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Articles avec #seyrig (delphine) tag

Golden Eighties

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1986)

Golden Eighties

Très chouette, cette comédie musicale bariolée, énergique et colorée de Chantal Akerman, panaché de pop culture des années 80 et de nouvelle vague des années 60 qui annonce "Vénus Beauté institut" (qui s'en est inspiré de façon évidente). Côté années 80, les couleurs, les looks, les styles musicaux m'ont fait penser à la couverture de l'album de Lio "Pop Model" sorti la même année et que j'avais reçu pour mon anniversaire. Lio justement joue dans le film mais paradoxalement, ne chante pas. Côté nouvelle vague, deux références sautent aux yeux. Les comédies musicales aux couleurs pimpantes de Jacques Demy mettant en scène des commerçants derrière les vitres de leurs magasins sauf que années 80 oblige, ceux-ci travaillent désormais dans une galerie commerciale de studio qui fait penser à un décor de sitcom (surtout lors des scènes du bar tenu par Myriam Boyer). Je me demande même si le générique n'est pas une citation de celui de "Les parapluies de Cherbourg" avec une chorégraphie de jambes traversant le sol de la galerie en diagonale. Sans parler de l'un des personnages dont le coeur balance entre la jeune fille en fleurs un peu sage (Lio à contre-emploi comme une Audrey Tautou avant la lettre) et l'incendiaire femme fatale du salon de coiffure (Fanny Cottençon). Et "Baisers volés" de François Truffaut avec Delphine Seyrig dans le rôle d'une vendeuse de vêtements et de chaussures qui fait furieusement penser à Fabienne Tabard. Mais une Fabienne Tabard avec vingt ans de plus, mélancolique, fatiguée et marquée (son personnage est une ancienne déportée) mais prête à s'enflammer de nouveau pour un ancien amour auquel elle a renoncé pour un mariage "raisonnable" avec M. Schwartz (Charles Denner dont c'était le dernier film apparaît lui aussi bien fatigué). Elle apporte un peu de profondeur à un film qui sinon apparaît comme une bulle de légèreté avec ses marivaudages incessants commentés par un choeur de shampouineuses cancanières sur un air irrésistible (on oubliera en revanche leurs équivalents masculins, totalement ridicules). Belles idées de mise en scène utilisant les bacs à shampoings et les cabines d'essayage et une fin qui symboliquement s'échappe de son décor factice pour entrer dans le monde réel lorsque l'une de ces vies semble enfin sortir du carcan imposé pour s'accorder avec son désir.  

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Sois belle et tais-toi

Publié le par Rosalie210

Delphine Seyrig (1981)

Sois belle et tais-toi

C'est en assistant à une conférence au Forum des images par un spécialiste de Delphine SEYRIG, Alexandre Moussa qui lui a consacré une thèse en 2021, "Je ne suis pas une apparition, je suis une femme" que j'ai découvert son activité de réalisatrice, la plupart du temps au sein de collectifs tels que le bien nommé "Insoumuses". C'est au sein de ce collectif féministe fondé en 1974 que Delphine SEYRIG s'est formée au maniement de la caméra vidéo sous l'égide de Carole Roussopoulos, première femme a s'être saisie de cette nouvelle technologie permettant de réaliser des documentaires militants donnant la parole à tous ceux que les médias traditionnels délaissaient, dont les femmes.

"Sois belle et tais-toi" qui est son seul long-métrage, nommé ainsi d'après le film éponyme de Marc ALLEGRET a été tourné entre les USA et la France de 1975 à 1976. Il se compose d'une série d'entretiens réalisés avec vingt-trois actrices de différentes nationalités, très célèbres pour la plupart (Jane FONDA, Marie DUBOIS, Louise FLETCHER, VIVA, Maria SCHNEIDER, Shirley MacLAINE, Anne WIAZEMSKY etc.). En dépit de la médiocre qualité de l'image, c'est passionnant d'écouter une parole sincère pouvant s'exprimer librement et en confiance dans un rapport égalitaire. C'est le précurseur du mouvement "Metoo cinéma" et également des questions posées par le film de Justine TRIET, "Anatomie d'une chute" (2022). Dans ces conditions, il n'est guère étonnant qu'après une sortie confidentielle en 1981, il ait été restauré et soit ressorti en 2023. Nombre d'actrices sont frappées par la pertinence des questions que leur pose Delphine SEYRIG et se livrent à un constat édifiant des inégalités sexistes qui entravent leur carrière dans une industrie "faite par et pour les hommes". Tout y passe:
- Le faible nombre de rôles écrits pour les femmes, un pour cinq écrits pour les hommes en moyenne.
- Les stéréotypes attachés à ces rôles, souvent des ingénues, des femmes au foyer ou des prostituées. L'une des actrices qui tente de tirer l'un de ces rôles vers quelque chose de plus réaliste s'entend dire "c'est ce que les hommes veulent".
- L'absence presque complète d'histoire d'amitiés entre femmes (d'où le petit événement que fut à l'époque la sortie d'un film comme "Thelma et Louise") (1991).
- L'humiliation d'avoir été formée à l'Actor studios pour se voir proposer un rôle de pom pom girl.
- Variante, le "mansplaining" résumé par une actrice "Je suis idiote, expliquez-moi tout".
- Autre variante, la complicité masculine entre le réalisateur et son acteur principal au détriment de l'actrice qui se retrouve non seulement isolée mais piégée et manipulée. Maria SCHNEIDER évoque ainsi sa désastreuse expérience sur "Le Dernier tango a Paris" (1972) qui fait penser aux propos récents de Judith GODRECHE sur "La Fille de quinze ans" (1989) de Jacques DOILLON à savoir le coup de la scène de sexe rajoutée au dernier moment dans le scénario sans que l'actrice en soit informée et sans qu'elle ait son mot à dire.
- Plus globalement, ces femmes évoquent la dépossession de leur identité par des tyrans-Pygmalion contrôlant toute la chaîne de production et cherchant également à prendre le contrôle de leur image et de leur corps, la question du remodelage physique et de l'âge étant également abordée (les femmes priées de dégager avant la cinquantaine alors que les jeunes filles se retrouvent systématiquement avec des partenaires quinquagénaires).

Et s'il fallait encore convaincre de la brûlante actualité de ce film, il suffit d'écouter sa conclusion par Ellen BURSTYN: "En cet instant même, c'est la planète Terre qu'il faut sauver. (…) Ce film annonce le début du changement de ce qui doit se produire sur cette planète sans quoi il n'y aura plus de planète.” Ce film a près de cinquante ans. Sur le fond, on dirait qu'il a été tourné hier.

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Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080, Bruxelles

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1975)

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080, Bruxelles

Trois heures de film pour raconter trois jours de la vie de Jeanne Dielman (Delphine SEYRIG), la quarantaine, veuve, mère au foyer d'un garçon de 16 ans: trois jours dans la prison physique et mentale de la ménagère de moins de 50 ans, trois jours rythmés par une multitude de gestes répétitifs dédiés aux tâches domestiques, cette fameuse charge mentale qui pèse encore majoritairement sur les épaules des femmes. Le film de Chantal AKERMAN apparaît comme le précurseur de tout un courant d'oeuvres contemporaines dédiées à l'aliénation domestique. Dans une succession de plans fixes parfois étirés jusqu'à l'épuisement, on suit le lent et inéluctable déraillement de la vie de Jeanne. La première journée est sans qu'on le sache de prime abord la dernière d'une longue série de "journées type". On y voit Jeanne accomplir mécaniquement son "devoir" lequel commence (dans le film) par le "devoir conjugal" qui se confond avec la prostitution puisque Jeanne qui est veuve dépend pour vivre des clients réguliers qu'elle reçoit en fin d'après-midi à raison d'un par jour quand son fils est à l'école. Cette tâche est mise sur le même plan que la préparation du dîner, Jeanne faisant cuire ses pommes de terre pendant la demi-heure où elle reçoit. Et il en va de même du reste de la journée, de la soirée, du lendemain matin et du début d'après-midi: une succession ininterrompue (sauf par les quelques heures de sommeil coupées au montage) de tâches domestiques répétitives sous le regard d'une mise en scène qui l'est tout autant. Le caractère carcéral, étouffant, oppressant de cette vie enfermée dans une routine ne se mesure pas seulement au fait que Jeanne passe 22h sur 24 entre les quatre murs de son deux-pièces mais il se manifeste aussi par sa solitude, sa méticulosité, sa psychorigidité, son mutisme. La seule personne qui lui pose des questions personnelles est son fils au moment du coucher mais le positionnement de Jeanne tout au fond de l'image quand son fils est au premier plan suffit à souligner combien elle cherche à esquiver le contact. La deuxième journée confirme son refus de l'intimité et le vide de sa vie: elle refuse l'invitation d'une femme rencontrée en ville à prendre le thé et ne trouve rien à écrire à sa soeur. Parallèlement on observe un début de perte de contrôle dans le fait qu'elle laisse cuire trop longtemps les pommes de terre ce qui la désoriente et décale le planning de toute la soirée. La dernière journée commencée une heure trop tôt confirme à de petits détails que Jeanne déraille: elle fait tomber des objets, oublie de rincer sa vaisselle, ne parvient pas à boire son café au lait, ne trouve pas son journal quotidien dans la boîte aux lettres, sa place habituelle à la brasserie où elle aime passer un moment en début d'après-midi est occupée, les commerces où elle fait les courses sont encore fermés, le bébé qu'elle garde sur l'horaire de midi ne supporte pas d'être approché par elle etc. Toutes ces petites choses insignifiantes en apparence s'accumulent jusqu'à l'explosion silencieuse qui conclue le film.

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Baisers volés

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1968)

Baisers volés

Près de dix ans se sont écoulés depuis "Les quatre cent coups" (1959) et six depuis "Antoine et Colette" (1962). Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) est désormais un jeune adulte qui se caractérise par son instabilité tant professionnelle qu'amoureuse*. "Baisers volés" prend la forme d'un conte initiatique quelque peu chaotique et parfois transgressif. Au début du film, Antoine Doinel n'a pas évolué depuis "Antoine et Colette". Il vit à l'hôtel, courtise une fille Christine (Claude Jade) qui accepte de le fréquenter mais repousse ses avances et est régulièrement invité par les parents de Christine qui semblent l'avoir adopté. Soit exactement le schéma de "Antoine et Colette". La brève rencontre avec Colette (Marie-France Pisier) qui s'est mariée et a eu un bébé avec l'homme qu'elle a choisi dans le volet précédent souligne par contraste le caractère d'éternel adolescent de Antoine Doinel. Le seul changement par rapport à "Antoine et Colette" est outre la couleur le fait qu'on y aborde de front la sexualité (on est en 1968). Une sexualité qui ne semble pas avoir beaucoup évolué non plus depuis le XIX° siècle avec la dichotomie vierge/putain. D'un côté la jeune fille de bonne famille que l'on fréquente depuis des années mais qui, cornaquée par les parents semble inapte au désir. De l'autre, le déchargement des pulsions dans des hôtels miteux auprès de filles qui le sont tout autant.

Mais il est temps que tout cela change (outre le contexte de 1968, François Truffaut était impliqué dans un mouvement de soutien à Henri Langlois qui avait été limogé de la cinémathèque ce qui explique que le film s'ouvre justement sur l'entrée de la cinémathèque en grève). Tel Oedipe, Antoine Doinel en vient à tuer le père (le détective qui lui a fourni un emploi stable et s'appelle justement Henri) et coucher avec la mère (Fabienne Tabard à travers laquelle il trahit la déontologie du cabinet dans lequel l'a fait entrer Henri) pour au final parvenir enfin à susciter le désir de Christine qui profite de l'absence des parents pour le faire venir et coucher avec lui. Conséquence paradoxale, Doinel qui était jusque là inadapté se transforme en être socialisé prêt à se fondre dans la case du mariage bourgeois. Et ce en tuant ce qu'il y a de romanesque, passionné, exalté en lui, caractérisé par la lecture des romans de Balzac, en particulier "Le Lys dans la vallée" lecture projetée ensuite sur "l'apparition" magnétique de Fabienne Tabard, elle-même jouée par la non moins magnétique Delphine Seyrig. C'est d'ailleurs les scènes avec elle qui m'avaient le plus marquées au premier visionnage du film. Les expressions de son visage lorsqu'elle entend que Antoine est fou amoureux d'elle, la considère comme une femme exceptionnelle. Et puis son discours dans la chambre d'Antoine dans laquelle elle vient lui confirmer qu'elle est bien une femme qui "n'est pas au-dessus de ça" et non une "apparition". Cette folie, on la retrouve à la fin dans le discours du personnage mystérieux qui suit Christine comme une ombre et lui fait une déclaration incongrue alors même qu'elle projette de se marier avec Antoine. C'est la part irréductible de romanesque qui ressurgit dès que la triste réalité routinière menace de s'installer...

* En le revoyant, la filiation avec la trilogie de Cédric Klapisch mettant en scène Romain Duris dans le rôle de Xavier à plusieurs étapes de sa vie m'a paru évidente. Et très récemment le premier tome de la BD de Riad Sattouf intitulé "Le jeune Acteur" qui raconte le casting et le tournage de "Les Beaux Gosses" et donc la rencontre avec Vincent Lacoste qui était alors collégien établit un parallèle explicite avec la découverte de Jean-Pierre Léaud par François Truffaut. En effet Riad Sattouf a un projet au long cours impliquant de suivre celui avec lequel il a établi une relation quasi filiale jusqu'à l'âge de 76 ans!

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Le charme discret de la bourgeoisie

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1972)

Le charme discret de la bourgeoisie

"Le Charme discret de la bourgeoisie" est fondé sur un acte manqué. Ou plus précisément sur des variations autour d'un même acte manqué. Un acte manqué extrêmement révélateur puisqu'il s'agit pour les six personnages de l'histoire de parvenir à dîner ensemble. Or soit ils se ratent, soit le repas est interrompu, soit les nourritures et boissons sont factices ou manquantes. Que signifie cet enchaînement de contretemps et de mésaventures? Le repas fait référence au besoin animal de l'homme de manger tout en étant enrobé dans une série de codifications qui le transforment en rituel social. Pourtant à chaque fois, celui-ci déraille alors que pourtant jamais les personnages ne perdent la face et je dirais même la façade. Car ils sont si bien dressés à tenir leur rôle social qu'à un moment donné, ils se retrouvent littéralement en situation de représentation théâtrale. Cependant derrière le vernis mécanique des politesses, de la bienséance et des phrases toutes faites pleines... de vacuité autour de la peur du gigot trop cuit ou de la forme la plus appropriée du verre pour le dry-martini, la réitération de l'impossibilité d'accomplir l'acte le plus élémentaire de l'existence qui est de manger (de "croquer la vie" en somme) suscite un malaise croissant. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la bourgeoisie, tellement pourri que ces gens-là pourraient finalement bien n'être que des spectres condamnés à errer sans fin sur une route de campagne. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont pas la conscience tranquille au vu du nombre de cauchemars qui viennent régulièrement s'insinuer dans la narration. Cauchemars dans lesquels les masques tombent: on se dit ce que l'on pense, on s'entretue ou on est tué par ceux-là même que l'on méprise (et craint) le plus, les "gens du peuple" qui "ne sont pas éduqués" mais qui savent saisir une mitraillette et s'en servir quand il le faut (comme dans le final de "La Cérémonie (1995) de Claude CHABROL auquel on pense, ne serait-ce que par la présence de Stéphane AUDRAN au casting). On est également puni par une Justice qui délivrée de la "realpolitik" (incarnée par Michel PICCOLI en ministre de l'intérieur) peut faire correctement son travail et arrêter un par un cette bande de "gens distingués" qui ne sont en réalité que des fripouilles ayant fait fortune sur le trafic de drogue grâce à leur collusion avec l'ambassadeur d'une fictive république latino-américaine corrompue aussi impitoyable avec les opposants de gauche qu'elle est accueillante vis à vis des anciens nazis. Une scène extrêmement jouissive dans un film satirique et onirique lui-même corrosif et réjouissant en plus de sa liberté de ton et de sa perpétuelle inventivité.

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Muriel ou le temps d'un retour

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1963)

Muriel ou le temps d'un retour


"Tu veux raconter Muriel. Muriel, ça ne se raconte pas". Comment parler et montrer, comment témoigner et transmettre ce qui relève d'une expérience traumatique indicible et infilmable, une expérience du passé qui infuse tellement le présent qu'elle l'empêche d'advenir en suspendant le cours du temps, en mettant la vie entre parenthèses. Voilà le défi auquel le réalisateur Alain RESNAIS et le scénariste Jean CAYROL se sont confrontés en tentant de représenter par le biais de l'art le "passé qui ne passe pas" par la voie du documentaire avec "Nuit et brouillard" (1956) et de la fiction avec "Muriel ou le temps d'un retour" (1963). Il faut dire que les deux hommes sont contemporains de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, deux événements traumatiques ayant accouchés de mémoires douloureuses et conflictuelles qui ont été pour la plupart longtemps étouffées par la censure (celle de l'Etat mais aussi celle de la conscience qui pour continuer à vivre s'est scindée en refoulant ce qui était insupportable).

C'est pourquoi la linéarité de "Muriel ou le temps d'un retour" est trompeuse. La vérité du temps de "Muriel" est dans le titre. Il s'agit d'un récit au présent sans cesse haché, traversé, fragmenté, interrompu, dissocié par les éclats du passé non digéré qui "fait retour" à la manière d'un gigantesque palimpseste. Ce passé fragmentaire se manifeste par tous les moyens que le cinéma peut produire: des images (d'archive notamment, photos ou films), des mots, des sons, de la musique. Leur intervention dans le récit est conçue pour créer des effets de dissonance. La science du montage de Alain RESNAIS en particulier joue un rôle déterminant. Il isole de tous petits moments qu'il insère dans le récit et qui par des effets de correspondance font sens. Par exemple, Alphonse Noyard (Jean-Pierre KÉRIEN), l'amant de Hélène Aughain (Delphine SEYRIG) évanoui pendant la guerre qui revient dans sa vie à sa demande est un homme opaque et fuyant, un homme de secrets et de mensonges dont l'art de la dissimulation est mis en parallèle avec le refoulé des anciens tortionnaires de la guerre d'Algérie. Lorsqu'il écrase une cigarette, lorsqu'il prononce une phrase anodine en apparence mais qui isolée devient lourde de sens ("Il y a des gens qui prennent mieux les taches que d'autres. Moi par exemple"), lorsqu'il déclare qu'il aime toutes les races mais qu'il hait les arabes. Il en va de même avec Bernard et Robert (Jean-Baptiste Thierrée et Philippe LAUDENBACH) , deux anciens appelés d'Algérie qui ont été témoins et acteurs du calvaire de "Muriel", un surnom donné à une jeune combattante algérienne torturée à mort pendant la guerre (ou plutôt les "événements" comme on disait à l'époque, le terme de guerre étant tabou). Lorsqu'ils en parlent, c'est toujours à mots couverts et comme par hasard un policier se tient systématiquement derrière eux pour veiller au grain (juste retour de bâton du policier censuré de "Nuit et brouillard" (1956)). L'évocation du traumatisme lui-même se situe sous la forme d'un récit situé au milieu du film accompagné par des images d'archives parfaitement anodines qui soulignent justement l'absence d'images du crime. Elles renvoient aux images manquantes de la Shoah (bien évidemment) mais aussi aux vides laissés par les destructions matérielles. La ville de Boulogne-sur-Mer en dépit de sa reconstruction en porte les stigmates. "C'est où le centre-ville?"; "Mais vous y êtes!" L'air égaré du jeune homme parle pour lui: l'espace comme le temps ont été irrémédiablement modifiés par la guerre.

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L'année dernière à Marienbad

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1961)

L'année dernière à Marienbad


" Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si beaux, si épais, qu’aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille. Comme si l’oreille, elle-même, de celui qui s’avance, une fois de plus, le long de ce couloir, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre où des couloirs interminables se succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle. Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance… " Ainsi commence "L'Année dernière à Marienbad" un film aussi beau qu'énigmatique, issu de la fusion entre l'écriture du pape du nouveau roman Alain Robbe-Grillet et de l'un des plus importants représentants de la Nouvelle vague, Alain RESNAIS dont c'est seulement le second long-métrage. Néanmoins le film pourrait tout à fait s'intituler "Toute la mémoire des statues" tant il effectue la synthèse entre deux de ses précédents courts-métrages: "Toute la mémoire du monde" qui filme la bibliothèque nationale de France comme les circonvolutions labyrinthiques d'un cerveau et "Les statues meurent aussi" (1953) fondé sur l'animisme de la statuaire africaine.

Tout n'est en effet que labyrinthe et leitmotiv dans ce film-cerveau confinant à l'abstraction qu'est "L'année dernière à Marienbad". On se perd d'autant plus dans l'architecture et les jardins de l'immense hôtel que les plans vertigineux de perspectives tracées par les miroirs, couloirs, enfilades de portes ou de colonnes, d'allées aux arbres taillés ou de bassins en cascades ne cessent de revenir en boucle tout comme l'écriture qui ressasse sans fin les mêmes mots. Tout cette géométrie déroutante, close et répétitive a pour but d'installer une temporalité très particulière, hors du monde qui pourrait être celle du rêve. Cette dimension onirique est renforcée par des personnages aussi rigides et figés que des statues (leurs silhouettes uniformes dans le jardin font penser à celles de Folon ou de Magritte) et qui lorsqu'ils s'animent, répètent mécaniquement tels des robots les mêmes gestes ou les mêmes phrases souvent copiés sur ceux de leurs voisins. Cette facticité du comportement va de pair avec l'environnement en trompe l'oeil donnant à l'ensemble un caractère déshumanisé.

Deux personnages se détachent cependant de ce cadre fantomatique. Un homme, X (Giorgio ALBERTAZZI) et une femme, A (Delphine SEYRIG). Ils ne cessent de se perdre et de se retrouver dans le labyrinthe spatio-temporel construit par le film qui est aussi celui de leur mémoire (thème fondamental de la filmographie de Alain RESNAIS). L'homme cherche à persuader la femme qu'ils se sont déjà rencontrés "l'année dernière" à plusieurs endroits possibles. Mais elle lui résiste et dit ne pas se souvenir. Pour appuyer ses dires, il égrène des souvenirs très précis et même une photographie comme autant de pièces à conviction ou de morceaux d'un immense puzzle que le spectateur serait invité à reconstituer. Le nombre important de photographies conservées par la femme et le caractère répétitif des souvenirs laisse entendre en effet que cette entreprise s'est déjà produite plusieurs fois, qu'il y a eu plusieurs "années dernières" dans "plusieurs endroits" et qu'elles ont toutes échoué. Ce jeu de pistes laisse au spectateur la possibilité de forger plusieurs interprétations de cette histoire. L'homme qui contrairement aux pantins de cire qui peuplent le château est doté d'une conscience, d'une mémoire et d'une imagination peut vouloir échapper à la prison mentale de l'hôtel par le sentiment amoureux. Ce qui implique de fabriquer une femme à son image en l'humanisant. Statue parmi d'autres au début du film (sa posture le suggère fortement), la femme est de plus en plus vivante au fur et à mesure qu'elle se laisse toucher par le récit de l'homme au point que le film finit par épouser son point de vue à elle (c'est donc qu'elle est un être suffisamment autonome pour en avoir un). L'allusion finale au conte de Cendrillon (la chaussure, les 12 coups de minuit) laisse entendre que le temps leur est compté. Mais à l'inverse, on peut aussi voir cet homme comme un prédateur et la femme comme une proie. Les flashs mentaux récurrents peuvent être vus comme un traumatisme. En effet l'intrusion mainte fois répétées de l'homme dans sa chambre et ses réactions d'horreur font penser à un viol de même que la contamination de ses pensées en elle. Comme le nouveau roman et le cinéma de Alain RESNAIS sont très formalistes, on peut ajouter encore une autre sens à cette histoire, celle d'un personnage qui se rebelle contre le metteur en scène pour s'autonomiser, prendre le contrôle du film (les images contradictoires seraient alors l'expression d'une lutte de pouvoir) et s'en échapper à la fin.

Un film aussi abstrait, cérébral et froid en apparence ne fait pas penser a priori à du Alfred HITCHCOCK, pourtant son image apparaît brièvement à la dixième minute du film. C'est que Alfred HITCHCOCK qui est admiré par la Nouvelle vague dissimule son formalisme derrière des histoires divertissantes. Plusieurs de ses films ont pour point de départ des figures géométriques abstraites qui deviennent ensuite figuratives: la spirale de "Vertigo" (1958), les lignes de "La Mort aux trousses" (1959) ou de "Psychose" (1960). On peut ajouter que l'histoire de "La Mort aux trousses" (1959) ressemble à celle de Marienbad avec l'histoire d'un homme que l'on confond avec un fantôme et qui s'extrait d'un monde de simulacres en tombant amoureux.

Enfin "Shining" (1980) réalisé vingt ans après "L'année dernière à Marienbad" partage des caractéristiques avec lui, notamment l'hôtel-labyrinthe hors du temps et les flashs mentaux.

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Documenteur

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1981)

Documenteur

Documenteur, tourné à Los Angeles en 1980 raconte sous couvert de fiction la douloureuse séparation d'Emilie Cooper/Agnès Varda et de Tom Cooper/Jacques Demy du point de vue de cette dernière. Alors qu'il était rentré en France, ulcéré par le refus des américains de lui accorder une seconde chance après l'échec de Model Shop, elle était resté à Los Angeles avec Mathieu alors âgé de 8 ans. Celui-ci joue son propre rôle dans le film (sous le nom de Martin Cooper).

D'une tristesse insondable, le film est hanté par l'exil, l'errance, la douleur, le manque, la mort. Varda réalise un autoportrait impressionniste mêlant inextricablement fiction et réalité.

32 ans plus tard, dans son premier long-métrage Américano, Mathieu Demy donne une sorte de suite à Documenteur qu'il cite par ailleurs abondamment. Une façon de se réapproprier les images "volées" par sa mère dans son enfance voire de "tuer" celle-ci.

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Peau d'Ane

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1970)

Peau d'Ane

Peau d'âne, mi-princesse mi-souillon, mi-humaine mi-animal tout comme sa marraine "un peu poule un peu fleur" est à l'image de la personnalité et de l'oeuvre de Jacques Demy: hybride.

D'une part Peau-d'âne est étroitement lié à son enfance durant laquelle il assistait à des spectacles de marionnettes où le conte l'avait enchanté. Plus tard il découvrit la magie du cinéma et Blanche-Neige dont il a repris l'image du cercueil de verre pour les funérailles de la mère de Peau d'âne. D'autre part le thème de l'inceste, central dans Peau d'âne, est récurrent dans son oeuvre jusqu'à être consommé dans son dernier film 3 places pour le 26.

Sur le plan des références aussi Peau d'âne est hybride. Tradition et poésie d'un côté avec le Moyen-Age (la barbe fleurie), la Renaissance (coiffures), les contes de Perrault du XVII°, le XVIIl° (robes de princesse) mais aussi Cocteau et la Belle et la Bête à qui Demy rend hommage en lui empruntant Jean Marais dans le rôle du roi et en reprenant certaines de ses idées de mise en scène ou de trucages. Modernité voire avant-gardisme de l'autre avec des allusions (la fumette) et des éléments visuels empruntés au pop art et au psychédélisme. Jacques Demy a réalisé Peau d'âne peu après son retour de Los Angeles où il a notamment fréquenté la Factory d'Andy Warhol et s'est fait un ami en la personne de Jim Morrison le leader des Doors qui est venu assister au tournage de l'une des dernières séquences du film tournée à Chambord.

Le résultat de tous ces mélanges est d'une splendeur visuelle et poétique rarement égalée dans le cinéma français sans parler des chansons de Michel Legrand toutes passées à la postérité. Pas étonnant que les époques se télescopent si harmonieusement dans le film avec une marraine au look de Jean Harlow rapportant des poésies mais aussi un hélicoptère du futur!

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