Une belle mise en scène au service d'un scénario inutilement alambiqué, voilà comment je résumerais mon impression devant "Decision to leave". A force de mettre en avant des effets, des rebondissements, de sauter d'une image à l'autre plus vite que l'éclair, il ne reste pas beaucoup d'espace pour laisser respirer les personnages. Des personnages que j'ai surtout vus comme des pions de l'intrigue. "Suis moi je te fuis, fuis moi je te suis" et "je t'aime moi non plus" ça va cinq minutes. Le début montre de belle manière (parce que la manière, il l'a PARK Chan-wook) le vertige qui saisit le flic insomniaque (PARK Hae-il) à la vue de la très jeune veuve chinoise soupçonnée d'avoir tuée son mari (Tang WEI que l'on connaît notamment pour son rôle dans "Lust, Caution" (2007) de Ang LEE). La façon dont l'enquête judiciaire et notamment sa surveillance rapprochée lui permet de fantasmer sur elle et de se rincer l'oeil (clin d'oeil à "Fenetre sur cour") (1954) donne lieu à des scènes presque amusantes alors que tout montre qu'il s'ennuie profondément avec son épouse qu'il ne voit que le week-end et que cette obsession remplit le vide de sa vie. Sauf qu'elle le déstabilise et l'empêche de faire correctement son travail. Du moins momentanément. Vient le temps de la désillusion qui rappelle le parcours de Scottie, le policier de "Vertigo" (1958), lui aussi sujet au vertige et aux obsessions. Mais sous prétexte de brouiller les pistes, le personnage féminin devient illisible, victime d'un homme possessif et violent, traumatisée par ses conditions d'immigration mais en même temps manipulatrice, meurtrière, croqueuse d'hommes, puis désespérée de ne pas parvenir à éteindre le ressentiment du flic dont la fierté à été mise à mal. Flic sur lequel elle fantasme elle aussi bien plus qu'elle ne le connaît. Au point de se sacrifier, histoire de charger encore plus une barque déjà bien remplie? PARK Chan-wook souffle le chaud et le froid de façon un peu trop ostensible et autant l'hommage à Alfred HITCHCOCK m'a paru plutôt réussi, autant celui à "Mort a Venise" (1971) de Luchino VISCONTI m'a paru à côté de la plaque tant le film, très cérébral et soucieux d'en mettre plein la vue manque d'émotions.
J'ai bien aimé la délicatesse irisée de ce film, le second du jeune cinéaste (28 ans) Hiroshi Okuyama. L'histoire fait un peu penser à celle de "Billy Elliot" au pays du soleil levant. A ceci près que la cruauté feutrée de la société japonaise produit des effets tout à fait différents du milieu des prolétaires anglais dépeints dans le film de Stephen Daldry. L'histoire tourne autour de Takuya, un adolescent bègue qui préfère contempler la neige que lancer la balle ou le palet. Fasciné par Sakura, une patineuse de son âge, il tente maladroitement de reproduire les figures gracieuses qu'elle exécute sur la glace et attire l'oeil d'Arakawa, l'entraîneur de Sakura qui le prend sous son aile et tente de les réunir pour les faire concourir. Le réalisateur créé un film aérien et cotonneux avec une belle photographie, des paysages, des couleurs et des éclairages qui reflètent les états d'âme des personnages, trois solitudes qui déploient leurs ailes le temps de quelques moments suspendus avant l'inévitable crash. Il est difficile de démêler dans la décision de Sakura de se retirer du trio ce qui relève de préjugés quant à l'orientation (homo)sexuelle de Arakawa (très mal vue au Japon et encore peu abordée au cinéma, hormis dans le récent "L'Innocence" de Hirokazu Kore-Eda) et ce qui est lié à la jalousie de se sentir exclue de la relation privilégiée qu'il entretient avec Takuya alors qu'il est manifeste qu'il ne lui a jamais accordé la même attention. Dommage que le réalisateur ne sache pas comment finir son film qui après une première partie plutôt séduisante finit par s'épuiser complètement. La faute à un scénario sans doute trop évanescent.
Avec un tel titre, je le sentais bien ce documentaire et je n'ai pas été déçue! Léo Favier a fait un travail remarquable d'approfondissement qui met en lumière les contradictions du maître japonais de l'animation, jamais aussi bien retranscrites que dans "Princesse Mononoke". Le film qui lui a ouvert les portes de l'Occident et qu'il considère lui-même comme un tournant dans sa carrière (c'est après ce film qu'il envisage pour la première fois de prendre sa retraite, mainte fois repoussée depuis) est le premier où il ne cherche pas à résoudre le conflit entre nature et culture, montrant tour à tour les facettes lumineuses et sombres de chacune et laissant ensuite chacun, y compris lui-même face à ses propres questionnements. Hayao Miyazaki mêle en effet dans chacun de ses films son expérience hantée de la guerre (il est né en 1941 et ses premiers souvenirs sont liés aux bombardements) et sa fascination pour les engins volants militaires aux connexions ancestrales entre humains et esprits de la nature issus du shintoïsme rural. Le documentaire met en relief le fait que tous ses films ont été réalisé dans un contexte de catastrophe naturelle et/ou humaine, passée, présente ou même à venir. Par exemple, "Porco Rosso" durant la guerre de Yougoslavie et le bombardement de Dubrovnik situé au bord de l'Adriatique, sur les lieux-même de son film. "Princesse Mononoke" dans la foulée du tremblement de terre de Kobé ainsi que l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Ou "Ponyo sur la falaise", trois ans avant le tsunami ayant provoqué la catastrophe de Fukushima. Hayao Miyakazi se place ainsi à la fois dans le passé, le présent et le futur de nos sociétés, quand nos descendants (des enfants en qui il place son espoir) devront composer avec le monde post-apocalyptique issu de la guerre des "sept jours de feu" (Nausicaa) ou des grands bouleversements climatiques (Ponyo) ou encore du consumérisme effréné (Chihiro). L'intervention de Toshio Suzuki (producteur du studio Ghibli) et de l'anthropologue Philippe Descola (spécialiste des relations entre humains et non-humains qui a contribué à changer le mot "nature" pour le mot "vivant") soulignent comment la vision shintoïste du monde dans laquelle l'homme est un écosystème comme un autre, animé du même souffle que tout ce qui l'environne s'oppose à la vision occidentale d'un homme se plaçant en dehors et au-dessus de la nature pour chercher à la dominer et à l'exploiter jusqu'à ce qu'à force de regarder ailleurs, il ne tombe avec la branche qu'il a scié. Une porte ouverte à la remise en cause des fondements de notre propre civilisation, que ce soit le cartésianisme ou le capitalisme qui semblent aujourd'hui plus que jamais nous mener vers une impasse.
Parmi la dizaine de courts-métrages que j'ai pu voir dans le cadre d'un cycle consacré à l'autisme au cinéma, "Guang" a été mon préféré à égalité avec "Ya Basta" (2010). Le réalisateur malaisien de "Guang", Quek Shio Chuan a d'ailleurs sept ans après réalisé un long-métrage à partir de ce court-métrage comme l'ont fait par exemple Fanny LIATARD et Jeremy TROUILH avec "Gagarine" (2020). L'histoire de "Guang" est lumineuse. Elle raconte l'histoire de deux frères (celui du réalisateur étant lui-même autiste) dont le plus âgé est autiste. Son cadet lui met la pression pour qu'il trouve un emploi et l'aide à partager les frais du quotidien. Mais Wen Guang ne parvient pas à suivre le chemin qu'a balisé son frère pour lui tant il a en tête autre chose. Cet autre chose qui est une obsession autistique c'est de trouver un verre émettant un son bien particulier pour enrichir sa collection. Si bien qu'au lieu d'aller à son entretien d'embauche, le voilà en train de fouiller les poubelles à la recherche de la perle rare. On comprend la colère de son frère quand il apprend comment Wen Guang a saboté ses efforts. Mais c'est sans compter sur la chute du film, d'une beauté renversante. L'une des plus belles façons de montrer que ce n'est pas celui que l'on croit qui est le plus limité dans sa vie.
En dépit du grand prix obtenu à Cannes, "All we imagine as light" est bien parti pour rester un film confidentiel, peu distribué et projeté dans de petites salles. C'est avant tout un film d'atmosphère, construit sur un contraste entre l'effervescence de Mumbai et le calme apparent d'un village au bord de la mer. D'une nuit bleutée filmée à l'aube en caméra cachée à la façon d'un documentaire émergent trois femmes qui ont en commun d'avoir comme des centaines de milliers d'autres habitants de l'Inde quitté leur village pour une vie meilleure dans la métropole économique du pays. Une vie meilleure toute relative avec des maux communs aux autres grandes villes d'Asie: le surpeuplement, la promiscuité mais aussi la gentrification qui grignote l'espace de vie déjà restreint des classes populaires au profit des privilégiés. S'y ajoute la question du communautarisme qui aussi bien issu du système des castes que du modèle anglo-saxon fait cohabiter les groupes en leur interdisant de se mélanger. Ainsi que celle d'une condition féminine marquée par l'empêchement.
Le poids du patriarcat est en effet un autre thème majeur. Prabha, Ranu et Parvaty, les trois héroïnes du film travaillent dans le même hôpital. La troisième qui est la plus âgée est sur le point de se faire expulser de son logement qui va être rasé. La première et la deuxième qui sont colocataires ont beau travailler, elles sont victimes du poids des traditions et du machisme. Prabha a été mariée à un homme qui l'a délaissée pour partir travailler en Allemagne et s'interdit d'aimer à nouveau alors que Ranu est amoureuse d'un musulman qu'elle ne peut fréquenter que clandestinement. Elle rêve de se donner à lui mais cela aussi est impossible: ils n'ont nulle part où se réfugier, l'intimité leur est interdite.
Réunies à la ville, les trois femmes le sont aussi à la campagne lorsque Prabha et Ranu accompagnent Parvaty qui décide de retourner dans son village. Par rapport au tumulte de Mumbai, filmé comme un carrousel de lumières rouges et bleues, le village apparaît comme un havre de paix, propice à l'échappée onirique et spirituelle. Chacune d'elle semble y revivre et une lueur d'espoir jaillit enfin dans la prise de conscience de leur condition commune et de la nécessité de se serrer les coudes pour gagner en liberté. On assiste au triomphe du naturel sur l'ordre social mais celui-ci a été gagné de haute lutte et l'avenir de Prabha et Ranu reste en suspens. "All we imagine as light" est un film assez lent, voire languide et comme beaucoup de films d'auteur/d'autrices asiatiques, très esthétique mais il n'est ni abstrait, ni abscons. Contrairement aux films de Apichatpong WEERASETHAKUL ou à "L'Arbre aux papillons d'or" (2023), l'être humain reste au centre du récit. De même, la société dans laquelle il vit est montrée avec un réalisme documentaire.
"Ne Coupez pas!", l'original japonais du remake français de Michel HAZANAVICIUS, "Coupez !" (2021) trouve ses racines en Europe. La pièce de théâtre dont le film est l'adaptation, "Ghost in the box" de Ryoichi Wada s'inspire en effet d'une comédie musicale londonienne "Noises off" de Michael Frayn déclinée en France sous le titre "En sourdine les sardines" et au cinéma sous celui de "Bruit de coulisses" de Peter BOGDANOVICH, sorti directement en DVD en France. Néanmoins, question de culture et de forme, le vaudeville initial s'est transformé en comédie horrifique en arrivant au Japon. La mise en abyme en revanche reste la même, les coulisses devenant le making of du film.
En dépit de cette riche genèse, "Ne Coupez pas!" se présente à l'origine comme un simple film de fin d'études. Tourné en 8 jours par un étudiant en cinéma avec des élèves de l'école dramatique de Tokyo pour un budget dérisoire, il bénéficie d'un bouche à oreille enthousiaste qui le propulse au rang de phénomène au Japon, étend son parc d'exploitation à tout le pays et lui ouvre les portes d'une carrière internationale qui reste cependant confidentielle. Le remake réussi de Michel HAZANAVICIUS donne donc une seconde jeunesse au film japonais. En dépit d'une différence flagrante de budget, d'une réalisation globalement plus maîtrisée (ce qui aide à faire passer la pilule de la terrible première demi-heure, celle qui fait croire qu'on regarde un navet) et de blagues liées au décalage culturel qui ne peuvent évidemment pas exister dans le film original, les deux versions sont très proches avec d'ailleurs la présence de l'impayable Yoshiko Takehara dans le rôle de Mme Matsuda, la productrice. "Ne Coupez pas!" est un exercice de mise en abyme attachant et ludique qui proclame son amour du cinéma artisanal et des petites mains qui le fabriquent, oeuvrant tous dans une grande énergie collective pour parvenir à fabriquer une oeuvre coûte que coûte.
Le début du film amorce un récit prometteur que l'on voit s'effilocher avec une certaine consternation sur près de trois heures. A partir d'un drame initial (la mort de sa belle-soeur), le personnage principal qui est retourné dans son village natal pour assister aux funérailles se déleste de ses liens terrestres (il fait le deuil de son ancien amour devenue bonne soeur et lui confie son neveu Dao âgé de cinq ans) pour partir à la recherche de son grand frère, le père de Dao, mystérieusement disparu. Le film est d'une grande beauté plastique et produit un réel effet d'immersion grâce à une bande-son aussi travaillée que la photographie. Quelques plans sont franchement sublimes (dont celui qui donne son titre au film) mais l'atmosphère est cafardeuse et le contenu, anémique. Les quelques pistes suivies par le personnage (recherche de la foi, recherche de son frère) ne perdent dans les sables et plus on avance, plus ce que l'on regarde devient abstrait, voire abscons à force de silence et de lenteur. Dans ce film contemplatif aux plans-séquence étirés à l'extrême, l'être humain finit par n'être plus qu'un minuscule point dans le paysage, les expériences et les liens entre les êtres deviennent purement théoriques. La fin qui entremêle rêve et réalité à moins que cela ne soit différentes temporalités fait penser à Apichatpong WEERASETHAKUL. Bref on est sur un premier film qui suit la tendance d'un cinéma d'auteur contemplatif qui certes fait preuve d'une grande maîtrise formelle mais délaisse humanité, émotions et dramaturgie. Pas sûr que cette direction marque les esprits durablement.
Comédie enlevée et sympathique, quelque part entre la série "The Office" et le cultissime "Un jour sans fin" (1993), "Comme un lundi" raconte la semaine infernale d'une employée de bureau japonaise carriériste qui pour se faire embaucher par une agence publicitaire prestigieuse sacrifie sa vie privée, son sommeil et sa santé. Jusqu'au jour où deux de ses collègues lui font remarquer qu'elle revit toujours la même semaine, du lundi au dimanche. Elle ne s'en est même pas aperçue parce que la vie pour elle se résume à un tunnel de travail dans un bureau qu'elle ne quitte quasiment jamais, même pas pour dormir, pas plus que ses collègues d'ailleurs. Et ses rêves, tous identiques se résument encore et toujours au travail. Une conception du travail très japonaise où il paraît normal de sacrifier ses soirées et ses dimanches et où la mort par excès de travail est une réalité.
Le réveil de la jeune femme, puis des membres de toute l'équipe, un par un ne viendra pas d'une marmotte (ils ne dorment pas assez pour ça ^^) mais d'un pigeon qui chaque lundi vient se fracasser contre leur fenêtre. Une fois qu'ils ont tous pris conscience de la boucle temporelle dans laquelle ils sont enfermés, la question devient "comment en sortir?". Et la jeune femme d'être tiraillée par un dilemme cornélien: utiliser ce temps à rallonge pour produire un travail parfait qui lui permettra de réaliser son objectif professionnel ou se joindre à ses collègues pour enquêter sur les causes de leur infortune et briser la malédiction. La culture du collectif face à l'individualisme en somme. La solution se trouve peut-être entre les planches d'un manga à l'ancienne, c'est à dire dans la nostalgie de l'enfance qui apporte une belle touche de mélancolie à l'ensemble.
"Crépuscule à Tokyo" aurait pu porter un titre en relation avec l'hiver, seule saison absente des titres des films de Yasujiro OZU. Si l'on retrouve au coeur de ce film la famille et les conflits de générations, sa tonalité inhabituellement désespérée et même tragique l'en distingue. Le froid glacial qui imprègne l'atmosphère du film, l'horizon bouché et par-dessus tout l'incapacité des différents membres de la famille à communiquer, leur enfermement en eux-mêmes donnent au spectateur une sensation de claustrophobie très éloignée de l'habituelle sérénité pétrie de sagesse qui se dégage de ses films. En dépit de la récurrence des figures du patriarche, de la tante entremetteuse, de la fille aînée placide et de la cadette rebelle et des acteurs qui les incarnent (Chishu RYU, Setsuko HARA, Haruko SUGIMURA), il n'y a aucune place pour la comédie dans "Crépuscule à Tokyo" et on ne retrouve pas chez eux les repères stables et rassurants qui en font des éléments incontournables de l'univers du cinéaste. "Crépuscule à Tokyo" fait le portrait d'un paysage familial disloqué par le départ de la mère. Le père désemparé a échoué à la remplacer et ne peut que constater les dégâts sur ses filles devenues adultes. L'aînée qu'il a contraint à un mariage arrangé quitte un mari alcoolique et autoritaire, reproduisant ainsi en partie le schéma maternel (en partie car elle n'abandonne pas sa fille pour s'enfuir avec un amant). La cadette qui est celle qui a le plus souffert de l'abandon maternel traverse une crise existentielle dans laquelle elle se retrouve désaffiliée. En rupture de ban familial, on la voit errer dans la nuit, solitaire et mutique, à la recherche d'un amant qui se dérobe, au point d'être prise pour une traînée et une délinquante. Elle ne livre rien de ses tourments ni même de ses sentiments à sa famille, hormis le fait qu'elle doute de ses origines et pense que son existence est une erreur de la nature. On comprend dans ses conditions qu'elle soit condamnée à disparaître sans commettre l'erreur de la mère qui est d'avoir laissé des enfants orphelins derrière elle. Si l'on ajoute le fantôme d'un garçon mort d'un accident et l'échec de la mère à rétablir un lien avec ses filles ce qui l'oblige à un exil définitif, on constate que le tableau est bien sombre pour le dernier film en noir et blanc du cinéaste japonais.
C'est le tableau de René Magritte qui m'a donné envie d'aller voir "A Man". Parce que chaque tableau de ce peintre qui me fascine depuis l'adolescence est un poème visuel, une invitation au voyage, au mystère, à l'aventure, intérieure le plus souvent. Et comme le film, les tableaux de Magritte, faussement simples sont des énigmes qui se dérobent à une interprétation univoque. "La reproduction interdite" fait partie d'une série de tableaux dans lesquels le visage, siège de l'identité, est occulté. Et c'est l'un des plus puissants puisque l'on voit un homme de dos qui se regarde dans le miroir mais ne parvient pas à y voir autre chose que ce que nous-même voyons, comme s'il ne pouvait accéder à lui-même. Ce tableau qui ouvre et ferme le film se mêle à un sujet de société proprement japonais: celui des johatsu ou disparus volontaires qui étaient déjà évoqués dans "Quartier lointain" (2008), le film réalisé d'après le manga éponyme de Jiro Taniguchi. C'est une coïncidence, mais le disparu volontaire se nomme Daisuke Taniguchi dans le film. Et on découvre peu à peu qu'il a échangé son identité avec celui que l'on croit longtemps être lui et qui a porté avant Taniguchi deux autres patronymes. Un troisième homme joue un rôle fondamental dans l'histoire, Akira (Satoshi TSUMABUKI), l'avocat de la veuve du faux Daisuke Taniguchi chargé de l'enquête destinée à démasquer sa véritable identité. Cet avocat pourtant parfaitement intégré, né au Japon et ayant la nationalité japonaise est sans cesse renvoyé aux origines coréennes de ses grands-parents ce qui est l'une des facettes de l'insupportable rigidité de la société japonaise. Et pas seulement vis à vis des descendants d'étrangers mais également vis à vis des enfants de parents criminels ou vis à vis des familles monoparentales et recomposées (je ne sais si c'est également une coïncidence mais la mère veuve est jouée par Sakura ANDO qui interprétait le même personnage dans "L'innocence" (2023) où ce thème était également central). La disparition volontaire et le changement d'identité sont donc un moyen d'échapper à l'opprobre social où à des rôles aliénants. Si l'on accepte le rythme heurté du film et les changements de ton voire de genre (cela commence comme une romance, se poursuit comme un thriller et se termine sur une méditation existentielle), le jeu de miroirs entre les trois hommes et leurs identités problématiques (auxquels on peut rajouter le fils de la veuve de Daisuke qui ne sait plus quel nom de famille adopter) s'avère tout à fait pertinent.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.