Miyazaki, l'esprit de la nature
Léo Favier (2024)
Avec un tel titre, je le sentais bien ce documentaire et je n'ai pas été déçue! Léo Favier a fait un travail remarquable d'approfondissement qui met en lumière les contradictions du maître japonais de l'animation, jamais aussi bien retranscrites que dans "Princesse Mononoke". Le film qui lui a ouvert les portes de l'Occident et qu'il considère lui-même comme un tournant dans sa carrière (c'est après ce film qu'il envisage pour la première fois de prendre sa retraite, mainte fois repoussée depuis) est le premier où il ne cherche pas à résoudre le conflit entre nature et culture, montrant tour à tour les facettes lumineuses et sombres de chacune et laissant ensuite chacun, y compris lui-même face à ses propres questionnements. Hayao Miyazaki mêle en effet dans chacun de ses films son expérience hantée de la guerre (il est né en 1941 et ses premiers souvenirs sont liés aux bombardements) et sa fascination pour les engins volants militaires aux connexions ancestrales entre humains et esprits de la nature issus du shintoïsme rural. Le documentaire met en relief le fait que tous ses films ont été réalisé dans un contexte de catastrophe naturelle et/ou humaine, passée, présente ou même à venir. Par exemple, "Porco Rosso" durant la guerre de Yougoslavie et le bombardement de Dubrovnik situé au bord de l'Adriatique, sur les lieux-même de son film. "Princesse Mononoke" dans la foulée du tremblement de terre de Kobé ainsi que l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Ou "Ponyo sur la falaise", trois ans avant le tsunami ayant provoqué la catastrophe de Fukushima. Hayao Miyakazi se place ainsi à la fois dans le passé, le présent et le futur de nos sociétés, quand nos descendants (des enfants en qui il place son espoir) devront composer avec le monde post-apocalyptique issu de la guerre des "sept jours de feu" (Nausicaa) ou des grands bouleversements climatiques (Ponyo) ou encore du consumérisme effréné (Chihiro). L'intervention de Toshio Suzuki (producteur du studio Ghibli) et de l'anthropologue Philippe Descola (spécialiste des relations entre humains et non-humains qui a contribué à changer le mot "nature" pour le mot "vivant") soulignent comment la vision shintoïste du monde dans laquelle l'homme est un écosystème comme un autre, animé du même souffle que tout ce qui l'environne s'oppose à la vision occidentale d'un homme se plaçant en dehors et au-dessus de la nature pour chercher à la dominer et à l'exploiter jusqu'à ce qu'à force de regarder ailleurs, il ne tombe avec la branche qu'il a scié. Une porte ouverte à la remise en cause des fondements de notre propre civilisation, que ce soit le cartésianisme ou le capitalisme qui semblent aujourd'hui plus que jamais nous mener vers une impasse.