Arte propose depuis quelques semaines l'adaptation du roman de Victor Hugo "Les Misérables" par la BBC en 2018 sous la forme d'une mini-série de 8 épisodes d'environ 45 minutes. Encore une adaptation pense-t-on mais sans être révolutionnaire, celle-ci comporte quelques atouts dans sa manche:
- Il s'agit d'un retour certes classique mais puriste au roman de Victor Hugo selon la volonté du scénariste, Andrew DAVIES, spécialiste des adaptations littéraires. Exit donc la comédie musicale qui avait rendu le sens de cette oeuvre opaque. Même si la mini-série comporte quelques raccourcis maladroits (par exemple l'évolution de la relation entre Fantine et Valjean n'apparaît pas très naturelle), les personnages sont plus développés que d'ordinaire ce qui permet de mieux les cerner. Leur destin tragique apparaît lié à l'enfermement dans un comportement déconnecté du réel. Par exemple la naïveté de Fantine qui semble ne rien comprendre au fonctionnement de la société, l'aveuglement idéologique de M. Gillenormand qui le tue à petit feu en le coupant de son petit-fils ou la quête obsessionnelle de Javert qui finit par être le seul à continuer à traquer Valjean tandis que le reste de la police est passé à autre chose en même temps que le changement d'époque. Même Jean Valjean qui apparaît comme particulièrement tourmenté ne semble jamais s'être complètement échappé du bagne de Toulon et Cosette doit lutter pour ne pas se faire enfermer elle aussi. Par ailleurs les trajectoires de déchéance comme de rédemption sont développées et poussées à l'extrême. La série s'ouvre sur Thénardier à Waterloo avant que son espace ne cesse de se rétrécir jusqu'au trou à rats. Plus rare, la série suit la Thénardier jusqu'au bout de sa chute tandis que l'épisode souvent passé à la trappe de la liaison de Fantine avec Tholomyès met bien en valeur son décalage par rapport au reste du groupe, homme bourgeois comme femmes ouvrières, tous parfaitement conscients du jeu qu'ils sont en train de jouer. De plus, cette idylle, idéalisée par Fantine rend encore plus cruelle la descente aux enfers qui l'attend.
- Autre qualité de la mini-série, celle d'avoir subtilement modernisé le roman. La guerre des classes dont "Les Misérables" se fait l'écho fait penser aux affrontements d'aujourd'hui entre manifestants et forces de l'ordre. La relation entre Tholomyès et Fantine rappelle un peu "Anora" (2024). Enfin, sans le souligner excessivement, la mini-série donne à voir une société multi-ethnique à l'anglo-saxonne. Javert et Thénardier sont interprétés par des acteurs ayant des origines africaines et indo-pakistanaise (David OYELOWO et Adeel AKHTAR) et les enfants Thénardier sont par conséquent tous trois métis, me rappelant le roman de Elisabeth George, "Anatomie d'un crime" sur le déterminisme social au travers du portrait d'une fratrie londonienne métissée qui ne trouve pas sa place dans la société. Comme dans d'autres adaptations, Cosette joue un rôle beaucoup plus actif que dans le roman, reflet du statut infériorisé des femmes de cette époque.
- Pour finir, l'interprétation est de qualité. On soulignera notamment la performance de Dominic WEST qui est très convaincant dans le rôle de Jean Valjean, Lily COLLINS véritable petit oiseau tombé du nid dans le rôle de Fantine ou Olivia COLMAN, odieuse à souhait dans le rôle de la mère Thénardier. En prime, Derek JACOBI joue le rôle de Monseigneur Myriel.
"Les Misérables" librement adaptés par Claude LELOUCH, c'est une fresque historique courant sur un demi-siècle qui n'est pas sans rappeler le roman-feuilleton populaire* avec ses personnages archétypaux et ses situations ne cessant de faire retour. La structure cyclique du film est d'ailleurs symbolisée par une scène de bal en introduction (en 1900) et en conclusion (cinquante ans plus tard) dans lesquelles la caméra tourbillonne avec les personnages qui dansent. La transposition du roman dans la première moitié du XX° siècle permet de superposer les moments clés de l'intrigue du roman avec les événements les plus dramatiques de cette période, tout particulièrement ceux de la seconde guerre mondiale, les misérables devenant les juifs persécutés. On y croise plusieurs Fantine, Thénardier, Javert, Cosette et Valjean (mais un seul monseigneur Myriel, l'impérial Jean MARAIS). Ils ne sont pas toujours représentés par les mêmes acteurs et à l'inverse, un même acteur peut jouer deux rôles à la fois (Jean-Paul BELMONDO joue d'abord le rôle d'un bagnard, puis celui de son fils qui dans son enfance a été une Cosette exploitée par un Thénardier après la mort de sa mère). Pour complexifier encore cette structure, Henry Fortin (le personnage joué par Jean-Paul BELMONDO) se fait lire des extraits du roman de Victor Hugo et se projette dedans (en Jean Valjean bien sûr). Il faut dire que le film de Claude LELOUCH est également un hommage au cinéma dont on fêtait alors le centenaire. Il est précisé que Henry Fortin est né quasiment avec lui et on le voir regarder enfant des adaptations muettes du roman de Hugo avant qu'adulte, il n'assiste à la projection de celle de Raymond BERNARD. Son père avait sans le savoir croisé lors du bal ouvrant le film Robert HOSSEIN qui avait été le dernier avant lui à endosser le rôle de Valjean au cinéma. Les images avant la lettre puisque Fortin est longtemps analphabète. Enfin ce film choral (une caractéristique du cinéma de Lelouch) est intrinsèquement lié à la prestation saluée d'un César du second rôle de Annie GIRARDOT. En fait, celle-ci lors d'une scène bouleversante où elle semble dépassée par ses émotions ouvre la possibilité de faire bifurquer le récit dans une direction inattendue. Cela ne se concrétise pas hélas, la suite la faisant rentrer dans le rang de son rôle de Mme Thénardier de l'occupation (après Nicole CROISILLE pour la Thénardier de la Belle Epoque, leurs époux respectifs étant joués par Philippe LEOTARD et RUFUS). Mais rien que pour ce moment de grâce, et celui qu'elle a ensuite imprimé lors de la cérémonie des César, le film acquiert un supplément d'âme, épaulé par un Michel BOUJENAH qu'on aurait aimé voir plus souvent dans un tel registre dramatique.
* Même si Victor Hugo ne goûtait guère le roman-feuilleton, son roman finit par être publié en épisodes dans "Le Rappel" co-fondé par lui-même, vingt ans après sa première parution en recueil.
Cette version du roman de Victor Hugo dont j'ai beaucoup entendu parler après avoir vu celle, postérieure de vingt ans de Jean-Paul LE CHANOIS possède un relief saisissant. Même s'il s'agit d'un film parlant, l'influence du muet se fait sentir dans le bouleversement des perspectives, des images prises souvent de biais et en contre-plongée, comme dans l'expressionnisme allemand. Mais il n'y a pas que les images qui ont du caractère, les voix également sont puissantes, même quand elles sortent des petits corps de Cosette et de Gavroche. Car la mise en scène de Raymond BERNARD les fait extraordinairement exister. La sortie nocturne de Cosette pour aller chercher de l'eau prend des allures de film d'épouvante. Ses bras dressés devant son visage en réflexe à chaque approche de la Thénardier suffisent à ellipser les mauvais traitements subis. La mort de Gavroche est filmée comme si le réalisateur le suivait avec une caméra à l'épaule (vu la taille des engins dans les années 30, cela ne peut être qu'une impression). A propos d'épaule Quand Harry BAUR apparaît dans le premier plan du film, celui-ci a une valeur programmatique: il porte le film sur ses épaules comme la croix pesante et invisible que Jean Valjean traîne avec lui partout où il va. Le paradoxe de Jean Valjean s'incarne à la perfection dans son interprétation qui fait ressortir sa force colossale mais aussi son aspect insaisissable. Tour à tour M. Madeleine, maire bienfaiteur de Montreuil-sur-mer, Champmathieu le voleur que tout le monde prend pour Valjean et qu'il vient sortir d'affaire en se dénonçant et Fauchelevent, le charretier dont le sauvetage l'a dénoncé aux yeux de Javert, Jean Valjean n'est pas loin d'incarner la figure de l'ange rédempteur depuis qu'il a été désigné par l'évêque de Dignes (dont l'acteur a joué Valjean dans une version antérieure) comme un missionnaire du bien, chandeliers à la main. On comprend pourquoi cette force de la nature et du ciel fait plier sept ou huit brigands comme elle finit par terrasser Javert (Charles VANEL). J'aime aussi beaucoup la fin, sobre et intimiste, où Marius pour une fois n'est pas une tête à claques pleine de préjugés mais s'incline devant l'autorité naturelle du grand homme. Quant aux Thénardier, ils sont délicieusement crapuleux. Bref une réussite dans les grandes largeurs, en trois parties totalisant près de 5h.
Cette version du roman de Victor Hugo dont j'ai beaucoup entendu parler après avoir vu celle, postérieure de vingt ans de Jean-Paul LE CHANOIS possède un relief saisissant. Même s'il s'agit d'un film parlant, l'influence du muet se fait sentir dans le bouleversement des perspectives, des images prises souvent de biais et en contre-plongée, comme dans l'expressionnisme allemand. Mais il n'y a pas que les images qui ont du caractère, les voix également sont puissantes, même quand elles sortent des petits corps de Cosette et de Gavroche. Car la mise en scène de Raymond BERNARD les fait extraordinairement exister. La sortie nocturne de Cosette pour aller chercher de l'eau prend des allures de film d'épouvante. Ses bras dressés devant son visage en réflexe à chaque approche de la Thénardier suffisent à ellipser les mauvais traitements subis. La mort de Gavroche est filmée comme si le réalisateur le suivait avec une caméra à l'épaule (vu la taille des engins dans les années 30, cela ne peut être qu'une impression). A propos d'épaule Quand Harry BAUR apparaît dans le premier plan du film, celui-ci a une valeur programmatique: il porte le film sur ses épaules comme la croix pesante et invisible que Jean Valjean traîne avec lui partout où il va. Le paradoxe de Jean Valjean s'incarne à la perfection dans son interprétation qui fait ressortir sa force colossale mais aussi son aspect insaisissable. Tour à tour M. Madeleine, maire bienfaiteur de Montreuil-sur-mer, Champmathieu le voleur que tout le monde prend pour Valjean et qu'il vient sortir d'affaire en se dénonçant et Fauchelevent, le charretier dont le sauvetage l'a dénoncé aux yeux de Javert, Jean Valjean n'est pas loin d'incarner la figure de l'ange rédempteur depuis qu'il a été désigné par l'évêque de Dignes (dont l'acteur a joué Valjean dans une version antérieure) comme un missionnaire du bien, chandeliers à la main. On comprend pourquoi cette force de la nature et du ciel fait plier sept ou huit brigands comme elle finit par terrasser Javert (Charles VANEL). J'aime aussi beaucoup la fin, sobre et intimiste, où Marius pour une fois n'est pas une tête à claques pleine de préjugés mais s'incline devant l'autorité naturelle du grand homme. Quant aux Thénardier, ils sont délicieusement crapuleux. Bref une réussite dans les grandes largeurs, en trois parties totalisant près de 5h.
Cette version du roman de Victor Hugo dont j'ai beaucoup entendu parler après avoir vu celle, postérieure de vingt ans de Jean-Paul LE CHANOIS possède un relief saisissant. Même s'il s'agit d'un film parlant, l'influence du muet se fait sentir dans le bouleversement des perspectives, des images prises souvent de biais et en contre-plongée, comme dans l'expressionnisme allemand. Mais il n'y a pas que les images qui ont du caractère, les voix également sont puissantes, même quand elles sortent des petits corps de Cosette et de Gavroche. Car la mise en scène de Raymond BERNARD les fait extraordinairement exister. La sortie nocturne de Cosette pour aller chercher de l'eau prend des allures de film d'épouvante. Ses bras dressés devant son visage en réflexe à chaque approche de la Thénardier suffisent à ellipser les mauvais traitements subis. La mort de Gavroche est filmée comme si le réalisateur le suivait avec une caméra à l'épaule (vu la taille des engins dans les années 30, cela ne peut être qu'une impression). A propos d'épaule Quand Harry BAUR apparaît dans le premier plan du film, celui-ci a une valeur programmatique: il porte le film sur ses épaules comme la croix pesante et invisible que Jean Valjean traîne avec lui partout où il va. Le paradoxe de Jean Valjean s'incarne à la perfection dans son interprétation qui fait ressortir sa force colossale mais aussi son aspect insaisissable. Tour à tour M. Madeleine, maire bienfaiteur de Montreuil-sur-mer, Champmathieu le voleur que tout le monde prend pour Valjean et qu'il vient sortir d'affaire en se dénonçant et Fauchelevent, le charretier dont le sauvetage l'a dénoncé aux yeux de Javert, Jean Valjean n'est pas loin d'incarner la figure de l'ange rédempteur depuis qu'il a été désigné par l'évêque de Dignes (dont l'acteur a joué Valjean dans une version antérieure) comme un missionnaire du bien, chandeliers à la main. On comprend pourquoi cette force de la nature et du ciel fait plier sept ou huit brigands comme elle finit par terrasser Javert (Charles VANEL). J'aime aussi beaucoup la fin, sobre et intimiste, où Marius pour une fois n'est pas une tête à claques pleine de préjugés mais s'incline devant l'autorité naturelle du grand homme. Quant aux Thénardier, ils sont délicieusement crapuleux. Bref une réussite dans les grandes largeurs, en trois parties totalisant près de 5h.
Avant de regarder le film de Jean-Paul LE CHANOIS, je n'avais vu qu'une seule adaptation du roman de Victor Hugo, celle de Robert HOSSEIN dont quelques passages m'avaient marqué, principalement l'exécution des membres du club des amis de l'ABC et le suicide de Javert. En attendant de voir la version de Raymond BERNARD qui de l'avis des connaisseurs est la meilleure (avec Charles VANEL que j'aime beaucoup), j'ai donc profité de la présence des deux parties du film de Le Chanois sur le site de France télévision pour commencer à combler mes lacunes.
Sans être transcendante, "Les Misérables" version Le Chanois tient tout à fait la route grâce à une transcription fidèle du roman de Victor Hugo, des décors de studio soignés (et rehaussés par la restauration récente des images) et une interprétation de haut vol. Cela a été maintes fois souligné mais le trio formé par Jean GABIN, Bernard BLIER et BOURVIL réussit à éclipser le ratage des scènes épiques de la deuxième partie qui sont plates et ennuyeuses ainsi que la plupart des autres personnages, même si Sylvia MONFORT, trop rare au cinéma est émouvante dans le rôle d'Eponine. A l'image de son personnage, Jean GABIN porte le film sur les épaules, sa présence est monumentale. Il ne joue pas Jean Valjean, il est Jean Valjean. Bernard BLIER n'ayant pas la rigidité glacée de Michel BOUQUET montre toute son intelligence de jeu en incarnant un Javert borné puis perdu face à l'énigme insoluble que lui pose le comportement de Valjean étant donné qu'il n'entre dans aucune des cases étanches dans lesquelles il range le bien et le mal. Enfin BOURVIL est absolument génial dans le rôle d'un Thénardier bonimenteur plein de duplicité, veule et sournois très loin de ses emplois habituels de gentils naïfs.
Et pour finir, bien que la présence d'une voix-off alourdisse un film qui n'avait peut-être pas besoin d'autant de pédagogie, c'est toujours un bonheur pour moi d'entendre une voix qui a bercé mon enfance, celle de Jean TOPART.
Avant de regarder le film de Jean-Paul LE CHANOIS, je n'avais vu qu'une seule adaptation du roman de Victor Hugo, celle de Robert HOSSEIN dont quelques passages m'avaient marqué, principalement l'exécution des membres du club des amis de l'ABC et le suicide de Javert. En attendant de voir la version de Raymond BERNARD qui de l'avis des connaisseurs est la meilleure (avec Charles VANEL que j'aime beaucoup), j'ai donc profité de la présence des deux parties du film de Le Chanois sur le site de France télévision pour commencer à combler mes lacunes.
Sans être transcendante, "Les Misérables" version Le Chanois tient tout à fait la route grâce à une transcription fidèle du roman de Victor Hugo, des décors de studio soignés (et rehaussés par la restauration récente des images) et une interprétation de haut vol. Cela a été maintes fois souligné mais le trio formé par Jean GABIN, Bernard BLIER et BOURVIL réussit à éclipser le ratage des scènes épiques de la deuxième partie qui sont plates et ennuyeuses ainsi que la plupart des autres personnages, même si Sylvia MONFORT, trop rare au cinéma est émouvante dans le rôle d'Eponine. A l'image de son personnage, Jean GABIN porte le film sur les épaules, sa présence est monumentale. Il ne joue pas Jean Valjean, il est Jean Valjean. Bernard BLIER n'ayant pas la rigidité glacée de Michel BOUQUET montre toute son intelligence de jeu en incarnant un Javert borné puis perdu face à l'énigme insoluble que lui pose le comportement de Valjean étant donné qu'il n'entre dans aucune des cases étanches dans lesquelles il range le bien et le mal. Enfin BOURVIL est absolument génial dans le rôle d'un Thénardier bonimenteur plein de duplicité, veule et sournois très loin de ses emplois habituels de gentils naïfs.
Et pour finir, bien que la présence d'une voix-off alourdisse un film qui n'avait peut-être pas besoin d'autant de pédagogie, c'est toujours un bonheur pour moi d'entendre une voix qui a bercé mon enfance, celle de Jean TOPART.
Jean DELANNOY est associé au cinéma de "la qualité française" fustigé dans les Cahiers du cinéma par l'article de François TRUFFAUT daté de 1954 et intitulé "Une certaine tendance du cinéma français". Par "qualité française", Truffaut entendait un cinéma conformiste, coupé du réel, plus technique que créatif, académique bien que souvent auréolé d'un grand succès populaire. Ces qualificatifs correspondent assez bien aux deux films que je connais de Jean DELANNOY: "Marie-Antoinette reine de France" (1956) qui même à l'époque où je l'ai découvert dans les années 80 me semblait poussiéreux et "Notre-Dame de Paris" qui est atteint du même syndrome que "Les Visiteurs du soir" (1942) avec un aspect vieilli et figé dû en partie aux décors de carton-pâte, à la lourdeur des costumes et au jeu peu convaincant d'une partie de la distribution (Alain CUNY en premier lieu qui joue aussi dans le film de Marcel CARNÉ). La mise en scène est très impersonnelle et alors que Jacques PRÉVERT est d'habitude un dialoguiste remarquable, il est inexistant ici (quand à son co-scénariste, Jean AURENCHE, cible privilégiée lui aussi de l'article de François TRUFFAUT, il a également travaillé auparavant pour le gratin des cinéastes dont Marcel CARNÉ et fera plus tard des merveilles sous la houlette de Bertrand TAVERNIER).
En dépit de toutes ces réserves, le film de Jean DELANNOY ne manque pas d'intérêt. Le livre de Victor Hugo a été adapté une dizaine de fois à l'écran et en 1956, c'était la troisième adaptation marquante de l'oeuvre après celle, muette de Wallace WORSLEY avec Lon CHANEY et celle de 1939 de William DIETERLE avec Charles LAUGHTON, deux Quasimodos mémorables au point d'ailleurs que les titres de ces deux films portent son nom, faisant de lui l'attraction principale. La version de Jean DELANNOY est la première adaptation à l'écran non-hollywoodienne du livre. Cela joue certainement un rôle dans le fait que pour la première fois, on ne retient pas seulement le personnage de Quasimodo et donc que le film porte le même titre que le livre. Certes, celui-ci est joué de façon très sensible par Anthony QUINN, un acteur attachant et atypique qui avait été deux ans auparavant un inoubliable Zampano pour Federico FELLINI. Mais il partage la vedette avec Gina LOLLOBRIGIDA qui joue la première Esméralda incendiaire de l'histoire du cinéma. En cela elle fait enfin exister le personnage tel que l'avait imaginé Victor Hugo mais qui pour des raisons liées au puritanisme des USA avait été édulcoré dans les précédentes versions. Le fait d'avoir conservé les accents originaux de Anthony Quinn et de Gina Lollobrigida rajoute du caractère à leurs rôles. Ce sont eux deux qui constituent aujourd'hui le principal intérêt du film ainsi que quelques savoureux petits rôles joués par des gueules de cinéma telles que Philippe CLAY, Jacques DUFILHO ou encore Daniel EMILFORK!
Ce court-métrage qui possède plusieurs titres (j'en ai mis trois mais il en existe d'autres variantes) est considéré comme la première adaptation du roman "Les Misérables" de Victor Hugo. Compte-tenu de sa durée, il n'en adapte qu'un fragment, inspiré de l'histoire de Gavroche. Inspiré seulement car la version qu'en donne le court-métrage est très différente. Et pour cause, Victor Hugo a également écrit un poème "Sur une barricade", publié dans le recueil l'Année terrible en 1872 et qui fait référence à la Commune de Paris. Et c'est bien plus de ce poème qu'est tiré l'argument du film que de l'échec de l'insurrection de 1832. L'auteur y évoque en effet un enfant arrêté par les Versaillais pour avoir combattu avec les Communards mais qui obtient l'autorisation d'aller rendre sa montre à sa mère avant d'être fusillé. Comme il tient parole, l'officier impressionné par son courage lui fait grâce.
Dans la version de Alice Guy (je me demande encore comment Gaumont a pu attribuer le court-métrage à un homme tant le point de vue féminin se fait ressentir), l'enfant est innocent (il est pris pour un émeutier alors qu'il est juste sorti pour faire des courses), le personnage de la mère joue un rôle actif en s'interposant entre son enfant et l'officier et la montre devient une bouteille de lait. Il y a d'ailleurs un va-et-vient entre l'intérieur symbolisé par la cuisine (le ventre de la mère) et l'extérieur, théâtre de la tuerie perpétré par les hommes sur d'autres hommes. En devenant actrice politique et historique, la femme perturbe cet ordre du monde à l'image de Alice Guy qui réalisait des films. Elle n'avait cependant pas pensé que l'histoire pouvait être manipulée selon les intérêts politiques du moment et donc que les femmes pouvaient en être effacées.
A l'origine de "Notre-Dame de Paris" il y a la démesure du Wonder Boy du cinéma, le producteur Irving THALBERG alors chez Universal. Pour ce qui était le premier film de la série "Universal Monsters" qui devait spécialiser le studio dans le fantastique et l'épouvante, il avait vu grand. "Notre-Dame de Paris" est en effet la première superproduction tirée du célèbre roman de Victor Hugo: plus de 2000 figurants, un décor de 10 hectares reconstituant la façade de la cathédrale grandeur nature, son parvis et les rues adjacentes (le plus grandiose depuis "Intolérance") (1916), 200 costumes de premier plan, 230 électriciens, le tout ayant coûté la bagatelle de 1 millions et demi de dollars (de manière hélas prophétique pour le vrai monument, ce magnifique décor est parti en fumée en 1967) des plans en contre-plongée à couper le souffle et un succès retentissant qui a paradoxalement compromis la conservation du film, celui-ci ayant été invisible de nombreuses années avant qu'une copie en bon état datant 1926 soit retrouvée au début des années 2000.
Autre apport décisif d'Irving THALBERG pour le succès et surtout la pérennité du film: Lon CHANEY le génial acteur transformiste dans le rôle de Quasimodo (les deux hommes rejoindront d'ailleurs peu après la MGM pour "Larmes de clown") (1923). La composition qui fit de lui une star planétaire est inoubliable et sa performance, impressionnante. Il devait chaque jour passer 4 heures à se maquiller et à enfiler un costume si lourd qu'il ne pouvait pas se maintenir debout ni le porter plus d'un quart d'heure d'affilée. On se demande alors d'autant plus comment il fait pour grimper aussi prestement le long des tours. Mais ce ne sont pas ses performances acrobatiques qui marquent le plus. C'est à quel point dans ce film qui a maintenant près d'un siècle, il est le seul dont la puissance de jeu, exacerbée jusqu'à la déchirure permet de crever l'écran. Les autres acteurs paraissent terriblement fades et datés à côté de lui, peu aidés il faut le dire par une censure hollywoodienne qui gomme tous les aspects sulfureux de l'œuvre de Victor Hugo. Claude Frollo (Nigel De BRULIER) devient un saint homme, la concupiscence revenant à son frère cadet laïc Jehan (Brandon HURST) que l'on voit peu à l'écran. Esméralda (Patsy Ruth MILLER) et Phoebus (Norman KERRY) sont un couple de jeunes premiers années 20 très politiquement correct (exit la gitane affriolante et le séducteur qui cherche le coup d'un soir) qui a droit un happy end convenu, la victime expiatoire étant bien entendu le monstre, déchet de l'humanité condamné à mourir seul.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.