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L'année dernière à Marienbad

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1961)

L'année dernière à Marienbad


" Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si beaux, si épais, qu’aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille. Comme si l’oreille, elle-même, de celui qui s’avance, une fois de plus, le long de ce couloir, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre où des couloirs interminables se succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle. Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance… " Ainsi commence "L'Année dernière à Marienbad" un film aussi beau qu'énigmatique, issu de la fusion entre l'écriture du pape du nouveau roman Alain Robbe-Grillet et de l'un des plus importants représentants de la Nouvelle vague, Alain RESNAIS dont c'est seulement le second long-métrage. Néanmoins le film pourrait tout à fait s'intituler "Toute la mémoire des statues" tant il effectue la synthèse entre deux de ses précédents courts-métrages: "Toute la mémoire du monde" qui filme la bibliothèque nationale de France comme les circonvolutions labyrinthiques d'un cerveau et "Les statues meurent aussi" (1953) fondé sur l'animisme de la statuaire africaine.

Tout n'est en effet que labyrinthe et leitmotiv dans ce film-cerveau confinant à l'abstraction qu'est "L'année dernière à Marienbad". On se perd d'autant plus dans l'architecture et les jardins de l'immense hôtel que les plans vertigineux de perspectives tracées par les miroirs, couloirs, enfilades de portes ou de colonnes, d'allées aux arbres taillés ou de bassins en cascades ne cessent de revenir en boucle tout comme l'écriture qui ressasse sans fin les mêmes mots. Tout cette géométrie déroutante, close et répétitive a pour but d'installer une temporalité très particulière, hors du monde qui pourrait être celle du rêve. Cette dimension onirique est renforcée par des personnages aussi rigides et figés que des statues (leurs silhouettes uniformes dans le jardin font penser à celles de Folon ou de Magritte) et qui lorsqu'ils s'animent, répètent mécaniquement tels des robots les mêmes gestes ou les mêmes phrases souvent copiés sur ceux de leurs voisins. Cette facticité du comportement va de pair avec l'environnement en trompe l'oeil donnant à l'ensemble un caractère déshumanisé.

Deux personnages se détachent cependant de ce cadre fantomatique. Un homme, X (Giorgio ALBERTAZZI) et une femme, A (Delphine SEYRIG). Ils ne cessent de se perdre et de se retrouver dans le labyrinthe spatio-temporel construit par le film qui est aussi celui de leur mémoire (thème fondamental de la filmographie de Alain RESNAIS). L'homme cherche à persuader la femme qu'ils se sont déjà rencontrés "l'année dernière" à plusieurs endroits possibles. Mais elle lui résiste et dit ne pas se souvenir. Pour appuyer ses dires, il égrène des souvenirs très précis et même une photographie comme autant de pièces à conviction ou de morceaux d'un immense puzzle que le spectateur serait invité à reconstituer. Le nombre important de photographies conservées par la femme et le caractère répétitif des souvenirs laisse entendre en effet que cette entreprise s'est déjà produite plusieurs fois, qu'il y a eu plusieurs "années dernières" dans "plusieurs endroits" et qu'elles ont toutes échoué. Ce jeu de pistes laisse au spectateur la possibilité de forger plusieurs interprétations de cette histoire. L'homme qui contrairement aux pantins de cire qui peuplent le château est doté d'une conscience, d'une mémoire et d'une imagination peut vouloir échapper à la prison mentale de l'hôtel par le sentiment amoureux. Ce qui implique de fabriquer une femme à son image en l'humanisant. Statue parmi d'autres au début du film (sa posture le suggère fortement), la femme est de plus en plus vivante au fur et à mesure qu'elle se laisse toucher par le récit de l'homme au point que le film finit par épouser son point de vue à elle (c'est donc qu'elle est un être suffisamment autonome pour en avoir un). L'allusion finale au conte de Cendrillon (la chaussure, les 12 coups de minuit) laisse entendre que le temps leur est compté. Mais à l'inverse, on peut aussi voir cet homme comme un prédateur et la femme comme une proie. Les flashs mentaux récurrents peuvent être vus comme un traumatisme. En effet l'intrusion mainte fois répétées de l'homme dans sa chambre et ses réactions d'horreur font penser à un viol de même que la contamination de ses pensées en elle. Comme le nouveau roman et le cinéma de Alain RESNAIS sont très formalistes, on peut ajouter encore une autre sens à cette histoire, celle d'un personnage qui se rebelle contre le metteur en scène pour s'autonomiser, prendre le contrôle du film (les images contradictoires seraient alors l'expression d'une lutte de pouvoir) et s'en échapper à la fin.

Un film aussi abstrait, cérébral et froid en apparence ne fait pas penser a priori à du Alfred HITCHCOCK, pourtant son image apparaît brièvement à la dixième minute du film. C'est que Alfred HITCHCOCK qui est admiré par la Nouvelle vague dissimule son formalisme derrière des histoires divertissantes. Plusieurs de ses films ont pour point de départ des figures géométriques abstraites qui deviennent ensuite figuratives: la spirale de "Vertigo" (1958), les lignes de "La Mort aux trousses" (1959) ou de "Psychose" (1960). On peut ajouter que l'histoire de "La Mort aux trousses" (1959) ressemble à celle de Marienbad avec l'histoire d'un homme que l'on confond avec un fantôme et qui s'extrait d'un monde de simulacres en tombant amoureux.

Enfin "Shining" (1980) réalisé vingt ans après "L'année dernière à Marienbad" partage des caractéristiques avec lui, notamment l'hôtel-labyrinthe hors du temps et les flashs mentaux.

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Délivrance (Deliverance)

Publié le par Rosalie210

John Boorman (1972)

Délivrance (Deliverance)

« On a vaincu la rivière » annoncent triomphalement à la fin de la première journée Lewis, Ed, Drew et Bobby, les quatre citadins venus concrétiser leurs fantasmes de conquête de ce coin sauvage de Georgie avant qu’il ne disparaisse sous les aménagements. Sous un vernis écologiste, leur vraie motivation est narcissique : se prouver à eux-mêmes qu’ils sont des hommes qui « en ont » dans le pantalon en affrontant la nature, la vraie avant qu’elle ne soit émasculée par la main de l’homme. Le film est une attaque en règle du mâl(e) américain, sa suffisance, son arrogance et son machisme. Car ce qu'ils croient être la nature n'est qu'un trompe-l’œil pour touristes, la vraie descente (aux enfers) commence le lendemain et chacun en ressortira marqué à jamais. Lewis (Burt REYNOLDS), le mâle dominant est amputé de la jambe après avoir vécu un martyre physique et l’humiliation morale de dépendre de ses camarades comme un bébé. Drew (Ronny COX) l’artiste qui rêve de communion avec la nature et qui l’espace d’un magique duo guitare-banjo avec un autochtone aussi virtuose que demeuré croit pouvoir toucher son rêve du bout des doigts finit noyé (ou assassiné, le film reste volontairement ambigu sur ce point) dans la rivière avec le corps disloqué. Ed (John VOIGHT), le discret père de famille obligé de prendre les rênes après la blessure de Lewis contrôle mal ses flèches quand il ne se blesse pas avec. Son initiation à la survie dans des conditions extrêmes est aussi rapide que brutale. Du moins échappe t-il in-extremis au viol que veulent lui faire subir deux chasseurs dégénérés du coin qui symbolisent la vengeance de la nature c’est-à-dire de la barbarie. Bobby (Ned BEATTY) n’a pas cette chance. Petit, gros et complexé, moqué par ses camarades, il compense avec une surenchère de propos sur ses exploits virils avant que son viol ne le rabaisse plus bas que terre. Si cette scène-choc a fait sensation à l’époque et reste aujourd’hui incontournable c’est parce qu’elle est la clé du film. Lorsque la nature idéalisée par ces hommes révèle son véritable visage bestial, ceux-ci sont eux-mêmes ramenés au stade animal (le violeur compare Bobby à un cochon et lui demande de couiner) et c’est en se dépouillant de toute conscience morale, en ne conservant que l’instinct de survie que ceux-ci s’en sortent (sauf Drew justement qui ne peut renoncer complètement à ce qui fait de lui un homme ce qui le condamne). Il n’est pas difficile de voir derrière ces quatre destins individuels une critique des fondations de l’Amérique : la conquête de l’ouest et l’éradication des « sauvages », la destruction de la nature par les aménagements et les ravages écologiques (ironiquement le retour à la civilisation des trois survivants se fait par l’apparition de carcasses de voitures rouillées abandonnées au bord de l’eau), la glorification du virilisme et sa destructivité. L’Amérique s’est construite par la violence et elle a eu beau recouvrir ou lester les cadavres derrière son vernis de civilisation, ceux-ci n’en finissent pas de ressurgir telle cette main livide sortant de l’eau dans les cauchemars de Ed.

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Epées et coeurs (Swords and Hearts)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1911)

Epées et coeurs (Swords and Hearts)


"Epées et cœurs" est le sixième des sept courts-métrages sur la guerre de Sécession que D.W. GRIFFITH a réalisé entre 1910 et 1911. L'importance de cet événement dans la filmographie du cinéaste s'explique par sa biographie personnelle (son père a pris part au conflit du côté des confédérés et s'est brillamment illustré en tant que colonel) autant que par la place de la "Civil war" dans l'histoire des USA. En effet, bien plus que la guerre d'Indépendance, c'est la guerre de Sécession qui est considérée par les américains comme l'événement fondateur de leur nation comme le montre l'abondante filmographie qui lui est consacrée.

"Epées et cœurs" comme son titre l'indique est une romance contrariée par la guerre mais aussi par les différences sociales. L'intrigue qui se déroule en Virginie, l'un des Etats sudistes qui a fait sécession se focalise sur un triangle amoureux: le fils d'un riche planteur de tabac, Hugues Frazier (Wilfred LUCAS), sa voisine du même rang que lui qu'il courtise Irène Lambert (Claire McDOWELL) et enfin Jenny Baker (Dorothy WEST) la fille d'un "petit blanc". Le film est à la fois une romance, un récit de guerre épique et une fable dans le sens où la guerre déchire le voile des apparences et révèle la véritable identité de chacun. Sous ses airs de jeune fille de bonne famille, Irène s'avère être une opportuniste qui se laisse courtiser par Hugues mais aussi par un soldat de l'Union histoire de pencher du bon côté le moment venu. Lorsque Hugues perd tout (la guerre mais aussi la propriété familiale qui est attaquée, pillée et incendiée) il perd également Irène mais il gagne Jenny. Cette dernière sous ses airs de pauvresse cache un tempérament intrépide et déterminé qui a l'occasion de s'exprimer lorsqu'elle protège Hugues des soldats de l'Union venus l'arrêter en faisant diversion. Dorothy WEST montre à cette occasion son talent dans les scènes d'action en tant que cavalière et tireuse, bien mise en valeur par la mise en scène de D.W. GRIFFITH, l'utilisation de la profondeur de champ dans la course-poursuite notamment. Son personnage, en rupture par rapport à la tradition prend sa vie en main et sauve celui qu'elle aime au lieu d'être sauvé par lui. Enfin, le quatrième personnage important du film est Old Ben, l'esclave majordome de la famille Frazier qui sauve Hugues de la ruine en enterrant le coffre de la maison pour qu'il ne tombe pas aux mains des pillards. Si le film de D.W. GRIFFITH a un côté féministe et progressiste socialement, il est imprégné de racisme, comme "Naissance d une Nation (1915)". Old Ben est joué comme il était d'usage à l'époque par un acteur blanc grimé, il est entièrement dévoué à la famille Frazier et ne pense pas un instant à profiter de la guerre et du désordre pour s'enfuir et encore moins pour s'enrichir au détriment de ses anciens maîtres qu'il continue à servir fidèlement comme s'il n'y avait pas d'autre horizon possible.

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Glass

Publié le par Rosalie210

M. Night Shyamalan (2019)

Glass

Si je suis globalement rétive aux films de super-héros (il y a tout de même des exceptions en ce qui concerne Batman et Spiderman), j'aime beaucoup en revanche les œuvres qui interrogent leur univers. J'avais été par exemple impressionnée par les sculptures en lego que Nathan Sawaya avait consacré aux héros de DC Comics avec notamment une vision angoissante d'un Superman se retrouvant emmuré dans sa propre cape. C'est dans cette même veine que se situe "Glass", troisième volet d'une trilogie qui effectue la jonction entre "Incassable" (2000) et "Split" (2016). En effet le titre, "Glass" va au delà du nom du personnage interprété par Samuel L. JACKSON. Il illustre de manière troublante la célèbre phrase de Jean COCTEAU extraite du film "Le Sang d un poète (1930)", "Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images" ^^. D'abord parce qu'il s'agit d'un film de réflexion et non d'action privilégiant la fixité sur le mouvement. Les combats sont par exemple systématiquement avortés, celui de la fin dans la tour d'Osaka étant purement et simplement escamoté. Sa surface vitrée ne réfléchit donc que le vide, omniprésent dans l'ensemble du film. Cette manière de déjouer les attentes du spectateur interroge aussi bien l'identité du super-héros que sa place dans le monde. M. Night SHYAMALAN souligne le même paradoxe que Brad BIRD. Omniprésents dans la culture populaire américaine depuis les années 30, les super-héros sont invisibles dans la réalité (d'où le fait qu'elle ne reflète que le vide, le film de M. Night SHYAMALAN se plaçant délibérément dans un registre réaliste). Est-ce la preuve définitive que les super-héros ne sont qu'un mythe et que leurs supporters ont tort d'y croire ou est-ce parce qu'ils n'ont pas le droit d'exister tels qu'ils sont réellement? Dans "Les Indestructibles" (2004), leur intégration se fait au prix de la dissimulation de leur véritable identité. Dans "Glass", ils sont enfermés à l'asile (ce qui implique qu'il sont considérés comme des malades) dans ce qui est une très intéressante relecture de "Vol au-dessus d un nid de coucou" (1975) (et d'une partie de "L Armée des douze singes" (1995) dans lequel jouait Bruce WILLIS et qui était également un hommage au film de Milos FORMAN). Le docteur Ellie Staple (Sarah PAULSON) est une nouvelle Miss Ratched dont la douceur apparente dissimule les noirs desseins éradicateurs. Se situant dans le registre de la manipulation, elle ne cesse de faire douter d'eux-mêmes les trois hommes qu'elle doit "traiter" pour les détruire de l'intérieur et l'opération projetée sur Elijah (le cerveau du trio tout aussi manipulateur qu'elle) est un avatar de la lobotomie subie par McMurphy avec lequel elle est engagée dans une véritable lutte de pouvoir. On apprécie d'autant plus le twist final qui illustre parfaitement la phrase de Cocteau, la faille du dispositif de surveillance résidant justement dans le fait d'enregistrer des images qui non réfléchies (par les gardes-chiourmes de la normalité) peuvent échapper à leur contrôle et servir de "preuve" (même si ce ne sont que des images et non la réalité, la confusion est inévitable: "c'est vrai, je l'ai vu" ^^).

"Glass" a également un autre sens intéressant. Il renvoie à la vulnérabilité de super-héros que l'on croit à tort invincibles. Cet aspect renvoie à la mythologie grecque, plus précisément à Achille, le héros de la guerre de Troie. Sa mère l'a plongé bébé dans le Styx, l'un des fleuves des Enfers, pour que son corps devienne invulnérable ; mais son talon, par lequel le tient Thétis, n'est pas trempé dans le fleuve et reste celui d'un mortel. Par conséquent il meurt d'une flèche plantée dans le talon. Chacun des trois super-héros de "Glass" possède ainsi une faiblesse qui lui est fatale. David Dunn alias "L'Homme incassable" ou le "Superviseur" (Bruce WILLIS) est hydrophobe, Elijah Price alias M. Glass (Samuel L. JACKSON) souffre de la maladie des os de verre et la Bête alias Kevin Wendell Crumb alias les 22 autres personnalités de sa "Horde" (James McAVOY) lorsqu'elle est ramenée à sa condition humaine ne survit pas aux balles dans le corps. Car entre la bête et le surhomme, ces personnages sont avant tout des hommes et c'est cette dimension humaine qui les rend vulnérables. Elle passe par l'emprise du temps (géniaux flashbacks sur des scènes coupées de "Incassable" (2000) qui témoignent du vieillissement de Bruce WILLIS et de Spencer TREAT CLARK qui joue son fils), les traumatismes de l'enfance (à l'origine de l'hydrophobie de David alors que Elijah résiste à sa lobotomie en se remémorant une scène où enfant il s'est blessé en faisant un tour de manège à sensations, deux scènes de flashbacks également coupées du film "Incassable" (2000) alors que Kevin et Casey partagent des souvenirs indélébiles de maltraitances infligées par un de leurs parents) et enfin l'amour pour les êtres chers (la mère pour Elijah, le fils pour David et Casey pour Kevin, son contact étant le seul moyen de lui rendre son humanité). En les rendant humains trop humains, c'est au final notre propre humanité que M. Night SHYAMALAN interroge.

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Les Herbes folles

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (2008)

Les Herbes folles

Il m'a fallu 10 ans pour tomber amoureuse "Des Herbes folles". Le film m'avait dérouté au premier visionnage et c'est au fil du temps qu'il m'est revenu par bribes fulgurantes, finissant par former dans mon esprit un tout parfaitement limpide. Décalé, irréel et surréaliste (Luis BUÑUEL n'est pas loin, Magritte non plus si j'en juge par l'affiche), le film épouse la forme du rêve éveillé avec ses excroissances anarchiques comme le souligne son beau titre. Plus profondément encore, il suit la pure "logique" illogique du désir ce qui en fait aussi un retour aux sources de la fibre romanesque du cinéma où tout devient possible, y compris les idées les plus "folles". Il s'agit d'ailleurs d'une adaptation littéraire ce que rappelle la voix-off de Edouard BAER tout aussi hésitante et contradictoire que ne le sont les comportements des personnages du film. L'histoire est en réalité d'une simplicité confondante, celle d'une rencontre "fatale" entre une sorcière aux cheveux de feu (elle peut faire du bien avec son jardin des "hélices" comme du mal avec la fraise de son cabinet de dentiste) et un homme fantomatique (nimbé de lumière verte, comme Madeleine dans "Vertigo") (1958) que sa triste épouse (Anne CONSIGNY) tente de raccrocher à la vie en lui donnant des tâches ménagères concrètes à accomplir pour qu'il ne s'envole pas (ou ne déraille pas encore car il traîne un lourd passé derrière lui dont on ne saura rien sinon qu'il a perdu ses droits civiques et a des pensées meurtrières). Marguerite Muir (Sabine Azéma) est à la fois la descendante de Lucy Muir, la sublime héroïne de Joseph L. MANKIEWICZ et de l'aviatrice Hélène Boucher. Pourtant elle a peu à peu laissé tomber sa passion et s'est laisser enfermer dans la routine. Jusqu'à ce que Georges Palet (André DUSSOLLIER) ne découvre son portefeuille dans un parking. Une photo engageante, un nom évocateur, un diplôme d'aviatrice, il n'en fallait pas plus pour que son imagination ne s'emballe. C'est pourquoi il ne peut accepter qu'elle ne fasse que le remercier ("c'est tout"?) ou -comme son épouse- qu'elle ne fasse que s'inquiéter pour lui ("Alors vous m'aimez?"). Les paroles de Georges sont d'autant plus déconcertantes qu'elles semblent tout droit sorties de son inconscient, sans l'ombre du moindre filtre social. Marguerite met donc du temps à embrayer et prend peur dans un premier temps (ce qui est parfaitement normal) mais lorsqu'elle accepte de le voir pour la première fois à la sortie d'un cinéma (une scène nocturne magnifique, filmée comme du WONG Kar-Wai), elle a la même "révélation" sur lui que lui sur elle. C'est que leur histoire est faite pour un écran/écrin de cinéma et lui seul avec les pas de danse désaccordés du "tu me suis, je te fuis, tu me fuis, je te suis" qui alimentent le manque et donc le désir, le baiser filmé sur fond de jingle MGM avec le mot "fin"... mais dans un film d'aujourd'hui, il ne peut plus être le climax. Il y a donc ensuite une séance de haute voltige qui sert de métaphore sexuelle à partir d'un acte manqué particulièrement suggestif (une braguette ouverte!) Cette histoire de mort (petite et grande) et de résurrection (la sève monte tellement en Georges Palet qu'il ne peut plus fermer son pantalon, cette verdeur nouvelle n'ayant plus rien à voir avec la lumière cadavérique qui le nimbait jusque là) laisse entendre que la vie n'est qu'un grand cycle, une histoire toujours recommencée (les premières et dernières images du film le soulignent d'ailleurs). 

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La Confusion des sentiments

Publié le par Rosalie210

Etienne Périer (1979)

La Confusion des sentiments

"La Confusion des sentiments" est une adaptation télévisuelle datant de la fin des années 70 de la célèbre nouvelle (que l'on qualifie aussi de court roman) de Stefan Zweig. Celle-ci dépeint avec une rare justesse les tourments d'une passion interdite alimentée par des désirs aussi violents que refoulés qui entretiennent une atmosphère d'érotisme électrique. Si l'image a beaucoup vieilli et aurait eu besoin d'une restauration lors de son transfert en DVD, force est de constater que Etienne PÉRIER a rendu justice à l'écriture d'orfèvre de Stefan Zweig tout en modernisant quelque peu son oeuvre. Il est amusant que certains aient cru bon de préciser dans leur critique qu'il ne s'agissait pas d'un film gay. Pourtant en dépit du personnage frustré et provocant de la femme du professeur c'est bien le désir homosexuel qui est au coeur du film aussi bien au niveau des dialogues que des images. La caméra devient l'œil et l'âme du professeur qui se pâme devant la musculature supposée d'Hamlet qu'il ne peut imaginer "gras" ou les statues de jeunes éphèbes grecs semblables au corps de l'élève qu'il désire, qu'il ne peut s'empêcher d'entrevoir ou d'imaginer nu ou demi-nu et dont il n'est séparé que par une fragile porte qu'il espère de toutes ses forces voir s'ouvrir. Il en va de même avec des lignes de dialogues dont le contenu est sans ambiguïté ("Je n'ai rien contre les mauvais sujets, au contraire"; "Quand l'amitié atteint ce degré d'exaltation, est-ce encore de l'amitié?"; "Je vais vous faire apporter un lit où le professeur viendra vous border"). Comme dans le livre, chaque élan est suivi d'un retour de bâton plongeant l'élève un peu plus dans la confusion, le professeur soufflant le chaud et le froid, non parce qu'il joue avec lui mais parce qu'il est déchiré entre ce qu'il voudrait désirer (une communion d'esprit avec Roland, une amitié qui serait socialement acceptable) et ce qu'il désire réellement (une fusion charnelle). Et que dire de l'interprétation! Michel PICCOLI comme Stefan Zweig épouse les moindres frémissements de son personnage dévoré par les tourments de sa passion impossible « Il faut revenir à des sentiments de chair, de passion, de vie ! Il n’y a plus de belles histoires que l’on raconte. Et, La Confusion des sentiments en est une justement. Avec trois personnages, d’une intégrité, d’une pureté, d’une rigueur, d’une intensité de vie exceptionnelle (…) c’est la beauté des sentiments.» (Michel PICCOLI à propos de "la Confusion des sentiments".)

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Le Faux Coupable (The Wrong Man)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1956)

Le Faux Coupable (The Wrong Man)

Si le thème du faux coupable est omniprésent dans toute la filmographie de Alfred HITCHCOCK, le film portant le titre éponyme est un drame sérieux, tourné de façon quasi documentaire sur les lieux d'un fait réel survenu trois ans plus tôt. Le spectateur habitué aux extravagances du maître sera surpris par l'austérité qui émane du film. Il faut dire qu'il s'inscrit, tout comme "La Loi du silence" (1953) réalisé quelques années plus tôt dans une vision empreinte de catholicisme. Manny Balestrero (Henry FONDA) est un martyr qui subit en silence un véritable chemin de croix. Et ce jusqu'à ce que à force de souffrances et de ferveur (il ne se sépare jamais de son chapelet qu'il égrène en plein procès et possède des images pieuses chez lui) un miracle ne se produise: l'arrestation du vrai coupable à qui il ressemble de façon troublante. C'est peut-être là qu'est d'ailleurs la principale limite du film. Contrairement à "La Loi du silence" (1953) où le prêtre n'avait pas la conscience tranquille parce qu'il dissimulait des pulsions et des désirs inavouables, le héros du "Faux coupable" n'a aucune véritable intériorité. En avoir une, ce serait plonger dans les zones grises de l'âme humaine. Or en faisant incarner le bien et le mal par deux personnages différents, Alfred HITCHCOCK prive son héros d'ambiguïté, donc d'épaisseur. Manny est une image pieuse et non un homme. C'est d'autant plus dommage que son calvaire, filmé la plupart du temps en caméra subjective, donne lieu à de belles idées de mise en scène dont le célèbre mouvement de caméra circulaire tournant autour de Manny dans sa cellule qui donne à la fois une impression de vertige tout en suggérant un basculement possible dans la folie. Mais, encore une fois ce qui pourrait rendre enfin le personnage intéressant est porté par quelqu'un d'autre à savoir Rose, l'épouse jouée par Vera MILES qui perd progressivement la raison alors que Manny reste désespérément hiératique.

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Les naufragés de l'île de la Tortue

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1974)

Les naufragés de l'île de la Tortue

Le coffret consacré aux films de Jacques Rozier a permis de sortir "Les naufragés de l'île de la Tortue" des limbes où il a été longtemps confiné. Tourné en 1974 en huit semaines, il a fallu deux ans à Jacques ROZIER pour monter le film et lorsque celui-ci a été enfin prêt, sa société de production a fait faillite, compromettant la carrière du film en salles en dépit de la présence dans le rôle principal d'un acteur qui était alors une star de la comédie, Pierre RICHARD. Mais Jacques ROZIER est un cinéaste déroutant qui ne l'utilise pas de la même façon que les autres de même qu'il ne se soumet pas au rythme de fabrication "bankable" d'un film ou à un scénario pré-écrit. S'il y a un élément récurrent dans tous ses films, c'est l'élément aquatique et cela lui convient parfaitement car Jacques ROZIER aime épouser son rythme, ses flottements, hésitations, temps morts sans savoir où cela peut le mener.

Par conséquent "Les naufragés de l'île de la Tortue" porte la marque de cette improvisation permanente (qui rappelle que Jacques ROZIER est un cinéaste de la Nouvelle vague), le film s'inventant au fur et à mesure du tournage. Celui-ci est tellement naturaliste qu'il est difficile parfois de démêler ce qui relève de la fiction et ce qui relève du documentaire. Ainsi le refus de Joël Dupoirier (Maurice RISCH) d'accompagner aux Caraïbes Jean-Arthur (Pierre RICHARD) et son remplacement au pied levé par son frère Bernard (Jacques VILLERET) s'explique par l'indisponibilité de l'acteur. De même le coup de colère du plongeur qui décide de rentrer à Paris se confond avec celui de l'acteur qui l'interprète, excédé par les méthodes du réalisateur et qui plaque l'équipe en plein tournage.

Le film se construit sur deux dimensions entre lesquelles il ne tranche jamais. D'une part une rêverie, celle du bien-nommé Jean Arthur Bonaventure qui travaille dans une agence de voyages mais reste collé au sol dans la grisaille de sa routine. Dès les premiers plans, Jacques ROZIER insiste sur le regard de Pierre RICHARD dont les yeux bleus se prêtent à la rêverie. On le voit fixer du regard une affiche sur laquelle est représentée une femme noire dévêtue et ornée d'une belle coupe afro. Des cartons écrits nous informent qu'il s'est inventé une liaison qui lorsqu'elle deviendra réelle prendra les traits de cette femme. Et de fil en aiguille, Jean-Arthur se rêvera en nouveau Robinson, lisant devant son auditoire des passages entiers du roman de Daniel Defoe, matrice de son projet de concept de vacances nommé "Robinson Crusoé". La mise en scène nous fait douter de la réalité de cette aventure, notamment lorsque lors d'une scène magnifique le bateau disparaît de l'horizon sans explication. Comme d'autres films des années 70 tournés en extérieurs, "Les naufragés de l'île de la Tortue" rappelle le pouvoir d'envoûtement incomparable de la lumière naturelle notamment au crépuscule.

Mais d'autre part, l'aspect mercantile et chimérique de ce projet à la contradiction insurmontable (faire de l'argent avec une aventure authentique) est superbement démontré par ce qu'il faut qualifier d'anticipation visionnaire. En effet Jacques ROZIER dénonce avec trente ans d'avance les faux-semblants du jeu de survie du type "Koh-Lanta". Tout y est: la recherche d'une île déserte qui ne l'est pas (dès qu'on voit la première maison au fond du cadre, on comprend et par la suite la prison achève de nous désillusionner à ce sujet) et donc d'eaux turquoises qui ne le sont pas (elles sont au contraire infestées de déchets), la surenchère dans l'inconfort et le dénuement (slogans du type "3000 francs-rien compris" ou "Robinson démerde-toi", valises confisquées et jetées à l'eau, volonté de faire atteindre l'île à la nage, marches épuisantes, conditions de vie précaires etc.), les tensions savamment entretenues entre les participants obligés de cohabiter à huis-clos filmées comme un spectacle d'autant que par un effet de mise en abyme troublante, Jacques ROZIER s'appuie sur la réalité d'un tournage déstabilisant et éprouvant pour les acteurs. Il y a donc une réalité mise en scène comme dans la télé-réalité et c'est en cela que le film de Jacques ROZIER doit absolument être redécouvert aujourd'hui.

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Fra Diavolo (The Devil's Brother)

Publié le par Rosalie210

Hal Roach et Charles Rogers (1933)

Fra Diavolo (The Devil's Brother)

Fra Diavolo, c'est d'abord le surnom d'un personnage qui a réellement existé, le brigand napolitain Michele Pezza, chef d'une troupe de bandits qu'il entraîna dans une guérilla contre les armées napoléoniennes avant qu'il ne soit capturé, jugé et pendu en 1806. Il inspira à Daniel-François-Esprit Auber un opéra-comique (que l'on peut définir comme un métissage entre le théâtre parlé et l'opéra chanté, mélange de burlesque et de romanesque), "Fra Diavolo ou l'hôtellerie de Terracine" qui fut représenté pour la première fois en 1830. Pour coller au style léger et élégant de cet opéra-comique, Michele Pezza fut dépouillé de son aspect sanguinaire et devint un galant bandit de grand chemin.

Le film de Hal ROACH et Charles ROGERS est une adaptation cinématographique fidèle à l'esprit de l'opéra-comique d'Auber. Les films musicaux étaient alors à la mode et il s'agissait également pour Hal ROACH et son studio de se servir du film pour imposer définitivement le duo comique formé par Stan LAUREL et Oliver HARDY dans un long-métrage parlant (avec le succès que l'on sait). Pourtant, s'il se regarde sans déplaisir, ce film fonctionne assez mal comme un tout. Il y a en effet deux parties distinctes et qui sont mal raccordées entre elles. La partie "opératique" plus proche par la légèreté de son argument de l'opérette est dirigée par Hal ROACH et s'avère assez inégale. Thelma TODD est irrésistible comme d'habitude et forme un couple amusant avec la moustache de son potentiel cornard de mari joué par James FINLAYSON. Dennis KING dans le rôle de Fra Diavolo s'il est un bon chanteur est en revanche un piètre acteur dont la prestation est assez risible. La partie burlesque du film officiellement dirigée par Charles ROGERS mais en réalité plus vraisemblablement par Stan LAUREL est celle qui met en scène les gags du duo Stanlio et Ollio, officiellement prisonniers-domestiques-rivaux de Fra Diavolo mais en réalité tellement en roue libre qu'ils forment un ensemble à part même s'ils ne dynamitent pas le récit principal pour autant (on est pas chez les Marx Brothers!) La complicité et la complémentarité des deux comparses fonctionne à plein régime avec quelques trouvailles hilarantes (le chiffon rouge, la fuite dans le tonneau, la cuite, les jeux de mains et de doigt de Stan LAUREL).

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Les Moissons du ciel (Days of Heaven)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (1978)

Les Moissons du ciel (Days of Heaven)

Deuxième film de Terrence MALICK après "La Balade sauvage" (1972), "Les Moissons du ciel" a souvent été comparé avec raison au film de John FORD "Les Raisins de la colère" (1940) (même si le contexte historique est différent, le film parle de la brutalité des rapports de classe sociale sur fond de ruralité en crise) mais aussi au méconnu et pourtant magnifique "CITY GIRL" (1929) de Friedrich Wilhelm MURNAU dont il adopte le caractère naturaliste. Mais c'est avec le "Barry Lyndon" (1975) de Stanley KUBRICK que "Les Moissons du ciel" a le plus d'affinités, aussi bien sur le plan esthétique que narratif:

- Une composition picturale des images avec des références aux peintres américains Edward Hopper (la maison du maître) ou Andrew Wyeth (le corps humain perdu dans l'immensité des espaces champêtres).

- Un usage exclusif de la lumière naturelle avec une prédilection comme Stanley KUBRICK pour les heures magiques entre chien et loup de l'aube et du crépuscule. Ce qui signifie les mêmes prouesses techniques et la même maniaquerie perfectionniste. Comme Stanley KUBRICK, Terrence MALICK est un cinéaste de la rareté. Pour "Les Moissons du ciel" il a bénéficié de l'aide de deux chefs opérateur surdoués Néstor ALMENDROS et son assistant Haskell WEXLER, le premier travaillant à l'époque notamment pour François TRUFFAUT et Éric ROHMER (une illustration parmi d'autres de la connexion étroite existant entre le cinéma indépendant américain et la Nouvelle Vague française).

- Une narration distanciée à l'aide de l'utilisation d'une voix-off, celle de Linda (Linda MANZ) la petite sœur du protagoniste principal, Bill (Richard GERE) qui est le témoin privilégié des événements racontés dans le film (c'est d'ailleurs l'unique raison d'être de ce personnage).

Néanmoins le film de Terrence MALICK est inférieur à celui de Stanley KUBRICK. En effet si la dimension macrocosmique du film est une splendide réussite avec des plans d'une beauté à tomber par terre, une captation frémissante et sensuelle de la nature et la puissance allégorique de la séquence biblique de l'invasion des sauterelles et du grand incendie, il n'en va pas de même en ce qui concerne la dimension microcosmique. Terrence MALICK a voulu effacer au maximum les personnages et leurs relations pour montrer l'aspect dérisoire de la vie humaine et souligner son imperfection et sa petitesse dans l'univers. Le problème est que ce parti-pris rend la comédie humaine du film (que ce soit en terme de relations sociales ou de rapports amoureux) inconsistante là où celle de Stanley KUBRICK conservait toute sa puissance. L'homme n'est qu'une poussière dans l'univers mais il en fait aussi partie. A ce titre, il l'exprime tout entier. Le priver de cette puissance expressionniste le vide de sa substance. Cela peut expliquer l'ennui que certains peuvent ressentir en regardant un film qui peut laisser froid de par son positionnement inhumain.

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