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Le Bonheur

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1965)

Le Bonheur

Entre deux films de Jacques DEMY, "Vouloir le bonheur, c'est déjà un peu le bonheur" ("Lola")(1960) et "Il faut croire à la vie, il faut croire au bonheur" ("Parking")(1984), Agnès VARDA propose pour son troisième long-métrage sa propre réflexion sur le bonheur. Où son contraire n'est pas très loin. Agnès VARDA décrit en effet son film comme une belle pêche rongée par un ver. Et c'est exactement l'impression que procure un film filant la métaphore du jardin d'Éden et du fruit défendu, un film qui suscite émerveillement et malaise profond. 

Émerveillement tout d'abord car "Le Bonheur" est avant tout un magnifique objet d'art destiné à combler nos sens. Agnès VARDA conçoit déjà son film en plasticienne en le plaçant à la fois sous le signe des impressionnistes et des "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) de Jacques DEMY. Le travail sur les couleurs primaires et complémentaires y est primordial avec ces fondus au rouge, bleu, jaune, ces murs violets et vert pomme anti-naturalistes et ces scènes-tableaux champêtres évoquant tour à tour Monet, Manet, Renoir et Van Gogh (pour la présence récurrente du tournesol). La musique n'est pas en reste avec une utilisation expressive d'airs de Mozart. 

Mais cette fête des sens, cette célébration de la vie débouche sur la mort. Les contraires se touchent chez Agnès VARDA. Et une citation pourrait bien donner la clé du film. Il s'agit d'un extrait du "Le Déjeuner sur l'herbe" (1959) de Jean RENOIR, mise en abyme évidente dans lequel Paul MEURISSE dit que le bonheur c'est la soumission à l'ordre naturel. Or quand on voit la petite famille de Jean-Claude DROUOT (devant et derrière la caméra, Agnès VARDA manifestant ainsi son goût pour la confusion des genres et des niveaux de réalité) s'approcher en se tenant la main, elle nous fait penser aujourd'hui au logo de "La famille pour tous" défendant justement cet "ordre naturel" qui est en réalité une construction sociale: papa, maman et leurs deux chères têtes blondes partent pique-niquer un dimanche à la campagne comme on peut l'observer aujourd'hui avec ces familles aux membres indistincts qui font du vélo dans les bois à la périphérie des villes. Mais ce tableau édénique est subtilement perverti par la discrète dévotion au père-roi. C'est en effet en l'honneur de sa fête que la petite famille est partie s'aérer et pendant que monsieur dort, madame (Claire DROUOT) s'occupe de tous les détails matériels. Il n'y a donc pas la moindre parité dans ce couple et la suite va le confirmer lorsque la tyrannie du désir masculin s'épanouit. Tout en douceur et avec un "sourire qui tue", monsieur annonce à madame qu'il a une maîtresse mais que c'est juste du bonheur en plus dont ils profiteront. La preuve, il lui fait aussitôt l'amour avec plus de fougue que jamais puisque grâce à la polygamie, il est au summum de sa puissance virile. Madame est assommée par la nouvelle mais n'a pas voix au chapitre puisque son mari a défini ce qu'elle devait ressentir. Il ne la voit en effet que comme un prolongement "tout naturel" de lui-même et non comme une personne autonome. Il peut d'ailleurs s'imaginer qu'elle n'a pas fait exprès de tomber dans la rivière (ce qui est peut-être vrai d'ailleurs tant cette femme est aliénée). C'est également tout naturellement que sa maîtresse (Marie-France BOYER) prend la place de sa femme une fois celle-ci disparue, démontrant ainsi que les femmes réduites à un rôle n'ont pas d'identité propre: elles sont interchangeables. Et voilà comment on peut dépeindre l'horreur de la dépersonnalisation sous un soleil éclatant, avec la plus suave félicité apparente et les meilleures intentions du monde. Terrifiant.

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David Copperfield

Publié le par Rosalie210

George Cukor (1935)

David Copperfield

David Copperfield  

Adaptation réussie quoiqu'assez impersonnelle du célèbre roman de Charles Dickens. La fiche Wikipedia correspondante est d'ailleurs révélatrice "un film de David O. SELZNICK pour la MGM réalisé par George CUKOR" ^^. Le film est donc une œuvre de prestige à gros budget réunissant un brillant casting excellemment dirigé. L'impressionnante galerie de personnages hauts en couleur est bien croquée que ce soit le marin Dan Peggotty (Lionel BARRYMORE), M. Micawber le panier percé incorrigible inspiré du père de Dickens (W.C. FIELDS) ou Dora, la première épouse de David dont j'ai vraiment cru à un moment qu'il s'agissait d'une véritable petite fille (Maureen O SULLIVAN, la mère de Mia FARROW connue pour son interprétation de Jane dans les premiers Tarzan). Quant à David lui-même, il est formidablement joué enfant par Freddie BARTHOLOMEW . "David Copperfield" n'est pas seulement un récit d'apprentissage, c'est aussi un portrait (comme Oliver Twist) de l'enfance maltraitée et exploitée dans l'Angleterre victorienne à résonance autobiographique. Se plaçant à hauteur d'enfant dans sa première partie, il rend d'autant plus insupportable le comportement prédateur de certains adultes, seulement contrebalancé par l'humanité qu'ont su conserver quelques-uns d'entre eux.

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L'une chante l'autre pas

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1977)

L'une chante l'autre pas

Longtemps considéré comme mineur dans la filmographie de Agnès VARDA, kitsch, daté, naïf etc. (par qui? La critique n'est jamais neutre), "L'une chante, l'autre pas", son manifeste féministe "en chanté" a été récemment réévalué en phase avec la panthéonisation de Simone Veil et les multiples affaires de harcèlement sexuel qui ont prouvé si besoin était qu'il restait du chemin à parcourir pour se défaire des multiples formes revêtues par la domination masculine. Il est intéressant de confronter le début et la fin du film. Celui-ci s'ouvre sur une série de clichés de femmes en noir et blanc dont ceux de Suzanne (Thérèse LIOTARD) la compagne de Jérôme, le photographe (Robert DADIÈS). Ces clichés sont semblables à une collection de papillons, comme autant de tentatives pour capturer le mystère féminin. La domination masculine s'exerce avant tout dans la représentation de la femme, asservie aux fantasmes et aux besoins masculins. Suzanne est à la fois modèle dépendante du regard de Jérôme, maîtresse se faisant engrosser à la chaîne sans son consentement et mère au foyer dépendante financièrement. Elle n'a pas de vie ni d'identité propre. Arrive Pomme (une allusion à Eve?) petit concentré d'impertinence qui commence par répondre "NON" à Jérôme lorsqu'il surgit dans le magasin en lui disant "Vous m'attendiez?" "Maman Beauvoir" est passée par là avec son démontage en règle du "mythe du prince charmant". Tout comme "papa Engels" pour qui dans le couple, l'épouse occupe la place du prolétaire. Et Pomme (Valérie MAIRESSE) d'inciter Suzanne à se prendre en main et à cesser de subir lorsqu'elle lui donne de l'argent pour aller se faire avorter en Suisse. A la fin du film, Agnès VARDA qui est autant photographe que cinéaste filme un beau tableau impressionniste vivant et coloré où s'effectue un passage de témoin générationnel entre les mères et leurs filles (celle de Suzanne étant jouée par la propre fille de Agnès VARDA, Rosalie). Entre les deux, ce sont tous les combats menés par les deux femmes aussi différentes qu'unies dans leur quête d'indépendance et d'accomplissement que relate Agnès VARDA, parfois à la limite du documentaire lorsqu'elles se retrouvent au procès de Bobigny en 1972 et que l'avocate Gisèle Halimi intervient dans son propre rôle. Leur itinéraire est ponctué par les chansons peu orthodoxes de Pomme aux paroles-slogans écrites par Agnès VARDA aussi drôles que percutantes: "ni cocotte, ni popote, ni falote" ou variante "ni fétiche, ni boniche, ni potiche". 40 ans avant le "Ni putes, ni soumises" de Fadela Amara, Pomme réplique à son père qui ne voit pour elle en dehors des études que le mariage ou la prostitution qu'au fond c'est la même chose. Et effectivement en 1962 quand commence le film, le code Napoléon encore largement appliqué dans le code civil place la femme mariée sous la tutelle de son mari. Et quand elle a des enfants hors-mariage, elle est mise au ban de la société (les parents de Suzanne sont en froid avec leur fille et traitent leurs petits-enfants qu'ils rejettent de bâtards). Ces discriminations ont disparu mais quand on voit à quel point le talent de Valérie MAIRESSE a été gâché par l'étiquette que lui a collé un cinéma français dans lequel la femme reste plus objet que sujet, on ne peut que constater que l'on est encore loin du compte aujourd'hui.

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Après la pluie (Ame agaru)

Publié le par Rosalie210

Takashi Koizumi (1999)

Après la pluie (Ame agaru)

Après la pluie  

"Après la pluie" est un bel hommage à Akira KUROSAWA. C'est en effet son dernier projet cinématographique, celui qu'il ne put hélas mener à terme puisqu'il mourut avant le début du tournage. C'est donc son assistant Takashi KOIZUMI qui a réalisé le film d'après le scénario écrit par le maître. Cela se ressent dans une mise en scène appliquée (bien que son sens de l'épure fasse merveille dans les séquences de duel) et dans une caractérisation des personnages un peu expéditive parfois. Mais il n'en reste pas moins que "Après la pluie" est un beau film qui promeut des valeurs et un état d'esprit aux antipodes de celui qui règne habituellement dans les films de chambara (mais proche d'un autre film de Akira KUROSAWA, "Les Sept samouraïs3 (1954)). Dans le Japon féodal du début du XVIII° siècle, le héros est un rônin philosophe, un "homme qui marche" comme celui de Jiro Taniguchi dans la nature en méditant, un sage simple et modeste qui fait régner la justice et la bienveillance partout où il passe. On le voit notamment offrir un banquet à des gens du peuple coincés dans une auberge par la pluie en s'adonnant à des duels primés (ce qui était considéré comme infamant pour un samouraï) et se mélanger à eux sans façons. Le Daimyo du coin (joué par Shiro Mifune, le fils de l'acteur fétiche de Akira KUROSAWA) est tellement séduit par ce personnage atypique qu'il est prêt à envoyer valser les coutumes pour le garder auprès de lui. Mais ce serait une perte pour les autres alors il est dit que Misawa Ihei (Akira TERAO) gardera sa précieuse liberté.

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Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1989)

Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society)

Dans son livre "L'Intelligence du coeur", Isabelle Filiozat s'interroge sur l'éducation répressive qui s'acharne à soumettre des générations d'enfants en les obligeant à obéir, à se conformer et à faire taire leurs émotions. Cela commence dès la naissance et cela se poursuit ensuite jusqu'à l'âge adulte c'est à dire jusqu'à ce que l'individu ait si bien intériorisé les normes et les règles qu'il n'a plus conscience de la prison mentale dans laquelle il est enfermé. Le système éducatif traditionnel (parental et scolaire) fabrique donc à la chaîne de bons petits soldats dont le CV bien rempli dissimule le vide intérieur. Quant à ceux qui ne se conforment pas, les irréductibles, ils sont impitoyablement rejetés du système et deviennent invisibles.

"Le Cercle des poètes disparus" film éminemment politique confronte ces deux mondes, permettant ainsi de rendre visible les enjeux éducatifs d'ordinaire implicites. Peter WEIR est passé maître dans l'art de dépeindre des microcosmes totalitaires infiltrés par un intrus qui en révèle les rouages avant d'en être expulsé. John Keating (Robin WILLIAMS) est cet intrus qui dérègle le fonctionnement de la Welton Academy, une école privée élitiste accueillant les fils de la bonne bourgeoisie américaine. Sa devise "Tradition, honneur, discipline, excellence" ne laisse aucun doute sur le genre d'éducation qui y est dispensée. Or Keating, esprit libre plein de fantaisie a un tout autre projet: celui d'émanciper les jeunes qui lui sont confiés en leur ouvrant les portes d'une vision poétique du monde. Il ne leur enseigne pas la poésie, il la leur fait se l'approprier en les poussant à puiser dans leurs propres ressources physiques et mentales. Alors que l'éducation normative vide le sujet de sa substance au profit de signes purement extérieurs de richesse et de puissance, Keating est un maïeuticien qui l'aide à accoucher de lui-même. Alors que le système traditionnel fige, réifie, Keating est toujours en mouvement et y entraîne ses élèves. Comme il le leur fait si bien comprendre, l'immobilité signifie la mort et la vie est trop courte pour en perdre une miette (le fameux "Carpe Diem, cueille aujourd'hui les roses de la vie, demain il sera trop tard"). Le titre du dernier livre de Alice Miller "Le corps ne ment jamais" met bien en lumière ce travail d'éveil à la vie par le corps: les élèves marchent, frappent dans un ballon, grimpent sur les tables. Car au mouvement du corps correspond celui de l'esprit à la fois ouvert et critique. Keating anticipe même le débat actuel opposant les défenseurs des humanités (en voie de disparition, le titre du film est hélas prophétique) à ceux qui ont une vision purement utilitariste des contenus à enseigner.

Mais en dépit de son caractère engagé en faveur des électrons libres, des pionniers qui osent s'aventurer sur des chemins non balisés et de sa condamnation sans appel du patriarcat, le film n'est pas manichéen. Keating qui est idéaliste s'aveugle sur les conséquences de ses paroles et de ses actes. Il agit avec légèreté en sous-estimant la capacité
de résistance du système qu'il s'emploie à subvertir. Lorsqu'il réalise que son enseignement parfois mal compris a des effets dévastateurs, c'est trop tard. Cette irresponsabilité retombe sur les élèves, les plaçant pour certains dans des situations inextricables dont ils ne se sortiront pas. Neil Perry (Robert Sean LEONARD) est ainsi le martyr désigné (comme le souligne le symbole de la couronne d'épines) de l'absence de toute communication entre la logique paternelle et celle de son professeur. A l'inverse, Richard Cameron (Dylan KUSSMAN) est le Judas qui provoque à la fois le renvoi de Keating et d'un élève trop insolent et emporté, Charlie Dalton (Gale HANSEN). Reste Todd Anderson (Ethan HAWKE) le timide qui a appris à s'estimer et dont le célèbre geste final d'insoumission est porteur d'espoir.

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Furyo (Senjō no merī kurisumasu)

Publié le par Rosalie210

Nagisa Ôshima (1983)

Furyo (Senjō no merī kurisumasu)


"Furyo" est un film d'une grande puissance émotionnelle et au sous-texte très riche. Ce n'est pas vraiment un film de guerre ou si cela en est un, le réalisateur Nagisa ÔSHIMA le subvertit complètement. Il nous offre donc un film profondément humaniste, antimilitariste et transgressif. Ce dernier aspect est rendu possible par le huis-clos du camp de prisonniers qui exacerbe toutes les émotions et fait peu à peu surgir la vérité. Une vérité à contre-courant des codes et des normes ce qui entraîne de violents conflits intérieurs et des relations torturées entre les protagonistes. Mais le sado-masochisme défouloir de l'homo-érotisme qui sature l'atmosphère n'a rien de sulfureux. Il est montré comme une tragédie humaine. Le film lui-même ressemble à une tragédie antique avec ses héros beaux comme des dieux, deux
Orphée passés maîtres de l'art lyrique (Ryuichi SAKAMOTO dont la BO fait chavirer et David BOWIE) tous deux promis au martyre au faîte de leur jeunesse. Comment oublier leur première rencontre avec le travelling avant qui nous fait entrer dans la fascination du commandant pour l'ange blond, lequel apparaît comme un kamikaze dont l'autodestruction programmée a pour cause une faille intime dont le dévoilement révèle les similitudes de deux cultures qu'a priori tout oppose. Les extrêmes se touchent et c'est bien un britannique d'origine japonaise Kazuo Ishiguro qui a écrit "Les Vestiges du jour", fascinante plongée au cœur de l'esprit traditionnel british, ses rites et coutumes (livre adapté au cinéma par James IVORY). Japonais et anglais sont réunis par l'insularité, l'impérialisme, le code d'honneur qui chez les british est renommé "flegme". Ce sont deux civilisations rigides, coincées, cousues pour reprendre l'expression de Roberto ROSSELLINI et qui ont un ennemi commun: la nature humaine. Les "doubles populaires" de ces héros aristocratiques forment un chœur qui commente et redouble l'action. Il y a le sergent Hara alias Takeshi KITANO vedette comique d'avant le triomphe artistique international mais aussi d'avant la tentative de suicide. Un personnage frustre et burlesque dont la brutalité s'adoucit lorsqu'il apprend à parler...l'anglais grâce à son amitié pour l'ex-diplomate John Lawrence (Tom CONTI), véritable pont culturel dont on se demande ce qu'il doit à l'écrivain D.H Lawrence,, le médecin des âmes plaidant pour une libération de l'être des carcans qui le dénaturent.

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Alas and Alack

Publié le par Rosalie210

Joseph De Grasse (1915)

Alas and Alack

Un court-métrage de 1915 incomplet (il manque la fin) mais qui est proposé en bonus sur le DVD de "Notre-Dame de Paris" (1923) sans doute parce qu'il met déjà en scène Lon CHANEY dans un rôle de bossu. Un double rôle pour être exact, l'histoire se déroulant sur deux plans: celui du conte et celui d'un certain réalisme social. Dans le conte, la femme du pêcheur (Cleo MADISON) est une jeune fille (sans doute une fille de pêcheur) qui a pour amant un prince (Arthur Shirley). Mais une méchante sorcière les sépare et confie la jeune femme au destin bossu (Lon CHANEY donc) qui l'enferme dans un coquillage géant. Dans la réalité, le prince est un homme très riche (toujours interprété par Arthur Shirley) qui possède un yacht. Il est marié à une insupportable mégère (Margaret Whistler) qui ne se sépare jamais de son petit chien. La femme du pêcheur qui lui a offert des fleurs lors de son escale à terre et sa petite fille le font rêver d'une vie plus épanouissante que la sienne. Pourtant celle-ci semble aussi mal lotie que lui avec son mari pêcheur (Lon CHANEY encore) toujours absent dont la bosse laisse penser qu'il est plutôt son geôlier que son grand amour. Une mélancolie commune lié au sentiment d'avoir raté sa vie relie donc ces deux personnages situés aux antipodes du spectre social. Il y a un très beau plan où pendant que l'homme contemple le bouquet offert par la femme du pêcheur, le visage de sa petite fille apparaît à l'intérieur de chacune des fleurs. On ne peut que conjecturer sur sa signification mais il est assez évident que le yachtman est en mal d'enfant à moins que la trame du conte ne nous indique que cette enfant pourrait bien être la sienne...

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Deux ans après

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (2002)

Deux ans après

"Deux ans après", la suite de "Les Glaneurs et la glaneuse" (2000) ne devait être à l'origine qu'un simple bonus. Mais il est devenu un film à part entière parce qu'il s'est imposé comme une nécessité. Nécessité de répondre au courrier et aux cadeaux reçus, parfois en allant rendre visite à leurs auteurs. Nécessité ensuite de partager tous ces témoignages d'intérêt et d'affection avec les protagonistes du premier film dont c'est l'occasion de prendre des nouvelles. L'un d'entre eux est mort, d'autres sont sortis de la grande précarité mais la plupart continuent leur vie parallèle à celle de la société dominante sans faire de bruit, ou presque. Alain Fonteneau, le glaneur végétarien a marqué les esprits au point d'avoir eu son propre article dans Télérama et une passante prend la peine de s'arrêter pour lui dire qu'il donne envie aux autres de devenir meilleur. A l'image de la patate cœur emblématique du film, les actes de solidarité et de générosité sont en effet légion chez ces gens humbles considérés comme des déchets de la société et qui pourtant recèlent en eux des trésors d'humanité. Alain n'est pas le seul a avoir été médiatisé après le film mais pour François, l'homme aux bottes, cela s'est moins bien passé ensuite puisqu'il a connu une période d'internement pour troubles psychiatriques, un grand classique de l'arsenal normatif. Nécessité enfin pour Agnès VARDA qui se définit comme une "glaneuse d'images" d'analyser avec recul le sens que revêt son documentaire sur un plan personnel. Ses retrouvailles avec le glaneur psychanalyste Jean Laplanche sont l'occasion de s'interroger sur une discipline qui ramasse des mots que le patient laisse tomber sans y faire attention pour s'en servir comme autant d'entrées vers son inconscient. Les pommes de terre que Agnès VARDA laisse pourrir deviennent ainsi l'image de sa propre acceptation de la mort car du tubercule ratatiné surgissent les germes d'une vie nouvelle. Et Agnès VARDA de réaliser qu'elle a tourné une œuvre sur sa propre finitude identique à celle qu'elle avait réalisé lorsque Jacques DEMY était mourant, le magnifique "Jacquot de Nantes" (1991) avec les mêmes plans rapprochés à l'extrême des mains flétries et les cheveux fanés.

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Les Glaneurs et la glaneuse

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (2000)

Les Glaneurs et la glaneuse

C'est avec "Les Glaneurs et la Glaneuse" qu'Agnès Varda a révélé son amour des patates au public. Et notamment des patates en forme de cœur, devenues le symbole de son film. En effet ce qu'elle nous présente comme une qualité poétique et affective est jugée comme une difformité par l'économie de marché qui régit nos sociétés. La patate cœur finit donc comme la pomme trop petite qui a pris un coup de soleil, les denrées comestibles périmées ou les objets frappés d'obsolescence programmée: jetée au rebut. Un gaspillage gigantesque aussi révoltant qu'absurde qui vaut aussi pour les hommes. Armée de son regard d'artiste engagée socialement et écologiquement ainsi que d'une caméra numérique qui lui permet un maximum de proximité avec les gens, Agnès Varda part fouiller les poubelles et les marges pour sortir de l'invisibilité les "grappilleurs", "récupérateurs" et autre "trouvailleurs" et les interroger sur leurs motivations. Certains glanent dans les champs ou sur les marchés pour survivre, d'autres transforment leurs trouvailles en œuvres d'art, d'autres encore récupèrent par sens éthique. Fragment par fragment, Agnès Varda compose un portrait cohérent d'une autre France que celle de la "start-up nation", une contre-société de l'ombre qui donne une seconde vie aux montagnes de déchets générés par le modèle dominant. De plus, elle donne sens à leurs valeurs et à leurs pratiques, les inscrit dans une histoire remontant au moyen-âge, une esthétique picturale (des glaneuses de Millet aux œuvres fabriquées avec des matériaux de récupération), une sociologie diversifiée (jeunes et moins jeunes SDF, gitans, ferrailleurs, chefs-cuisiniers, salariés, ex-étudiant en biologie qui donne gratuitement des cours d'alphabétisation aux migrants du foyer Sonacotra qui l'héberge) et même un cadre juridique avec un avocat qui récite les articles du code civil encadrant la pratique du glanage. Par delà ce portrait de la France underground, elle dresse son propre autoportrait d'artiste confrontée au vieillissement et à la perspective de la mort: "Quand on est dans son vieillissement, on va vers son propre déchet."

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Laura

Publié le par Rosalie210

Otto Preminger (1944)

Laura

"Laura" n'est pas seulement un chef d'œuvre du film noir. Il emprunte certes au genre la plupart de ses codes, mais c'est pour mieux les transcender. Car "Laura" est surtout un film atmosphérique et psychologique qui s'interroge sur les relations hommes-femmes et la place de cette dernière dans la société (et dans le cinéma hollywoodien). "Laura" est en effet l'histoire d'une lente mais irréversible émancipation, celle de son héroïne éponyme campée par la sublime Gene TIERNEY dont c'est le plus beau rôle avec celui de Mme Muir dans le film de Joseph L. MANKIEWICZ. Sauf qu'au lieu d'être éprise d'un fantôme, ce sont les hommes qui sont épris du sien. De "Laura", nous n'avons en effet au départ droit qu'à des images fantasmées puisqu'elle est censée être morte. C'est au fond ce que souhaitent tous ses soi-disant admirateurs, hommes à la virilité douteuse qui l'ont figée sur un portrait ou modelée à la manière de Pygmalion et Galatée ou qui ne lui ont couru après que pour s'approprier sa réussite et sa fortune. Tous sauf un, l'inspecteur Mark McPherson (Dana ANDREWS). Certes, lui aussi est prisonnier de l'image (très négative) qu'il se fait des femmes. Selon un schéma misogyne très classique, il les voit toutes comme vénales et manipulatrices. Si bien que lorsqu'il est contaminé par la fascination qu'exerce Laura sur les suspects, il éprouve lui aussi jalousie et désir de possession mortifère. Sous couvert d'enquête, on le voit lire le journal intime et la correspondance privée de la défunte et passer de plus en plus de temps dans son appartement-mausolée. Il incarne ses rivaux jusqu'à la caricature puisqu'il éprouve des sentiments passionnels pour une femme qu'il n'a jamais rencontrée, preuve de la puissance d'évocation des représentations sur le psychisme. Si bien que lorsque Laura surgit dans la pièce alors qu'il est en train de dormir, on peut légitimement se demander si elle est réelle ou si elle ne sort pas directement de son imagination. Et lorsqu'il s'avère qu'elle est bien réelle -et donc distincte de lui-, McPherson est alors confronté au défi de l'acceptation de son irréductible altérité. Car Laura, en quête d'indépendance vis à vis des hommes qui l'entourent déteste qu'on lui donne des ordres. Elle se rebelle donc vis à vis de McPherson qui est tenté comme Waldo (Clifton WEBB) d'utiliser son pouvoir pour neutraliser ses rivaux. Une scène clé dans le film est celle de l'interrogatoire. Dans un premier temps McPherson éclaire violemment le visage de Laura ce qui est une variante non létale des agissements du meurtrier qui a défiguré sa victime, la privant de son identité propre (ce qui a permis la confusion sur laquelle est basé le film). Puis dans un second temps, il éteint la lampe, reconnaissant enfin son droit à conserver, même pour lui, sa part d'ombre et de mystère. Les objets ont une importance toute particulière dans le film, notamment pour Waldo qui en faisant des cadeaux à Laura marque ainsi ce qu'il estime être son territoire (il peut d'ailleurs s'introduire chez elle à son insu). La pendule revêt un sens tout particulier parce qu'il a la même chez lui et qu'elle dissimule l'arme du crime. Elle symbolise donc l'emprise qu'il a sur elle et finit donc logiquement brisée.

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