"A L'attaque !" est le dernier volet de la trilogie des "contes de l'Estaque" (après "L'argent fait le bonheur" en 1993 et "Marius et Jeannette" en 1997). Le film utilise le même procédé que celui de "La Fête à Henriette" de Julien Duvivier (qui a ensuite été repris aux USA par Richard Quine dans "Deux têtes folles" et par Woody Allen dans "Mélinda et Mélinda"). A savoir une mise en abyme du travail de création cinématographique. Deux scénaristes (joués par Denis Podalydès et Jacques Pieiller) travaillent sur une comédie sociale marseillaise que l'on voit s'incarner à l'écran avec un certain nombre de retouches, retours en arrière, scènes finalement mises à la poubelle, versions alternatives. L'histoire est cependant très simple à suivre, celle d'une famille de garagistes (la troupe habituelle de Robert Guédiguian) dont le bien est sur le point d'être saisi pour impayés, la société Eurocontainer qui les emploie ayant été mise en liquidation judiciaire sans leur régler ce qu'elle leur doit. Mais banquiers et patrons voyous n'ont qu'à bien se tenir, les scénaristes ne manquent pas d'imagination pour leur faire rendre les armes. En mettant en scène deux mondes parallèles, celui de la culture et celui des ouvriers, Guédiguian parle sans doute de sa propre schizophrénie tout en se moquant de lui-même et des films sociaux pondus par les bourgeois parisiens. En tout cas le résultat, foncièrement ludique est sympathique même s'il ne vole pas très haut, plombé notamment par une grivoiserie lourde et insistante: il paraît que cela fait marcher le commerce!
"Tatami" qui a été présenté au festival de Venise dans une section parallèle est le reflet de la coopération inédite d'un cinéaste israélien, Guy NATTIV et de l'actrice franco-iranienne Zar AMIR EBRAHIMI, récompensée à Cannes pour "Les Nuits de Mashhad" (2021). C'est un huis-clos en noir et blanc très prenant, immersif, donnant l'impression de tournage en temps réel, moins pour ce qu'il se passe sur la scène que pour ce qui se déroule en coulisses. Pendant que l'arène sportive voit s'affronter en duel les meilleures judokas pour le titre de championne du monde, les autorités iraniennes poursuivent leurs manoeuvres géopolitiques jusque dans l'enceinte du Dojo afin d'empêcher leur judokate de rencontrer la championne israélienne. Pour cela, ils veulent l'obliger à déclarer forfait, usant de moyens de pression de plus en plus brutaux, sous les yeux de la wjf (world federation judo), longtemps passive. Le spectateur voit Leila (Arienne MANDI) se battre comme une lionne sur le tatami et en même temps contre le rouleau compresseur du régime. Sa coach (jouée par Zar AMIR EBRAHIMI elle-même), elle aussi soumise à une intense pression essaye de gagner du temps, louvoyant entre une certaine résistance passive et la tentation de la reddition au grand dam de Leila ce qui rajoute un élément de tension supplémentaire.
L'histoire est fictive mais inspirée par des faits réels survenus aux mondiaux de Tokyo qui entrainèrent la suspension de la fédération iranienne des compétitions organisées par la wjf. Le sportif iranien concerné, Saeid Mollaei avait dû s'incliner en demi-finale et en petite finale sous les menaces du régime le visant lui et sa famille afin qu'il ne rencontre pas le champion israélien. La posture officielle de Téhéran consiste en effet à nier l'existence de cet Etat. Saeid Mollaei avait fini par fuir le pays.
Une version du roman de Alexandre Dumas dite de "référence" sans doute parce qu'il s'agit d'une réalisation de prestige à gros budget mais qui m'a fait une impression mitigée. Le format de 3h (divisé en deux époques d'1h30 chacune) est manifestement insuffisant pour rendre compte d'un tel roman. Cependant la première partie tient plutôt bien la route, en dépit de la disparition du personnage de Danglars. La reconstitution de Marseille est plus que convaincante puisqu'on a l'impression de se retrouver au beau milieu d'une "pagnolade" avec l'accent, la truculence locale, le soleil méditerranéen et les cigales. Ce n'est peut-être pas tout à fait l'esprit du roman mais cela a son charme. Charme qui se prolonge jusqu'au début de la deuxième partie dans la scène de l'auberge où Caderousse (alias Pierre MONDY) fait un grand numéro de tartufferie bien secondé par son épouse. Mais il n'était pas possible de maintenir cette couleur locale pleine de bonhommie jusqu'au bout, donc dès que le film bascule dans l'histoire de la vengeance proprement dite, il s'arrête net, à court d'inspiration. On sent parfaitement que cet aspect du roman a été réalisé à contrecoeur et n'est pas dans l'ADN de ses créateurs. Le Monte-Cristo de Louis JOURDAN (excellent acteur pourtant avec une grande prestance), rempli de mélancolie ne manifeste à aucun moment l'état d'esprit machiavélique et haineux du personnage d'origine. Il ne prend pas la peine de se cacher, surgissant tel quel dans l'auberge de Caderousse et se fait tout de suite reconnaître de Mercédès à qui il continue de vouer un amour transi en porte à faux avec le roman de Dumas. Conséquence: le scénario ne sait pas quoi faire d'Albert (parce que continuer à prétendre aimer Mercédès tout en voulant tuer son fils, c'est quand même un peu problématique) ni de Benedetto et d'Haydée qui semblent sortir de nulle part et apparaissent comme "plaqués" sur une intrigue qui surinvestit la relation sentimentale entre le comte et Mercédès et une sous-intrigue policière inventée de toutes pièces jusqu'à la scène finale qui va contre le roman. En résumé, ce Monte-Cristo "qualité française" est sympathique mais très éloigné du roman d'origine et affreusement convenu.
"Wanda" ce portrait de femme dans toute sa véracité porté par Barbara LODEN dont ce fut le seul long-métrage est un exemple éclairant de la réelle place des femmes devant et derrière la caméra dans les années 70 lorsqu'elles réussissaient à prendre les commandes et à s'affranchir du pouvoir masculin. En sortant du rôle subordonné qu'on leur avait assigné dans le système patriarcal, elles pouvaient témoigner de leur relégation aux marges du monde. "Wanda" ne pouvait donc qu'être un film indépendant, réalisé avec une petite équipe en 16 millimètres, très peu distribué mais soutenu, relayé, transmis au fil des ans à bout de bras par des artistes et cinéastes tels que Marguerite DURAS et Isabelle HUPPERT. Mais marginalité rime aussi avec liberté ce que découvrit sur le tournage le mari de Barbara LODEN, Elia KAZAN qui s'en inspira pour "Les Visiteurs" (1972). La parenté saute aux yeux avec les films d'un John CASSAVETES (spécialement "Une femme sous influence") (1974) ou en France, avec la nouvelle vague, spécifiquement les films de Agnes VARDA qui parlent aussi d'errance féminine: "Wanda" par certains côtés préfigure "Sans toit ni loi" (1985). "Wanda" est d'ailleurs un prénom dérivé de "wanderer" qui signifie "vagabonder". Soit tout le contraire de la place des femmes dans le système patriarcal, place confinée, étriquée, place fixe voire figée dans le statut d'icone. Le personnage de Wanda (qui est un portrait déguisé de Barbara LODEN elle-même) se caractérise par son inadaptation totale aux règles sociales et à l'idéologie américaine dont elle représente le contraire absolu. Tout glisse sur elle sans accrocher et c'est avec une totale indifférence qu'elle renonce à son mariage, à ses enfants, à son travail, à ses économies, bref à "l'american way of life". Il faut qu'il n'y a guère "d'american dream" dans l'extrême pauvreté, laquelle entraîne le nomadisme (du vagabond de Charles CHAPLIN au récent film de Chloe ZHAO, "Nomadland") (2019). Cette absence de volonté fait d'elle quelqu'un d'apparemment passif qui se laisser porter par le courant. J'ai écrit "apparemment" car c'est plus subtil que ça. Wanda est un être de "non-agir", comme brisé de l'intérieur et ce que filme Barbara LODEN, c'est le parcours qui se dessine à partir d'une telle personnalité. Puisque le monde tel qu'il est lui reste fermé (bien qu'elle ait intériorisé ses normes d'où son sentiment de ne rien valoir), elle en dessine un elle-même à partir de sa propre dérive. Cela donne des séquences burlesques et lunaires notamment quand elle déboule en toute innocence dans le café que vient de braquer "M. Dennis" (Michael HIGGINS), un petit truand qu'elle finit par suivre. En dépit de la rudesse de leurs rapports, il se passe réellement quelque chose entre eux qui l'aide à reprendre confiance en elle. Car Higgins est son miroir masculin, un inadapté lui aussi vivant de rapines, toujours en fuite, un loser condamné à brève échéance. Un macho certes qui ne sait pas s'exprimer mais dont la sensibilité véritable réussit parfois à se frayer un chemin sous les codes culturels appris. L'impasse existentielle de cette relation apparaît cependant rapidement, un coup du sort la séparant du destin tragique de son compagnon et l'obligeant à reprendre sa route jusqu'à ce qui ressemble à un terminus: l'image s'arrête, en même temps qu'elle et que le film se termine.
Autant j'ai eu mainte fois l'occasion de souligner la qualité des productions BBC récentes, notamment dans le domaine de l'adaptation littéraire, autant celles du passé sont une "terra incognita". Et pour cause, nombre d'archives radiophoniques et télévisuelles ont disparu parce que notamment dans les années 60 et 70, il était coûteux de les conserver. Les supports d'enregistrements étaient le plus souvent recyclés ou détruits. L'avènement du numérique (et avant lui des moyens de lecture et de commercialisation tels que la VHS et le DVD) ont bouleversé ces paramètres à partir des années 80. La survie de l'intégralité de cette version du roman d'Alexandre Dumas, la seule produite par la BBC que l'on crut longtemps perdue et qui date du milieu des années 60 est donc en soi un petit miracle.
Les contraintes (notamment budgétaires) inhérentes à ce type de production pèsent évidemment sur la réalisation qui privilégie les séquences dialoguées en gros plan. Les personnages vieillissent peu ou pas du tout et les différents masques du comte sont purement et simplement abandonnés. C'est le banquier Thomson de la maison Thomson et French de Rome qui apparaît en personne par exemple dans la plupart des scènes en lieu et place de "Lord Wildmore", l'avatar anglais de Edmond Dantès. Il faut donc invoquer le pouvoir de la fiction pour expliquer que Caderousse ne reconnaisse pas Edmond qui lui apparaît tel qu'il était quatorze ans plus tôt mais revêtu d'une soutane. Le charismatique Alan Badel qui l'interprète a d'ailleurs comme la plupart des comédiens une quarantaine d'années et s'appuie seulement sur son jeu d'acteur pour dépeindre le jeune et naïf Edmond d'avant son arrestation.
L'adaptation par Anthony Steven est cependant d'une grande fidélité au roman d'Alexandre Dumas. Celui-ci est définitivement mieux fait pour la mini-série que pour le cinéma. Quelques personnages sont certes supprimés comme Noirtier, Franz d'Epinay, Edouard de Villefort et le père de Dantès, quelques sous-intrigues passent également à la trappe comme ce qui touche à Caderousse une fois le diamant en poche ou l'empoisonnement de la famille Saint-Méran par Mme de Villefort mais rien de fondamental. Il y a en revanche une véritable volonté de mettre en valeur les aspects les plus audacieux du roman. C'est particulièrement frappant en ce qui concerne le personnage féministe et lesbien d'Eugénie Danglars dont le franc-parler et le refus de jouer le jeu du théâtre social frappent Monte-Cristo au point que dans le roman, il lui fournira de faux papiers pour l'aider à se faire passer pour un homme et s'enfuir. Dans la série, on la voit échafauder son plan d'évasion allongée sur un lit en compagnie de Louise d'Armilly: l'allusion bien que chaste à leur relation est transparente. Il en va de même pour Haydée qui affirme très clairement son amour passionnel et charnel pour le comte, lequel finit par l'accepter, conformément à la fin du roman.
Mae WEST était une personnalité hors-norme. Une femme puissante doublée d'une bombe sexuelle qui sut utiliser le scandale à son avantage pour électriser la scène de Broadway et le cinéma américain pré-code tant par son physique plantureux, sa démarche chaloupée, son accent de Brooklyn, ses regards équivoques tout comme ses dialogues remplis de doubles-sens. Scénariste, productrice, actrice, découvreuse de talents (elle imposa notamment Cary GRANT), Mae WEST était issue du burlesque, entre revue et music-hall grivois avec des femmes peu vêtues. Elle écrivit des pièces pour Broadway telles que "Sex" en 1926 sur les rapports entre sexe et argent et "The Drag" en 1927 avec des travestis de Greenwich village. Cet avant-gardisme qui lui valu de faire un petit séjour en prison pour outrage mais qui lui fit aussi une énorme publicité se retrouve bien évidemment lors de son basculement vers le grand écran: "La vertu, c'est louable mais ça ne remplit pas les caisses des cinémas". On l'y voit jouant les vamps salaces jusqu'à ce que le code Hays en 1934 l'oblige à ruser avec le système puis à se réinventer dans des shows culturistes à Las Vegas. Si l'on ajoute qu'elle mit en avant autant qu'elle le put les talents de la communauté afro-américaine, on voit se dessiner un portrait d'une grande cohérence. Celui d'une femme capable de déjouer toutes les entraves pour imposer sa vision du monde, celui dessiné par des femmes fortes et libres, assumant leurs formes et leurs désirs et complices des minorités invisibilisées et opprimées.
"Macadam à deux voies" est un road-movie qui s'inscrit dans la mouvance de la contre-culture de la fin des années 60 et du début des années 70. Un terme à prendre aussi au sens littéral. Comme son immédiat prédécesseur "Easy Rider" (1969), les personnages font la route en sens inverse des pionniers, de l'ouest vers l'est, de Los Angeles à un hypothétique Chicago, New-York ou Miami, horizon qu'ils n'atteindront jamais. Plutôt que de faire, il s'agit de défaire, plutôt que de progresser, il s'agit de faire le vide. Le nihilisme de ce film, son caractère expérimental confinant à l'abstraction explique sans doute aussi bien son échec à sa sortie que son statut de film culte aujourd'hui. Nihilisme et abstraction dans la caractérisation de personnages privés d'identité: ils sont "le chauffeur", "le mécanicien", "la fille", "GTO". Tous sont privés d'attaches comme d'histoire. Chauffeur et mécanicien parlent peu et seulement de problèmes techniques liés à leur voiture, une Chevrolet trafiquée. La fille tout aussi peu causante semble être une zonarde paumée errant sans but et sans limites d'un véhicule et d'un homme à l'autre. Seul GTO, le conducteur de la Pontiac est bavard mais c'est un pur mythomane. Warren OATES est d'ailleurs le seul véritable acteur parmi les protagonistes principaux, incarnés par des musiciens (James TAYLOR et Dennis Wilson). Bref le spectateur n'a rien à quoi se raccrocher d'autant que ces personnages semblent également dénués d'affects, de réflexion comme de motivations. Soi-disant concurrents, ils déjouent complètement le scénario de la course-poursuite entre leurs deux véhicules, prenant tout leur temps, discutant, échangeant leurs places à bord, s'entraidant. Il en va de même des autres péripéties qui pourraient émerger comme la rivalité amoureuse, la confrontation avec les flics ou avec les rednecks du coin: celles-ci sont systématiquement désamorcées. Cette impuissance à produire un quelconque récit qui fasse sens tout comme à s'ancrer quelque part s'achève dans un geste radical d'autodestruction qui laisse pantois.
L'influence européenne a été souvent soulignée à propos de ce film "méta-physique", notamment celle du théâtre de l'absurde à la Beckett mais personnellement, j'ai reconnu également certains leitmotivs du cinéma de Wim WENDERS. Celui du voyage immobile déconstruisant le "Bildungsroman" ("Faux mouvement") (1975) ou encore celui du non-sens de la vie, résumé par le monologue que Marion prononce devant Damiel dans "Les Ailes du désir" (1987): "Quand j'étais avec quelqu'un, j'étais souvent heureuse mais en même temps, je prenais tout pour des hasards. Ces gens étaient mes parents, mais d'autres aussi auraient pu l'être. Pourquoi ce garçon aux yeux marrons était-il mon frère plutôt que les garçons aux yeux verts que je voyais passer sur le quai d'en face? La fille du chauffeur de taxi était mon amie et de la même façon j'aurais aussi bien pu entourer de mes bras la tête d'un cheval. J'étais avec un homme, amoureuse de lui. Et j'aurais aussi bien pu le planter là et poursuivre ma route avec cet inconnu que nous venions de croiser dans la rue." La présence fugace de Harry Dean STANTON dans le rôle de l'un des auto-stoppeurs embarqués par GTO renforce cette impression.
Film puissant, "Il Bidone" s'inscrit dans le prolongement des deux oeuvres précédentes de Federico FELLINI, "Les Vitelloni" (1953) et "La Strada" (1954). Du premier, il reprend le principe du film de bande, portraiturant à nouveau un groupe de minables vivant aux crochets des autres, sauf qu'au lieu d'êtres des oisifs, ce sont des escrocs. Parmi eux, on reconnaît Franco FABRIZI, séducteur dans "Les Vitelloni", gigolo dans "Il Bidone". Du second, outre la présence de Giulietta MASINA qui apporte l'une des seules sources d'espoir du film, celui-ci révèle le même tournant métaphysique dans sa dernière ligne droite, celui d'un homme qui a refusé la grâce et se retrouve banni du monde des hommes et du royaume de Dieu, pleurant ou agonisant dans un paysage désertique. "Il Bidone" est cependant plus sombre que les deux autres films et se caractérise par d'importantes ruptures de ton et même de genre. La vilénie humaine est d'abord traitée sur le mode de la bouffonnerie avec la description des escroqueries du trio formé par Augusto, Picasso et Roberto qui abusent de la crédulité des plus faibles, se déguisant tantôt en ecclésiastiques pour gruger les paysans et tantôt en fonctionnaires pour arnaquer les demandeurs de logements sociaux vivant dans les bidonvilles. Néanmoins, lorsque surgit Rinaldo, ancien associé d'Augusto qui a réussi dans la vie commence à percer chez ce dernier un abattement, une lassitude qui le détache des deux autres que l'on peut considérer comme des avatars possibles d'Augusto lui-même quand il était jeune (une version candide et l'autre au contraire totalement cynique). Augusto ne cesse en effet de souligner son âge, 48 ans comme si c'était "trop tard", d'autant qu'il en fait en réalité presque vingt ans de plus. Le film va alors peu à peu se resserrer sur lui et lui faire emprunter un véritable chemin de croix, alors même qu'il bascule du néoréalisme vers quelque chose de beaucoup plus existentiel. La rencontre avec sa fille, âgée de 17 ans et qu'il n'a pas élevée lui-même s'avère déterminante. Celle-ci est sur le point de faire un choix quant à son avenir, choix marqué par la gêne financière. Augusto qui vit hors de la réalité est alors paradoxalement ramené sur terre par cette figure de pureté morale qui revient le hanter sous la forme d'une petite paysanne infirme. Mais il refuse de renoncer à l'argent facile et rejette la main tendue de cette incarnation de la grâce. Son châtiment (divin?) sera terrible mais Federico FELLINI le filme jusqu'au bout comme un homme qui souffre, un homme qui doute, un homme ambivalent ayant fait les mauvais choix mais aspirant toujours à rejoindre l'humanité. Sans doute parce Augusto est une part de la personne qu'aurait pu devenir Federico FELLINI, lui qui avait échappé de justesse à ce type de destin, à l'image de Moraldo dans les Vitelloni sous l'influence d'un "Guido" ce qui l'a rendu apte à comprendre aussi bien les "Vitelloni" que les "Bidoni".
Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière (2024)
Chaque génération ou presque voit déferler sur les écrans, petits ou grands son adaptation des grands classiques de Alexandre Dumas. Après avoir signé le scénario des deux volets sortis à ce jour de "Les Trois Mousquetaires" (2023) réalisés par Martin BOURBOULON, Mathieu DELAPORTE et Alexandre de la PATELLIERE se sont lancés dans l'adaptation et la réalisation d'une nouvelle version de l'autre best-seller de Alexandre Dumas, "Le Comte de Monte-Cristo". Le père d'Alexandre, Denys de LA PATELLIERE avait lui-même réalisé une version du roman à la fin des années 70 sous forme de mini-série avec une grande fidélité à l'oeuvre d'origine. Ce n'est pas le cas de cette version modernisée qui sacrifie la profondeur à l'efficacité dramatique. Chaque époque a ses références. Il est assez clair que les réalisateurs ont voulu tirer le roman de Alexandre Dumas du côté du film de super-héros avec les transformations physiques de Edmond Dantès qui ne cesse de changer de masque et une panoplie gothique à faire pâlir de jalousie Batman, le tout fusionné avec l'esthétique romantique du premier tiers du XIX° siècle (et une allusion aux Templiers qui en jette même si on se demande ce qu'elle vient faire là). Mais le théâtre social que répètent à longueur de temps Dantès et ses deux protégés en reste au niveau du marivaudage sentimental et des secrets de famille avec petit clin d'oeil aux sujets du moment (l'homosexualité de Eugénie Danglars, personnage d'ordinaire absent des adaptations tout comme son père est soulignée). La dimension politique, sociale et même psychologique du roman de Dumas passe à la trappe et avec elle une bonne part du sens de cette oeuvre. En dépit des dates qui s'affichent à l'écran, l'histoire semble se dérouler sur quelques mois et non sur vingt ans, les personnages portent le même nom d'un bout à l'autre et ne changent donc pas de statut social, ils évoluent la plupart du temps dans des pièces vides et en dehors des cent jours (et encore), tous les événements historiques sont effacés. Le personnage du parvenu nouveau riche qui est au centre du roman de Dumas avec notamment les intrigues autour des titres, de l'héritage et des alliances matrimoniales n'existe plus. L'exemple le plus frappant de cette opération de neutralisation et de lissage s'opère sur le personnage de Andrea Cavalcanti, une crapule transformée en faux prince pour mieux gruger les ennemis de Dantès. Dans le film il devient un jeune homme vertueux que Dantès élève comme son fils. Et bien sûr histoire de ne pas choquer les bonnes moeurs, Haydée tombe amoureuse d'Albert ce qui est totalement invraisemblable étant donné que celui-ci est le fils de l'homme qui a trahi et fait tuer son père et les a vendues elle et sa mère comme esclaves. Cette superficialité destinée à ratisser large sans faire de vagues (qui vaut aussi pour la mise en scène et la musique) est d'autant plus dommageable que Pierre NINEY est quant à lui excellent dans le rôle principal.
"La nouvelle Eve" m'avait laissé le souvenir d'un vaste bordel sentimental charrié par l'héroïne mais j'avais complètement oublié qu'il existait deux camps dans le film. Celui des Camille libérées et paumées et celui des couples petits-bourgeois étriqués qui en prennent pour leur grade, que ce soit celui du frère rabat-joie de Camille (Laurent LUCAS) ou celui d'Alexis (Pierre-Loup RAJOT) flanquée d'une tour de contrôle jouée par Catherine FROT. Ce genre de petit couple conformiste, on en connaît tous (normal puisque le conformisme est fait pour se dupliquer) et le moule social que cherche à dénoncer Catherine CORSINI est si fort qu'il contamine jusqu'aux amies lesbiennes de Camille. De ce point de vue là, le film voit juste, il faut dire qu'il a été réalisé à l'époque de la mise en place du PACS et précède d'une quinzaine d'années le mariage pour tous. Le PS comme réceptacle des notables (la "gauche caviar") est également dénoncée avec justesse étant donnée que l'on sait aujourd'hui que cela a fini par tuer le parti. Ce sont ces normes sociales étouffantes qui étaient déjà dénoncées dans les années 70 dans des films tels que "Cousin cousine" (1975) que rejette Camille (Karin VIARD). Celle-ci apparaît comme la précurseure de personnages tels que celui de Christina dans "Vicky Cristina Barcelona" (2007) qui sait ce qu'elle ne veut pas mais ne sait pas ce qu'elle veut ou encore de Bahia dans "Le Nom des gens" (2010) dont les méthodes de conversion aux idéaux de gauche sont peu orthodoxes. Bref, c'est frais, pétillant, impulsif, parfois franchement loufoque (Camille boit plus que de raison, se trompe de soirée, saute sur le premier inconnu ou branche la première inconnue qui passe, se cogne aux murs, balance cash ses quatre vérités dans les situations les plus incongrues) mais ça ne mène nulle part. Sous son vernis d'éternelle adolescente adepte d'un romantisme rock and roll Camille est même le prototype d'une autre forme de conformisme social, un pur produit du boboïsme parisien individualiste adepte des soirées branchouilles, plus attirée par l'adultère avec quelqu'un de sa classe sociale (un pote à son frère) qu'une relation avec son déménageur-camionneur (en plus joué par le charismatique Sergi LOPEZ que j'ai découvert à l'occasion de ce film). Pas très transgressif tout ça au final. Il y a mieux comme modèle de rébellion et elle n'a pas de ce point de vue là inventé l'eau chaude, de même que Catherine CORSINI ne possède ni l'élégance d'un Ernst LUBITSCH, ni le sens du rythme et l'humanisme d'un Howard HAWKS.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)