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La famille Asada (Asada-ke!)

Publié le par Rosalie210

Ryota Nakano (2023)

La famille Asada (Asada-ke!)

"Tel père, tel fils" (2013) était le titre d'un film de Hirokazu KORE-EDA, grand cinéaste japonais de la famille. Il aurait pu être aussi celui du film de Ryôta NAKANO. Même si les autres membres ont leur rôle à jouer, la famille Asada doit son caractère atypique voire marginal à Akira (Mitsuru HIRATA) et à Masashi (Kazunari NINOMIYA). A contre-courant des sempiternels clichés sur la famille japonaise avec son salary man débordé, son épouse au foyer dévouée et leurs enfants incarnant (au choix) soit la photocopie du modèle parental, soit tous les dysfonctionnements de la société japonaise, dès les premières images, on sait que l'on n'aura pas affaire à des gens "normaux". Déjà parce que les parents ont interverti leurs rôles: Akira gère le foyer pour permettre à son épouse de se réaliser professionnellement sans éprouver de culpabilité. Et c'est lui qui compose l'album de photos de famille jusqu'au jour où il donne son appareil à Masashi. Alors que son grand frère suit une trajectoire traditionnelle, Masashi qui arbore un look assez subversif (il est notamment tatoué ce qui au Japon est associé à la criminalité et aux yakuzas) passe de nombreuses années à se chercher jusqu'à ce qu'une conversation avec son père ne lui donne le déclic: il sera le portraitiste de sa famille. Occupant la place de l'artiste, il immortalise les siens dans les rôles qu'ils auraient aimé expérimenter au cours de leur vie (pompier, yakuza, pilote de formule 1 etc.) et compose un album qui finit à la longue par trouver son public: d'autres familles dont Masashi va capturer l'essence. Jusqu'à ce que le tsunami de 2011 ne l'amène à se porter bénévole pour sauver des décombres un maximum de clichés et les restaurer afin de permettre aux survivants de récupérer leurs souvenirs. L'affichage de ces milliers de photos a un énorme impact mémoriel: on pense à celles qui sont exposées à Birkenau et qui racontent elles aussi la vie "d'avant la catastrophe".

Drôle, ludique et émouvant, le film de Ryôta NAKANO est une tendre chronique familiale autant qu'une réflexion sur la place de l'artiste (particulièrement dans une société aussi normative que celle du Japon assez peu propice à l'épanouissement de talents singuliers). Il conduit aussi à s'interroger (y compris pour nous, occidentaux) sur ce que signifie une vie réussie. Akira et Masashi, parce qu'ils bousculent les repères peuvent passer pour des "losers", des "ratés" alors que le film montre l'inverse. Il donne envie de rencontrer le regard si humain du vrai Masashi Asada car l'histoire est inspirée de faits réels et l'album de famille reproduit fidèlement l'original, couronné du prestigieux prix Kimura Ihei en 2008.

La famille Asada (Asada-ke!)

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Mademoiselle Ogin (Ogin-sama)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1962)

Mademoiselle Ogin (Ogin-sama)

"Mademoiselle Ogin" est le dernier des six films de Kinuyo TANAKA et c'est mon préféré. Le fait qu'il fasse penser à "Les Amants crucifiés" (1954) doit jouer car c'est un film que j'aime profondément. Comme chez Kenji MIZOGUCHI, une scène prémonitoire montre les préparatifs de la crucifixion de celle ou de ceux qui bravent le patriarcat (droit du seigneur, mariage arrangé etc.) pour vivre un amour interdit. C'est également le seul film de Kinuyo TANAKA qui appartienne au genre du Jidai-geki qui désigne les films historiques situés à l'époque féodale, plus précisément ici au XVI° siècle. Son seul autre film en couleur, "La Princesse errante" (1960) était également un film historique mais appartenant au Gendai-geki c'est à dire se situant à l'époque contemporaine (les années 1930 et 1940). "Mademoiselle Ogin" est une splendeur visuelle, les plans sont composés comme des tableaux avec un souci impressionnant du détail, les costumes sont flamboyants et cet écrin magnifique est au service d'une histoire simple et forte, tirée de faits réels. La fille d'un célèbre maître de thé tombe amoureuse d'un samouraï chrétien alors que cette religion importée d'Occident par des missionnaires est interdite, préfigurant la fermeture quasi-totale du Japon aux échanges extérieurs durant près de trois siècles sous les shogun Tokugawa. Mais Ukon qui a épousé un idéal de dévotion et de chasteté repousse Ogin et l'incite même à se marier avec un commerçant adoubé par sa famille. Seulement, Ogin reste fidèle à Ukon (qui une fois "déradicalisé" accepte son amour pour elle) et rejette son mari puis le puissant et odieux Seigneur Hideyoshi qui fait exécuter tous ceux qui lui résistent. Son goût pour l'étalage ostentatoire de sa richesse (il fait décorer son salon de thé entièrement en or) n'est pas sans rappeler un certain Donald Trump! Face à lui comme face aux autres hommes, Ogin reste d'une droiture inébranlable.

"Mademoiselle Ogin" est donc la consécration ultime de la grande cinéaste qu'était Kinuyo TANAKA qui grâce à un studio indépendant (fondé par des femmes) a pu obtenir le budget conséquent pour réaliser un film d'ordinaire réservé aux cinéastes les plus aguerris avec autant de maîtrise qu'eux et un regard féminin en prime.

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Sidney Poitier, le révolutionnaire d'Hollywood (Sidney Poitier - Der Mann, der Hollywood veränderte)

Publié le par Rosalie210

Katja RUNGE, Henning VAN LIL (2022)

Sidney Poitier, le révolutionnaire d'Hollywood (Sidney Poitier - Der Mann, der Hollywood veränderte)

"Il a été le premier". C'est par cette accroche que débute le documentaire consacré à Sidney POITIER. Un bien lourd fardeau, celui d'avoir été la première star hollywoodienne afro-américaine et ce en pleine période du mouvement pour les droits civiques. Premier à avoir joué dans des rôles majeurs au sein de films mainstream et premier aussi à avoir reçu l'oscar du meilleur acteur en 1964 pour "Le Lys des champs" (1963), Sidney POITIER ne pouvait pas seulement être un acteur. Son statut de pionnier de l'intégration raciale à Hollywood en faisait un symbole politique et le plaçait dans une position identitaire particulièrement inconfortable et ce, des deux côtés de la barrière. Ainsi, à l'apogée de sa carrière en 1967 avec trois films importants dont "Dans la chaleur de la nuit" (1967) où il frappait un blanc sudiste raciste et "Devine qui vient dîner ?" (1967) où il embrassait une blanche alors qu'au début du tournage, 17 Etats interdisaient encore les unions interraciales dans un pays à la mentalité WASP obsédé par la pureté du sang, il se retrouva accusé dans un article intitulé "Mais pourquoi l'Amérique blanche aime-t-elle tant Sidney Poitier?" d'être "L'Oncle Tom" des blancs, une insulte désignant les noirs serviles et soumis (dont le personnage joué par Samuel L. JACKSON dans "Django Unchained" (2012) est l'archétype). Sa réplique fut mémorable: "Je suis un artiste, un homme, un américain, un contemporain. Je suis la somme de tout cela et je souhaiterais que vous me respectiez comme tel". Le documentaire souligne en effet que l'engagement de l'acteur dans le combat pour les droits civiques ne s'arrêtait pas à l'écran et qu'il fut bien évidemment victime de racisme (et même de mais ce n'était pas ce qu'il souhaitait mettre en avant. Comme Jean-Pierre BACRI avec les origines pied-noir, il refusait de se laisser enfermer dans "la négritude de sa vie" alors que comme tous les êtres humains, son identité était multiple. Ce qu'on retient de lui avant tout, c'est sa classe, son élégance, sa dignité, sa hauteur de vue. Agé et enfin reconnu à sa juste valeur (notamment par Barak Obama), son aura ressemble à celle de Nelson Mandela. Et il y a dans le documentaire comme un petit parfum de revanche lorsque plusieurs intervenants ironisent sur le caractère trop parfait du personnage qu'il interprète dans "Devine qui vient dîner ?" (1967) (film par lequel je l'ai découvert). L'aspect trop lisse et courtois de ses personnages lui a été souvent reproché dans les années 1960 mais en 2022, l'évidence, c'est que dans la réalité, un épidémiologiste célèbre travaillant à l'OMS ne s'intéresserait pas à une petite dinde de vingt ans, il aurait toutes les femmes à ses pieds.

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Babylon

Publié le par Rosalie210

Damien Chazelle (2023)

Babylon

Le sens de la démesure et la caméra frénétique de Damien CHAZELLE n'avaient jusqu'à présent produit chez moi que du rejet. Il faut dire que son positionnement ambigu vis à vis de Fletcher, le "sergent-instructeur Hartman" du conservatoire (cherchez l'erreur, les vrais musiciens de jazz l'ont trouvé) de "Whiplash" (2014) et son choix de faire une comédie musicale avec des acteurs qui n'étaient ni chanteurs ni danseurs dans "La La Land" (2015) avaient fini par me faire croire qu'il avait un rapport complètement tordu avec le spectacle en général et la musique en particulier. Pourtant cette fois-ci, le "bullshit" derrière le glamour est mieux assumé, la bande-originale de Justin HURWITZ m'a emballée et je n'ai pas vu passer les 3h que dure le film. C'est un show qui semble surgir du visionnage final de "Chantons sous la pluie" (1952): derrière les rires que déclenche la séquence du "Spadassin royal" avec sa maîtrise approximative du sonore, la voix de crécelle de Lina Lamont/Jean HAGEN et le jeu outré de Don Lockwood/Gene KELLY qui répète "I love you" à x reprises, combien de sang et combien de larmes? L'histoire du cinéma est pavée de stars du muet qui ont tout perdu avec l'arrivée du parlant et ont sombré dans la déchéance quand elles ne se sont pas suicidées. Pour une Greta GARBO ou un Charles CHAPLIN qui s'en sont sortis, combien de Clara BOW (principale source d'inspiration du personnage de Nellie LaRoy jouée par Margot ROBBIE) ou de John GILBERT (la référence qui vient tout de suite à l'esprit pour le personnage de Jack Conrad joué par Brad PITT, Gilbert ayant également inspiré le personnage de George Valentin dans "The Artist") (2011)? Le film de Damien CHAZELLE retrace l'ascension et le succès fulgurant puis la chute inexorable de ces étoiles filantes dans une série de morceaux de bravoure qui se succèdent à un rythme trépidant sans que l'on ait jamais le temps de reprendre son souffle. La scène de la fête orgiaque virtuose qui sert d'introduction au film avec ses excès en tous genres donne le ton. Mi-fascinés, mi-dégoûtés (car Damien CHAZELLE à l'image de Ruben ÖSTLUND ne lésine pas sur les litres de déjections diverses et variées), on assiste à ce spectacle de l'extrême dont Conrad est le roi et dont Nellie devient la reine en forçant le destin. La débauche n'étant que le revers du puritanisme*, on comprend donc que Hollywood se nourrit de rêves tout en se gavant en coulisses de pouvoir et de fric sur le dos de milliers de petites mains exploitées jusqu'à la mort lors des tournages sans épargner ses anciennes gloires, jetées aux ordures après usage.

Si Jack et Nellie sont fictifs (bien qu'inspirés de personnes ayant réellement existé), beaucoup de personnes qui gravitent autour d'elles apparaissent sous leur véritable identité, notamment les producteurs, paparazzi, mafieux et magnats de la presse. Mais parmi les personnages secondaires, les plus intéressants sont ceux qui représentent les minorités. Manny le mexicain qui en tant que serviteur de Jack et chevalier servant de Nellie est un témoin privilégié de ce monde sans jamais en faire partie occupe la place du spectateur (comme Cecilia dans "La Rose pourpre du Caire") (1985). La chinoise lesbienne Lady Fay Zhu (elle aussi inspirée d'une personne ayant réellement existé) est réduite au rôle d'attraction alors que le destin tragique de son modèle aurait mérité d'être creusé (en tant que sino-américaine, elle ne trouva jamais sa place nulle part et passa l'essentiel de sa carrière à errer d'un pays à l'autre en quête de reconnaissance). Enfin la présence du trompettiste noir Sidney Palmer permet d'évoquer la ségrégation raciale qui régnait sur les plateaux et la pratique insultante du blackface.

* La scène où une jeune actrice qui divertissait sexuellement un homme obèse fait une overdose, mettant celui-ci en fâcheuse posture rappelle l'affaire Roscoe ARBUCKLE.

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Bacri, comme un air de famille

Publié le par Rosalie210

Erwan le Gac, Stéphane Benhamou (2022)

Bacri, comme un air de famille

Pour le deuxième anniversaire de sa disparition, France 5 rend hommage à Jean-Pierre BACRI en proposant après la diffusion de "Les Sentiments" (2003) dans lequel il joue un rôle inhabituel le documentaire de Erwan LE GAC et Stéphane BENHAMOU qui retrace sa vie et sa carrière. Narré par Gilles LELLOUCHE, le film est assez classique sur la forme, faisant intervenir des amis et des collaborateurs entre deux scènes d'archives (mais pas tous. Agnès JAOUI brille ainsi par son absence). Sans prétendre éclairer toutes les facettes de sa personnalité, le film parvient tout de même par moments à sortir de l'anecdotique ou des platitudes. Il y a déjà tous les passages où à l'occasion de remises de prix ou d'émissions radio ou tv, Jean-Pierre BACRI a marqué les esprits avec son intelligence et son franc-parler. On peut ainsi rapprocher deux moments où il manie l'ironie pour dénoncer l'hypocrisie bien-pensante sur l'écologie (se payant la tête de Hulot au passage), l'autre dans lequel il feint de n'avoir aucune revendication à porter sur la place publique, preuve selon laquelle il est bien entré dans le système. Tant sur la forme que sur le fond, on reconnaît le Bacri observateur critique de son milieu et de son époque et ne s'épargnant pas lui-même. Ensuite il y a son rapport à ses origines dans lesquelles il a refusé de se laisser enfermer. Avant sa rencontre avec Agnès JAOUI qui l'a hissé au rang de co-auteur de pièces de théâtre et de scénarios de films, Jean-Pierre BACRI était l'acteur pied-noir de service, ce type de rôle culminant dans "Le Grand pardon" (1981) qui lui a permis de connaître une certaine notoriété. Mais contrairement à Roger HANIN avec lequel il a fini par se brouiller, Jean-Pierre Bacri détestait le communautarisme sous toutes ses formes. Il y a beaucoup de lui dans Castella, le chef d'entreprise autodidacte de "Le Goût des autres" (1999) (un des rôles dans lesquels je le préfère) qui s'ouvre à l'art, à la culture et aux autres en bravant courageusement le mépris et les humiliations des chapelles d'intellos snobinards. Et côté coulisses, c'est à lui et à Agnès JAOUI que l'on doit d'avoir enfin vu au cinéma dans un rôle important Anne ALVARO, cette formidable actrice qui était jusque-là cantonnée dans le milieu du théâtre (comme Jean-Pierre BOUVIER qui lui a mis le pied à l'étrier et que j'ai eu plaisir à revoir*). Le théâtre qui est aussi la matrice de la rencontre fructueuse avec Alain RESNAIS dont pourtant il n'avait rien compris dans sa jeunesse à "Hiroshima mon amour" (1958). Cet universalisme, on le retrouve jusque dans "Le Sens de la fête" (2016) où il dirige une brigade de carpes et de lapins qu'il cherche à fédérer, tel le double du duo de réalisateurs Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE qui réunissent dans un même film des acteurs jouant dans des univers très éloignés.

* Au cinéma, en dehors de Roger HANIN, son autre "parrain" a été Lino VENTURA.

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Les Sentiments

Publié le par Rosalie210

Noémie Lvovsky (2003)

Les Sentiments

"Les Sentiments" (2003) c'est l'art de customiser le bon vieux théâtre de boulevard, celui de l'adultère bourgeois où tôt ou tard on entendra un "ciel mon mari!" sauf que c'est la femme trompée qui découvre le pot aux roses. Le fond étant donc assommant, le film vaut pour sa forme, très recherchée et ses acteurs, bien que Nathalie BAYE en fasse un peu trop dans le rôle de la desperate housewife hystérique alors que Melvil POUPAUD en revanche est franchement transparent. On n'a donc d'yeux que pour Jean-Pierre BACRI dans un contre-emploi qui est une bonne idée sur le papier mais qui tourne presque exclusivement autour de son réveil priapique devant la plastique de la charmante et fraîche Isabelle CARRÉ qui passe une partie de son temps en tenue d'Eve et l'autre, à regarder Bacri avec des yeux énamourés. Si le travail sur la couleur est incontestablement une réussite qui fait penser à du Jacques DEMY avec des costumes assortis aux décors très colorés, je suis moins convaincue par la chorale d'opérette qui intervient pour annoncer les événements. Les choristes (sur)jouent de façon malhabile en chantant ce qui est quelque peu déplaisant. Quant aux paroles, elles nous ramènent une fois de plus la plupart du temps au-dessous de la ceinture. On est très loin de l'élégance et de la richesse de l'univers de Alain RESNAIS dont Noémie LVOVSKY dit s'être inspirée lorsqu'elle a vu "On connaît la chanson" (1997) (et qui lui a sans doute donné envie de diriger Jean-Pierre BACRI). Bien que je la soupçonne également au vu de la configuration des lieux (deux maisons se faisant face) d'avoir voulu créer une version lumineuse du très sombre et torturé "La Femme d'à côté" (1981).

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Hôtel des Amériques

Publié le par Rosalie210

André Téchiné (1981)

Hôtel des Amériques

Une histoire d'amour entre deux êtres désynchronisés qui commencent par se percuter, puis se retrouver dans des lieux de passage sans identité (quai de gare, chambre d'hôtel, appartement meublé) alors que plane au centre de l'histoire une vaste demeure décrépite qu'ils ne parviendront jamais à habiter, le tout dans une station balnéaire cafardeuse. Catherine DENEUVE est parfaite dans le rôle d'une anesthésiste dont les sentiments sont anesthésiés par la perte de son ancien compagnon qu'elle traîne partout avec elle comme un fantôme sauf lors de brefs moments de répit où elle semble revivre. Face à elle, Patrick DEWAERE joue le rôle d'un paumé à fleur de peau qui ne parvient pas à s'accorder à elle: leurs tempéraments mais aussi leurs univers respectifs sont trop différents. Hélène est indissociable de son milieu bourgeois incarné par un ex-amant médecin, Rudel (François PERROT) qui hante le casino de Biarritz. Gilles qui vit encore chez sa mère, vivote de petits boulots et est inséparable d'un autre marginal, Bernard (Étienne CHICOT) dont le comportement est celui d'un amant jaloux et blessé (ce qui donne une scène de quiproquo assez drôle dans ce film à la tonalité globalement dépressive). Mais comme Bernard n'assume pas son homosexualité, il est odieux avec à peu près tout de monde, que ce soit sa copine Colette (Josiane BALASKO) ou l'ami homosexuel affiché de celle-ci, Luc (Jean-Louis VITRAC). Cet approfondissement des personnages s'accompagne d'un travail d'atmosphère tout à fait remarquable dû notamment à la somptueuse photographie de Bruno NUYTTEN et à la musique de Philippe Sarde. Biarritz se prête décidément bien aux films en forme d'horizons bouchés, de "Le Rayon vert" (1986) à "Les Derniers jours du monde" (2008).

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Faire Face (Never Fear)

Publié le par Rosalie210

Ida Lupino (1949)

Faire Face (Never Fear)

Deuxième film de Ida LUPINO (le premier qu'elle a entièrement réalisé), "Faire Face" se situe dans la continuité du premier "Avant de t'aimer" (1949) abordant avec un réalisme semi-documentaire un sujet délicat escamoté dans le cinéma hollywoodien "mainstream". C'est avec plaisir qu'on retrouve le touchant duo formé par Sally FORREST et Keefe Brasselle qui interprètent ici un couple de danseurs sur le point de se fiancer mais qui est brutalement frappé par l'épreuve de la maladie. Dans sa jeunesse, Ida LUPINO a contracté la poliomyélite dont le vaccin n'avait pas encore été découvert et la rééducation de son héroïne a lieu dans le centre où elle-même a été soignée. Ce qui explique sans doute que tant d'éclopés traversent ses films. Mais le récit, malgré son potentiel mélodramatique (comme celui de "Avant de t'aimer") (1949) est surtout âpre et critique. Critique encore une fois envers la société américaine et son culte de la réussite qui exclut de fait tous ceux "qui n'y arrivent pas", tous ceux qui pour une raison ou pour une autre dérogent au modèle dominant. Et âpre dans sa manière d'aborder la crise d'identité que traverse Carol dont la maladie ébranle l'édifice de sa personnalité et la fait douter de son avenir avec Guy. Dans une scène éloquente, on la voit sauvagement défigurer le visage féminin d'un couple de glaise et dans plusieurs autres, rejeter son compagnon avec virulence. Si Carol souffre du dégoût de soi lié à son handicap, Guy endosse le rôle du personnage désemparé cher à la réalisatrice. Chacun d'eux est attiré par des forces centrifuges sans parvenir pour autant parvenir à renoncer à l'être aimé. Dans une scène étonnante, on voit les pensionnaires du centre de rééducation danser en fauteuil, Carol y nouant (au sens propre et figuré) une relation privilégiée avec Len (Hugh O'Brian). De son côté, après une brève expérience ratée dans une agence immobilière qui vend des "maisons heureuses" (coup de griffe évident à "l'american way of life" d'autant que le patron cherche à expulser un propriétaire qui n'a pas remboursé son crédit depuis huit mois), Guy se rapproche de son ex-collègue, Phyllis (Eve MILLER). Len et Phyllis ne sont pas négligés par Ida LUPINO, chacun d'eux est représenté avec beaucoup de dignité, exprimant leurs aspirations et leur refus d'être un choix par défaut. Guy doit donc accepter de découpler sa partenaire de travail de celle avec laquelle il veut partager sa vie et Carol, reconnaître que sa valeur ne se résume pas à ce qu'elle peut produire.

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Le passé recomposé (The Tale)

Publié le par Rosalie210

Jennifer Fox (2017)

Le passé recomposé (The Tale)

Comme "Les Chatouilles" (2018) ou "Slalom" (2019), le "Passé recomposé" est le récit autobiographique et cathartique de l'abus sexuel vécu par la réalisatrice quand elle était mineure. Cependant, l'approche en est différente. Si comme dans "Les Chatouilles", le récit effectue des allers-retours entre le présent et le passé et si comme dans "Slalom" il s'agit d'une relation d'emprise d'un coach sur une pré-adolescente douée pour un sport, le téléfilm de Jennifer Fox ne raconte pas comment elle s'est reconstruite mais comment elle a survécu dans le déni durant 35 ans. "The Tale" (le titre en VO) est en effet le récit qu'elle a élaboré à partir de son expérience vécue sous forme de journal pour sa classe, précisant à sa professeur qu'il était fictif. Et en un sens, c'est vrai, même si sa professeur y décèle derrière la prétendue histoire d'amour une situation d'abus sur mineur. Car dans ce récit, Jenny n'est pas une victime mais une héroïne qui découvre, loin de la vie terne dans sa famille où elle se sent invisible, un monde merveilleux peuplé de gens merveilleux. Des images se répètent dans lesquelles on voit Mrs.G (Elizabeth DEBICKI) qui possède un haras accueillir Jenny en souriant telle une bonne fée accompagnée d'un tout aussi souriant Bill (Jason RITTER) l'entraîneur. En admiration devant ces adultes jeunes et beaux comme des dieux qui semblent aux petits soins pour elle, Jenny se sent enfin remarquée et même "élue" par rapport aux autres élèves moins douées, moins jolies ou mieux protégées par leurs parents. En effet les siens, trop occupés par leur nombreuse progéniture sont ravie de la confier tout un été puis tous les week-ends à ces gens si serviables qui vont même la chercher à l'école. En dépit de certains signes qui auraient dû les alerter, les parents s'aveuglent jusqu'à interdire à leur fille une sortie avec un garçon de son âge, lui interdisant en quelque sorte de découvrir la sexualité d'une façon saine.

Le film raconte l'histoire de la déconstruction progressive de ce récit forgé comme un acte de survie lorsque la mère de Jenny le découvre dans un carton 35 ans plus tard et, bouleversée par sa lecture le lui envoie. A la manière d'une enquête (avec des témoins, des preuves écrites etc.), Jenny (Laura DERN, double de la réalisatrice) retrouve progressivement la mémoire des faits tels qu'ils se sont réellement passés, part à la recherche de ses anciens prédateurs devenus des vieillards desséchés ou boursoufflés, loin de l'image idéalisée qu'elle avait gardé d'eux, se confronte à la réalité de la pédophilie lorsqu'elle regarde sa photo à 13 ans alors qu'elle croyait en avoir 15, se souvient de détails qui ne pouvaient être que ceux de viols répétés dans des situations sordides où elle était le jouet sexuel du couple. Elle mesure également combien ce passé a ravagé sa vie personnelle et sa propre sexualité alors que sa mère doit faire face à sa culpabilité de n''avoir pas su la protéger.

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Gentlemen & Miss Lupino

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2021)

Gentlemen & Miss Lupino

Deuxième documentaire des soeurs Kuperberg que je découvre après "Hannibal Hopkins et Sir Anthony" (2020), "Gentlemen & Miss Lupino" s'avère tout aussi passionnant. Le titre fait référence aux assemblées générales de la Directors Guild of America, le syndicat des réalisateurs de cinéma qui commençaient par la formule "Gentlemen and Miss Lupino" parce que sur les 1300 membres de l'organisation, elle était la seule femme. La raison de cette exception à la règle est très bien expliquée au début du documentaire. Lorsque le cinéma hollywoodien est devenu une industrie puissante au début des années 20 en se structurant au sein des grands studios les femmes qui étaient jusque-là nombreuses dans tous les types de poste ont été exclues de la production et de la réalisation des films, c'est à dire des postes de pouvoir. Le syndicat qui représentait les intérêts de l'industrie hollywoodienne a beaucoup fait pour en faire un club exclusivement masculin. Si Ida LUPINO a pu intégrer l'organisation en 1950, c'est en raison du succès de ses premiers films, réalisés de façon indépendante grâce à la fondation de son propre studio avec son mari de l'époque, Collier YOUNG. A l'origine, Ida Lupino ne souhaitait être que scénariste et productrice mais la défaillance cardiaque de Elmer CLIFTON sur le tournage de "Avant de t aimer" (1949) lui fit sauter le pas de la réalisation. En tant qu'actrice, elle était déjà une rebelle qui se faisait régulièrement suspendre parce qu'elle refusait de se plier aux diktat des studios. Le documentaire analyse ensuite ses films, en rupture avec le classicisme hollywoodien et qui par bien des aspects annoncent la nouvelle vague du cinéma français et indépendant US (la parenté avec John CASSAVETES m'a frappé, particulièrement dans "Le Voyage de la peur") (1953). Les thèmes traités, tabous pour l'époque sont également un défi posé à une Amérique alors au sommet de son modèle social conservateur dans lequel la femme ne peut exister que dans le rôle d'épouse et de mère au foyer. Le viol, la maladie, la grossesse non désirée, l'adultère viennent bousculer le conformisme ambiant. Enfin, le documentaire explique les raisons pour lesquelles Ida Lupino n'a réalisé que sept longs-métrages de cinéma, sa société ayant fait faillite prématurément suite à de mauvais choix de ses associés. Si elle a pu se reconvertir avec succès dans la réalisation d'épisodes de séries pour la télévision, son identité s'y est retrouvée noyée dans la masse et son travail pour le cinéma est sombré dans l'oubli, la réalisatrice n'ayant pas en dépit de son succès suscité d'intérêt auprès des médias et des spécialistes. Dernier point à souligner, outre les intervenants extérieurs qui apportent des éclairages sur ses films et son parcours, le documentaire est parsemé d'extraits de l'autobiographie (non traduite) de Ida Lupino, "Beyond the Camera" dans laquelle elle explique que pour se faire respecter du milieu masculin dans lequel elle travaillait, elle endossait le rôle de "Mother of all of us" (Notre mère à tous) qui était écrit en lieu et place de son nom sur son fauteuil de réalisatrice. Et elle pratiquait l'art de la suggestion plutôt que celui de l'injonction.

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