Esthétiquement superbe, le film d'animation néo-noir et cyberpunk de Jeremie PERIN m'a tout de même déçue de par son manque d'originalité et de profondeur. Ce que développe le film -la relation entre l'homme et les robots- a été déjà traité de nombreuses fois depuis que Isaac Asimov a formulé en 1942 les lois qui fondent l'éthique des robots, l'avatar high-tech d'un mythe remontant à Prométhée et à Frankenstein pour ne citer que ses figures les plus connues. La plupart des oeuvres de SF qui en ont dérivé questionnent l'âme des robots (comme la série "Real Humans : 100 % humain" (2012) ou "Ghost in the Shell" (1995)) leurs émotions et leur degré de libre-arbitre. Par conséquent, tôt ou tard ils échappent à leurs créateurs et peuvent même se retourner contre lui (comme par exemple dans "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968) ou "Blade Runner") (1982). On le voit, "Marx express" croule tellement sous les références qu'il peine à proposer une vision personnelle et surtout incarnée. On reste en surface, tant en ce qui concerne les personnages dont la diversité de nature est sous-exploitée (humain, humain augmenté, robot sauvegardant la mémoire d'un être humain décédé, robot "déplombé" c'est à dire débridé par des hackeurs ou bien au contraire instrument servile) qu'en ce qui concerne l'univers, magnifique, pensé dans les moindres détails, cohérent mais cruellement privé de contexte et de vie. C'est ce qui à mon avis explique qu'il s'oublie très vite et comporte contrairement à ses modèles (en plus de la SF il y a tous les films noirs et néo-noirs américains autour de la figure du privé) bien peu de mélancolie (seul le fantôme de Carlos dans son corps de robot apporte un peu d'émotion à ce film par ailleurs aussi froid qu'une machine).
"La concierge du grand magasin" est le premier film de Yoshimi ITAZU, animateur sur "Paprika" (2006)" de Satoshi KON ou "Le vent se leve" (2013) de Hayao MIYAZAKI, mais aussi directeur de l'animation sur "Wonderland, le Royaume sans Pluie" (2019) et "Miss Hokusai" (2015) tous deux de Keiichi HARA.
Le film, très court (1h10) se compose de petites saynètes se déroulant à l'intérieur d'un grand magasin dans lequel les clients sont tous des animaux anthropomorphisés appartenant à des espèces disparues: grand pingouin, loup de Honshu, Lion de Barbarie, Vison de mer, Mammouth etc. L'autre personnage important est celui de la jeune concierge Akino dont c'est la période d'essai et qui se plie en quatre pour tenter de les satisfaire mais aussi pour satisfaire sa hiérarchie qui l'espionne et la met sous pression. Personnellement, je n'ai pas adhéré au film. D'abord, je ne suis pas fan du découpage d'un long-métrage en petites tranches de vie façon film à sketches. Et puis contrairement à Hayao MIYAZAKI qui anime une nature sauvage et libre et des personnages féminins qui le sont tout autant (des dirigeantes, des guerrières, des sorcières), Yoshimi ITAZU montre exactement l'inverse: une nature domestiquée, vivant sous cloche, aliénée par l'homme au point de copier ses comportements consuméristes les plus outranciers. Et une jeune femme soumise, n'ayant pour désir que de faire plaisir qui passe son temps à faire des courbettes quand ce n'est pas à genoux devant des employeurs sadiques ou des clients tyrans qui l'humilient. Les espèces qui ont disparu ont justement été sacrifiées sur l'autel de la consommation de luxe. Les recréer pour leur faire acheter du parfum, des foulards ou des bijoux ou contempler les vitrines de noël relève d'un mode de pensée figé au XIX° siècle. D'ailleurs le grand magasin se présente comme un temple de verre et d'acier au milieu de la forêt, le véritable milieu de vie des animaux, une forêt étrangement vide, l'homme ayant absorbé l'animal au lieu de vivre avec lui.
Brillantissime court-métrage dans lequel Agnes VARDA prend le pouls de Cuba, quatre ans après la révolution ayant chassé Batista, le dictateur pro-américain au profit de Fidel Castro, le leader communiste. Elle emboîte ainsi le pas de son ami Chris MARKER qui avait réalisé peu après la révolution castriste un documentaire "Cuba si!" qui selon les propres dires du réalisateur tentait " de communiquer, sinon l’expérience, du moins le frémissement, le rythme d’une révolution qui sera peut-être tenue un jour pour le “moment décisif” de tout un pan de l’histoire contemporaine". Se gardant intelligemment de prendre parti (ce qui aurait tiré son film vers l'oeuvre de propagande), Agnes VARDA réussit à insuffler à son court-métrage un rythme endiablé et ce alors que celui-ci ne se compose que d'une suite de photographies. Là encore, on pense à Chris MARKER qui avec "La Jetee" (1963) presque entièrement composé d'images fixes était parvenu à tutoyer les cimes. Agnes VARDA donne vie aux milliers de clichés, pris sur le vif qu'elle a rapporté de l'île. Grâce au procédé du banc-titre utilisé dans le cinéma d'animation, elle parvient à recréer l'illusion du mouvement mais sans sa fluidité, celui-ci épousant le rythme saccadé des percussions accompagnant les musiques cubaines: rumba, son, guaguancó, guaracha… Un mélange d'Afrique, d'Espagne et de France (via les anciens esclaves évadés d'Haïti) que Agnes VARDA restitue à l'aide d'images et de sons se répondant parfaitement, scandé également par le commentaire off à deux voix, la sienne et celle de Michel PICCOLI. Le résultat est d'une vitalité à toute épreuve et témoigne également des talents d'observatrice de la réalisatrice qui revient à ses premières amours, la photographie et le documentaire tout en y insufflant une pulsation qui fait ressentir la joie de cette période d'émancipation collective.
Film-somme, "Le Garçon et le Héron" sort dix ans après "Le vent se leve" (2013) qui était annoncé alors comme le dernier film de Hayao MIYAZAKI. Nul aujourd'hui n'oserait pronostiquer la fin de sa carrière car il est peu probable que le maître de l'animation japonaise aujourd'hui octogénaire s'arrête tant qu'il sera en capacité de réaliser des films. "Le Garçon et le Héron" commence comme un récit de guerre réaliste et traumatique quelque part entre "Le vent se leve" (2013) et "Le Tombeau des lucioles" (1988) avant de bifurquer vers un monde parallèle qui synthétise ceux de ses précédents films, de "Le Chateau dans le ciel" (1986) à "Ponyo sur la falaise" (2008) en passant bien sûr par "Le Voyage de Chihiro" (2001) dont il approfondit les thèmes. Un monde parallèle plus que jamais influencé par le roman de Lewis Caroll "Alice au pays des merveilles" et que beaucoup voient comme une métaphore des studios Ghibli eux-mêmes avec à leur tête un vieil homme incapable de passer la main sans faire s'écrouler le domaine. A cette succession patriarcale impossible répond la quête initiatique du jeune Mahito dans les couloirs de l'espace-temps pour faire le deuil de sa mère disparue et retrouver le goût de vivre. Ses aventures constituent un hommage au film-matrice de Miyazaki, "Le Roi et l'Oiseau" (1979) et ne sont pas sans rappeler également l'oeuvre symboliste de Maurice Maeterlinck, "L'Oiseau bleu". Déjà parce que le monde parallèle à multiples dimensions est marin et peuplé d'oiseaux, principalement des pélicans et des perruches géantes, le tout dominé par le guide de Mahito, un héron cendré au plumage blanc et bleu dissimulant dans son gosier un bizarre petit homme disgracieux. Ensuite parce que Mahito est amené à rencontrer les formes primitives des enfants à naître, les warawara qui rappellent les noiraudes et les kodamas. A l'autre bout de la chronologie, il rencontre l'une des vieilles servantes travaillant au service de sa nouvelle famille, redevenue une jeune femme intrépide au pied marin. Les grands-mères plus que jamais jouent le rôle de figures tutélaires protectrices. Enfin il est amené à rencontrer sa propre mère adolescente sous la forme d'une fille du feu ainsi que sa belle-mère laquelle s'avère n'être autre que la petite soeur de sa mère. Celle-ci est sur le point d'accoucher mais une menace plane sur elle et l'enfant à naître que Miyazaki fait ressortir de plusieurs façons, teintant son long-métrage de sentiments contrastés, entre espoir et désespoir.
Mais raconter le film n'en épuise ni le sens (multiple), ni la beauté. Celle-ci est toujours au sommet. Le style artisanal (de la 2D à l'ancienne qui rend ses films intemporels et quelques touches de 3D judicieusement placées pour faire ressortir tel ou tel élément) et perfectionniste de Hayao MIYAZAKI se reconnaît à sa précision, à sa fluidité, à ses mille et un détails enchanteurs et nous offre en prime un prisme extrêmement coloré ou bien par contraste des images de cauchemar comme l'incendie où tout est rouge et noir où les sons sont assourdis et où les traits deviennent informes.
"Beach Flags" est un court-métrage d'animation de la réalisatrice iranienne Sarah SAIDAN qui s'est installée en France en 2009. "Beach Flags" qui évoque la condition difficile des femmes athlètes en Iran a remporté de nombreux prix et s'avère d'une brûlante actualité. Le film est un récit initiatique dans lequel le sport associé à la compétition et à l'individualisme se transforme en moyen d'émancipation grâce à la solidarité entre les jeunes athlètes. La façon dont les jeunes filles retournent contre la société patriarcale leurs propres moyens d'oppression concerne également le hijab qui devient un procédé de camouflage permettant de mystifier la famille qui veut empêcher leur fille de concourir. Sur la forme, le film fait penser à "Persepolis" (2007) même s'il s'agit d'un court-métrage en couleurs. Le trait est en effet proche de celui de Marjane SATRAPI, autre réalisatrice iranienne ayant utilisé l'animation pour évoquer sa jeunesse rebelle en Iran.
Le "Beach flag" est une course sur la plage qui est la seule épreuve sportive à laquelle les nageuses-sauveteuses iraniennes peuvent participer car elles peuvent concourir habillées et voilées. Toutes les épreuves en maillot de bain leur sont, quant à elles, interdites. Un maigre espace de liberté dans un océan d'oppression que l'on ressent à travers les cauchemars de l'héroïne, Vida.
"Interdit aux chiens et aux italiens" porte un titre en forme de piqûre de rappel: l'ostracisme n'a pas seulement concerné dans le passé la communauté juive et la France qui s'est construite depuis le XIX° siècle sur l'immigration a aussi une longue tradition de xénophobie dirigée contre les derniers arrivés (italiens à la fin du XIX° surnommés les "macaronis", espagnols républicains à la veille de la seconde guerre mondiale surnommés les "espingouins", maghrébins dès la période des trente Glorieuses et plus généralement africains aujourd'hui). L'animation se prête particulièrement bien aux films de mémoire, c'est à dire le souvenir d'événements historiques par le biais d'un vécu intimiste et subjectif et les exemples sont légion mais le film de Alain Ughetto s'en distingue de façon assez géniale au moins à deux titres:
- D'une part en redonnant vie à ses grands-parents, il peut ainsi interagir avec eux et tout particulièrement avec sa grand-mère qu'il a connu quand il était enfant et qui lui a transmis des bribes de mémoire familiale qu'il peut compléter avec son avatar animé. Et pas seulement par la parole mais aussi par le geste. Dans plusieurs scènes, il n'hésite pas à faire entrer sa main ou son pied dans le champ en prise de vues réelles pour toucher la figurine animée en pâte à modeler de sa grand-mère ou pour enfiler une chaussette que celle-ci a reprisé, rappelant l'une des caractéristiques majeures de l'art qui est d'abolir les espaces infranchissables tracés par le temps. L'hétérogénéité est la marque de fabrique de son film qui mêle donc prises de vue réelles, animation en stop motion, jouets (le gag de la vache désarticulée et du tour de France), vieilles photographies.
- D'autre part en célébrant la noblesse du travail manuel et de l'artisanat. Son art de l'animation en volume qu'il pratique depuis l'enfance, pourtant incompris de son père est un moyen de s'ancrer dans un héritage alors qu'il ne cesse de déménager et de s'inscrire dans une filiation remontant à son grand-père Luigi qu'il n'a pas connu mais qui était un travailleur acharné ayant oeuvré sur plusieurs gros chantiers d'infrastructures indispensables à la France et à l'Europe en voie de modernisation. Et la reconstitution en miniature de l'univers piémontais de ses grands-parents fait appel à des matériaux de récupération récoltés sur les lieux même de leur existence (dont il ne reste que des ruines) qui constituaient alors leur quotidien: de la terre, de la paille, du charbon (pour les montagnes), des brocolis (pour les arbres), des courgettes rondes (pour les maisons) ou encore des châtaignes (pour les figurines).
- Enfin, l'histoire familiale de Alain Ughetto a été façonnée par la grande Histoire. Economique et sociale comme je l'ai déjà mentionné car la pauvreté est la principale raison de l'exode massif des italiens dans des pays plus prospères qu'ils ont contribué à bâtir (la France et la Suisse pour les Ughetto à défaut des USA en raison du naufrage de leurs maigres biens). Mais aussi politique: les Ughetto ont payé un tribut à chaque nouvelle guerre et ont également fui le fascisme présenté comme la principale force d'oppression sur les paysans avec les religieux.
Neuvième film de Michel OCELOT, "Le Pharaon, le sauvage et la princesse" forme une sorte de tétralogie avec "Princes et Princesses" (1998), "Les Contes de la nuit" (2011) et "Ivan Tsarevitch et la princesse changeante" (2016). La différence provient du choix de varier les styles d'un conte à l'autre. "Le Pharaon" qui comme son titre l'indique se déroule entre l'Egypte antique et le Soudan utilise la 2D et colle au graphisme de cette époque (personnages de profil mais torse de face), "Le beau sauvage" qui se déroule en Auvergne au Moyen-Age revient aux ombres chinoises ce qui dans la lignée de "Les Contes de la nuit" (2011) magnifie d'autant plus les couleurs, quant à "la princesse des roses et le prince des beignets", il s'agit d'une "turquerie" XVIII° sècle en 3D qui fait beaucoup penser à "Azur et Asmar" (2006). Quant au fond, il est assez balisé. Le premier récit, le plus historiquement documenté est un conte initiatique où pour arracher sa belle des mains d'une mère qui ne veut pas lâcher le pouvoir, un jeune soudanais conseillé par les Dieux part à la conquête du trône d'Egypte. Le second combine "Blanche-Neige" et "Robin des Bois". Le troisième est une histoire d'amour et d'exil dont la conclusion se perd dans les sables. Si l'ensemble est une splendeur graphique, force est de constater que Michel OCELOT semble à court d'idées neuves comme le dirait Anton Ego dans "Ratatouille" (2007). L'impasse est d'ailleurs figurée par le décor qui relie les trois histoires par lequel on peut deviner que le vieux cinéma abandonné dans lequel s'élaborait les contes a été détruit et remplacé par un chantier d'immeubles en construction. Un clin d'oeil à Jacques TATI?
Jusqu'en 2018, les studios Pixar proposaient à chaque sortie de leur dernier long-métrage un court-métrage en première partie. Mais les années Covid et la politique du groupe Disney consistant à sortir les nouveautés Pixar directement sur leur plateforme de streaming à partir de 2020 semblait avoir tué cette tradition. La décision de revenir à la salle de cinéma avec "Buzz l'éclair" (2022) puis "Elementaire" (2023) a entraîné également un changement vis à vis des autres contenus produits par le studio à la lampe. Ainsi à l'origine, "Le rendez-vous galant de Carl" faisait partie d'une série dérivée de "Là-haut" (2008), "Bienvenue chez Doug" (2021) qu'il devait clôturer et devait sortir sur Disney + pour la Saint-Valentin ce qui explique son sujet.
Que dire de ce court-métrage présenté avant "Elementaire" (2023)? Qu'il suscite la sympathie, forcément puisqu'on y retrouve Carl et Doug qui l'aide à se préparer à un rendez-vous galant qu'il a pris sans s'en rendre compte. Le sujet de fond qui traverse toute l'oeuvre de Pixar et qui est le deuil est abordé mais pas creusé au profit du potentiel comique un peu facile généré par les conseils en drague "canine" de Doug et les efforts de Carl pour paraître plus jeune (parfum, teinture). Quant on sait ce que représente Ellie pour Carl dans "Là-haut" (2008), on a du mal à croire qu'il se décide sur un simple malentendu à tenter de tourner la page. On ne retrouve pas le caractère renfrogné du personnage d'origine. Et en plus le film qui se résume presque entièrement à un tête à tête dans une pièce s'arrête avant que l'on ne voit le résultat de ses efforts. Oubliable.
Pixar m'a beaucoup manqué. Depuis "Soul" qui m'avait déçue, je n'y étais pas retourné et pourtant j'ai Disney +. Mais les studios Pixar racontent des histoires trop fondamentales pour être cantonnés à un robinet consumériste qui détruit l'expérience culturelle collective. Ce retour en salles avec un film original est donc une excellente nouvelle même si elle est déjà ternie par l'insuccès du film aux USA. Au moins aura-t-il fait la clôture du festival de Cannes qui a manifesté une remarquable constance dans son refus d'adouber le cinéma sur plateforme.
On a beaucoup décrit "Elémentaire" comme un croisement entre "Zootopie" pour l'esthétique de la ville (inspirée de New-York) et "Vice-Versa" pour le principe consistant à donner corps à l'intangible. C'est exact. L'influence des studios Ghibli pourtant cités à travers le nom d'un personnage n'a en revanche pas été analysée et c'est bien dommage. En effet Flam et ses parents doivent beaucoup esthétiquement à Calcifer, le "principe actif" qui fait tenir debout le "Château ambulant" alors que les métamorphoses de Flack ne sont pas sans rappeler celles de "Ponyo sur la falaise". Si ces deux personnages peuvent se rencontrer c'est justement parce que leur enveloppe corporelle est plastique. A condition de ne pas être soumis à des conditions extrêmes, l'eau et le feu ne s'annulent pas mais se complètent selon le principe du ying et du yang. Le film doit donc beaucoup (comme nombre de films Pixar) à la culture asiatique et Peter Sohn le réalisateur qui est d'origine coréenne a justement injecté beaucoup de son histoire personnelle dans le film. Les flamboyants y jouent le rôle des réfugiés climatiques quelque peu ghettoïsés dans une ville qui est davantage faite pour les trois autres éléments (l'air avec ses personnages-nuages et la terre avec ses plantes en pot vivantes auraient mérités un traitement plus approfondi: un deuxième volet ne serait pas de trop d'autant que Peter Sohn a réalisé en 2009 un court-métrage, "Passages nuageux" qui préfigure les personnages maîtres de l'air de "Elémentaire"). Flam représente l'enfant d'immigré tiraillée entre sa loyauté vis à vis des rêves de ses parents et ses aspirations propres. Flack est lui issu d'une famille aisée et ouverte d'esprit ce qui explique qu'innover ne lui fait pas peur. On remarque également que l'équipe s'est amusée à inverser les stéréotypes de genre. Flam est impulsive et intrépide alors que Flack est doux, empathique et déploie des torrents de larmes façon cartoon chaque fois que l'occasion se présente.
Même si l'histoire d'amour peut surprendre dans un univers qui s'est surtout surpassé dans son analyse du deuil, ce thème n'est pas complètement absent de "Elémentaire". Car pour s'intégrer, il faut muer comme le montrait avec tant de brio "Vice Versa" donc abandonner quelque chose de soi. Dans nombre de leurs films ("Monstres et Cie", "Cars"), les studios Pixar ont évoqué les quartiers d'immigrés, essentiellement d'origine italienne tenant des commerces. Le père de Flam qui a dû rompre avec son père pour émigrer possède une échoppe qu'il souhaite léguer à sa fille. Mais en rencontrant la famille de Flack, Flam se découvre un talent d'artiste verrière. Quant on disait que le film avait une portée personnelle...
En regardant "Les secrets de mon père", dernier film en date de Véra BELMONT, j'ai pensé (toutes proportions gardées) à "Maus" en raison du fait que l'oeuvre dont le film est l'adaptation est le roman graphique autobiographique de Michel Kichka qui comme Art Spiegelman est un fils de rescapé de la Shoah. Mais alors que "Maus" témoigne de la transmission de la mémoire de la Shoah entre les parents survivants et leur fils, "Les secrets de mon père" raconte celle d'enfants qui grandissent avec un père qui refuse de leur parler de son passé. Un silence assourdissant étant donné les séquelles que ce passé a laissé (l'absence des grands-parents, le tatouage sur le bras que les enfants croient être un numéro de téléphone) mais aussi les dégâts qu'il continue à faire ("ce passé qui ne passe pas") en isolant les générations les unes des autres et en traumatisant la descendance jusqu'à l'irréparable quand le père se lance dans un travail de mémoire auprès des médias et du grand public mais interdit à ses enfants d'y accéder. Le choix de l'animation (très classique sur la forme en dépit de quelques envolées oniriques, dommage étant donné que l'histoire se déroule en Belgique, un des fiefs de la BD) s'explique par le support d'origine mais aussi par le fait d'être centré sur l'expérience des enfants (alors que le roman graphique de Michel Kichka s'adressait à l'origine aux adultes). On peut regretter d'ailleurs que les soeurs de Michel soient si peu développées alors que l'aînée subit aussi les effets néfastes du secret à géométrie variable qui empoisonne toute la famille. Mais Michel Kichka centre logiquement le récit sur lui-même et son jeune frère Charly qui lui colle aux basques, évoquant les moments heureux de leur enfance mais surtout la blessure de l'incommunicabilité de plus en plus grande avec les années. Même si en héritant de son talent de dessinateur, Michel Kichka a pu au final se frayer un chemin jusqu'à son père, celui-ci s'est avéré des plus douloureux et constitue le principal intérêt du film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.