"La Folie Almayer", dernier long-métrage de fiction de Chantal AKERMAN est un incroyable trip hypnotique dans la jungle malaise tout en travellings et plans-séquence. Autrement dit soit on s'ennuie face à la lenteur contemplative des scènes, soit on adhère à la démarche qui s'avère être une invitation au voyage d'une sensorialité fascinante. En effet bien que l'histoire se déroule en Asie du sud-est, entre Malaisie et Indonésie, Nina (Aurora MARION) que l'on voit en gros plan dès le début du film ressemble à une tahitienne sortie d'un tableau de Gauguin. Adaptation du premier roman de Joseph Conrad paru en 1895 transposé dans les années cinquante, l'histoire raconte la déliquescence de la société coloniale dont les derniers rejetons se perdent dans les limbes. Almayer (Stanislas MERHAR) qui vit au bord d'une rivière au milieu de la jungle en quête d'une mine d'or imaginaire dépérit lentement mais sûrement. Sa fille métisse, Nina lui est enlevée sur décision du beau-père d'Almayer (Marc BARBE) pour être éduquée à l'occidentale dans un pensionnat-prison dont elle s'échappe quelques années plus tard. Déchirée entre ses deux cultures, l'occidentale qui lui est présentée comme supérieure mais qui la rejette et l'indigène méprisée par les blancs, elle se fuit perpétuellement. Peut-être cherche-elle également à fuir "la Folie Almayer", ce trou perdu où cohabitent sans se parler son père et sa mère, chacun essayant de se l'approprier. On pense à "Aguirre, la colere de Dieu" (1972) mais également à la plantation coloniale de "Apocalypse Now" (1976), moments suspendus cernés par l'enfer vert où la civilisation occidentale vient se perdre. J'ai également pensé à un film tourné bien après, "Pacifiction - Tourment sur les iles" (2021) en raison notamment de la troublante ressemblance (en dépit d'une différence de corpulence) entre Stanislas MERHAR et Benoit MAGIMEL, l'ambiance exotique, la lenteur, l'insularité (réelle ou imaginaire) d'un occidental vêtu de blanc perdu dans un monde qui n'est pas le sien.
Présentation
La Folie Almayer, Chantal Akerman, 2011
La rétrospective Chantal Akerman sur Arte étant sur le point de disparaître, j'ai regardé le dernier film de la série, "La Folie Almayer", son dernier long-métrage de fiction. J'en suis ressortie profondément troublée en me demandant pourquoi le cinéma de cette réalisatrice lorsqu'il travaille la durée me happe à ce point alors qu'il en révulse d'autres (si je me réfère aux réactions autour de "Jeanne Dielman"). "La Folie Almayer" est pourtant assez voisin de films contemplatifs qui m'avaient barbé, qu'ils soient tournés dans la jungle comme "Oncle Boomee" ou qu'ils confrontent un occidental en voie de déliquescence à un écosystème indigène impénétrable comme "Pacifiction, tourment sur les îles".
"La Folie Almayer", adaptation du roman de Joseph Conrad sur des occidentaux en proie à des chimères dans lesquels ils se perdent (dont un mirage aurifère qui n'est pas sans rappeler "Aguirre, la colère de Dieu", la mélancolie remplaçant la mégalomanie) est aussi une réflexion sur les tourments identitaires des enfants issus des rencontres asymétriques entre colonisateurs et colonisés. Nina qui a été élevée dans un pensionnat-prison religieux tout en étant ostracisée en tant que métisse m'a fait penser à la Mary-Jane du film de Douglas Sirk, "Mirage de la vie". L'enfermement des femmes dans un système aliénant dont elles cherchent à sortir par l'errance est sans doute l'une des raisons qui éveille mon intérêt par rapport aux films à la thématique voisine mais dépourvus de cette sensibilité.