de leur perte. Enfin, bien que peuplé d'hommes d'église, le film n'est ni larmoyant, ni édifiant. Bien que profondément humaniste, il dresse un constat parfaitement lucide sur la médiocrité ordinaire des comportements humains, notamment au travers du portrait de John Kumalo, le frère de Stephen, un homme égoïste et amoral agissant dans son seul intérêt.

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Laurence Anyways

Publié le par Rosalie210

Xavier Dolan (2012)

Laurence Anyways

Le troisième film de Xavier Dolan est le premier que j'ai vu. Et à l'époque, je l'avais trouvé "too much". Trop long, trop hystérique, trop baroque, trop clipesque, et d'autant plus fatiguant à suivre qu'une partie des acteurs s'y exprime avec l'accent et les expressions québécoises. Il m'avait lessivé, littéralement. Dix ans plus tard, j'ai révisé ce jugement. Je trouve toujours que le film déborde de partout, à l'image du discours-fleuve que Xavier Dolan a écrit pour rendre hommage à Gaspard Ulliel. Mais ce caractère excessif fait aussi sa force. "Laurence Anyways" est un film puissant sur la question transgenre, un voyage au long cours (10 ans) d'un homme vers l'affirmation de sa véritable identité et le prix qu'il doit payer pour y parvenir puisque cette métamorphose entraîne un changement radical de vie. La marginalisation sociale du personnage est bien retranscrite à travers le poids des regards qui se posent sur lui en train de devenir elle au sein d'une institution hypocrite qui par souci de respectabilité le licencie. Son passage à tabac achève de le projeter dans un autre cercle social, celui d'un groupe d'artistes bohèmes semblables à lui en qui il va trouver une seconde famille (il fête noël avec eux, se fait soigner par eux etc.)

Mais la dimension la plus importante du film réside bien entendu dans les répercussions que la décision de Laurence de changer de sexe (Melvil Poupaud, un peu trop lisse pour le rôle à mon goût) va avoir sur son couple. C'est le grand mérite de Xavier Dolan d'avoir créé un personnage féminin fort, porté par la tornade Suzanne Clément (même si ça continue de me gêner de ne pas comprendre tout ce qu'elle dit) qui parvient à exister à ses côtés et à affirmer sa propre personnalité, laquelle s'avère incompatible avec ce qu'il est en train de devenir en dépit des sentiments très forts qu'elle a pour lui (et réciproquement). Derrière l'outrance tape-à-l'oeil de certains passages (je ne suis toujours pas fan de l'abus des ralentis et du "Fade to grey" du groupe Visage qui me fait penser à un clip Dior pour le château de Versailles), l'analyse de cette discordance qui entraîne Laurence et Fred toujours plus loin l'un de l'autre en dépit de quelques moments partagés hors du temps est vraiment bien vue car universelle. L'amour que se portent Laurence et Fred qui est de l'ordre de l'absolu est inconciliable avec le quotidien et appartient à la catégorie des amours impossibles. Pour en donner un équivalent, je citerait la trilogie de Frison-Roche ("Premier de Cordée", "La Grande Crevasse" et "Retour à la montagne") qui raconte l'histoire d'amour tragique d'un guide de montagne issu d'un milieu paysan et d'une bourgeoise, tous deux passionnés d'alpinisme. Comme Laurence et Fred s'offrant une parenthèse enchantée sur l'île au noir sous les vêtements libres de toute entrave volant au vent (une des plus belles séquences du film), Brigitte et Zian fusionnent lorsqu'ils se libèrent du carcan social, en haute altitude. Mais dès qu'ils redescendent dans la vallée, ils détruisent leur couple, le mode de vie de l'un excluant de facto l'autre. Le début du film repose ainsi sur des faux-semblants avec une Fred qui a imposé son mode de vie et dont la logorrhée ne laisse aucun espace d'expression à son compagnon jusqu'à ce que son cri primal lui coupe le sifflet lors d'une scène particulièrement puissante. Laurence croit ensuite qu'il va pouvoir garder Fred auprès de lui mais celle-ci ne trouve pas sa place dans son cheminement et s'étiole inexorablement, jusqu'à aller satisfaire ses désirs avec un autre, qu'elle n'aime pourtant pas. Cruauté que cette difficulté à concilier la tête, le coeur, le corps, les désirs, les sentiments, les besoins, l'éducation, le mode de vie, les aspirations qui fait la complexité et le tourment de l'âme humaine.

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Joies Matrimoniales (Mr. et Mrs. Smith)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1941)

Joies Matrimoniales (Mr. et Mrs. Smith)

Dire que "Joies matrimoniales" est la seule comédie réalisée par Alfred Hitchcock comme on peut le lire un peu partout est inexact. "Mais qui a tué Harry?" ou bien "Complot de famille" sont des comédies policières et nombre d'autres thrillers d'Alfred Hitchcock comportent des passages relevant de la comédie (ce qui explique en partie que Cary Grant, acteur fétiche du genre y soit comme un poisson dans l'eau). Néanmoins, "Joies matrimoniales" est le seul film de sa filmographie appartenant à la catégorie de la screwball comédie subversive héritée du slapstick muet, fondée sur la contestation du mariage traditionnel, une guerre des sexes et un remariage final avec des rapports plus égalitaires entre hommes et femmes. 

Au vu du rapport plutôt fétichiste que Alfred Hitchcock entretenait avec ces dames, il n'est guère étonnant qu'il se soit senti mal à l'aise dans un genre plutôt fait pour tailler en pièces que pour mettre sur un piédestal. Si "Joies matrimoniales" est par moments franchement drôle lorsque son couple phare (excellement interprété) se retrouve en raison d'un imbroglio administratif "démarié" à l'époque du rigide code Hays, il n'a rien de subversif, bien au contraire, il aboutit à un renforcement des stéréotypes de genre. Ainsi tous les efforts de l'immature Ann (Carole Lombard) pour grandir et s'émanciper (trouver un travail, fréquenter un autre homme etc.) sont court-circuités par le très jaloux et possessif David (Robert Montgomery) qui la présente de surcroît comme "une excellente ménagère" et finit par (métaphoriquement) lui briser les ailes. On peut être certain que les scènes vues au début du film (disputes, procrastination puis réconciliation sur l'oreiller) attendent le couple une fois leur problème administratif réglé.

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All Is True

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (2018)

All Is True

A force d'adapter les pièces de son idole, William Shakespeare à l'écran, il était inéluctable que Kenneth Branagh en vienne à interpréter le dramaturge lui-même dans ce qui est une biographie romancée (forcément au vu du peu d'éléments dont on dispose sur cet écrivain dont certains discutent encore aujourd'hui la paternité des oeuvres) et crépusculaire (rien à voir avec le très léger "Shakespeare in love", grand succès public made in Harvey Weinstein de la fin des années 90).

"All is true" qui fait partie des films de Kenneth Branagh jamais sortis sur les écrans français mais qui est maintenant disponible sur Netflix est esthétiquement d'une grande beauté, que ce soit dans le travail sur les couleurs dans les scènes d'extérieur ou sur la lumière dans celles d'intérieur (inspirées de la peinture hollandaise). Sur le plan du contenu, c'est un peu plus faible. Kenneth Branagh a choisi d'évoquer les dernières années de la vie de Shakespeare, mis en retraite forcée après l'incendie du théâtre du Globe à Londres en 1613. Il retrouve à Stratford-Upon-Avon la famille qu'il a délaissée, sa femme Anne, plus âgée que lui (Judi Dench) et ses deux filles adultes qu'il connaît mal, ainsi que le fantôme de son fils mort à l'âge de 11 ans dont il n'a pas fait le deuil. Si l'intrigue est un peu répétitive et le jeu des acteurs un peu trop contenu, le fait est que son développement est intéressant. A une époque où (on nous le rappelle) les hommes interprétaient sur les planches tous les rôles puisque les femmes étaient interdites de scène, la famille de Shakespeare l'oblige à se soucier de leur sort. Et il n'est guère reluisant. Anne est analphabète (un comble pour l'épouse de celui qui est devenue le symbole de la langue anglaise), Susanna est mal mariée à un puritain qui la néglige et l'étouffe en même temps et qu'elle est accusée de tromper. Judith est une célibataire aigrie qui culpabilise d'avoir survécu à son jumeau, mis sur un piédestal par son père avant même sa mort. Comme dans la société grecque antique, hommes et femmes menaient des vies séparées et étaient étrangers les uns aux autres. Conséquence logique, dans ces conditions, l'éclosion des sentiments amoureux était favorisé par la proximité entre personnes du même sexe. Ainsi lorsque le comte de Southampton (Ian McKellen), muse de Shakespeare vient lui rendre visite, celui-ci lui déclare sa flamme, littéralement, à se demander si ce n'est pas ça qui a mis le feu au Globe ^^.

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Evolution

Publié le par Rosalie210

Kornél Mundruczó et  Kata Wéber (2021)

Evolution

"Evolution" est d'abord un tour de force technique: trois plans-séquence d'environ 30 minutes chacun pour suivre le parcours de trois générations d'une même famille juive germano-hongroise (inspirée de l'histoire de celle de la co-réalisatrice, Kata Wéber qui a également écrit le scénario d'après sa propre pièce de théâtre) victime puis hantée par la Shoah. La première partie est éprouvante et sidérante puisqu'elle se déroule dans le huis-clos d'une chambre à gaz au moment de la libération de Birkenau par les soviétiques. Elle n'est pas réaliste puisque les nazis les avaient détruites avant de prendre la fuite afin d'effacer les preuves les plus évidentes de leurs crimes. Elle montre -métaphoriquement- comment en dépit des efforts de nettoyage du site (entendez par là, d'effacement de la mémoire), celle-ci ressurgit au travers de vestiges humains incrustés dans des murs friables, enfouis dans un sol qui se dérobe et finit par révéler une enfant survivante, Eva. Enfant qui dans le deuxième volet est devenue une vieille femme sénile écrasée par le poids des souvenirs, enfermée dans son appartement de Budapest avec sa fille Léna qui ne supporte plus le fardeau familial et souhaite refaire sa vie à Berlin en faisant jouer le privilège que confère désormais le fait d'être juif puisqu'il permet d'accéder à l'entraide communautaire. Mais encore faut-il le prouver et quand on a passé sa vie à falsifier ses origines pour survivre, ce n'est pas simple. Le règlement de compte mère-fille passe par un déluge de paroles conçu pour faire éprouver au spectateur un sentiment d'étouffement faisant écho à la première séquence jusqu'à ce que celui-ci ne devienne, dans une nouvelle saillie surréaliste, un déluge d'eau. Enfin la dernière partie qui se déroule une dizaine d'années plus tard a pour personnage principal Jonas, le fils de Léna devenu un adolescent berlinois bien décidé à se construire librement, c'est à dire en dehors de l'héritage familial et trouve pour cela une âme soeur qui refuse tout comme lui les assignations culturelles et religieuses. Grâce au naturel de ce jeune couple, on échappe à la lourdeur de la démonstration qui semblait poindre (le retour de l'antisémitisme en relation avec les conflits du Moyen-Orient).

La démarche du film n'est pas sans faire penser à "Maus" qui essayait également de faire comprendre le poids que représente le fait d'être un enfant de survivant. Si selon moi le film ne parvient pas tout à fait à atteindre ses objectifs (j'ai trouvé que la deuxième séquence était un peu brouillonne et longuette et que la troisième frôlait la démonstration sans heureusement y tomber comme je l'ai dit), ce cinéma très dynamique, sensoriel et imagé mérite d'être découvert.

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