Cinquième film de la saga "Mission Impossible" et cinquième réalisateur: Christopher McQUARRIE qui était déjà intervenu sur le quatrième volet pour retoucher le scénario sans être crédité. Christopher McQUARRIE s'est depuis installé aux commandes de la saga puisqu'il a également réalisé le sixième film et il est pressenti pour les deux prochains prévus en 2021 et 2022. Sa proximité avec Tom CRUISE a été sans doute un facteur déterminant.
"Rogue nation" s'intitule ainsi en référence aux "Etats voyous" accusés par les administrations américaines depuis Ronald Reagan de financer ou d'abriter des réseaux terroristes ou encore de développer des armes de destruction massive. De fait l'historique de l'organisation que combat le MIF ressemble à celle de Al-Qaida en ce que son leader a été formé par les occidentaux avant de se retourner contre eux.
Mais "Rogue nation" est avant tout un divertissement classieux dont la séquence d'introduction, restée dans les annales a valeur de manifeste. On y voit Tom CRUISE pallier les défaillances des outils high-tech à l'aide de ses performances physiques. De fait, l'acteur réalise une cascade spectaculaire et très dangereuse arrimé à un avion qui décolle et repousse ensuite sans cesse les limites avec notamment une séquence d'apnée de 6 minutes. De fait, plus il vieillit, plus il prend des risques, défiant le temps et la mort. Mais plus encore que dans le quatrième volet, Ethan Hunt s'appuie sur une équipe solide aux membres complémentaires: William Brandt son second depuis le quatrième volet (Jeremy RENNER) Benji Dunn (Simon PEGG) toujours chargé des interventions comiques mais qui acquiert également une dimension dramatique, le grand retour de Luther (Ving RHAMES) et enfin, Ilsa Faust (Rebecca FERGUSON) le seul nouveau personnage qui dote enfin la saga d'une héroïne digne de ce nom, celle-ci pouvant être vue comme une sœur jumelle de Ethan Hunt. Son nom renvoie à son statut maudit de louve solitaire en tant qu'agent infiltré contraint de servir l'ennemi. Tout dans son comportement dénote une grande empathie vis à vis d'Ethan dont elle ne comprend que trop le sens du sacrifice poussé jusqu'au martyre. Sa présence fait ressortir l'humanité et donc l'aspect faillible d'Ethan Hunt comme le montre la scène d'apnée. Quant à l'aspect tragique de ces deux destinées, il est magnifié par une scène d'opéra qui lorgne clairement du côté de "L Homme qui en savait trop" (1956) de Alfred HITCHCOCK. Bref, sans perdre son ADN (exotisme, action, haute-technologie, espionnage), la saga acquiert une densité humaine appréciable.
On a beaucoup évoqué à propos de "Usual Suspects" et plus particulièrement de son fil directeur, la pépite que constitue l'interrogatoire du témoin Roger Verbal Kint par l'inspecteur Kujan une réactualisation des grands duels de la Grèce antique: celui d'Ulysse aux mille ruses ("mon nom est personne") contre le Cyclope crédule et aveugle ou encore celui des sophistes contre Platon. Tout ceci est justifié. Mais il y a une autre référence littéraire qui m'a sauté aux yeux, qui n"est jamais évoquée et qui me paraît encore plus pertinente, c'est "La lettre volée". Dans cette nouvelle de Edgard Allan Poe, Dupin, un détective privé réussit là où les flics ont échoué car il comprend que la lettre qu'ils cherchent n'est pas cachée mais au contraire elle est mise bien en évidence juste sous leur nez. Seulement personne n'y fait attention car le voleur lui a donné l'apparence d'un papier ordinaire et sans valeur. Christopher McQUARRIE, le scénariste de "Usual Suspects" est lui-même un ancien détective et a donc eu la même idée: mettre le véritable coupable sous le nez de l'inspecteur sans que jamais celui-ci ne le soupçonne en raison d'un travestissement qui fait de lui en apparence un être ordinaire et sans valeur. Roger Verbal Kint semble en effet l'antithèse absolue de l'image que le milieu très machiste de la police se fait du Caïd de la pègre: faible, infirme, peureux, sensible, passif, dominé bref vulnérable et féminin. Un rôle dans lequel il est d'autant plus crédible qu'il a renoncé à son ego comme à ses attaches sur terre ce qui lui confère une dimension mystique (ne dépeint-il pas leur commanditaire, Keyser Söze comme insaisissable et évanescent telle une divinité maléfique omnipotente?). Il n'en faut pas plus pour mystifier Kujan. Celui-ci est aveuglé par ses préjugés qui l'orientent vers Keaton (Gabriel BYRNE) qui offre un profil en adéquation avec l'idée qu'il se fait du Caïd. Il est également victime d'un complexe de supériorité que Kint, bon connaisseur du milieu et de ses travers a su susciter en lui. Sous-estimer son adversaire est fatal et ce d'autant plus qu'il n'a jamais considéré Kint comme tel. Pourtant un spectateur attentif peut remarquer qu'avant d'entamer son récit, Kint balaye des yeux le décor pour y puiser son inspiration (la brillante interprétation de Kevin SPACEY joue beaucoup sur le contraste entre l'intelligence de son regard et l'apparence stupide du reste de sa personne). Car l'autre grande caractéristique du personnage, en contradiction avec son apparence, est sa maîtrise du langage, de l'éloquence et de l'art de la narration. "Verbal" Kint est un double du réalisateur Bryan SINGER et du scénariste Christopher McQUARRIE, il mène en bateau Kujan (le spectateur) qui n'y voit que du feu. Kint démontre ainsi qu'il est bien l'empereur (Keyser/Kaiser) du verbe (Sõze en turc). Car qui possède le langage détient le pouvoir. Échec et mat.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.