Ce n'est pas parce que "La Fracture" rend compte d'une crise aigue de la société française à travers son hôpital public qu'il fallait sombrer à ce point dans l'excès hystérique et la caricature. Cet aspect "too much" se retrouve partout: des urgences saturées, en sous-effectif, assiégées par une altercation entre gilets jaunes et forces de l'ordre qui se déroule à ses grilles et se conclue par un lancer des grenades lacrymogènes dont les émanations envahissent les bâtiments, des plafonds qui tombent en lambeaux, des médicaments qui manquent, des gens qui hurlent partout, une prise d'otage et tout ça en même temps bien sûr... n'en jetez plus! D'autant que si on veut traquer les incohérences, ce n'est pas très compliqué de les trouver. Le mari de Kim l'infirmière qui débarque avec son bébé malade alors que l'hôpital est censé être en état de siège par exemple. Ou le lancer de gaz lacrymogène dans l'enceinte de l'hôpital (n'importe quoi!) Que la répression des manifestations des Gilets jaunes ait été excessive, c'est manifeste et cela constitue un authentique scandale. Que l'hôpital public, sous-doté en moyens matériels et humains s'enfonce dans des crises à répétition est un problème de société majeur. Mais il est indécent de comparer avec la destruction d'hôpitaux situés dans de véritables zones de guerre du genre Gaza. Surtout, la où le bât blesse le plus selon moi, c'est d'avoir mis l'accent sur des personnages aussi simplistes, tête-à-claques qui en plus ne sont pas crédibles pour deux sous. J'en ai très vite eu par-dessus la tête de voir le personnage de Valeria BRUNI-TEDESCHI insupportable d'égocentrisme chouiner et hurler sur sa petite amie au milieu de toute cette détresse humaine. D'ailleurs, que fait elle à cet endroit, n'a-t-elle pas les moyens vu sa catégorie socio-professionnelle de se payer une clinique privée? Bien qu'en terme de décibels, elle soit bien concurrencée par Yann, le personnage de Pio MARMAI auquel on ne croit pas une seconde en prolo revendicatif et buté. La nullité des dialogues, affligeants de manichéisme n'aide pas, c'est certain. Même un personnage beaucoup plus en retrait mais bien plus intéressant, celui d'une manifestante qui n'a cessé de minimiser sa douleur est obligée d'expliquer par A + B combien elle était pacifique et combien l'agression qu'elle a subi de la police était injustifiée. Ne valait-il pas mieux le montrer plutôt que les stupides provocations de Yann narguant les CRS qui passe son temps à jouer les rebelles en se regardant filmer? Bref, ça ne fait pas dans la dentelle et c'est pénible à voir.
"La nouvelle Eve" m'avait laissé le souvenir d'un vaste bordel sentimental charrié par l'héroïne mais j'avais complètement oublié qu'il existait deux camps dans le film. Celui des Camille libérées et paumées et celui des couples petits-bourgeois étriqués qui en prennent pour leur grade, que ce soit celui du frère rabat-joie de Camille (Laurent LUCAS) ou celui d'Alexis (Pierre-Loup RAJOT) flanquée d'une tour de contrôle jouée par Catherine FROT. Ce genre de petit couple conformiste, on en connaît tous (normal puisque le conformisme est fait pour se dupliquer) et le moule social que cherche à dénoncer Catherine CORSINI est si fort qu'il contamine jusqu'aux amies lesbiennes de Camille. De ce point de vue là, le film voit juste, il faut dire qu'il a été réalisé à l'époque de la mise en place du PACS et précède d'une quinzaine d'années le mariage pour tous. Le PS comme réceptacle des notables (la "gauche caviar") est également dénoncée avec justesse étant donnée que l'on sait aujourd'hui que cela a fini par tuer le parti. Ce sont ces normes sociales étouffantes qui étaient déjà dénoncées dans les années 70 dans des films tels que "Cousin cousine" (1975) que rejette Camille (Karin VIARD). Celle-ci apparaît comme la précurseure de personnages tels que celui de Christina dans "Vicky Cristina Barcelona" (2007) qui sait ce qu'elle ne veut pas mais ne sait pas ce qu'elle veut ou encore de Bahia dans "Le Nom des gens" (2010) dont les méthodes de conversion aux idéaux de gauche sont peu orthodoxes. Bref, c'est frais, pétillant, impulsif, parfois franchement loufoque (Camille boit plus que de raison, se trompe de soirée, saute sur le premier inconnu ou branche la première inconnue qui passe, se cogne aux murs, balance cash ses quatre vérités dans les situations les plus incongrues) mais ça ne mène nulle part. Sous son vernis d'éternelle adolescente adepte d'un romantisme rock and roll Camille est même le prototype d'une autre forme de conformisme social, un pur produit du boboïsme parisien individualiste adepte des soirées branchouilles, plus attirée par l'adultère avec quelqu'un de sa classe sociale (un pote à son frère) qu'une relation avec son déménageur-camionneur (en plus joué par le charismatique Sergi LOPEZ que j'ai découvert à l'occasion de ce film). Pas très transgressif tout ça au final. Il y a mieux comme modèle de rébellion et elle n'a pas de ce point de vue là inventé l'eau chaude, de même que Catherine CORSINI ne possède ni l'élégance d'un Ernst LUBITSCH, ni le sens du rythme et l'humanisme d'un Howard HAWKS.
L'histoire est puissante comme l'est la personnalité de celle qui la porte, Christine ANGOT. Elle raconte en effet avec beaucoup d'acuité une rencontre qui n'aurait jamais dû avoir lieu et qui a généré autant de violence que de souffrance: celle de ses parents. La réalisation très classique de Catherine CORSINI ôte cependant en grande partie la cruauté, l'âpreté de ce récit. Elle aurait dû fouiller beaucoup plus les portraits respectifs de Rachel et Philippe et choisir deux acteurs complètement dissemblables au lieu du couple assorti Virginie EFIRA-Niels SCHNEIDER. En ce qui concerne Rachel, elle colle trop et trop longtemps à son illusion romantique, à sa croyance en une "passion réciproque". En revanche, elle n'insiste pas assez sur le gouffre socio-culturel qui la sépare de Philippe et sur la guerre sourde que celui-ci lui livre. Pourtant, il y a assez d'éléments distillés dans le film (à commencer par son prénom) pour comprendre que celui-ci est le pur produit d'un milieu bourgeois pétainiste qui n'a pas digéré la défaite. Dans les années cinquante, époque de leur rencontre, le souvenir de la guerre est tout proche et d'une certaine manière, Philippe utilise Rachel comme le moyen pour son clan de prendre une revanche symbolique sur "L'Anti-France" celle du Front Populaire, assimilée aux communistes et aux juifs. Philippe va jusqu'à épouser une allemande et à vanter leur capacité à choyer les hommes à cause des énormes pertes de la guerre. Au cas où l'on n'aurait pas compris son esprit partisan, il ajoute qu'il en va de même des japonaises. Implicitement, Rachel est assimilée à l'autre camp, celui des "rouges" et des anglo-saxons "enjuivés" (peu importe que la Russie compte le plus d'hommes tués au front, on est dans l'idéologie, pas dans le fait historique). L'ennemi à abattre est aussi "l'esprit de jouissance" du Front populaire qui a constitué une période émancipatrice pour les femmes. Philippe ne cesse en effet de reprocher à Rachel d'être trop puissante, de réclamer trop d'attention. De fait, celle-ci réussit à s'accomplir professionnellement et à élever sa fille seule à une époque où cela n'avait rien d'évident. C'est pourquoi il va s'engouffrer dans la principale faille de Rachel qui est son obsession à ce qu'il reconnaisse leur fille, c'est à dire qu'il lui donne son patronyme. Car si Rachel a appris à se passer d'un homme, elle est prisonnière d'une vision patriarcale de la famille qui aujourd'hui a encore beaucoup d'adeptes. L'instrument de la revanche se déplace alors de Rachel sur sa fille Chantal que jamais il ne reconnaîtra comme sa fille car comme le dira plus tard Chantal (alias Christine ANGOT) c'est contraire à la logique de leur camp. Chantal devient donc le plus sûr moyen d'anéantir Rachel et Philippe utilise la plus terrible des armes pour y parvenir.
Il y avait donc de quoi faire un grand film avec ce récit. Mais faute de hauteur de vue, on reste trop au ras des pâquerettes et c'est bien dommage.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.