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Articles avec #cinema d'asie tag

The Killer

Publié le par Rosalie210

John Woo (1989)

The Killer

J'ai découvert l'existence de "The Killer" il y a près de 10 ans lorsque j'ai assisté une conférence sur les influences du film "Sparrow" de Johnnie To, un autre cinéaste hongkongais. Parmi ces influences figure "Le Samouraï" de Jean-Pierre Melville dont le moineau devient le titre du film de Johnnie To. Et c'est ce même "Samouraï" à qui John Woo a voulu rendre hommage en donnant au tueur à gages élégant le même prénom que celui joué par Alain Delon dans le film de Jean-Pierre Melville: Jeff* ("Ah-Jong" pour les locaux). Cependant, autant le polar de Jean-Pierre Melville est froid, sec et épuré, autant celui de John Woo est baroque, grandiloquent et sentimental. Comme dans d'autres films asiatiques, le mélange des genres y est constant et brutal avec des scènes de fusillade sanglantes filmées au ralenti, remarquablement découpées et chorégraphiées avec virtuosité (quel sens de l'espace!) alternant avec d'autres mélancoliques et introspectives ou d'un romantisme flamboyant. Quel que soit le genre, on remarque que Woo n'a pas peur de faire couler des torrents de sang et de larmes. Mais la conclusion est identique au film de Melville: la relation entre la chanteuse et le tueur à gages est vouée à l'échec.

Dès les premières images dans une église catholique qui sera aussi le théâtre du dénouement, le sujet du film est posé: il sera question de rédemption. Celle de Jeff (Chow Yun-fat) qui veut raccrocher les gants. Le personnage est à lui tout seul un tueur professionnel redoutable, un chevalier blanc jusque dans son costume, un homme qui obéit à un code d'honneur et un personnage christique. Son parcours va lui faire rencontrer un autre homme d'honneur, l'inspecteur Li Ying (Danny Lee) avec qui il va nouer une amitié, les deux hommes se surnommant "Mickey et Dumbo". Comme les pickpockets gentlemen de "Sparrow", les actions de Jeff sont altruistes: il s'agit de sauver les victimes collatérales des fusillades entre gangs comme une petite fille qui faisait des pâtés de sable sur la plage ou encore une chanteuse blessée à la tête et menacée de cécité.

Nul doute que "The Killer" a inspiré à son tour nombre de cinéastes, américains pour la plupart. A commencer par Tarantino avec le personnage de Samuel L. Jackson dans "Pulp Fiction" qui renonce à la violence après avoir été touché par la grâce. Ou encore la saga "Matrix" qui n'a jamais caché ce que ses scènes d'action chorégraphiées comme des ballets devaient aux maîtres asiatiques. Ou enfin Michael Mann dans "Heat" dans lequel un flic et un tueur nouent un lien d'estime et de respect mutuels.

 

* Il existe d'ailleurs un documentaire de référence sur la filiation entre le héros melvillien et les cinéastes asiatiques, "In the mood for Melville". 

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The Garden of Words (Koto no ha no niwa)

Publié le par Rosalie210

Makoto Shinkai (2013)

The Garden of Words (Koto no ha no niwa)

"The Garden of words" ("Le jardin des mots" en VF) m'a fait penser à "L'homme qui marche" de Jiro Taniguchi de par son caractère contemplatif, sa lenteur et la poésie mélancolique de ses images d'un réalisme sidérant. La pluie, comme un rideau protecteur créé une bulle de temps suspendu à l'écart de la frénésie de la ville. Elle invite à la contemplation. De fait elle provoque une rencontre entre deux solitudes vivant un peu en marge de la société. Un lycéen de 15 ans qui sèche les cours les matinées pluvieuses en poursuivant son rêve de devenir cordonnier. Et une mystérieuse jeune femme qui ne parvient plus à se rendre au travail. Le lycéen s'installe sous un petit pavillon dans le parc de Shinjuku Gyoen pour dessiner des chaussures, la femme pour manger du chocolat et boire de la bière. Ce rituel se répète chaque matinée pluvieuse. Takao et la jeune femme, Yukino sans chercher à nouer un lien se retrouvent en effet au même endroit et au même moment si bien qu'ils finissent par mieux se connaître. Takao propose même à Yukino de lui fabriquer une paire de chaussures. Ce qui est pour elle qui traverse une crise existentielle comme une planche de salut. Néanmoins, la réalité finit par rattraper les personnages avec la fin de la saison des pluies. On sort alors du domaine de l'art et de la contemplation pour entrer dans celui plus terre-à-terre des relations sociales. Les situations respectives de Takao et de Yukino (différence d'âge et de statut) ne permettent pas à ceux-ci de continuer sur le même mode que leurs tête à tête dans le jardin. L'un doit se construire et l'autre se reconstruire et chacun doit le faire de son côté. On aurait aimé que le personnage de Yukino souffrant du syndrome de l'imposteur soit davantage développé mais en 45 minutes, on doit se contenter d'un aperçu. De toutes manières, en dépit de son titre, ce ne sont pas les mots qui comptent le plus dans le film mais les silences et les non-dits ainsi que le plaisir de ce petit espace de liberté hors du temps dans un monde de contraintes et d'impossibilités.

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Suzume (Suzume no tojimari)

Publié le par Rosalie210

Makoto Shinkai (2021)

Suzume (Suzume no tojimari)

L'oeuvre de Makoto SHINKAI est hantée par la catastrophe du 11 mars 2011 et ses conséquences. Mais contrairement à "Your name." (2016) où celle-ci restait suggérée, elle est nommée explicitement dans "Suzume". Ce titre fait référence à l'héroïne, une adolescente de 16 ans dont on découvre à l'aide de flashbacks qu'elle est une survivante de la catastrophe. Ce passé est montré dès les premières images où l'on voit une petite fille de quatre ans appeler sa mère dans ce qu'on découvre être des ruines. Suzume a conservé un vestige de cette époque qui est une chaise d'enfant fabriquée par sa mère dont il manque un pied. A l'image de cette chaise, la vie de Suzume, élevée par sa tante surprotectrice qui lui a tout sacrifié est restée bancale. Sa rencontre avec un jeune homme du nom de Sota va tout bouleverser. Comme dans ses précédents films, Makoto SHINKAI a recourt au fantastique pour évoquer les tourments de son pays. Sota est un verrouilleur: il parcourt le pays pour refermer les portes cachées dans les ruines. Ces ruines et ces portes constituent autant de symboles d'anciennes catastrophes: l'une d'elles est dissimulée dans un parc d'attractions abandonné, comme dans "Le Voyage de Chihiro" (2001). Une autre, située au fond d'un tunnel menace de faire revivre à Tokyo le traumatisme du séisme du Kanto. Seules des forces surnaturelles, les "pierres de voûte" peuvent maintenir ces portes fermées. Lorsqu'elles font défaut, la porte s'ouvre, libérant un ver géant en forme de colonne de fumée qui menace de s'abattre au sol, provoquant une nouvelle catastrophe. Suzume sans le savoir libère une pierre de voûte qui prend la forme d'un petit chat qui s'enfuit après avoir jeté un sort à Sota, l'enfermant dans la chaise à trois pieds de Suzume. Celle-ci munie de sa chaise désormais vivante se lance alors dans un périple à travers le Japon pour rattraper le chat qui veut "libérer" d'autres portes. Un récit à deux dimensions se met alors en place. D'un côté, un récit d'apprentissage et d'émancipation en forme de road-movie. De l'autre, une "recherche du temps perdu" où il s'agit de se souvenir du traumatisme enfoui dans le trou noir des pages caviardées d'un journal intime. Se souvenir pour consoler, réparer et repartir de l'avant. Un miroir tendu à un Japon plutôt désireux d'enfouir les mauvais souvenirs que de s'y confronter.

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En boucle (Ribâ, nagarenaide yo)

Publié le par Rosalie210

Junta Yamaguchi (2025)

En boucle (Ribâ, nagarenaide yo)

Il y avait déjà "Comme un lundi" (2022) qui sans égaler "Un jour sans fin" (1993) parvenait à décrire avec justesse le cercle de l'enfer du travail à la japonaise. Voici "En boucle" qui reprend le même concept sauf que la boucle temporelle dans une unité de lieu (ni une petite ville, ni un bureau d'entreprise mais une auberge) n'est ni de 24h (comme dans le film de Harold RAMIS) ni de une semaine (comme dans celui de Ryo TAKEBAYASHI) mais seulement de 2 minutes! On serait cependant bien en peine de percer à jour l'objectif caché de ce nouveau disque rayé. Il n'y est question ni de développement personnel, ni de prise de conscience d'une aliénation collective. Le film fait l'effet d'un exercice de style ludique dans lequel le réalisateur s'amuse à explorer à l'aide d'une juxtaposition de plans-séquence de deux minutes les possibilités narratives de son matériau de base en variant les personnages (personnel et clients de l'auberge ainsi que le voisinage), l'itinéraire géographique (en haut, en bas, à gauche, à droite, sur l'autre rive) voire le genre à la manière d'un jeu vidéo. On passe ainsi de la romance à l'épouvante via le burlesque pour finir dans un film de science-fiction kitsch. Visiblement, il est coutumier du fait puisqu'il a théorisé son concept dans son premier film inédit en France, "Beyond the Infinite Two Minutes" (2020) en forme de serpent qui se mord la queue. On reconnaît cette veine japonaise de l'expérimentation qui avait donné le jubilatoire "Ne coupez pas !" (2017) mais aussi dans le domaine du voyage temporel, le très beau "La Traversee du Temps" (2007) (et le prochain film de Mamoru HOSODA, "Scarlet" (2025) traitera également du changement d'époque!) "En Boucle" est juste un divertissement raffiné, drôle et malin bien que l'absence d'enjeu et la fragmentation extrême du récit (qui parfois en devient lassant à force de répétitions) en limite la portée.

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Yi Yi (一 一, Yī yī)

Publié le par Rosalie210

Edward Yang (2000)

Yi Yi (一 一, Yī yī)

"Yi Yi" est le dernier film de Edward YANG et le plus connu chez nous car il a reçu le prix de la mise en scène à Cannes. Comme "Mahjong" (1996) et "Confusion chez Confucius" (1994) deux films inédits en France ayant bénéficié d'une sortie au cinéma le 16 juillet, "Yi-Yi" a droit à une ressortie sur grand écran également en version restaurée depuis le 6 août.

Edward YANG, décédé prématurément d'un cancer en 2007 ce qui explique qu'il n'a pu réaliser qu'une poignée de longs-métrages est l'un des chefs de file de la nouvelle vague du cinéma taïwanais, survenue au début des années 80 alors que Taïwan comme les autres dragons asiatiques était en plein boom économique et s'apprêtait à basculer de la dictature à la démocratie à partir de 1987. Ses films se caractérisent par leur absence d'exotisme, leur caractère de théâtre urbain et leur structure narrative complexe, faite de multiples récits et personnages entremêlés sans que pour autant le spectateur ne s'y perde.

"Yi-Yi" est une chronique familiale qui bénéficie d'une mise en scène virtuose qui travaille énormément les différents plans/nappes du récit cinématographique pour enrichir son propos. Dès l'introduction, on sait qu'on baigne dans un grand film. Alors qu'on assiste à un mariage tout ce qu'il y a de plus traditionnel, une ex vient faire un esclandre, accusant la mariée de s'être fait mettre enceinte pour lui voler son petit ami, créant par là même une dissonance sonore dans le rituel de la cérémonie. On peut ajouter également le cadre de la photographie des nouveaux mariés qui se retrouve posé par mégarde à l'envers. Dissonances sonores en décalage avec la photographie qui poursuivront ce couple tout au long du film.

Comment souvent dans les films qui savent où ils vont et ce qu'ils veulent dire, cette introduction est programmatique. La dissonance sonore se retrouve aussi dans le couple de NJ, le beau-frère du marié. Malgré l'ambiance feutrée qui règne dans sa famille, les éclats de voix d'une dispute au-dehors laissent entendre qu'entre sa femme et lui, la communication est coupée. Tous les personnages de la famille que l'on va suivre sont ainsi plongé dans une grande solitude existentielle et ont une face cachée, un désir de repartir à zéro et de suivre une autre voie à la manière de "Smoking/No Smoking" (1993). C'est NJ, le père de famille qui retrouve son premier amour lors d'une parenthèse à Tokyo, son épouse qui part en retraite dans un monastère bouddhiste, sa fille, Ting-Ting, une adolescente qui s'éprend du petit ami de sa meilleure amie pour qui elle joue l'entremetteuse. Pour tous au final, c'est la désillusion qui l'emporte. Le cadet, l'espiègle Yang Yang, un enfant de 8 ans tente de juguler les angoisses existentielles en prenant en photo "ce que les adultes ne peuvent voir".

Comme les autres films que j'ai vu de Edward YANG, la question identitaire est omniprésente. L'élément déclencheur de l'éclatement de la famille de NJ n'est-il pas l'accident de la grand-mère qui la plonge dans le coma durant presque tout le film? Or ces doyennes présentes au sein des foyers asiatiques ne représentent-elles pas les gardiennes des traditions? L'acculturation est également manifeste lorsque Yang Yang préfère à la nourriture asiatique un repas au Mc Donald ou lorsqu'on observe la décoration des chambres en arrière-plan: des acteurs américains (Cary GRANT et Audrey HEPBURN qui a même façonné un des personnages de "Confusion chez Confucius") (1994), une affiche de DC Comics (Batman et Robin) mais aussi Astro le petit robot (Edward YANG était fan de Osamu TEZUKA) et Pikachu: une partie de l'intrigue se déroule d'ailleurs à Tokyo et rappelle à quel point Taïwan est tiraillé entre l'occidentalisation et un héritage asiatique complexe symbolisé par un japonais lumineux mais auquel hélas la société pour laquelle travaille NJ tourne le dos. La perte de repères et les contradictions de la société taïwanaise ne sont pas pour rien dans l'échec des différentes voies alternatives empruntées par les protagonistes. Ainsi l'ex de NJ l'a perdu en raison de l'intense pression sociale qu'elle a exercée sur lui pour parvenir à la réussite matérielle et le jeune homme que Ting-Ting convoite préfère se venger du prof qui a séduit sa petite amie et en même temps la mère de celle-ci. Les deux histoires sont construites en écho l'une de l'autre avec une scène identique, l'une montrée, l'autre racontée.

En dépit de cette tonalité douce-amère, le film n'est pas triste. Les échecs sont considérés comme des expériences qui entérinent au final la validité des choix accomplis et c'est l'apaisement et la sérénité qui l'emportent, y compris face à la perspective de la mort.

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Confusion chez Confucius (Du li shi dai)

Publié le par Rosalie210

Edward Yang (1994)

Confusion chez Confucius (Du li shi dai)

Après avoir vu "Mahjong" (1996), j'ai enchaîné le lendemain avec son cousin "Confusion chez Confucius" (1994) du réalisateur taïwanais Edward YANG lui aussi inédit en France. Une sortie nationale est prévue pour ces deux films le 16 juillet en version restaurée suivie le 6 août de la ressortie de son dernier film, celui qui l'a révélé en France suite à son prix de la mise en scène à Cannes, "Yi yi" (2000) également en version restaurée.

Edward YANG est décédé prématurément d'un cancer en 2007 ce qui explique qu'il n'a pu réaliser qu'une poignée de longs-métrages. Il est l'un des chefs de file de la nouvelle vague du cinéma taïwanais, survenue au début des années 80 alors que Taïwan comme les autres dragons asiatiques était en plein boom économique et s'apprêtait à basculer de la dictature à la démocratie à partir de 1987. Ses films se caractérisent par leur absence d'exotisme, leur caractère de théâtre urbain et leur structure narrative complexe, faite de multiples récits et personnages entremêlés sans que pour autant le spectateur ne s'y perde.

Il n'en va pas de même des personnages de "Confusion chez Confucius" qui comme le titre l'indique, nagent en pleine confusion entre traditions chinoises et modernité occidentale. A la manière d'une BD faite de scénettes sitcom (Edward YANG se projette dans un personnage d'écrivain un peu geek qui arbore un T-Shirt Astro en hommage à Osamu TEZUKA qu'il admire) et avec des cadrages compartimentés à la Michelangelo ANTONIONI (un mélange culturel que personnellement je trouve savoureux), le film est une satire du boom économique taïwanais et des troubles identitaires qu'il engendre au sein de sa jeunesse "dorée". Outre la dichotomie orient/occident omniprésente dans la sphère économique (publicitaires et artistes en quête de notoriété contre écrivain misanthrope), dans celle des valeurs (femmes d'affaires émancipées contre mariages arrangés) et celle de la culture avec Qiqi qui arbore une coiffure et une allure la faisant ressembler à l'Audrey HEPBURN de "Vacances romaines" (1953) alors que d'autres comme Birdy ressemblent à des geek japonais, il existe un clivage plus subtil à nos yeux entre les personnages d'origine taïwanaise et ceux d'origine chinoise qui s'expriment en mandarin. Le film est une sorte de farandole montrant différentes combinaisons possibles et finalement souvent impossibles entre des personnages instables qui ne cessent de tout remettre en question tant ils ne sont sûr de rien. Car contrairement à ce que disait Confucius, l'argent ne permet pas de mieux vivre parce qu'il corrompt les relations humaines. Cela n'empêche pas quelques beaux moments, notamment une magnifique scène filmée à contre-jour entre Molly la chef d'entreprise de publicités et son assistante Qiqi qui laisse poindre un sentiment sincère.

Malgré toutes ces qualités, "Mahjong" qui se situe dans la même veine m'a paru infiniment plus abouti car plus approfondi dans son approche des personnages et plus humaniste alors que la caricature domine dans "Confusion chez Confucius" ce qui peut parfois donner l'impression d'une frénésie qui tourne à vide.

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Mahjong (Ma jiang)

Publié le par Rosalie210

Edward Yang (1996)

Mahjong (Ma jiang)

Première immersion dans la filmographie du réalisateur taïwanais Edward YANG par le biais de la Cinémathèque avec ce splendide film resté jusqu'ici inédit en France. Bonne nouvelle, comme "Confusion chez Confucius" (1994), lui aussi inédit, une sortie nationale est prévue pour le 16 juillet en version restaurée suivie le 6 août de la ressortie de son dernier film, celui qui l'a révélé en France suite à son prix de la mise en scène à Cannes, "Yi yi" (2000), lui aussi en version restaurée.

Edward YANG, décédé prématurément d'un cancer en 2007 ce qui explique qu'il n'a pu réaliser qu'une poignée de longs-métrages est l'un des chefs de file de la nouvelle vague du cinéma taïwanais, survenue au début des années 80 alors que Taïwan comme les autres dragons asiatiques était en plein boom économique et s'apprêtait à basculer de la dictature à la démocratie à partir de 1987. Ses films se caractérisent par leur absence d'exotisme, leur caractère de théâtre urbain et leur structure narrative complexe, faite de multiples récits et personnages entremêlés sans que pour autant le spectateur ne s'y perde. "Mahjong" est d'ailleurs un titre qui annonce tout à fait la tonalité de ses films. Le jeu fondé sur le principe de combinaisons multiples entre éléments différenciés est utilisé de façon métaphorique pour désigner les nombreux personnages, la complexité identitaire de Taïwan entre traditions chinoises dévoyées et américanisation bling-bling et le mélange des genres, "Mahjong" étant à la fois un film de gangsters et une désopilante comédie burlesque.

"Mahjong" qui se déroule à Tapei se focalise sur un gang de jeunes et la faune internationale qui gravite autour d'eux, appâtée par les opportunités d'enrichissement facile liées au boom économique de Taïwan. Tout ce petit monde se retrouve pour une scène d'exposition magistrale au "Hard Rock Café" après une très belle scène nocturne électrisante en voiture. Au centre du récit, une française, Marthe (jouée par Virginie LEDOYEN qui avait alors environ une vingtaine d'années et qui a expliqué lors de la présentation du film à la Cinémathèque comment elle avait rencontré Edward YANG, séquence que l'on peut voir sur Youtube) qui se retrouve ballotée durant tout le récit entre d'un côté un destin confortable auprès de ses congénères parvenus et un autre plus rock and roll mais tout aussi vénal au contact de jeunes taïwanais privés de repères essayant de se frayer un chemin dans la frénésie capitaliste de Taipei. Le portrait du chef de bande, Red Fish est particulièrement fouillé et apparaît aussi comme une victime de parents compromis jusqu'au cou dans le système (un père endetté et recherché qui se cache, une mère ayant prospéré sur la corruption initiée par le père). Dévoyant émotions et valeurs, la marchandisation des corps au coeur du film selon la règle tacite que tout le monde est à tout le monde et la fausse croyance selon laquelle tout s'achète et tout se vend se transforme en ronde complètement dingue qui fait beaucoup pour l'aspect comique du film, même si celui-ci est fondamentalement sombre. Sombre mais jamais caricatural. Derrière cette frénésie de panier de crabes, les émotions affleurent quand même. Le père dépressif de Red Fish trouve l'apaisement mais est renié par son fils ce qui les condamne tous deux alors que Marthe, contrairement à son homologue chinoise échappe aux tourbillons qui cherchent à l'aspirer, avançant en funambule le long d'une ligne de crête avec comme guide le seul membre non corrompu de la bande à Red Fish.

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A Normal Family (Bo-tong-ui ga-jog)

Publié le par Rosalie210

Hur Jin-ho (2025)

A Normal Family (Bo-tong-ui ga-jog)

Après avoir vu ce film-choc, on comprend mieux pourquoi la Corée du sud détient le record mondial de la plus basse fécondité (0,75 enfants par femme en 2024). Comme la récente mini-série "Adolescence" (2025), le film fait état d'une jeunesse à la dérive, livrée à elle-même reflétant les différents aspects d'une société en crise: obsession pour l'argent, course à la réussite, soif de paraître, individualisme féroce. HUR Jin-ho qui adapte une nouvelle fois le roman de Herman Koch "Le Dîner" nous tient en haleine avec ce qui s'apparente autant à une satire sociale à la "Parasite "(2019) qu'à un thriller avec son lot de rebondissements. La famille huppée dont il dresse le portrait est dysfonctionnelle et peine à dissimuler ses failles derrière un vernis d'apparences clinquantes. Après un début percutant qui annonce la couleur, le spectateur est donc placé au coeur d'un climat de tensions latentes qui après un montage de mayonnaise en règle vont éclater. D'un côté deux frères flanqués de leurs épouses qui se réunissent régulièrement dans un restaurant de luxe pour faire semblant de faire famille, moyen d'étaler la réussite ostentatoire de l'aîné, avocat âpre au gain et cynique ce qui provoque la jalousie envieuse du deuxième pourtant chirurgien. Mais ce frère cadet tient à se faire passer pour un bon samaritain et à prouver qu'il ne court pas après l'argent. Pourtant sa mère ingérable car atteinte d'Alzheimer qu'il garde à son domicile parce que là encore, ça fait bien, a prévenu "il fait le gentil, mais c'est un enragé". La suite prouvera qu'elle avait raison. En guise de révélateur des dysfonctionnement familiaux, les enfants de ces deux couples, deux adolescents sous pression (l'un est harcelé, l'autre attend avec anxiété le résultat du concours d'admission à l'UCLA) qui pendant que leurs parents sont occupés à jouer cette pièce de théâtre ritualisée vont déverser leur rage sur une victime innocente dans une scène qui rappelle de façon troublante celle du SDF de "Orange mecanique" (1971). C'est avec une grande habileté que le réalisateur comme sans doute l'auteur avant lui place le spectateur face au même dilemme moral que les parents: faut-il privilégier la justice ou protéger ses enfants? Un suspense s'installe au fil des hésitations de l'un puis de l'autre. Le cadet a bien envie de flanquer une leçon de morale à son aîné qui renforcerait encore sa bonne image. Mais de l'autre, c'est l'occasion inespérée de se rapprocher de son fils. L'aîné perd ses certitudes face à une vidéo compromettante (sans envahir le récit, caméras de vidéo-surveillance et réseaux sociaux jouent un rôle clé). Tous deux s'intéressent enfin à leurs enfants mais ceux-ci leur échappent, s'avèrent insondables. Jusqu'à la fin dérangeante en forme de grosse claque finale. Une fin un peu caricaturale mais qui interroge le rôle de l'éducation et des responsabilités ainsi que le rapport entre la violence symbolique et la violence réelle.

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Jardin d'été (The Friends) (Natsu no niwa)

Publié le par Rosalie210

Shinji Somai (1994)

Jardin d'été (The Friends) (Natsu no niwa)

Toujours partante pour découvrir des cinéastes japonais dont la filmographie est inédite en France, je suis allée voir "Jardin d'été" de Shinji SOMAI sorti en 1994. Un réalisateur chaudement recommandé comme le précise l'affiche par Hirokazu KORE-EDA qui le considère comme un mentor pour sa propre filmographie. Et de fait, il existe une filiation assez évidente avec un film comme "L'innocence" (2022) et son refuge hors du temps pour des enfants quelque peu ostracisés par une société très normée.

"Jardin d'été" est un film à hauteur d'enfant, un film sur une enfance en jachère qui rappelle quelque peu "la base secrète" de la bande de "20th Century Boys chapitre 1" (2008) ou l'enfance qui joue à se faire peur en épiant un marginal "Du silence et des ombres" (1962) ou encore l'enfance confrontée à la mort en tant que rite de passage vers l'adolescence dans "Stand By Me" (1986) de Rob REINER. Il y a tout ça dans "Jardin d'été" et même aussi une allusion directe à "Mon voisin Totoro" (1988) lorsque l'un des enfants chante la chanson du générique de début en semant des graines de cosmos. Le fantastique affleure naturellement lors d'une scène de fantôme à l'hôpital ou lors d'un bouquet final sublime à la japonaise avec ces symboles de l'impermanence que sont les papillons et les lucioles (des équivalents des pétales de fleur de cerisier).

Néanmoins, la maison délabrée qui fascine les trois garçons n'a pas la même signification que dans "L'innocence" (2022) ou dans "Du silence et des ombres" (1962). En la nettoyant, la retapant, la défrichant, les enfants vont aussi entrer en contact avec son occupant, un vieillard solitaire vivant en quasi-reclus et qui symbolise la mémoire traumatique enfouie du Japon. Lorsque cette mémoire, celle d'un vétéran ayant commis des crimes de guerre est exhumée, on bascule dans un tout autre film qui fait penser à "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021). Il faut en effet encore vingt ans de plus à cet homme perdu dans un puits sans fond au milieu de la jungle de son jardin pour retrouver, par l'intermédiaire des trois jeunes son identité et ses proches. Alors seulement il peut "rentrer" c'est à dire mourir en paix tandis que les garçons eux traversent le deuil en franchissent le seuil d'une nouvelle étape de leur vie.

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Woman, Demon, Human (Rén guǐ qíng)

Publié le par Rosalie210

Huang Shuqin (1987)

Woman, Demon, Human (Rén guǐ qíng)

Considéré comme le premier film féministe chinois, "Woman, Demon, Human" est semi-autobiographique: la réalisatrice se dépeint à travers l'héroïne, Qiuyun qui veut percer dans un domaine artistique dominé par les hommes. Mais Huang Shuqin s'inspire également de Pei Yanling, célèbre actrice d'opéra chinoise qui interprète les scènes d'opéra du film.

L'histoire joue sur les masques et les identités dans un monde très genré. Comme au Japon avec le Takarazuka, Pei Yanling s'est spécialisée dans l'interprétation de rôles masculins. Le film met en lumière son interprétation légendaire de l'histoire de Zhong Kui, le chasseur de démons devenu très populaire à partir du VIII° siècle lorsqu'un empereur chinois malade se réveilla guéri après avoir vu en rêve Zhong Kui dévorer un esprit qui le tourmentait*. Le film s'ouvre d'ailleurs sur la métamorphose de Qiuyun en cet être laid et repoussant.

Evoquant trois périodes de la vie de Qiuyu (enfance, adolescence, âge adulte) avec des ellipses, le film se caractérise par sa beauté mais aussi par une cocasserie assez irrésistible: les personnages à la manière du "Molière" de Ariane Mnouchkine jouent au sein d'un théâtre itinérant dans les campagnes, au milieu des dingos de tous poils et des bébés braillards. L'héroïne aussi déterminée que douée réussit un accomplissement dans la voie artistique en dépassant le clivage des genres et les canons de beauté grâce à Zhong Kui mais échoue à s'épanouir dans sa vie privée, elle qui a été abandonnée enfant par sa mère, partie avec un autre homme.

* L’histoire de Zhong Kui est une célèbre légende chinoise : talentueux lettré parti à la capitale passer les examens impériaux avec son ami Du Ping, Zhong Kui arrive en tête, mais l’empereur lui retire le titre de zhuangyuan qui lui revenait de droit, son extrême laideur le rendant impropre, selon lui, à exercer une fonction publique. Choqué, Zhong Kui se suicide en se fracassant la tête sur les marches du palais, ce qui le condamne à l’enfer. Mais le roi des Enfers le nomme roi des démons, en charge de les chasser et les éliminer. Pour remercier Du Ping qui a organisé ses funérailles, il revient dans son village lui donner sa sœur cadette en mariage.

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