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Distant Voices, still lives

Publié le par Rosalie210

Terence Davies (1988)

Distant Voices, still lives

"Distant Voices, still lives", le premier long-métrage de Terence DAVIES sorti en 1988 était invisible depuis plus de trente ans en France. Il ressort le 22 mars 2023 au cinéma dans une copie restaurée grâce à Splendor Films, spécialisé dans la distribution de films de patrimoine.

Né en 1945 à Liverpool, Terence DAVIES s'est fait connaître avec trois courts-métrages réunis sous le titre "The Terence Davies Trilogy" avant de se lancer dans le long-métrage. Son style a été qualifié de "réalisme de la mémoire". "Distant Voices, still lives" est en effet un film largement autobiographique, une sorte d'album de souvenirs composé de vignettes sépia reliées les unes aux autres par des associations d'idées et non par la chronologie. L'absence de linéarité de la narration n'est pas un problème dans la mesure où la famille de la working-class britannique des années 40-50 que décrit Terence DAVIES (et que l'on devine être la sienne) se caractérise par son immobilité. Si les événements décrits s'étendent sur plus d'une décennie, ils s'apparentent à des rituels (mariages, naissance, enterrement, soirée au pub, noël etc.) autour d'un lieu immuable: la maison familiale qui elle aussi n'est visible que par fragments figés. La séquence introductive avec son plan fixe sur l'escalier de la maison puis au terme d'une rotation de la caméra, sur la porte d'entrée où on entend parler puis chanter le frère et ses soeurs mais sans les voir permet de comprendre que Terence DAVIES établit une dissociation qui se poursuivra tout au long du film entre une image la plus figée et carcérale possible, nombre de plans faisant penser à des tableaux et une bande-son au contraire où s'exprime librement l'âme des personnages, non par la parole (rare) mais par le chant. Il est d'ailleurs significatif de souligner que le seul personnage privé de chant dans le film est le père (Peter POSTLETHWAITE) qui se caractérise par sa violence et son imprévisibilité, faisant régner l'arbitraire et parfois la terreur dans la famille en dépit de quelques moments de tendresse. Même décédé prématurément, l'ombre de ce père se fait sentir sur les enfants devenus adultes qui ne parviennent pas à voler de leurs propres ailes, l'une des filles reproduisant partiellement dans son couple le modèle parental vécu dans son enfance. "Distant Voices, still lives" est un film d'oiseaux en cage avec un titre qui évoque l'écho lointain du souvenir et sa nature morte.

Photo prise le 8 mars 2023 au Champo lors de l'avant-première de la ressortie du film, en présence du réalisateur (à droite).

Photo prise le 8 mars 2023 au Champo lors de l'avant-première de la ressortie du film, en présence du réalisateur (à droite).

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La Habanera

Publié le par Rosalie210

Detlef Sierck (1937)

La Habanera

Il y a une dizaine d'années, une collègue m'avait prêté le coffret DVD Carlotta de quatre mélodrames allemands réalisés par Douglas SIRK à l'époque où il travaillait pour la UFA et se nommait Detlef SIERCK. Sortis entre 1935 et 1937 ces films en noir et blanc préfigurent les mélodrames flamboyants qu'il réalisera à Hollywood. A ceci près qu'il leur manque une profondeur déchirante que l'on peut mettre en relation avec l'histoire personnelle de Douglas Sirk qui en migrant aux USA pour échapper à la mise sous tutelle de la UFA par les nazis avec sa seconde femme juive a dû laisser en Allemagne son fils né d'un premier mariage avec une femme devenue ensuite une nazie fanatique et qui réussit à couper tout contact entre son ex-mari et leur fils devenu lui-même nazi qui fut tué en 1944 sur le front de l'est.

"La Habanera" est donc le dernier des sept films allemands que tourna Sirk avant de quitter l'Allemagne. Ce n'est pas le plus réussi, d'ailleurs je n'en avais gardé aucun souvenir. Il y a une belle photographie, de belles chansons mais l'histoire est assez manichéenne, opposant des suédois technologiquement avancés (notamment en médecine) aux habitants de l'île de Porto-Rico dépeints comme des sauvages arriérés par la tante de Astrée (Zarah LEANDER aux faux airs de Greta GARBO et qui avait déjà joué pour Sirk dans "Paramatta, bagne de femmes") (1937). S'y ajoute le comportement machiste et rétrograde du mari d'Astrée, Don Pedro de Avila (Ferdinand MARIAN) qui règne en maître sur l'île. Heureusement, le personnage d'Astrée apporte une nuance bienvenue parce qu'elle tombe amoureuse de l'île qui lui semble être un paradis. Certes, dix ans après, la tyrannie de Don Pedro lui fait reconsidérer Porto-Rico comme un enfer dont elle rêve de s'échapper pour retourner en Suède avec son fils. Mais lorsqu'elle parvient finalement à partir, elle éprouve des regrets qui renvoient à son choix initial. Il faut dire qu'idéologiquement, la Suède est un avatar de l'Allemagne nazie. Bien que neutre pendant la seconde guerre mondiale, elle s'aligna sur les lois raciales nazies et on sait que le pays pratiqua une politique de stérilisations forcées destinées à préserver la "pureté de la race nordique" des années 30 jusqu'aux années 90. Quant à Porto-Rico (en réalité Ténérife dans les îles Canaries appartenant à l'Espagne alors en guerre civile entre Franco soutenu par les nazis et les Républicains), il s'agit d'une allégorie de la Pologne, envahie deux ans plus tard par l'Allemagne.

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Bienvenue Mister Chance (Being There)

Publié le par Rosalie210

Al Ashby (1979)

Bienvenue Mister Chance (Being There)

"Bienvenue Mister Chance" n'est pas qu'une satire grinçante sur l'inanité du pouvoir et des médias. C'est avant tout une fable philosophique qui fait penser à la conclusion du Candide de Voltaire, "cultivons notre jardin" à ceci près que le Candide de l'histoire est également l'idiot qui depuis des temps immémoriaux remet sur le droit chemin une société qui a perdu le nord. Chance (Peter SELLERS dans son dernier grand rôle) est donc une sorte de "bouffon du roi" moderne. Elevé à l'abri du monde dont il ne connaît que le reflet déformé par les écrans de télévision, il lui oppose un esprit et un corps impénétrables à la manière de Buster KEATON ou de certaines figures du cinéma de Robert BRESSON. Une vraie muraille devant laquelle hommes et femmes viennent se casser les dents. Il est assez jouissif de voir le contraste entre la simplicité de Chance qui n'a aucun mystère pour la gouvernante noire qui l'a élevé et le considère comme un attardé mental et l'incapacité des plus hautes instances soi-disant supérieures à le déchiffrer. Avocats, médias, politiques, médecins et services de renseignements se perdent en conjectures à son sujet, l'homme sorti de nulle part et détaché de tout n'offrant aucune prise à leurs efforts pour le cerner. Par conséquent il devient objet de fascination, voire d'adulation. Tout le monde y projette ses désirs, ses fantasmes. Le moindre de ses (rares) mots devient parole d'évangile ou prophétie. En se contentant d'exister (le titre en VO est "Being There") pour le seul bonheur de voir pousser ses plantes, Chance "Gardener" remet le monde sur des bases qu'il n'aurait jamais dû quitter. Pas étonnant qu'il marche sur l'eau: C'est un ange (comme "Tistou les pouces verts"). On appréciera particulièrement son avènement au son d'un "Ainsi parlait Zarathoustra" étrangement remixé. Car si le dépassement de l'homme par l'homme a 4 ans d'âge mental, c'est que quelque chose cloche quelque part.

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Empire of Light

Publié le par Rosalie210

Sam Mendes (2023)

Empire of Light

Arrivant à a suite d'une série de films sur le cinéma, "Empire of light" est celui que j'ai le moins aimé, en raison de son histoire sans doute trop ténue et de son rythme un peu mou du genou. Contrairement à "Babylon" (2021) et à "The Fabelmans" (2022), le cinéma n'est pas la substance même du film mais seulement un décor, somptueux mais décrépi, celui de l'Empire, un gigantesque paquebot Art Déco qui au début des années 80 (époque où se déroule le film) n'est déjà plus que l'ombre de lui-même. Une sorte de "The Grand Budapest Hotel" (2013) du septième art dont on sait qu'il était un hommage à "Le Monde d'Hier" de Stefan Zweig. L'Empire aurait mérité d'être un personnage à part entière du film comme peuvent l'être en France Le Louxor et Le Grand Rex qui ont été sauvés de la démolition par Jack Lang qui les a fait classer tous les deux en 1981 à l'inventaire des monuments historiques. Las, Sam MENDES préfère plaquer sur ce décor hors du temps des sujets de société actuels (les abus sexuels, la violence raciste traités sans aucune subtilité) plutôt que de s'y intéresser vraiment. C'est d'ailleurs significatif, les personnages qui travaillent à l'Empire ne vont pas voir les films qui y sont projetés: un comble pour un cinéma art et essai! Et quand finalement, le personnage joué par Olivia COLMAN s'y résout, on peut mesurer le gouffre qui sépare Sam MENDES d'un Woody ALLEN qui dans ces mêmes années 80 a brillamment démontré à travers le merveilleux "La Rose pourpre du Caire" (1985) le pouvoir magique du cinéma, capable même dans "Hannah et ses soeurs" (1986) de sauver la vie. Alors que l'on sait pourquoi Woody Allen va voir "La Soupe au canard" (1933) (il rend hommage à Groucho MARX dans quasiment chacun de ses films, faisant de lui l'une de ses figures tutélaires, à l'égal d'un Ingmar BERGMAN ou d'un Federico FELLINI), on ne comprend pas pourquoi le projectionniste (Toby JONES, lui aussi condamné à débiter des platitudes) diffuse "Bienvenue Mister Chance" (1979) sinon peut-être en raison de sa maxime inscrite sur la tombe de Peter SELLERS "la vie est un état d'esprit". le film de Sam MENDES en manque cruellement.

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Le Dossier 51

Publié le par Rosalie210

Michel Deville (1978)

Le Dossier 51

"Le Dossier 51" s'inscrit dans le genre du thriller d'espionnage paranoïaque typique de la guerre froide, tel que "Conversation secrète" (1974)Le Voyeur" (1960). Mais d'une certaine manière, "Le Dossier 51" est un film d'horreur. Il s'agit d'une enquête menée par un service de renseignements appartenant à un pays étranger pour disséquer la vie d'un diplomate qu'elle souhaite faire chanter. Dès le générique, on est fixé sur le fait que les machines se sont substitué aux hommes et qu'elles ont pour fonction d'enregistrer les moindres faits et gestes de l'individu ainsi que de l'ensemble de son entourage. La caméra subjective est particulièrement appropriée en ce qu'elle donne l'impression que les agents sont de pures caméras enregistreuses ce qui place le spectateur dans une position inconfortable. En dehors de l'appât du gain, on se demande d'ailleurs ce qui peut pousser des hommes et des femmes à s'aliéner au point d'avoir des relations sexuelles sur commande ou bien même, d'envisager de mettre enceinte leur cible pour mieux en prendre le contrôle. On est frappé et de plus en plus mal à l'aise devant le contraste entre la pénétration de plus en plus profonde de l'intimité du sujet et la manière totalement impersonnelle et inhumaine dont cette investigation s'accomplit. On redoute l'effet dévastateur de ces intrusions. Ce que les agents sont incapables d'envisager tant ils se comportent comme de simples rouages d'une procédure dans laquelle le sujet est réduit à une silhouette plus ou moins floue. C'est peut-être ce qui explique l'insuccès du film auprès du public. Contrairement à "La Vie des autres" (2006), le spectateur n'a rien à quoi se raccrocher.

A travers l'adaptation (qui était réputée impossible) du roman de Gilles PERRAULT qui a co-scénarisé le film (scénario justement primé aux César), Michel DEVILLE met à jour une deshumanisation qui touche aussi bien l'homme ciblé par les services secrets que ses membres, eux aussi réduits pour la plupart à des numéros (et interprétés par des inconnus qui pour certains, deviendront célèbres comme Christophe MALAVOY ou Patrick CHESNAIS). "Le Dossier 51" renvoie donc in fine à l'histoire. Non pas celle de la guerre froide mais celle des deux guerres mondiales qui ont effacé l'être humain en industrialisant la mort et d'où provient le secret de famille qui va détruire Dominique Auphat par machines interposées.

Le Dossier 51

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The Fabelmans

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2022)

The Fabelmans

Avec "The Fabelmans" (équivalent patronymique de "Spielberg", la fable ayant remplacé la pièce de théâtre), Steven SPIELBERG a réussi la fusion entre le cinéma et l'intime et nous gratifie d'une recréation de ses jeunes années via le prisme du septième art pour lequel le jeune Samuel Fabelman (Gabriel LABELLE) s'avère particulièrement doué. Mais ce don est montré comme ambivalent, son oncle l'a prévenu en ce sens "ça va te déchirer". C'est déjà le cas dans l'introduction où Samuel enfant s'initie au maniement d'une caméra pour filmer le déraillement d'un train électrique et ainsi, conjurer sa peur du premier film qu'il a vu "Sous le plus grand chapiteau du monde" (1953). On peut y voir aussi un clin d'oeil aux origines du cinéma, quand "L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat" (1896) effrayait les spectateurs qui croyaient que le train fonçait réellement sur eux. Perçu comme art de l'illusion, le cinéma s'avère cependant pour Samuel être exactement l'inverse, le médium de la connaissance qui l'expose prématurément à découvrir la vérité sur sa famille. Nul doute que la séquence dans laquelle il effectue le montage d'un film de vacances pour faire plaisir à ses parents restera dans les annales. Il en offre en effet deux versions: l'une, consensuelle, pour son père et l'autre, plus dérangeante, pour sa mère. Car en visionnant les rushes, il découvre à l'arrière-plan, les images d'un secret de famille qu'il n'aurait pas dû voir (le changement de couleur de ses yeux serait dû à cette révélation). Cette scène-clé fait penser à celles de "Blow-up" (1966) et "Blow Out" (1981) à ceci près qu'il ne s'agit pas de découvrir un crime mais la vérité sur sa mère (Michelle WILLIAMS), pianiste douée mais qui a dû se contenter d'en faire un "hobby" pour reprendre l'expression du père (Paul DANO) afin de le suivre avec ses enfants au gré de ses promotions. Une vie de femme au foyer pour laquelle elle n'est guère faite (sa phobie de la vaisselle en témoigne), qui la plonge dans la mélancolie (pour ne pas dire la dépression) et qu'elle ne supporte que grâce à l'adultère, du moins tant que celui-ci est possible. Quand il ne l'est plus, c'est le divorce. Autre traumatisme que Samuel parvient à transcender par son art: l'antisémitisme. En filmant l'athlète aryen qui le persécute à la manière de Leni RIEFENSTAHL dans "Les Dieux du stade" (1937), il parvient à le désarmer. Enfin, la boucle est bouclée quand Samuel fait la rencontre du "plus grand cinéaste de tous les temps" qui en fait est présent en filigrane depuis le début du film, notamment quand Samuel tourne avec ses amis scouts des séquences de westerns: John Ford. Interprété (savoureusement) par David LYNCH, celui-ci dispense une leçon de cinéma au jeune Samuel dont le vieux Spielberg saura se souvenir en recadrant son plan vers de nouveaux horizons ^^.

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La Lutte des classes

Publié le par Rosalie210

Michel Leclerc (2018)

La Lutte des classes

"La lutte des classes" part d'une excellente idée: faire une comédie satirique sur les contradictions des bobos de gauche écartelés entre la tentation grégaire de mettre leurs enfants à l'école privée et leurs idéaux de justice sociale. Le scénario s'appuie en effet sur une réalité: celle d'une école à deux vitesses, le privé concentrant de plus en plus les élèves de milieu favorisé, particulièrement dans les grandes villes. Une ghettoïsation sociale que Michel LECLERC et Baya KASMI ont vécu et qu'ils nous font ressentir à travers leur couple mixte formé par Paul, un vieux rockeur punk (Edouard BAER) et une brillante avocate d'origine maghrébine, Sofia (Leïla BEKHTI) qui se retrouvent dans une situation de plus en plus intenable au fur et à mesure que leurs amis retirent leurs enfants de Jean Jaurès, l'école primaire publique du quartier de Bagnolet où ils habitent, pour les mettre à Saint-Benoît, l'école privée catholique. Un mal-être qui les met sous pression au point de harceler leur gamin et d'envisager tous les contournements possibles de la carte scolaire, l'option "école privée" étant impossible à cause du sulfureux passé de Paul vis à vis de la religion catholique, symbolisé par un clip compromettant (la scène la plus hilarante du film).

Hélas, Michel LECLERC et Baya KASMI ratent leur cible en sombrant dans la caricature. Chaque personnage est réduit à son origine ethnique, religieuse et sociale si bien qu'on assiste à un affrontement assez consternant entre d'un côté Sofia et Paul et de l'autre, des mères musulmanes forcément voilées et réac alors que du côté des enfants, Corentin, estampillé "seul blanc de la classe" se fait discriminer par tous les autres, comme s'ils ne formaient qu'un seul bloc. En d'autres termes, la satire de la bourgeoisie se transforme, faute de subtilité, en alignement de poncifs dignes de ceux qu'affectionne l'extrême-droite. Même gros sabots en ce qui concerne le comportement de l'institutrice (Baya KASMI) qui parle comme si elle avait avalé le dictionnaire du jargon de l'éducation nationale: celui-ci est destiné au personnel et non aux élèves qui seraient bien étonnés d'être des "apprenants".

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La Prière

Publié le par Rosalie210

Cédric Kahn (2018)

La Prière

"C'est Depardieu en 1900" aurait confié Cédric KAHN à propos de Anthony BAJON qu'il a révélé dans "La Prière" où celui-ci a reçu l'Ours d'argent du meilleur acteur (à seulement 23 ans, égalant ainsi Leonardo DiCAPRIO). J'avais aperçu sa bouille candide dans "Les Enfants de la chance" (2016), "Au nom de la terre" (2019) et sur l'affiche de "Teddy" (2020). Une carrière démarrée en fanfare avec donc "La Prière" où il crève l'écran en jeune toxicomane qui entreprend une cure de désintoxication dans une communauté de frères (eux aussi anciens toxicomanes) perdue dans les montagnes. Un chemin ardu qui est aussi une dernière chance: ceux qui y renoncent n'en reviennent pas. Thomas fait pourtant partie des très nombreux novices qui flanchent dès les premières semaines tant le régime imposé fait penser à celui d'une prison: surveillance permanente, pas de contacts avec l'extérieur, pas d'effets personnels, travail et prière pour seul menu. Entre les crises de manque et le devoir d'humilité pris comme une offense, Thomas décide de faire demi-tour. Mais sur son chemin, il y a la belle Sibylle (Louise GRINBERG) qui l'encourage à persévérer. Leur rencontre a quelque chose de l'évidence et désormais, on ne sait plus trop si ce qui guide Thomas relève de la découverte de la foi ou de celle de l'amour. Les deux se rejoignent dans la reconstruction des liens dont Thomas était privé, la religion étant également une forme de lien (avec Dieu) lui permettant de reconstruire sa confiance en lui-même et en la vie.

Cependant, si le parcours de Thomas est lumineux, le regard à la fois mystique et naturaliste* que pose le réalisateur sur la communauté est nuancé. Si elle redonne tout son sens à la notion de fraternité, d'autant que le dépouillement et la rudesse de la vie quotidienne pousse à nouer des liens essentiels, il montre également que celle-ci n'est qu'un sas de décompression hors du monde qui ne propose pas de solution, chaque jeune doit la trouver par lui-même. La conséquence est que plusieurs d'entre eux s'y retrouvent enfermés par manque de perspectives ou peur de replonger.

* Cédric KAHN a fait ses gammes comme stagiaire sur le tournage de "Sous le soleil de Satan" (1987) (d'où sans doute le rapprochement entre Anthony Bajon et Gérard DEPARDIEU) et a interrogé de nombreux jeunes toxicomanes au cours de la préparation du film qui a été longuement réfléchi.

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Brigadoon

Publié le par Rosalie210

Vincente Minnelli (1954)

Brigadoon

"Brigadoon" est le premier film tourné par Vincente MINNELLI en Cinémascope, une rêverie enchantée dans laquelle deux américains échappés de l'enfer citadin new-yorkais partent se ressourcer dans la vieille Europe. Plus exactement dans une Ecosse fantasmée où les décors naturels de landes et de lochs sont remplacés par des toiles peintes noyées dans la brume d'où émerge peu à peu un village endormi qui ne figure sur aucune carte. Tommy (Gene KELLY) tombe amoureux de Fiona (Cyd CHARISSE) avec laquelle il forme un duo "de rêve". Et c'est bien là le problème. Car Fiona ne peut quitter le village, tout comme les autres habitants sous peine de voir celui-ci être anéanti. C'est le prix à payer pour pouvoir vivre hors du temps. Dès lors, Tommy est écartelé entre son rêve irréel et la réalité désenchantée. Car "Brigadoon" n'est censé prendre vie qu'une journée tous les 100 ans et il pense donc que quitter ce paradis perdu (ou cette prison dorée, le film ne lève pas tout à fait l'ambiguïté et c'est très bien ainsi), c'est le perdre pour toujours.

Selon que l'on adhère ou non aux conventions du genre, de l'époque et de l'histoire qui est proche du conte de fées (ou de sorcières), "Brigadoon" peut être perçu comme une merveille ou bien comme légèrement désuet. Néanmoins, on ne peut lui retirer la beauté de ses décors, de ses costumes, la qualité de sa photographie, de sa lumière et la virtuosité des numéros chantés et dansés, ma préférence allant à l'entraînant "I'll go home with Bonnie Jean".

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La Nuit du 12

Publié le par Rosalie210

Dominik Moll (2022)

La Nuit du 12

Dominik MOLL a une filmographie en dents de scie. Avec "La Nuit du 12", film à petit budget qui a rencontré un succès-surprise en salles avant de s'imposer aux César, il signe son grand retour, plus de vingt ans après "Harry un ami qui vous veut du bien" (2000). Les deux films ont en commun leur inquiétante étrangeté au sens freudien du terme, c'est à dire une menace qui surgit là où on ne l'attend pas, du quotidien le plus familier et le plus banal et qui prend l'allure de l'inconscient refoulé, qu'il soit individuel comme dans "Harry un ami qui vous veut du bien" (2000) ou collectif comme dans "La Nuit du 12". Et ils ont également en commun une structure circulaire avec un début et une fin qui se répondent. Si le meurtre figurant au centre de l'intrigue de "La Nuit du 12" reste irrésolu (ce qui nous est annoncé d'emblée, désamorçant les attentes du spectateur à ce niveau-là et lui signifiant que les enjeux sont peut-être ailleurs), le fait est que Yohan, le capitaine de la P.J. chargé de l'enquête (Bastien BOUILLON) parvient à sortir de la boucle obsessionnelle dans laquelle il tourne en rond comme un poisson dans son bocal depuis la première image du film. A la nuit succède le jour, à la piste succède le col qu'il lui faut gravir en pédalant rageusement. Symboliquement, le cercle est brisé parce qu'une issue a quand même été trouvée.

En effet le film nous montre deux cercles. D'une part, la ronde formée par les anciens amants de la victime comme autant de déclinaisons possible du même problème fondamental: celui de l'incapacité de ces jeunes hommes à éprouver la moindre émotion à l'égard de la victime qui fait de chacun d'eux un coupable potentiel même s'il n'existe pas de preuve à même de les confondre. La plupart ont eu une relation opportuniste avec la jeune femme, perçue comme une récréation entre deux plages avec leur copine officielle, tous sont immatures et égocentriques, certains sont en prime jaloux et violents. Des primates sans coeur et sans cervelle. L'ensemble forme un portrait assez terrifiant de la masculinité toxique. Face à eux, un autre cercle, celui de la brigade criminelle de la P.J. elle aussi entièrement masculine, capable elle de réflexion et d'émotions mais tout aussi bourrée de préjugés du moins jusqu'à la dernière demi-heure du film qui se déroule trois ans après le meurtre. Le collègue de Yohan (Bouli LANNERS) ayant été muté pour faute professionnelle, il a été remplacé par Nadia (Mouna SOUALEM que j'avais trouvé formidable dans "Oussekine") (2022) qui souligne justement que les meurtriers sont majoritairement des hommes et ceux qui enquêtent aussi. Quelle place reste-il alors aux femmes? Peut-être celle de l'espoir de faire enfin un jour bouger les choses. C'est le sens du personnage de juge d'instruction joué par la trop rare Anouk GRINBERG qui parvient à débloquer les fonds dont la brigade manque cruellement pour reprendre l'enquête, aidant ainsi Yohan à s'échapper de sa prison mentale. C'est dans sa dialectique entre précision documentaire et échappées dans l'inconscient (les flashs sur le lieu du crime et le corps carbonisé) que le film trouve aussi sa force.

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