"L'argent fait le bonheur" est à l'origine une commande s'inscrivant dans le contexte du renouveau de la télévision publique au début des années 90. On pense par exemple à la collection "Tous les garçons et les filles de leur âge" sur le thème de l'adolescence commandé par la chaîne Arte (et auquel appartient par exemple "Les Roseaux sauvages" (1994) de Andre TECHINE). "L'argent fait le bonheur" avait été réalisé à l'origine pour France télévisions mais c'est également Arte qui l'a diffusé tout en bénéficiant d'une sortie en salles. Il s'agit par ailleurs du premier des trois contes de l'Estaque, les deux autres étants "A l'attaque !" (2000) et "Marius et Jeannette" (1997). Le terme de conte souligne que le film, l'une des premières fictions sur la banlieue, n'est pas réaliste. Le ton est celui de la comédie mâtinée de fable sociale puisque le film contient une morale, portée par Simona (Ariane ASCARIDE), les autres femmes du quartier et leur curé (Jean-Pierre DARROUSSIN). L'histoire se déroule en effet dans le huis-clos d'une cité délabrée (et non dans les petits cabanons auxquels Robert GUEDIGUIAN nous a habitué) et montre un échantillon bigarré de ses habitants en proie aux maux de l'exclusion et de la pauvreté de ces années là (chômage, drogue, sida etc.) En même temps, le film montre que la misère matérielle s'accompagne d'une déliquescence des liens d'entraide et de solidarité, non sous la forme de l'embourgeoisement des anciennes générations ouvrières comme dans "Les Neiges du Kilimandjaro" (2010) ou d'un individualisme exacerbé chez les plus jeunes comme dans "Gloria Mundi" (2018) mais sous la forme d'une guerre fratricide de territoire. Comme Robert GUEDIGUIAN aime Frank CAPRA mais aussi visiblement la légende de Robin des bois, il offre une conclusion assez simpliste qui prête à sourire " Il faut apprendre à nos enfants à voler comme il faut ... comme autrefois. Volons les nantis, les bourgeois, les riches ! ... Montrons les bienfaits du partage. Soyons ce que nous sommes ! Vilains et solidaires". C'est évidemment bien naïf, utopique et choisir un personnage de curé pour veiller sur les "ouailles" est tout à fait discutable, compte tenu du pluri confessionnalisme de la cité, même si Robert GUEDIGUIAN l'utilise de façon quelque peu provocante. Bref, même si le film ne manque pas d'intérêt, les limites de l'exercice apparaissent assez évidentes, que ce soit sur le fond ou sur la forme.
Film inégal, "Un homme qui me plaît" raconte une escapade amoureuse au beau milieu d'un tournage de film entre une actrice un peu fatiguée (Annie GIRARDOT) et un compositeur solaire (Jean-Paul BELMONDO pour sa première collaboration avec Claude LELOUCH), tous deux mariés par ailleurs. Avec des tempéraments aussi différents, on comprend assez vite qu'ils ne sont pas sur la même longueur d'ondes. Lui est un séducteur qui tombe les filles (Farrah FAWCETT au début du film!), elle est plus mélancolique et se laisse tenter par son baratin puis par ses promesses d'évasion. Le road-movie à travers les USA est filmé de manière un peu onirique, comme si le tournage du film continuait (la course-poursuite avec les indiens) mais aussi un peu trop à la manière d'un dépliant touristique. La parenthèse enchantée néanmoins se termine en désillusion lorsqu'il faut revenir à la réalité. Le montage parallèle établit une comparaison éclairante entre le couple crépusculaire de Françoise et la rayonnante santé de celui de Henri, même si nous savons qu'il est basé sur des mensonges. Ce décalage prépare le spectateur à la séquence finale, celle où Françoise vient attendre Henri à l'aéroport de Nice. Une séquence de plusieurs minutes, poignante, magnifique, bercée par la musique de Francis LAI dans laquelle Annie GIRARDOT déploie son immense talent pour faire passer les émotions par le regard et les expressions du visage. Dommage qu'il faille attendre les dernières minutes pour atteindre ce niveau d'intensité.
Attention, moment historique!! "Alice Guy tourne une phonoscène" est le premier making-of de l'histoire du cinéma. Un précieux instantané de cette époque dite du "cinéma premier" encore expérimentale où les femmes occupaient les postes-clés. L'effet produit est d'ailleurs le même que celui du carton d'archives des années 10 et 20 de la cérémonie des Oscars ouverte à l'occasion du documentaire des soeurs Kuperberg, "Et la femme crea Hollywood" (2015) où l'on découvre une foultitude de femmes tenant les rênes du pouvoir. La phonoscène tournée par Alice GUY date d'avant son départ pour les USA, à l'époque où elle travaillait pour Gaumont. Il s'agit de tester un dispositif rudimentaire d'enregistrement du son en synchronisation avec l'image. Outre l'aspect pionnier de cette technique (comme d'autres dans la carrière de Alice GUY) on est impressionné par la machinerie du tournage en studio: lampes électriques, réflecteurs, caméra et phonographe à deux pavillons, appareil photo. Et Alice GUY dirigeant l'ensemble, aidée par des assistants. On estime à plus d'une centaine les courts-métrages musicaux qu'elle a tourné avec les techniques et dans les studios Gaumont. Ce film de tournage dont on ne connaît pas l'auteur immortalise le bal des Capulets au début de l'Opéra de Roméo et Juliette de Charles Gounod et nous en dévoile les coulisses.
Comment expliquer que "Une aussi longue absence" qui a reçu la Palme d'or et le prix Louis Delluc en 1961 soit tombé dans l'oubli? Il a été sans doute "ringardisé" par l'irruption de la nouvelle vague dont les films sont passés à la postérité. Aujourd'hui, il mérite d'être redécouvert et réévalué à la hauteur des prix obtenus à l'époque.
"Une aussi longue absence" possède un titre qui n'est pas sans évoquer "Un long dimanche de fiançailles" (2004). Si les deux films n'ont sur la forme rien en commun, il n'en va pas de même du fond puisque dans les deux cas, les séquelles de la guerre sont mises en lumière à travers la séparation d'un couple dont l'époux ou le fiancé est porté disparu. Mais alors que l'héroïne du film de Jean-Pierre JEUNET mue par son intuition part activement à sa recherche, Thérèse Langlois (Alida VALLI) se résigne sans pour autant véritablement le remplacer. Jusqu'au jour où une quinzaine d'années après la fin de la guerre, elle croit reconnaître son mari en la personne d'un clochard amnésique qui passe régulièrement devant son café en chantant des airs d'opéra. Pas à pas, elle tente d'apprivoiser cet homme taiseux, solitaire et privé de mémoire dans l'espoir de finir par susciter chez lui des réminiscences de son passé.
Ce qui frappe l'esprit dans ce film, c'est d'abord le paysage dans lequel s'inscrivent les personnages. Celui de Puteaux, ville de la banlieue parisienne ayant encore des airs de village en 1960 et des bords de Seine avec en arrière-plan, l'île Seguin et les usines Renault. Un paysage qui reflète l'état d'esprit des personnages avec l'église délabrée proche du café de Thérèse et les bateaux qui ne cessent de passer sur le fleuve, lieu d'élection du clochard sans racines. Toute la mise en scène repose sur le passage progressif de cet homme d'une vague silhouette informe en arrière-plan à un visage (celui de Georges WILSON) vu en gros plan au fur et à mesure que Thérèse parvient à se rapprocher de lui. Hélas, c'est pour découvrir qu'il porte une blessure ayant fait des dégâts sans doute irréversibles dans son cerveau. Seuls les sens semblent encore faire réagir cet homme: un goût, la musique, la danse. Mais sans pouvoir les relier au moindre souvenir. La fin néanmoins laisse entrevoir qu'il lui reste peut-être quelque chose: un immense traumatisme. Beau et triste comme les trois petites notes de musique que l'on entend au générique et à la fin, chanson écrite par le réalisateur Henri COLPI (qui fut le monteur de Alain RESNAIS ce qui explique sans doute que Marguerite DURAS ait écrit le scénario) et composée par Georges DELERUE.
"The Empress" ("L'Impératrice") est l'un des rares films qu'il nous reste de la dernière période d'activité de Alice GUY dans le cinéma aux USA. La première guerre mondiale fragilisa beaucoup la Solax, ce qui l'obligea à travailler pour d'autres studios. Ainsi "The Empress" qui date de 1917 a été réalisé pour la Popular Plays and Players. La Cinémathèque qui le diffuse gratuitement depuis quelques mois sur sa plateforme de streaming HENRI possède un négatif des images mais sans la musique et sans les intertitres. Pour que l'histoire soit compréhensible, un résumé complet est proposé avant le début du film. On reste quand même gênés à certains moments par l'absence d'explications d'autant que deux personnages se ressemblent beaucoup.
Le film qui dure un peu plus d'une heure ce qui correspond à peu près aux standards de la période raconte une histoire d'une brûlante actualité, quelque part entre le "male gaze" et le mouvement Metoo. L'héroïne, Nedra est en effet victime de deux hommes. Le premier qui est l'artiste-peintre pour lequel elle pose ne cesse de la harceler. Le second qui est l'hôtelier qui les héberge lui fait du chantage à partir d'une photo prise à son insu sous un angle compromettant ce qui n'est pas sans rappeler "La Victime" (1961) de Basil DEARDEN. On peut ajouter qu'elle également victime de son mari qui préfère jouer les Othello plutôt que de la croire. Par ailleurs tous trois confondent la personne et sa représentation. L'artiste-peintre et son mari fantasment sur un portrait idéalisé d'elle en impératrice (le premier l'a créé, le deuxième est tombé amoureux du portrait, comme dans "Laura" avant de l'épouser) (1944). Quant à l'hôtelier, il la manipule à partir d'un cliché volé, lui aussi biaisé. On pense au mythe de Pygmalion mais aussi à "Cleo de 5 a 7" (1961) qui partait de ce mythe pour montrer l'héroïne s'en affranchissant et retrouvant une amie posant en toute liberté pour des artistes. Car comme Agnes VARDA, Alice GUY croit en la sororité. Nedra, acculée au suicide est sauvée de la calomnie et de la jalousie par une autre jeune femme, Winnie qui a été témoin de son refus de céder aux avances de l'artiste-peintre.
"Music box" est un film aux enjeux dramatiques très puissants qu'il ne faut pas prendre qu'au sens littéral. Comme "Incendies" (2010) de Denis VILLENEUVE d'après la pièce de Wajdi Mouawad, tragédie historique et tragédie familiale sont inextricablement mêlées, la seconde libérant ses effets dévastateurs avec une génération de décalage par rapport à la première en raison d'un exil nord-américain qui a fait momentanément table rase du passé. Mais comme on peut également le constater avec les lois d'amnistie, s'il est possible et même nécessaire dans l'immédiat de refouler le passé pour se reconstruire hors du champ de la conscience, tôt ou tard, celui-ci finit par ressurgir. Dans le film de COSTA-GAVRAS, cela se matérialise dans une scène extrêmement forte (celle qui donne son titre au film) où la véritable identité d'un proche est révélée. Il est remarquable d'ailleurs que ce soit d'un objet insignifiant en apparence que sortent les preuves irréfutables des crimes commis par Michael Laszlo alors que la grosse machine judiciaire déployée auparavant pour le confondre semble avoir échoué. Je dis "semble" car en fait, les témoignages bouleversants des victimes survivantes du tortionnaire nazi font leur chemin dans la tête de la fille de Michael Laszlo, Ann (Jessica LANGE dont le visage peu à peu défait reflète les tourments qui la tenaillent). Celle-ci, en avocate chevronnée prend en charge l'affaire de son père avec une redoutable efficacité, usant de toutes les ressources procédurales avec talent pour le disculper. Mais si son personnage social semble sans faille, il n'en va pas de même de sa personnalité intime, peu à peu assaillie par le doute. Car non seulement les témoignages sont bouleversants mais ils sont concordants et l'amènent à s'interroger sur le personnage que prétend être son père, y compris auprès d'elle et de son frère, ce personnage qui lui a permis d'obtenir la nationalité américaine et qu'il risque de perdre si l'on prouve ses crimes. C'est pourquoi en parallèle, elle mène une enquête sur lui et bien que celle-ci reste longtemps cantonnée à l'arrière-plan, elle finit par porter ses fruits. Ann illustre alors parfaitement la phrase de Peter Sichrovsky "Les enfants des nazis portent le poids des sentiments de culpabilité que leurs parents n'ont pas voulu accepter". Le scénario original de Joe ESZTERHAS (qui s'inspire de sa propre histoire) s'intitulait à l'origine "Les péchés des pères". Pour qu'ils ne retombent pas sur leurs enfants et les enfants de leurs enfants (le film souligne l'antisémitisme du père mais aussi du beau-père d'Ann et la façon dont son jeune fils l'absorbe insidieusement), s'affranchir de cette monstrueuse filiation s'avère une nécessité vitale, quel qu'en soit le prix à payer.
Comme nombre de grands classiques de la littérature populaire, "Les quatre filles du docteur March" a été adapté de nombreuses fois au cinéma mais aussi à la télévision. Ma génération, celle qui a grandi avec la Cinq se souvient du générique de la série de la Nippon Animation chanté par Claude LOMBARD "Toutes pour une, une pour toutes". Mais la BBC a également sa version en mini-série de trois épisodes réalisée un an avant le film de Greta GERWIG. Pas de stars dans les rôles principaux, hormis la fille de deux célébrités* dans le rôle de Jo (à quand son "Marcello Mio"?) (2023) mais un casting particulièrement relevé pour les rôles secondaires. Emily WATSON dans le rôle de Mary March, Michael GAMBON dans celui de James Laurence, le grand-père de Laurie (pour rappel, c'est lui qui interprète Dumbledore dans la saga Harry Potter à partir de "Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban") (2004) et enfin dans le rôle de la tante March, Angela LANSBURY dans son dernier rôle où elle s'avère aussi drôle qu'émouvante. La série est comme la plupart des adaptations de la BBC particulièrement soignée, très fidèle au roman de Louisa May Alcott mais avec une touche de finesse psychologique en plus dispensée ici et là autour des "démons intérieurs" que chaque soeur doit tenter de surmonter comme l'impulsivité, la colère, la coquetterie ou la timidité. Jo y écrase en effet moins ses soeurs que dans d'autres adaptations. S'il est difficile de développer un personnage aussi conventionnel que celui de Meg, la scénariste Heidi THOMAS s'appuie beaucoup sur les caractères antinomiques de Beth et d'Amy qui représentent également deux facettes de la personnalité de Jo. Elle partage avec la première un lourd sentiment d'inadaptation au monde étriqué promis aux femmes du XIX° siècle alors qu'elle est en rivalité avec la seconde à qui tout semble mieux réussir qu'à elle, que ce soit au niveau artistique ou relationnel.
* Maya HAWKE est la fille de Uma THURMAN et Ethan HAWKE.
Film vu et revu au charme aussi atemporel que celui de la ville éternelle où il a été tourné. C'est à la fois un conte de fées et un récit initiatique qui conserve les pieds sur terre même dans ses moments les plus magiques. La princesse Ann s'échappe durant 24h de sa prison dorée pour faire l'expérience de la liberté sous un nom d'emprunt avant que le poids de ses responsabilités ne la rappelle à son devoir. Entre temps la petite fille sera devenue une femme (avec le symbole de la coupe de cheveux). Audrey HEPBURN dans son premier grand rôle est absolument délicieuse. Elle ressemble à un petit oiseau qui tombe du nid, directement ou presque dans les bras du (presque) parfait gentleman qu'est Gregory PECK. Car si la tentation vénale effleure son personnage de journaliste ce qui donne lieu à d'hilarants moments de comédie avec Irving (Eddie ALBERT) le photographe, il s'avère capable de se hisser à la hauteur de "son altesse royale". Et puis "Vacances romaines" est une ode à la capitale de l'Italie. 40 ans avant le plan-séquence culte de "Journal intime" (1993), la visite en Vespa de ses monuments emblématiques antiques et baroques symbolise la dolce vita. L'allégresse, la légèreté de ce film est rehaussée d'une pointe de mélancolie sur la fin quand le retour à la réalité est marqué par la barrière désormais infranchissable qui sépare la plèbe des têtes couronnées. L'allusion transparente à la pantoufle de vair de Cendrillon en introduction annonce d'emblée que le bal permettant de s'affranchir de l'étiquette identitaire s'achèvera à minuit.
"Bobby Deerfied" n'est pas le film le plus connu de Sydney POLLACK. C'est l'une de ces pépites secrètes qu'un cinéphile est ravi de découvrir au fond du panier. Un film américain aux accents européens, plus précisément Mitteleuropa. C'est logique puisqu'il s'agit d'une adaptation du roman de Erich Maria Remarque "Le Ciel n'a pas de préférés". D'ailleurs on pense également à son contemporain Thomas Mann et à "La Montagne magique". Deux des plus grands auteurs allemands de la première moitié du XX° siècle dont les livres furent brûlés par les nazis. On ne cesse de voyager dans "Bobby Deerfied" sur les circuits automobiles français, dans les Alpes suisse puis à plusieurs reprises via le tunnel du Simplon près du lac de Côme et jusqu'à Florence où se déroule la majeure partie de l'intrigue. L'action qui se déroule juste après la seconde guerre mondiale est transposée dans les années 70, période de tournage du film. De même que "Le vent se leve" (2013), autre film "déterritorialisé" se référant à Thomas Mann racontait la relation entre un concepteur d'avions de guerre et une jeune femme tuberculeuse, le film de Sydney POLLACK narre la rencontre amoureuse entre deux jeunes gens marqués par la mort: un pilote de formule 1 hanté par le décès en pleine course de son coéquipier et une jeune femme leucémique. Outre l'excellence de l'interprétation par Al PACINO et Marthe KELLER qui comme chacun sait sont réellement tombés amoureux sur le tournage du film, ce qui m'a plu est la fantaisie qui se dégage du personnage de Lillian. Parce que le temps lui est compté, elle vit à 100 à l'heure en brûlant la chandelle par les deux bouts alors que le champion automobile fatigué est lui plutôt à l'arrêt dans sa vie. Cela donne des scènes assez drolatiques où Bobby est complètement dépassé par l'énergie un peu fo-folle de sa partenaire qui n'a au contraire aucune inhibition et ne cesse de le "challenger". Intrigué, agacé, jaloux puis bouleversé quand il apprend la raison de son comportement déroutant, il se laisse aller lui aussi à quitter la boucle dans laquelle il tourne en rond pour emprunter ces chemins de traverse de la vie que tant de gens ne voient pas (lui-même porte longtemps des lunettes noires symbole de sa cécité comme de sa vanité). Comme dans "Les Ombres du coeur" (1993) auquel j'ai beaucoup pensé, c'est la proximité de la mort qui contraint ces jeunes gens à vivre avec intensité et sincérité une histoire qu'ils savent sans issue. Avec une justesse de ton qui déjoue tous les pièges liés au mélodrame, Sydney POLLACK filme l'étincelle qui jaillit du choc des contraires, le chemin qu'ils parcourent ensemble et l'empreinte ineffaçable que Lillian laissera dans la vie de Bobby.
"Le vent se lève, il faut tenter de vivre" (Paul Valéry, le cimetière marin).
Peter LORRE avait un physique atypique avec son visage lunaire, ses yeux globuleux et sa silhouette trapue. Il est aussi un acteur à jamais associé à un rôle, celui de M dans "M le Maudit" (1931) de Fritz LANG. Il a d'ailleurs à la fin de sa carrière plusieurs fois joué avec un autre acteur hors-norme associé à un rôle de monstre à visage humain: Boris KARLOFF. Cependant ce qui frappe lorsqu'on regarde le documentaire qui lui est consacré, c'est le parallèle que l'on peut faire entre la personnalité tourmentée de l'acteur et un parcours qui ne l'est pas moins. La carrière de Peter LORRE comme celle de ses contemporains austro-hongrois épouse en effet les soubresauts de l'histoire. Né dans un Empire englouti à la fin de la première guerre mondiale, il part faire carrière dans le théâtre à Berlin au cours des années 20 avant de jouer dans le film de Fritz LANG qui le rendit célèbre dans le monde entier. Contraint à l'exil après l'arrivée au pouvoir de Hitler qui ne l'avait pourtant pas identifié au départ comme juif (ce qu'il était, son véritable nom étant Laszlo Löwenstein), il entame une deuxième carrière au Royaume-Uni puis aux USA où il excelle dans des seconds rôles de classiques tels que la première version de "L'Homme qui en savait trop" (1934), "Arsenic et vieilles dentelles" (1941) ",Le Faucon maltais" (1941) ou encore "Casablanca" (1942). Néanmoins, il est cantonné dans des rôles de méchant et ne parvient pas à s'affranchir de l'image de monstre qui lui colle à la peau. C'est peut-être pour exorciser ses démons (externes mais aussi internes, l'homme étant enclin aux addictions et instable) qu'il retourna en Allemagne réaliser son seul film, au titre profondément évocateur, "Un homme perdu" (1951). Son échec le contraignit à revenir aux USA et à des films fantastiques de série B où l'on constate la dégradation de son apparence avant une mort prématurée en 1964.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)