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Articles avec #cinema belge tag

Les Rendez-vous d'Anna

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1978)

Les Rendez-vous d'Anna

L'errance n'est pas du tout incompatible avec l'enfermement comme j'ai essayé récemment de le démontrer lors d'un colloque à propos du cinéma de Wim WENDERS. Et cela est également valable pour Chantal AKERMAN. D'ailleurs, j'ai lu récemment un commentaire qui rapprochait "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975) de "Perfect Days" (2022) et sa solitude faite de trajectoire en boucle et de moments routiniers. Et bien ce rapprochement, on peut également le faire entre "Paris, Texas" (1984) ou la trilogie de l'errance et "Les Rendez-vous d'Anna" (1978). Le road/rail movie ponctué de rencontres ne sert en effet qu'à renvoyer le/la protagoniste à sa solitude intrinsèque. Le trajet d'Anna (que l'on devine être le double de la réalisatrice) de Essen à Paris via Cologne et Bruxelles s'effectue dans une atmosphère grise et morne. Les espaces traversés sont froids, impersonnels, désolés. Le contact avec les autres est fondamentalement déceptif. Lorsque Anna se retrouve prise dans la foule, elle a le plus grand mal à s'en extraire comme si celle-ci était un élément hostile qui l'oppressait. Mais les tête à tête ne sont pas plus chaleureux. Aux deux extrémités de son voyage, Anna tente de passer la nuit avec un homme dans une chambre d'hôtel. Un blond, rencontre d'un soir qui tente de la convaincre d'entrer dans sa vie (Helmut GRIEM) mais qu'elle repousse et un brun, amant parisien (Jean-Pierre CASSEL) qui pris de fièvre se refuse à elle. Même quand Anna retrouve sa propre mère ou la mère d'un ancien compagnon, c'est sur un quai de gare ou dans une chambre d'hôtel comme si elles n'avaient nulle part ailleurs où aller. Ce refus d'intimité fait écho à l'opacité d'Anna (Aurore CLEMENT) qui semble traverser le film comme absente à elle-même. Cependant au fil des discours qui se tissent entre Anna et ses divers interlocuteurs, on comprend peu à peu que ce bouclier sert à se protéger des injonctions au mariage et à la maternité qui étaient bien plus puissantes en 1978 qu'aujourd'hui, de même qu'être une femme cinéaste c'était être un OVNI. Mais surtout, au détour d'une confession faite à sa mère, on comprend que Anna a éprouvé un bouleversement à la suite d'une rencontre avec une femme qu'elle cherche sans succès à joindre depuis le début du film, le téléphone et le répondeur devenant des machines à spleen. En résumé "Les rendez-vous d'Anna" dresse le portrait d'une femme qui ne parvient pas à trouver sa place dans un monde conformiste qui les assigne encore largement à des rôles d'épouse et de mère au foyer. Est-ce un hasard si l'une des autres rares femmes cinéastes de cette époque, Agnes VARDA a également dépeint quelques années plus tard une errance féminine remplie d'insatisfaction à travers "Sans toit ni loi" (1985)?

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Je, tu, il, elle

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1974)

Je, tu, il, elle

"Je tu il elle" est le premier film de Chantal AKERMAN réalisé juste avant "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975). Je le précise parce que les liens entre les deux films sautent aux yeux: les longs plans fixes, la solitude et l'enfermement dans un appartement, la routine des gestes filmés en temps réel, la centralité marginale à l'époque d'une femme dont on entend les pensées, dont on voit se matérialiser les désirs de façon radicale. Une radicalité qui se marie avec une mise en scène travaillée. "Je tu il elle" se décompose en trois parties bien distinctes. Dans la première ("je tu"), on voit une jeune femme (Chantal AKERMAN elle-même alors âgée de 24 ans) essayer d'écrire une lettre après une rupture amoureuse dans une pièce qu'elle dépouille de ses meubles avant de se mettre à nu. Une façon imagée de "faire le vide". L'aspect expérimental (que l'on retrouvera sur "Jeanne Dielman") passe notamment par un décalage entre l'image et la narration: soit elle annonce que que nous allons voir, soit c'est l'inverse ce qui m'a fait penser au court-métrage de Jean EUSTACHE, "Les Photos d'Alix" (1980) dans lequel image et commentaires finissaient par se désynchroniser. Elle travaille le temps de la même façon que dans "Jeanne Dielman" avec beaucoup de répétitions obsessionnelles qui fait ressentir que cette claustration dure plusieurs semaines. Dans la deuxième partie ("il") qui est une transition, Julie a renoncé à écrire au profit de l'action directe. Elle s'échappe de la cellule et le film se transforme alors en road-movie sous influence américaine avec l'apparition d'un Marlon BRANDO français: Niels ARESTRUP alors âgé de 25 ans! Il joue en effet le rôle d'un camionneur qui prend Julie en stop. Mais la relation s'avère être elle aussi pleine de vide quand elle n'est pas à sens unique: masturbation et confidences crues aussi gênantes que désespérantes à la fois sur la vie de couple et de famille. Enfin dans la troisième partie (elle"), Julie retrouve l'amie à qui elle essayait d'écrire au début du film et les deux femmes se livrent à une longue étreinte rageuse et intense de quinze minutes filmée comme une chorégraphie ou une installation. Cette scène d'homosexualité féminine avait valu au film une interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie et fait figure de manifeste pionnier, près de 40 ans avant "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2 -" (2013). Au final, "Je tu il elle" ressemble à la confession en images d'une jeune fille (Chantal AKERMAN) qui se heurte davantage à l'autre qu'elle n'entre en contact avec lui.

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Golden Eighties

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1986)

Golden Eighties

Très chouette, cette comédie musicale bariolée, énergique et colorée de Chantal Akerman, panaché de pop culture des années 80 et de nouvelle vague des années 60 qui annonce "Vénus Beauté institut" (qui s'en est inspiré de façon évidente). Côté années 80, les couleurs, les looks, les styles musicaux m'ont fait penser à la couverture de l'album de Lio "Pop Model" sorti la même année et que j'avais reçu pour mon anniversaire. Lio justement joue dans le film mais paradoxalement, ne chante pas. Côté nouvelle vague, deux références sautent aux yeux. Les comédies musicales aux couleurs pimpantes de Jacques Demy mettant en scène des commerçants derrière les vitres de leurs magasins sauf que années 80 oblige, ceux-ci travaillent désormais dans une galerie commerciale de studio qui fait penser à un décor de sitcom (surtout lors des scènes du bar tenu par Myriam Boyer). Je me demande même si le générique n'est pas une citation de celui de "Les parapluies de Cherbourg" avec une chorégraphie de jambes traversant le sol de la galerie en diagonale. Sans parler de l'un des personnages dont le coeur balance entre la jeune fille en fleurs un peu sage (Lio à contre-emploi comme une Audrey Tautou avant la lettre) et l'incendiaire femme fatale du salon de coiffure (Fanny Cottençon). Et "Baisers volés" de François Truffaut avec Delphine Seyrig dans le rôle d'une vendeuse de vêtements et de chaussures qui fait furieusement penser à Fabienne Tabard. Mais une Fabienne Tabard avec vingt ans de plus, mélancolique, fatiguée et marquée (son personnage est une ancienne déportée) mais prête à s'enflammer de nouveau pour un ancien amour auquel elle a renoncé pour un mariage "raisonnable" avec M. Schwartz (Charles Denner dont c'était le dernier film apparaît lui aussi bien fatigué). Elle apporte un peu de profondeur à un film qui sinon apparaît comme une bulle de légèreté avec ses marivaudages incessants commentés par un choeur de shampouineuses cancanières sur un air irrésistible (on oubliera en revanche leurs équivalents masculins, totalement ridicules). Belles idées de mise en scène utilisant les bacs à shampoings et les cabines d'essayage et une fin qui symboliquement s'échappe de son décor factice pour entrer dans le monde réel lorsque l'une de ces vies semble enfin sortir du carcan imposé pour s'accorder avec son désir.  

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Amal, un esprit libre (Amal)

Publié le par Rosalie210

Jawad Rhalib (2024)

Amal, un esprit libre (Amal)

"Amal, un esprit libre" est enfin un film scolaire à la hauteur des enjeux, un film engagé et courageux qui ne prend pas de gants et va jusqu'au bout de la logique délétère de la radicalisation islamiste, à la manière d'un Yves BOISSET (fin comprise). Un sujet inflammable instrumentalisé par les logiques partisanes auquel n'échappe pas le film, pris dans des polémiques qui obscurcissent son propos alors qu'il est relativement peu distribué en France. Cette frilosité s'apparente au "pas de vagues" qui a longtemps sévi à l'éducation nationale avant que les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard ne révèlent une réalité dépassant la fiction.

"Amal, un esprit libre" qui comme les autres films récents sur le sujet repose sur une spirale de violence sous les regards apeurés de la communauté éducative (trop simplifiée, une fois de plus) m'a fait quelque peu penser à "Vol au-dessus d'un nid de coucou" (1975). Il dépeint en effet une lutte d'influence entre l'obscurantisme et les lumières au sein d'une micro-société, métaphore de la société dans son ensemble. La micro-société dépeinte n'est pas seulement la salle de classe ni même seulement l'école, c'est un quartier de Bruxelles à forte composante musulmane. Le prof de religion (matière obligatoire en Belgique qui ne le sera plus à la rentrée 2024), converti de fraîche date au salafisme est un as de la tartufferie, un véritable Janus qui présente bien pour mieux assoir son pouvoir dans l'ombre. Face à lui, une passionaria de la défense des libertés, Amal, musulmane mais laïque. Pour défendre une élève harcelée par ses camarades pour son apparence puis son orientation sexuelle, elle se lance dans une contre-offensive maladroite en leur faisant lire les poèmes d'un écrivain musulman bisexuel. L'enfer est pavé de bonnes intentions et elle met ainsi le doigt dans un engrenage infernal. Même si on peut juger que le propos manque de nuances, on ne peut qu'être touché par le feu intérieur qui consume Amal, interprété avec fougue par Lubna AZABAL. Porte-parole du réalisateur, lui-même belgo-marocain, elle fait ressentir ce qu'a d'insupportable la pression islamiste exercée sur les musulmans modérés ou laïcs ainsi que le fait d'être amalgamé à eux, le reste de la société préférant détourner les yeux et les abandonner à leur sort. "Amal, un esprit libre" est le cri d'un homme en colère et cette sincérité fait du bien.

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La Captive

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (2000)

La Captive

"La Captive" est la libre adaptation contemporaine du roman de Marcel Proust, "La Prisonnière", cinquième tome de "A la recherche du temps perdu". Chantal AKERMAN a voulu capturer l'essence du roman afin d'en tirer une résonance universelle sur sa croyance en l'altérité irréductible de l'autre. En effet, "La Captive" qui aurait tout aussi bien pu s'appeler "Le Captif" est l'histoire d'un couple dont l'un tente par tous les moyens de posséder l'autre qui ne cesse de se dérober à ses efforts. Si Ariane (Sylvie TESTUD) accepte en apparence de se soumettre à Simon (Stanislas MERHAR) en se pliant à ses quatre volontés, elle lui refuse tout accès à son intimité. Quoiqu'il fasse, il se heurte à un bloc d'opacité, celle-ci éludant ses questions incessantes et fuyant son regard, y compris dans des relations sexuelles qui se déroulent quand elle semble endormie et qu'elle lui tourne le dos. Si elle semble sous son emprise tant il cherche à contrôler le moindre de ses mouvements, c'est bien lui qui se retrouve prisonnier de son obsession. Il n'a pas de vie en dehors d'elle, alors tout laisse à penser qu'elle lui cache une partie de sa vie et qu'elle lui ment. Chantal AKERMAN créé des liens avec des films célèbres portant sur le même thème, comme "Vertigo" (1958) et "Eyes wide shut" (1999). On y retrouve l'aspect onirique, hors du temps, l'odyssée intérieure d'un homme inquiet qui traque une illusion ou se confronte à ses fantasmes et au trou noir de son intériorité, le vertige de la découverte que ce que l'on croyait familier est irréductiblement étranger. S'y ajoute dans "La Captive" le caractère étouffant de l'enfermement dans l'appartement qui est moins le problème d'Ariane que celui de Simon. Seul le corps d'Ariane est cloîtré, son esprit lui vagabonde quand il le souhaite comme le démontre la scène de chant au balcon. Simon lui n'existe pas en dehors de son obsession pour Ariane tout en étant incapable de vivre sa passion. Les contacts charnels entre les deux amants sont systématiquement entravés par des vêtements, une vitre, des prétextes empêchent Simon d'accompagner son aimée à l'extérieur sans doute parce que la femme réelle ne l'intéresse pas et que découvrir sa vérité au final, non plus. Ce qu'il recherche, c'est une fusion impossible autrement que par leurs ombres. Rester dans l'appartement ou la suivre de loin, ou envoyer une jolie jeune femme au prénom équivoque (Andrée) l'espionner (Olivia BONAMY) c'est entretenir la machine à fantasmes, celle que véhicule le cinéma, le film s'ouvrant sur un film dans lequel apparaît Ariane et que regarde Simon. Le jeune homme ne se connaît pas et a bien trop peur de regarder en lui ses propres abysses comme le montre la scène d'errance nocturne au bois de Boulogne qui fait directement allusion à l'homosexualité, non plus supposée d'Ariane mais la sienne propre.

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La Fiancée du poète

Publié le par Rosalie210

Yolande Moreau (2023)

La Fiancée du poète

Je suis allé voir "La Fiancée du poète" pour sa formidable brochette d'acteurs et de ce point de vue, je n'ai pas été déçue: chacun apporte son petit grain de folie à l'ensemble. Cerise sur le gâteau, la présence de William SHELLER (je suis "fière et folle de lui") pour son premier rôle au cinéma dans le rôle d'un curé "pas très catholique" (mais 100% ABBA pour l'une des scènes les plus drôles du film). Mais pourquoi a-t-il attendu si tard pour se lancer, son plaisir à jouer est évident depuis si longtemps!* D'une certaine manière, il illustre parfaitement la devise du troisième film de Yolande MOREAU, "mieux vaut tard que jamais". L'autre aspect que j'ai beaucoup aimé dans le film, c'est son atmosphère bohème et bucolique. Avec ses artistes ne se prenant pas au sérieux (une femme de lettres cantinière, un peintre copiste, un musicien folk bidon, un plombier qui a usurpé l'identité d'un poète, un jardinier "as de la tulipe" etc.) et son cadre enchanteur de château décrépi au bord de la Meuse, j'ai eu plusieurs fois l'impression d'être transportée au temps des impressionnistes et la fin où ce petit monde prend le large sur une péniche m'a rappelé le final de "Si loin, si proche!" (1993) de Wim WENDERS qui racontait aussi une histoire de famille d'élection entre ciel et terre.

Néanmoins le film souffre aussi de défauts, à commencer par son rythme bancal, et son histoire, si peu vraisemblable. Je pense en particulier au retour inopiné du grand amour perdu de Mireille (Yolande MOREAU) et au fait qu'après une présentation réaliste, les personnages n'existent plus qu'en fonction de leur hôtesse et de son monde décalé. Pourquoi pas mais la mise en scène met tout sur le même plan alors qu'il y a un basculement dans une dimension surréaliste qui n'est pas assez souligné. L'animation du cerf de pierre qui symbolise la renaissance de Mireille était une excellente idée tout comme la séquence "film muet", il aurait fallu les multiplier et faire monter la mayonnaise.

* Je pense notamment au clip "Excalibur" où William SHELLER joue un double de Erich von STROHEIM!

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L'Autre Laurens

Publié le par Rosalie210

Claude Schmitz (2023)

L'Autre Laurens

En dépit de quelques longueurs, "L'Autre Laurens" est un film surprenant qui nous dépayse en nous promenant à travers plusieurs genres (le film noir, le road movie et le western surtout) et plusieurs contrées (Belgique, France, Espagne). On y parle trois langues (espagnol, français et anglais) et bien que le terreau soit européen, il y a plusieurs moments où on a l'impression d'être à la frontière américano-mexicaine. C'est le fruit d'un travail remarquable sur la photographie qui joue tantôt sur une ambiance de polar urbain à la "Sin City" (2005) et tantôt au contraire met en avant le paysage, qu'il soit maritime, désertique ou rural. Un choc des mondes que l'on retrouve dans les habitations, notamment une copie de la Maison-Blanche et une grange de ferme où se dénoue une partie du film ainsi que dans les personnages secondaires: un groupe de motards, les "Perpignan bikers" (!) et deux policiers qui auraient pu figurer dans un film de Quentin DUPIEUX ou de Bruno DUMONT. Là-dessus se greffe l'intrigue principale qui joue sur la dualité du personnage joué par Olivier RABOURDIN, détective privé usé et endetté dont on découvre assez rapidement qu'il possède un frère jumeau qui est son miroir inversé (d'où le sens du titre), qu'il déteste et qui s'est tué dans un accident de voiture. Mais sa nièce, Jade (Louise Leroy) débarque dans sa vie pour l'obliger à enquêter sur la mort suspecte de son père. Le duo formé par le privé vieillissant et la jeune nymphette est très charismatique et m'a une fois encore rappelé "Sin City", plus précisément la partie avec Bruce WILLIS. Et j'aime beaucoup la scène finale qui m'a fait penser à un autre film avec ce même acteur, "Pulp Fiction" (1994), plus précisément l'histoire de la montre léguée par le père. Jade se retrouve larguée au milieu de nulle part. Elle a le reste de sa vie à écrire, avec ou sans cette montre et ce qu'elle représente, "telle est la question" (allusion au fait que le réalisateur, Claude SCHMITZ est fasciné par le théâtre de Shakespeare et plus particulièrement "Hamlet").

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Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080, Bruxelles

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1975)

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080, Bruxelles

Trois heures de film pour raconter trois jours de la vie de Jeanne Dielman (Delphine SEYRIG), la quarantaine, veuve, mère au foyer d'un garçon de 16 ans: trois jours dans la prison physique et mentale de la ménagère de moins de 50 ans, trois jours rythmés par une multitude de gestes répétitifs dédiés aux tâches domestiques, cette fameuse charge mentale qui pèse encore majoritairement sur les épaules des femmes. Le film de Chantal AKERMAN apparaît comme le précurseur de tout un courant d'oeuvres contemporaines dédiées à l'aliénation domestique. Dans une succession de plans fixes parfois étirés jusqu'à l'épuisement, on suit le lent et inéluctable déraillement de la vie de Jeanne. La première journée est sans qu'on le sache de prime abord la dernière d'une longue série de "journées type". On y voit Jeanne accomplir mécaniquement son "devoir" lequel commence (dans le film) par le "devoir conjugal" qui se confond avec la prostitution puisque Jeanne qui est veuve dépend pour vivre des clients réguliers qu'elle reçoit en fin d'après-midi à raison d'un par jour quand son fils est à l'école. Cette tâche est mise sur le même plan que la préparation du dîner, Jeanne faisant cuire ses pommes de terre pendant la demi-heure où elle reçoit. Et il en va de même du reste de la journée, de la soirée, du lendemain matin et du début d'après-midi: une succession ininterrompue (sauf par les quelques heures de sommeil coupées au montage) de tâches domestiques répétitives sous le regard d'une mise en scène qui l'est tout autant. Le caractère carcéral, étouffant, oppressant de cette vie enfermée dans une routine ne se mesure pas seulement au fait que Jeanne passe 22h sur 24 entre les quatre murs de son deux-pièces mais il se manifeste aussi par sa solitude, sa méticulosité, sa psychorigidité, son mutisme. La seule personne qui lui pose des questions personnelles est son fils au moment du coucher mais le positionnement de Jeanne tout au fond de l'image quand son fils est au premier plan suffit à souligner combien elle cherche à esquiver le contact. La deuxième journée confirme son refus de l'intimité et le vide de sa vie: elle refuse l'invitation d'une femme rencontrée en ville à prendre le thé et ne trouve rien à écrire à sa soeur. Parallèlement on observe un début de perte de contrôle dans le fait qu'elle laisse cuire trop longtemps les pommes de terre ce qui la désoriente et décale le planning de toute la soirée. La dernière journée commencée une heure trop tôt confirme à de petits détails que Jeanne déraille: elle fait tomber des objets, oublie de rincer sa vaisselle, ne parvient pas à boire son café au lait, ne trouve pas son journal quotidien dans la boîte aux lettres, sa place habituelle à la brasserie où elle aime passer un moment en début d'après-midi est occupée, les commerces où elle fait les courses sont encore fermés, le bébé qu'elle garde sur l'horaire de midi ne supporte pas d'être approché par elle etc. Toutes ces petites choses insignifiantes en apparence s'accumulent jusqu'à l'explosion silencieuse qui conclue le film.

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Corps perdu

Publié le par Rosalie210

Lukas Dhont (2012)

Corps perdu

"Corps perdu" est le premier film réalisé par Lukas Dhont en 2012. Il annonce à un double titre ses deux premiers longs-métrages. Le milieu de la danse classique est celui dans lequel évolue Lara, l'héroïne de "Girl" alors que le titre souligne l'importance de l'enjeu de la mutation du corps adolescent dans ses films non en fonction de la nature mais du choix de la personne qui l'habite (qu'il souhaite le féminiser comme dans "Girl" ou le viriliser comme dans "Close"). Dans "Corps perdu", Lukas Dhont confronte Miller, un danseur de ballet âgé de 16 ans très incertain sur tous les plans à un séduisant voyou qui s'incruste dans sa chambre pour échapper à la police. On peut se demander dans quelle mesure l'inconnu n'est pas la matérialisation de l'homme que rêve d'être Miller. Le fugitif passe en effet une partie de la nuit dans son lit avant d'échanger sa place avec lui et de même, il échange ses habits avec ceux de Miller, passant du rouge au bleu (comme dans "Matthias et Maxime" de Xavier Dolan, onirisme et passion sont au programme) Miller revêt par ailleurs la veste que l'homme a laissé dans la chambre, telle une seconde peau avant de se contempler dans le miroir de la salle de bains. Un leitmotiv du film puisque qu'avant la rencontre (la mue?) Lukas Dhont a filmé sa peau de près au même endroit et dans la même situation. L'acharnement de Miller à coller aux basques de l'homme de ses rêves ("Ce rêve bleu/Je n'y crois pas, c'est merveilleux
/Pour moi, c'est fabuleux/Quand dans les cieux/Nous partageons ce rêve bleu à deux/Nous faisons ce rêve bleu à deux") est lié au fait que celui-ci pourrait lui indiquer le chemin pour atteindre son but, lui qui ne "connaît pas la route" pour devenir un adulte accompli.

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Close

Publié le par Rosalie210

Lukas Dhont (2022)

Close

"Close" commence au seuil de l'adolescence dans une sorte de paradis édénique. Une bulle à l'écart du monde où règne une innocence permettant le développement d'une amitié fusionnelle entre deux garçons, Léo et Rémi grâce au regard bienveillant de parents compréhensifs, en particulier les mères (Léa DRUCKER et Emilie DEQUENNE). Arrive une rentrée délicate, celle des 13 ans et patatras, tout s'effondre tant la relation tendre entre Rémi et Léo paraît tendancieuse aux yeux des autres. Ce sont des questions insidieuses, des remarques insultantes, une exclusion du groupe des garçons dominants qui comme dans toute cour d'école classique s'adonnent aux sports collectifs en occupant l'essentiel du territoire. Le film se focalise alors sur Léo qui éprouve de la honte vis à vis de son ami et commence à se détacher de lui pour s'intégrer au groupe dominant. Comme dans "Girl" (2018)", le premier film de Lukas DHONT où une adolescente transgenre pratiquait la danse pour façonner son corps à l'image de ses rêves, Léo se met à pratiquer le hockey sur glace pour se protéger, paraître plus viril et faire ainsi disparaître les stigmates de la "tapette". Rémi de son côté est touché en plein coeur par le rejet de celui qui était comme un frère jumeau. Quant à Léo, il va se retrouver avec un fardeau de culpabilité beaucoup trop lourd pour lui. On a beaucoup ironisé sur les images des deux garçons courant dans les champs de fleurs sauf que d'une part ces champs font partie de leur quotidien (les parents sont floriculteurs) et de l'autre une scène se situant au tournant du film montre celles-ci piétinées par la machine qui les cueille, ne laissant que la terre nue. Lukas DHONT montre avec la sensibilité de celui qui a vécu cette expérience la difficulté de grandir hors des sentiers battus à une période de la vie où il ne semble exister que deux choix possibles: se conformer ou disparaître. "Close" a ainsi un double sens qui reflète l'histoire du film. Il signifie à la fois "proche" et "fermé".

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