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La Divine Croisière

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1928)

La Divine Croisière

Comme tant d'autres films muets, "La Divine Croisière" fut considéré comme perdu durant des décennies et amputé quasiment de moitié après une première jugée désastreuse. Cependant une copie quasi-complète du film parvint jusqu'à nous. Puissant et déconcertant à la fois, "La Divine Croisière" est un film inclassable qui évoque le cinéma de Fritz LANG, Frank BORZAGE, Sergei EISENSTEIN, Abel GANCE ou encore Ingmar BERGMAN bien plus que celui de son réalisateur, Julien DUVIVIER. C'est peut-être l'envie d'expérimenter qui l'a poussé sur cette voie inhabituelle et hybride tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, l'aspect documentaire, celui de la vie et des rites d'un petit village breton côtoie des fulgurances quasi fantastiques et des emballements (celui des éléments et des foules) alternant rapidement plans d'ensembles et gros plans, comme dans "Le Cuirasse Potemkine" (1925). Sur le fond, on est au croisement du réalisme social avec au centre du récit un conflit entre un armateur et ses employés, du film de mutinerie, de la robinsonnade et enfin du surnaturel à connotation religieuse. Cette hybridité se retrouve jusque dans l'attelage hétéroclite parti à la rescousse de l'équipage de la Cordillière porté disparu. A bord du "Maris Stella" ("L'Etoile des mers"), on retrouve outre les marins, un curé, un petit garçon embarqué clandestinement et une femme, Simone Ferjac, guidé comme Jeanne d'Arc par une apparition divine. A l'opposé de cette équipée mystique, l'équipage de la Cordillière a perdu le nord en se laissant entraîner par une crapule, Mareuil qui a neutralisé le capitaine, Jacques de Saint-Ermont, lequel n'est autre que celui que Simone aime: amour et foi se mêlent comme chez Frank BORZAGE pour faire des miracles! L'ambiance fiévreuse du film tient en haleine et procure son lot de moments forts tels que le meurtre commis par Mareuil, l'assaut de la demeure de l'armateur par les gens du village, la fiesta alcoolisée sur le pont qui aboutit au naufrage, l'incendie sur l'île déserte ou encore l'enlisement de Mareuil dans les sables mouvants. Un film aussi puissant et habité qu'une toile du Caravage.

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Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake)

Publié le par Rosalie210

Ken Loach (2015)

Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake)

Le festival de Cannes adore les films sociaux ce qui est un paradoxe quand on regarde la bulle mondaine et élitiste qui leur attribue généreusement la palme d'or. Une façon de conjurer la vacuité accompagnant ce type d'événement? Toujours est-il que comme pour les films primés des frères Dardenne, le jury a eu le nez creux. "Moi Daniel Blake" est un excellent film qui complète très bien l'autre palme d'or de Ken LOACH, "Le Vent se leve" (2006). Surtout il fait partie des rares films qui réussissent à jeter un pont entre les deux bords de la fracture sociale qui mine nos vieilles démocraties et à mettre en lumière les contradictions entre les injonctions performatives de la mondialisation libérale et l'héritage de d'Etat-providence né de la grande Dépression et de la seconde guerre mondiale. Daniel Blake, homme de l'ancien temps n'ayant pas réussi à s'adapter au nouveau ce que souligne son illectronisme a un gros pépin de santé qui l'empêche de continuer à travailler. Son parcours du combattant face à l'inhumaine et absurde machine administrative pour faire reconnaître son invalidité et toucher ses indemnités révèle les méthodes écoeurantes utilisées par l'Etat pour priver les personnes devenues "improductives" de leurs droits et ainsi à défaut de pouvoir purement et simplement le supprimer, torpiller l'Etat-providence de l'intérieur. Beaucoup de scènes du film valent aussi pour la France et parleront à tous. Outre l'illectronisme qui donne lieu à des scènes tragi-comiques, qui ne s'est pas heurté à des personnes incompétentes mais intronisées comme expertes par les autorités pour remettre en cause les avis des médecins n'allant pas dans leur sens? Qui n'a pas déjà attendu des heures au téléphone que quelqu'un veuille bien prendre en charge leur appel? Qui n'a pas eu la désagréable impression d'être suspecté de fraude aux allocations juste pour le fait de réclamer ses droits? Qui ne s'est pas retrouvé dans un dédale kafkaïen de démarches absurdes dans lequel le respect du protocole est mis au dessus des besoins les plus élémentaires comme ceux d'être écouté et respecté? Sans parler de l'infantilisation des chômeurs, fliqués et menacés de sanction au moindre faux pas. Ken LOACH décortique impitoyablement la machine à broyer les pauvres, que les quelques manifestations de solidarité et les associations caritatives ne parviennent pas à enrayer, d'autant que les employés humains sont impitoyablement fliqués eux aussi alors que les subventions aux associations se réduisent. La force du film tient aussi à la caractérisation du personnage principal qui incarne une attention aux autres et un amour du travail bien fait qui rend d'autant plus insupportable son oppression et son sentiment d'impuissance grandissant. Le fait de mépriser ces valeurs en détruisant les gens qui les portent au profit d'ectoplasmes renvoie l'image d'une société pas seulement à deux vitesses mais profondément malade. La galère de la jeune femme en situation de précarité qu'il tente d'aider est hélas représentative de nombre de cas actuels au Royaume-Uni, particulièrement depuis la mise en oeuvre du Brexit.

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Le Ravissement

Publié le par Rosalie210

Iris Kaltenbäck (2023)

Le Ravissement

Un premier film maîtrisé, subtil et passionnant. Il y a plusieurs histoires ou disons plusieurs points de vue dans "Le Ravissement" à l'image de son titre polysémique. Ravissement signifie en effet rapt, enlèvement mais aussi extase, transport de joie. Bien que le film s'appuie sur un fait divers et possède dans sa première partie une dimension documentaire sur le métier de sage-femme, son réel propos consiste justement à lui échapper quand l'héroïne créé sa propre fiction, "se fait un film" car elle se persuade que seul le mensonge peut lui permettre de concrétiser ses désirs et de parvenir à exister. Lydia est montrée comme une laissée-pour-compte dans une société atomisée. Son travail consiste à mettre au monde les enfants des autres mais personne ne s'intéresse à elle et à ce qu'elle ressent. Or elle se retrouve seule après avoir rompu avec son compagnon infidèle qui en dépit de leur longue relation n'avait pas fondé de famille avec elle. Et elle perd sa meilleure amie, Salomé quand celle-ci tombe enceinte, se centre sur sa famille et décide au final de déménager. Ayant perdu les deux seules personnes qui lui tenaient lieu de famille, Lydia part à la dérive et sur un coup de tête, s'approprie le bébé de son amie. Le fait qu'elle débite ce mensonge pour un amant de passage à qui elle fait croire qu'il est le père et qu'il tombe aussitôt dans le panneau s'avère aussi troublant que la mystification de "Cyrano de Bergerac" (1990). Sauf que ce n'est pas l'éloquence qui est le passeport vers la conquête amoureuse mais le fait d'être mère. C'est d'autant plus facile pour Lydia qu'elle a accouché le bébé, l'a prénommé et le garde régulièrement pour soulager Salomé qui fait un baby-blues (mais on peut tout à fait imaginer qu'il s'agit de l'interprétation de Lydia). Les agissements de Lydia sont montrés pour ce qu'ils sont, une folie dont l'issue ne peut être que dramatique mais un film n'est pas un reportage, il n'est pas là pour enregistrer froidement les faits. Il n'est pas non plus un tribunal amené à condamner ou à innocenter. Il nous montre par quel cheminement Lydia est passé pour en arriver là et interroge tout autant notre société individualiste et la place qu'elle accorde aux femmes. Hafsia HERZI, magnifique est un choix tout à fait pertinent qui apporte une dimension supplémentaire aux questionnements du film. Car après avoir été le support de fantasmes masculins dans ses films tels que ceux de Abdellatif KECHICHE ou des clients de "L'Apollonide, souvenirs de la maison close" (2010), celle-ci s'est émancipée, a accédé à la réalisation et travaille la question féminine de façon intime pour d'autres réalisatrices.

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Le Comte de Monte-Cristo

Publié le par Rosalie210

Josée Dayan (1998)

Le Comte de Monte-Cristo

Au vu de ce que j'en avais entendu dire, je n'avais pas envie de voir la mini-série de Josee DAYAN car je me doutais bien qu'elle trahissait le roman de Alexandre Dumas. Et ce, sans avoir l'excuse des contraintes de durée qui rendent les long-métrages de cinéma si frustrants. Comme d'autres adaptations avant celle-ci, le souci prioritaire semble avoir été d'offrir un divertissement prestigieux et politiquement correct c'est à dire calibré pour plaire au grand public selon la mode du moment avec le gratin des acteurs français de l'époque, la plupart hélas sous-employés. Pourquoi s'en priver, l'opération s'est avérée être un succès et aujourd'hui encore, cette version est citée comme une référence. Pourtant, il y a de quoi redire. Déjà dans la construction dramatique. Certes, l'idée des flashbacks pour condenser la première partie du roman et ainsi dynamiser le récit est pertinente. Encore faut-il être capable de le faire avec rigueur. Ce n'est pas le cas et plusieurs informations cruciales sont escamotées. Danglars et Fernand ne sont pas présentés, tout juste montrés et le spectateur qui ne connaît pas le roman devra attendre le dernier épisode pour connaître la raison de la trahison de Fernand. Quand à celle de Danglars, elle n'est jamais expliquée. On retrouve ce problème plus tard dans le récit avec par exemple le personnage d'Héloïse de Villefort jouée par Helene VINCENT dont l'explication des agissements meurtriers est privée du sens que lui donne le roman, sens pourtant lourd de significations. La relation filiale avec l'abbé Faria si importante pour la construction du personnage de Monte-Cristo est négligée, comme d'ailleurs globalement tout l'aspect intimiste du roman. Josee DAYAN et son scénariste Didier DECOIN ne prennent pas la peine de construire des personnages crédibles et laissent les acteurs en roue libre. Pauvre Jean ROCHEFORT qui semble errer comme une âme en peine dans la série et qui n'évoque en rien le personnage de félon qu'il est censé interpréter mais plutôt celui d'un pathétique cocu en puissance. Car j'en viens à ce qui est pour moi le pire défaut de cette adaptation: avoir transformé la tragédie en une assez grotesque pantalonnade. Toute la grandeur du roman disparaît au profit d'un mauvais goût assumé porté par le choix d'un acteur aux antipodes du personnage solitaire, spectral, ascétique et mystérieux de Monte-Cristo. A la place on a un Gerard DEPARDIEU qui sort de 18 ans d'incarcération dans un cul de basse-fosse au pain sec et à l'eau parfaitement imberbe et bien peigné, nanti d'un tour de taille conséquent et d'un ventre rebondi qui rend risible la scène dans laquelle ses geôliers se plaignent du poids du sac qu'ils ont à jeter du haut du château d'If. Un Gerard DEPARDIEU faisant du Gerard DEPARDIEU c'est à dire fort en gueule, jouisseur au point de se chercher un cuisinier personnel en la personne d'un Bertuccio revu et corrigé (Sergio RUBINI aurait tellement mieux convenu dans le rôle de son maître!) et une maîtresse inventée de toutes pièces (Florence DAREL), pauvre cruche à la voix de crécelle venant piquer sa crise de jalousie dès qu'une autre femme l'approche. Mercédès (Ornella MUTI) est traitée de la même manière écervelée ce qui explique sans doute la consternante fin où les deux amoureux se retrouvent à barboter joyeusement dans l'eau comme si rien ne s'était passé. Ne parlons même pas des piètres déguisements que revêt le comte, l'homme cherchant plus à se faire reconnaître qu'à se cacher. De temps en temps, il se rappelle quand même qu'il doit se venger alors les scènes du roman viennent laborieusement se rappeler à notre souvenir à l'aide de fastidieuses explications. Là où dans le roman on a un maître en manipulation qui a ourdi sa vengeance durant des années en ne laissant rien au hasard et la déroule comme une horloge suisse, le Monte-Cristo de Dayan semble découvrir les secrets de ses ennemis par hasard, au détour d'un chemin. Comme dans d'autres versions, Haydée est évacuée en deux-trois scènes parce qu'elle n'entre pas dans les cases du politiquement correct et plus surprenant, l'intrigue du fils illégitime de Villefort est amputé de toute sa dimension sociale, tout cela au profit d'amourettes sans substance. Abaisser ce grand roman à un tel niveau de médiocrité, il fallait le faire!

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Le Coucher de la mariée

Publié le par Rosalie210

Eugène Pirou (1896)

Le Coucher de la mariée

Le premier "mur de Jéricho" est-il tombé? Nous ne le saurons jamais étant donné que sur les sept minutes initiales du film, seules les deux premières minutes ont été conservées. Mais elles ont suffi à faire date puisque "Le coucher de la mariée", la version du photographe Eugene PIROU (Albert Kirchner étant son chef-opérateur) est considéré comme le premier strip-tease de l'histoire du cinéma. Il s'agit en réalité et comme souvent à l'époque de l'adaptation d'une pantomime coquine représentée sur les théâtres des boulevards, ici l'Olympia, avec l'artiste de cabaret Louise WILLY qui reprend son rôle pour le film. Eugene PIROU photographiait et filmait beaucoup en effet les vedettes et les spectacles qui étaient alors à l'affiche dans la capitale. Outre la tension érotique liée au déshabillage progressif à une époque où les femmes portaient de multiples couches de vêtements, ce qui frappe, c'est le paravent entre elle et son mari (d'où mon allusion au "mur de Jéricho"), celui-ci ne pouvant s'empêcher au fur et à mesure que l'opération progresse de tenter de jeter des coups d'oeil par-dessus la cloison, visiblement de plus en plus excité. Le voyeurisme masculin allait devenir un des ressorts majeurs de l'érotisme au cinéma, alimentant le male gaze sur le corps de la femme, présenté comme une attraction. Et ce dès 1897 avec Georges MELIES ou Ferdinand ZECCA avec un titre appelé à un grand avenir "Par le trou de la serrure" (1901).

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Un week-end sur deux

Publié le par Rosalie210

Nicole Garcia (1990)

Un week-end sur deux

e premier film de Nicole GARCIA est le portrait d'une femme qui a raté sa vie tant professionnelle que personnelle. Actrice au chômage qui fait des animations pour survivre, divorcée, séparée de ses enfants qu'elle a abandonné à son mari, elle ne parvient pas à redresser la barre. Il faut dire que le début du film montre que ses échecs professionnels et son incapacité à gérer ses enfants sont liés au patriarcat avec un ex-mari, véritable oeil de Moscou qui ne lui confie les enfants que contraint et menace de les reprendre au moindre écart et un impresario qui l'a mise sous sa tutelle. On comprend donc son pétage de plombs et sa fuite vers une autre vie qu'elle maîtriserait, qu'elle déciderait. Néanmoins elle ne cesse d'être rattrapée par la loi et par la norme: contrôles d'identité incessants, arrestation, dénonciation. De plus elle a peu de prise sur ses enfants qui lui reprochent son abandon, surtout son fils de dix ans qui semble écartelé entre les nouveaux horizons proposés par sa mère (un besoin d'évasion qu'il exprime dans son intérêt pour l'astronomie) et les préventions du père à son égard. Nathalie BAYE porte le film sur ses épaules, au point qu'on ne voit qu'elle et ce au détriment d'un environnement survolé et de rebondissements parfois peu crédibles. D'autant plus que son personnage est un peu trop opaque pour que le spectateur s'y attache vraiment. Cette absence d'intimité se ressent particulièrement avec les enfants durant la plus grande partie du film. Enfin la "déchéance sociale" de l'actrice est toute relative, animer des soirées au Rotary Club de Vichy avec le regretté Jacques BOUDET, ce n'est pas la même chose que de devoir chanter dans un supermarché au fin fond de la cambrousse.

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Les Chariots de feu (Chariots of fire)

Publié le par Rosalie210

Hugh Hudson (1981)

Les Chariots de feu (Chariots of fire)

Une curiosité que ce film britannique du début des années 80, éclipsé dans la mémoire collective par la musique de Vangelis PAPATHANASIOU, sa composition la plus célèbre avec celle de "Blade Runner" (1982). Autre atout du film, sa reconstitution minutieuse de l'université de Cambridge au début des années 20 ainsi que des JO de Paris de 1924. Le résultat est d'une qualité indéniable, on s'y croirait! On peut ajouter enfin un casting tout à fait réussi puisant dans le vivier anglais, fertile en talents. Les jeunes acteurs de premier plan sont épaulés par des vétérans parmi lesquels se détache Ian HOLM dans le rôle de Sam Mussabini, l'entraîneur de Harold. Néanmoins "Les Chariots de feu" est plombé par son caractère édifiant. Les valeurs du sport sont béatement glorifiées dans une perspective aussi bien religieuse que patriotique ce qui révèle à la fois une idéalisation de l'Empire britannique en tant que puissance et creuset et une imprégnation de l'idéologie thatchérienne du dépassement de soi et de la réussite individuelle. Même si le personnage de Harold Abrahams doit lutter pour s'intégrer dans un milieu chrétien conservateur antisémite et raciste, ses exploits sportifs transforment sa destinée en "sucess story" à l'américaine. Cependant, Harold reste néanmoins un personnage humain plein de rage et de doute alors que son comparse, Eric Liddell, presbytérien intégriste s'efface au profit d'une querelle entre patriotisme et religion se résumant à courir pour Dieu (sauf le dimanche) ou pour son pays. Difficile aujourd'hui d'adhérer à un discours aussi propagandiste, y compris pour le sport dont on connaît les dérives et les dévoiements y compris dans le cadre de l'olympisme.

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La Princesse aux Huîtres (Die Austernprinzessin)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1919)

La Princesse aux Huîtres (Die Austernprinzessin)

Brillant! On s'attend à un film de jeunesse de Ernst LUBITSCH compte tenu de la date de sa réalisation (1919 soit dans l'après première guerre mondiale bien que sa tonalité annonce déjà les années folles) et on se retrouve face à un petit bijou satirique et burlesque qui témoigne d'une maîtrise parfaite de l'outil cinéma. "La princesse aux huîtres" aurait pu s'appeler "la folle journée" bien que le film évoque davantage Marivaux que Beaumarchais. Encore que l'épidémie de Fox-Trot qui met sans dessus-dessous la hiérarchie sociale évoque aussi le deuxième. Sur le plan chorégraphique et rythmique, le film est une merveille d'horlogerie suisse (bien que Ernst LUBITSCH soit allemand ^^). On voit une armée de domestiques se démener tel un corps de ballet pour servir le roi des huîtres et sa capricieuse fille Ossi qui piquée au vif par le mariage d'une concurrente avec un lord (la fille du roi du cirage, cela sent la parodie des magnats américains de l'acier et du pétrole à plein nez!) veut convoler sur-le-champ en justes noces avec un prince. Sinon, elle casse tout sous le regard indifférent de son père que rien n'impressionne. Mais le promis, non content d'être criblé de dettes, envoie son homme de main jouer son rôle sans savoir qu'il va lui aussi finir par se retrouver embarqué dans la danse. Car le film de Ernst LUBITSCH, concentré d'énergie pousse la science du dérèglement à son paroxysme tout en la maîtrisant parfaitement. Les personnages semblent montés sur ressorts et se déplacent avec une grâce folle, tourbillonnant au son d'un orchestre hystérique (mené par Curt BOIS alors tout jeune, lui que j'ai découvert sous les traits d'un vieillard dans "Les Ailes du desir") (1987). Même sans musique, les personnages semblent se déplacer selon un canevas chorégraphié, que ce soit en cercle ou en ligne, seuls, en duo ou au sein d'un groupe. Sans parler de l'alcool qui coule à flots et n'est pas pour rien dans le vaste délire collectif qui nous est donné à voir (alcool et peut-être plus mais on n'en saura rien). Délire alimenté par des quiproquos menant tout droit à la chambre à coucher. Car on reconnaît la Lubitsch touch, mélange d'élégance et de grivoiserie à ces plans suggérant une caméra qui regarde par le trou de la serrure ce qu'il se passe dans le lit d'Ossi. Car c'est la seule chose qui finalement intéresse son blasé de père. Un film qui donne la pêche et met de bonne humeur!

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Brainwashed: le sexisme au cinéma (Brainwashed: Sex-Camera-Power)

Publié le par Rosalie210

Nina Menkès (2022)

Brainwashed: le sexisme au cinéma (Brainwashed: Sex-Camera-Power)

L'éducation au regard comme moyen de combattre le sexisme dans la société et ses ravages, tant du point de vue des discriminations que du harcèlement et plus généralement de ce qu'on appelle "la culture du viol". Voilà l'objectif que s'est fixé dans sa masterclass la réalisatrice Nina MENKES dans un documentaire post-metoo qui interroge la filmographie mondiale et plus généralement le monde du cinéma. Elle ne se contente pas de pointer du doigt les contenus sexistes des films, elle propose une grille d'analyse de l'image en cinq parties (la relation sujet-objet, le cadrage, le mouvement de caméra, l'éclairage, le point de vue de la narration) qui met en évidence le "male gaze" dont elle rappelle l'origine. A savoir l'article de la théoricienne du cinéma Laura Mulvey (qui intervient dans le documentaire) paru en 1975 et intitulé "Plaisir visuel et cinéma narratif". Article qui met en évidence la façon dont le patriarcat a inconsciemment structuré la forme cinématographique de façon à réduire les femmes à l'état d'objet. Deux types d'objectification coexistent dans la plupart des films: la femme-icône déifiée (qui la coupe de son environnement, la réduit au silence, lui interdit d'exister et d'évoluer) et le corps féminin fragmenté avec souvent des gros plans sur les parties les plus excitantes de leur anatomie pour un regard masculin. On retrouve ainsi les deux visages auxquels les hommes réduisent les femmes, celui de la sainte et celui de la putain (cette dernière ayant pris le pas sur la première avec la sexualisation de plus en plus importante des corps féminins au cinéma). Ce dont on prend conscience en regardant le documentaire, c'est combien cette grille de lecture non seulement structure 96% du cinéma mondial depuis les années 30 (le film rappelle que les femmes dominaient le cinéma avant) mais combien il est difficile de s'en défaire. Ainsi même des oeuvres récentes, même réalisées par des femmes et même se voulant plus féministes produisent des images d'objectification de femmes et de fillettes, par exemple "Lost in translation" (2004) ou "Titane" (2020) ou "Scandale" (2019) ou encore "Mignonnes" (2019). Il en va de même des films de super-héros mettant en avant des héroïnes, certes puissantes mais filmées lubriquement ou formatées comme des mannequins en train de défiler. Car tous ces films mettent en valeur un type de beauté esthétiquement normé qui ne correspond pas à la réalité. Si le cinéma hollywoodien est au coeur de cette déconstruction des rapports de pouvoir, le documentaire décortique également des films asiatiques et européens, notamment français qui fonctionnent exactement de cette manière. Le cas de Jean-Luc GODARD est particulièrement mis en valeur car il a réfléchi à son art et livré des oeuvres "méta" mais ne s'adressant qu'à un public à l'image du chef-opérateur de "Le Mepris" (1963), un public "mâle-cis-hétéro" regardant avec insistance les fesses de Brigitte BARDOT, découpée façon "pièces de boucher". Une femme jeune et nue et un homme mûr habillé qui la regarde et la décrit. Mais surtout qui la contrôle et il devient logique que cette impuissance devant la caméra entraîne des abus de pouvoir sur les plateaux comme ceux décrits par Maria SCHNEIDER ou Judith GODRECHE, d'autant que les postes de pouvoir sont détenus par des hommes la plupart du temps. Ainsi le documentaire pointe du doigt avant que cela ne devienne d'actualité en France le problème fondamental du cinéma de Abdellatif KECHICHE ou de réalisateurs dénudant ou sexualisant de très jeunes filles comme Louis MALLE ou Luc BESSON. Le documentaire montre également que lorsque les hommes sont sexualisés, leur corps n'est jamais fragmenté et ils sont toujours en mouvement (comme dans "Magic Mike") (2012), échappant ainsi à l'objectification. Par ailleurs les films les plus célébrés sont des films la plupart du temps qui glorifient le regard masculin alors que les oeuvres fondées sur le regard féminin sont marginalisées.

Face à ce constat édifiant et accablant, un seul remède: être toujours plus conscient et toujours plus critique vis à vis de ce que l'on regarde. En tant que spectateur mais aussi en tant que créateur d'images. De ce point de vue, l'un des rares contre-exemples cités dans le documentaire est celui de Agnes VARDA qui avant d'être cinéaste avait été photographe. Elle était parfaitement consciente des images qu'elle composait et de l'importance du point de vue. "Cleo de 5 a 7" (1961) est même entièrement construit là-dessus: une femme regardée devient une femme qui regarde et se met en mouvement.

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American Honey

Publié le par Rosalie210

Andréa Arnold (2017)

American Honey

"Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles, il me semble que la misère, serait moins pénible au soleil". Cet extrait de la chanson de Charles Aznavour convient parfaitement à "American Honey", road-movie dans le midwest américain. Sa longueur (2h43) permet d'effectuer une radiographie assez poussée de l'envers du rêve américain et ce, des deux côtés de la barrière: la nomade et la sédentaire, l'une se nourrissant de l'autre. Le film colle aux basques de l'héroïne, Star (Sasha LANE), adolescente qui décide de plaquer du jour au lendemain sa famille dysfonctionnelle pour partir sur les routes à bord d'un van regroupant d'autres jeunes paumés ramassés sur le bord du chemin par le séduisant Jake (Shia LaBEOUF, seul acteur professionnel du casting) pour le compte de sa maîtresse et patronne, Chrystal (Riley KEOUGH). Ce faisant, Star troque un système d'exploitation contre un autre. Rien de nouveau sous le soleil: Chrystal est une Fagin ou une Garofoli des temps modernes, une femme d'affaires impitoyable qui recueille de jeunes vagabonds pour les faire travailler et punir ceux qui ne rapportent pas assez. Le travail lui-même ressemble à de la mendicité, il s'agit de soutirer des abonnements à des magazines que personne ne lit plus en suscitant la pitié des acheteurs. Mais comme Star ne mange pas de ce pain-là, ses méthodes la rapprochent dangereusement de la prostitution. Elles permettent aussi de visiter cette Amérique du vide largement acquise à Trump: motels crasseux, maisons abandonnées, banlieues cossues évangélistes, champs pétrolifères peuplés d'hommes en manque, cow-boys texans tape à l'oeil et pas très nets ou encore lotissements pavillonnaires misérables dans lesquels Star rencontre des situations qui reflètent celle qu'elle a quitté. Le portrait n'est guère reluisant. Mais le film lui est flamboyant, brut et sauvage, énergique voire tonitruant avec sa musique omniprésente ce qui lui permet de contourner l'écueil du misérabilisme, comme Andrea ARNOLD parvenait déjà à le faire dans "Fish tank" (2009) auquel on pense beaucoup. La soif de liberté des héroïnes y est identique et s'exprime à travers l'attention au vivant dans ses manifestations les plus humbles. Ainsi Star recueille avec précaution les insectes et les animaux pris au piège pour les relâcher dans la nature. Il est cependant dommage que la réalisatrice ait privilégié la relation toxique entre Star et Jake au détriment du reste du groupe. Le casting (que l'on devine à l'image du film, sauvage) est pourtant réussi mais les personnalités restent seulement esquissées et on reste sur notre faim.

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