"Mon petit frère de la lune" est un court-métrage d'animation touchant et poétique sur la problématique de l'autisme. C'est aussi un film familial. Le réalisateur Frédéric Philibert est le père du petit Noé dont on entend la voix dans le film et celui-ci a pour narratrice la grande sœur de Noé, Coline. Grande étant un mot tout relatif car elle n'a à l'époque de la réalisation du film que 6 ans. Par conséquent c'est un film vu à hauteur d'une enfant qui raconte avec ses mots, des mots très simples, candides et poétiques la différence de son petit frère. Symboliquement, celui-ci est entouré d'un halo de lumière alors que tous les autres personnages sont dans l'ombre. Ce halo symbolise la bulle autistique dans laquelle il est enfermé mais aussi son étrangeté foncière puisque selon Coline il vient de la lune. Et vu que son regard est toujours tourné vers le ciel et qu'il bat des bras comme un oiseau, il rêve sans doute d'y retourner. C'est extrêmement bien vu car de nombreux autistes se décrivent comme des extra-terrestres et rêvent d'aller vivre sur la lune (ou variante, sur une autre planète ou encore sous l'eau). Coline l'observe et trouve intuitivement les jeux qui peuvent lui permettre d'entrer en contact avec lui, comme de lui présenter des objets qui brillent ou mettre en chapeau sur sa tête et courir pour qu'il essaye de l'attraper, une stimulation sensorielle procurant une sensation d'apaisement*.
* Sachant qu'il y a autant de formes d'autisme que d'autistes, certains auront un système vestibulaire hypersensible qui leur rendront insupportables les mouvements instables ou imprévisibles avec une peur permanente de tomber alors que d'autres, hyposensibles s'autostimuleront en se balançant, sautant, courant ou en tournant en cercle. Il en va de même pour les cinq sens. Noé dans le film ne supporte pas les bruits trop forts et qu'on lui coupe les ongles ou les cheveux mais aime les objets brillants donc les lumières vives.
"Mary et Max" est un film d'animation en stop motion complètement atypique qui nous plonge au cœur d'une relation épistolaire sur une vingtaine d'années entre deux êtres très éloignés sur le plan générationnel, géographique et culturel mais très proches par leur sentiment de solitude et de différence. Comme le dit joliment Max, Mary et lui doivent emprunter par rapport aux êtres humains lambdas des chemins particulièrement tortueux, plein d'obstacles et de fissures. Car si la réalité dépeinte dans le film est très sombre, l'écriture est une bouée de sauvetage qui apporte de la poésie et de la joie. Le monde noir et blanc de Max se colore et celui, maronnasse de Mary s'adoucit. Et ce même si leur relation n'échappe pas aux malentendus et autres interruptions dues aux vicissitudes de la vie. Mary est une petite fille (puis jeune fille, puis jeune femme) très complexée par son physique ingrat, négligée par des parents indisponibles et qui de ce fait manque cruellement de confiance en elle. Cette fragilité foncière la fait plonger en dépression à chaque désillusion de la vie. Max est quant à lui un homme d'une quarantaine d'années d'origine juive qui souffre d'hyperphagie, de solitude (il n'a que des objets, des animaux et un ami imaginaire pour compagnie) et d'une inadaptation globale au monde qui l'entoure qu'il trouve chaotique et confus. Bien avant qu'il soit diagnostiqué asperger (vers le milieu du film), on reconnaît les divers symptômes de ce trouble du développement: une intolérance aux bruits, aux lumières et aux odeurs trop fortes, une difficulté à communiquer liée à l'incapacité à exprimer les émotions, l'incompréhension du langage non verbal et une compréhension uniquement littérale du langage verbal (on le voit emporter une chaise après que la secrétaire du dentiste lui ait signifié qu'il pouvait "prendre ce siège"), des crises d'angoisse face aux imprévus ou à des demandes trop intrusives pouvant aller jusqu'à faire disjoncter le cerveau, le rêve d'aller sur la lune ou sur une île pour être au calme, les balancements et les manies (collections, routines, détails chiffrés) pour s'apaiser. La connaissance de cet handicap est remarquable, de même que les souffrances liées à des traitements inadaptés. Considéré au mieux comme bizarre, au pire comme débile, Max est plusieurs fois interné en psychiatrie, mis sous camisole chimique ou soumis à des électrochocs, envoyé en analyse. Bref il est considéré comme un cas à soigner, à rééduquer alors que le film montre de toute évidence l'échec complet de toutes ces tentatives de manipulation sur lui.
"Mary et Max" est un film très âpre et en même temps très poétique parce que rien n'est montré de façon niaise ou larmoyante mais par le prisme d'une interprétation décalée par la naïveté de l'enfance pour l'une et par l'étrangeté du fonctionnement psychique de l'autre. La mère alcoolique "teste le sherry", la tache de vin sur le front est le signe que Mary sera la reine du chocolat dans le ciel et le hot-dog au chocolat est la recette préférée de Max. Mary et lui s'échangent tout au long de leur relation (jamais directe et pour cause, même si l'un n'habitait pas New-York et l'autre, l'Australie, il y aurait toujours un mur de verre entre eux) cette substance aussi revigorante que réconfortante.
Qui ne connaît l'hymne protestataire d'Another brick in the wall commençant par "we don't need no education, we don't need no thought control" et le clip en partie animé où l'on voit des élèves d'une école anglaise portant d'horribles masques tomber dans une machine à fabriquer de la chair à saucisse, le boucher n'étant autre que leur professeur? Ce n'est que l'un des moments phares du long-métrage musical de Alan PARKER, sorte de cauchemar sous acide mélangeant prises de vue réelles et animation et non-linéaire dans sa narration (mais cohérent tout de même) où une star du rock (prénommée Pink ^^ et jouée par Bob GELDOF mais inspirée en partie de la vie de Roger WATERS) traverse paradoxalement depuis la chambre d'hôtel où il s'est bunkérisé 40 ans d'histoire individuelle et collective. Tout y passe: première et seconde guerre mondiale, concerts rock transformés en grand-messe nazie avec Pink en SS puis pogroms dans les quartiers de Londres, guerre du Vietnam et ses manifestations étudiantes violemment réprimées par la police et métaphoriquement, guerre froide et son rideau de fer détruisant tout sur son passage (dans la séquence animée, les fleurs deviennent des barbelés, l'enfant devient un SS qui fracasse le crâne de son père et le patrimoine historique est détruit lorsqu'il se trouve dans la zone du mur ce qui s'avère être tristement prophétique, la chapelle de la réconciliation à Berlin ayant été détruite 3 ans après la sortie du film parce qu'elle gênait la visibilité au niveau de la frontière entre les deux murs). Une vision de l'histoire contemporaine sombre et torturée voire nihiliste qui correspond aux troubles mentaux de Pink, lequel oscille d'un état apathique à de brusques explosion de violence où il ravage tout sur son passage. Dans ses hallucinations, il redevient un bébé prostré en position fœtale voire une poupée de chiffons soumis à des adultes terrifiants: sa mère étouffante, son professeur tyrannique, sa femme infidèle (et les femmes en général) transformées en plantes carnivores, le juge qui l'écrase ou encore l'impresario qui coûte que coûte veut le faire monter sur scène. Ce trip aux frontières de la folie que l'on peut voir comme une peinture de la shizophrénie (d'un côté le dépressif solitaire vautré devant sa TV, de l'autre le meneur de foules) est aussi une parabole sur l'autisme. Pink subit des brimades depuis son enfance, est incompris, isolé et rejeté. Il finit par vivre coupé du monde, incapable de communiquer avec qui que ce soit et passe son temps immergé dans un bocal à poissons (ses créations puis quand cela tourne au carnage, la TV ou la piscine de son hôtel). Dans une scène ultra significative, on le voit trier et aligner avec soin les débris issu du saccage de sa chambre d'hôtel comme si il avait besoin de recomposer un monde qui lui appartienne après avoir détruit celui des autres. Les séquences nazies où les violences s'abattent sur les minorités peuvent être interprétées comme une auto-flagellation puisque Pink est différent (le premier groupe a avoir été exterminé par les nazis étaient d'ailleurs les handicapés) de même que la condamnation finale consistant à abattre le mur et à l'exposer aux yeux de tous.
"Les enfants du temps" est le dernier film de Makoto SHINKAI le réalisateur du très remarqué "Your name" (2016). Mais "Les enfants du temps" lui est encore supérieur en jouant avec virtuosité et une grande précision sur deux tableaux, celui de l'hyper réalisme et celui du fantastique poétique. Le titre est très approprié car effectivement les enfants du film sont bien de "leur temps", un temps de crise sociale et écologique aigüe. Les héros sont des adolescents laissés-pour-compte de la société, livrés à eux-mêmes et tentant de survivre dans la jungle urbaine de Tokyo comme dans "Le Garçon et la Bête" (2015). Peu à peu, on les voit tenter de reconstruire quelque chose qui ressemble à un foyer. Mais comme dans "Une Affaire de famille" (2018) ils sont rapidement inquiétés par les autorités alors que le seul adulte qui leur a tendu la main se dérobe à son tour, de peur de ne plus pouvoir rendre visite à sa propre fille, lui aussi ayant vu sa famille se faire atomiser. Et bien qu'en ces temps troublés par les catastrophes écologiques à répétition, c'est le feu qui occupe le devant de la scène, la montée des eaux est tout aussi préoccupante. Makoto SHINKAI imagine quelque chose qui ressemble au Déluge. Une pluie diluvienne qui ne peut être interrompue que par le sacrifice d'une "fille-soleil" dotée de pouvoirs paranormaux. Mais le garçon qui l'aime se révolte contre l'injustice qui consiste à échanger une innocente contre le sauvetage d'une société malade et préfère vivre avec elle dans une ville noyée sous les eaux et "sans soleil". Comment ne pas voir dans ce thème un hommage à Chris MARKER et son documentaire sur les "pôles extrêmes de la survie" incluant le Japon, seul pays riche à avoir conservé un tel degré de conscience de sa fragilité intrinsèque et de ce fait à avoir gardé un lien puissant avec les forces invisibles. Hina la "fille-soleil" étant reliée au ciel de par sa nature même, elle a le pouvoir de provoquer des éclaircies ou de faire tomber la neige en plein milieu de l'été.
"Le Monde perdu" est l'œuvre matricielle d'où sont sortis des films de monstre tels que les "Jurassic park" (du côté des USA) et les "Godzilla" (du côté du Japon). Il préfigure également le premier chef- d'œuvre parlant du genre "King-Kong" qui reprend la même technique mélangeant prises de vue réelles et animation en stop motion pour les créatures fantastiques ou disparues. "Le Monde perdu" et "King Kong" sont les deux réussites les plus éclatantes de Willis O'Brien, l'inventeur et le metteur en scène de cette technique d'effets spéciaux*. En dépit de leur âge, les scènes mettant en scène les dinosaures restent impressionnantes (dommage qu'il y ait parmi eux un homme déguisé en singe qui ne fait quant à lui pas du tout illusion). Il y a même devant leur fuite éperdue devant l'éruption volcanique et l'incendie géant qui en résulte une étrange résonnance contemporaine.
Ceci étant si "King Kong" est davantage passé à la postérité que "Le Monde perdu" (sauf via des citations dans ses avatars contemporains) c'est à cause principalement de son scénario. Celui du "Monde perdu", adapté du livre éponyme de Sir Conan Doyle (le père de Sherlock Holmes) paru en 1912 relève du récit d'aventure divertissant à la Jules Verne ou H.G Wells** alors que celui de "King-Kong", bien que présentant des similitudes avec celui du "Monde perdu" (dont il s'est sans doute inspiré) est plus érotique, plus tragique et intègre une puissante dimension de critique politique et sociale. Bref il y a comme une différence de maturité ^^. Le contexte des deux films a sans doute une incidence dans leur tonalité. "Le Monde perdu" a été écrit à la Belle Epoque et réalisé durant les "roaring twenties" alors que "King Kong" date du début des années 30 alors que sévissait la grande crise.
* Ici assisté de Marcel Delgado qui créa les modèles réduits de sauriens à l'aide d'une armature métallique recouverte de caoutchouc et de matière spongieuse afin de faire illusion à l'écran.
** Le dénouement du "Monde perdu" peut être considérée comme l'histoire de la genèse du monstre du Loch Ness.
"The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" est le premier film réalisé par Willis O'Brien en 1915. Il combine ses deux passions: les dinosaures et l'animation en stop motion dont il est un pionnier. C'est en effet en manipulant des figurines en pâte à modeler qu'il fabriquait lui-même qu'il a eu une idée géniale. En s'inspirant des techniques utilisées pour animer les dessins il a l'idée d'enregistrer millimètre par millimètre tous les déplacements de ses figurines pour que le défilement des images créé l'illusion du mouvement. Après un essai concluant d'une durée de une minute montrant un combat entre un homme des cavernes et un dinosaure, il décide de créer un court-métrage d'animation avec cette technique, c'est "The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" qui en dépit de son titre est comique et se situe quelque part entre les "Pierrafeu", la partie préhistorique de "Les Trois âges" (1923) et pour les anachronismes tels que "je vous offrirai bien le thé mais celui-ci n'a pas encore été inventé", "The Three Must-Get-There" (1922). Par la suite, Willis O'Brien a perfectionné cette technique dans le domaine des effets spéciaux pour le cinéma de science-fiction en prises de vues réelles qui offrait plus de débouchés que les films d'animation avec la consécration de "King Kong" (1932). Il faut d'ailleurs souligner que si ce court-métrage a été réalisé en 1915, il n'est sorti qu'en 1917 lorsque la compagnie Edison l'a acheté et l'a distribué.
Georges MÉLIÈS est le père des effets spéciaux. Willis O'Brien est le père des effets spéciaux des films de monstre. Il est en effet l'un des pionniers de la technique d'animation en stop motion qui l'a rendu célèbre avec la création et l'animation du bestiaire de "King Kong" (1932) (y compris son gorille géant). Il a également réalisé un long-métrage célèbre "Le Monde perdu" (1925) dans lequel il a donné libre cours à sa passion pour les dinosaures. C'est cette passion conjuguée à celle des effets spéciaux qui l'a amené à faire du cinéma. Son premier film en 1915, "The Dinosaur and the Missing Link: A Prehistoric Tragedy" était déjà consacré à ces animaux préhistoriques.
La postérité de Willis O'Brien est immense. Elle se divise en deux grandes catégories. D'une part les cinéastes qui réalisent des films d'animation en volume et se réclament de son héritage comme Tim BURTON ou Nick PARK et de l'autre, les réalisateurs de films fantastiques et de science-fiction qui se sont fortement inspirés de son élève Ray HARRYHAUSEN: George LUCAS, Steven SPIELBERG, James CAMERON etc. Tous ont intégré de la stop motion à un moment ou à un autre dans leurs films (le jeu d'échecs animé de Star Wars par exemple) mais la filiation la plus éclatante est celle de "Jurassic Park" (1993) qui par sa thématique, ses choix de mise en scène et de techniques d'effets spéciaux a rendu "Le Monde perdu" (1925) éternel. Le titre de la suite est d'ailleurs sans équivoque, "THE LOST WORLD: JURASSIC PARK" (1997).
"The Ghost of slumber mountain" durait à l'origine 40 minutes. Mais à la suite d'une querelle entre Willis O'Brien et le producteur Herbert M. Dawley (à qui certains attribuent même la paternité du court-métrage) il fut réduit à 18 minutes. Il vaut surtout pour les séquences où apparaissent les bébêtes préhistoriques dans le viseur d'un objet permettant de voyager dans le temps: un brontosaure paissant dans un sous-bois, un oiseau géant mangeant un petit serpent, un combat entre deux tricératops et enfin, le clou du film, un combat entre un tricératops et un tyrannosaure.
"Le Pôle Express" est le premier des trois films que Robert ZEMECKIS a réalisé à l'aide de la technique de la performance capture qui en était alors à ses débuts. L'aspect expérimental de son film vient appuyer sa recherche constante d'élimination des lois physiques qui compartimentent l'existence humaine. Avec le "Pôle Express", l'impossible devient possible: les obstacles se dématérialisent, permettant à la caméra de les traverser, les humains fusionnent avec leurs jouets, devenant des êtres synthétiques affranchis des contingences spatio-temporelles. C'est ainsi qu'un même acteur (Tom HANKS) après avoir pu s'incruster dans des images d'archives (dans "Forrest Gump" (1994)) peut ici incarner en même temps six personnages différents dont un vieillard et un enfant (ainsi que son père). De même le film défie les lois de la gravité avec de nombreuses séquences de montagnes russes qui donnent l'impression de voler. La plus virtuose est celle du ticket de train, à juste titre comparé à la plume de Forrest Gump (mais aussi au ticket d'or de "Charlie et la chocolaterie" ou bien à l'aventure tout aussi magique du Poudlard Express ^^). C'est cette dimension de liberté absolue qui donne au film son aura de rêve éveillé (la musique de Alan SILVESTRI y est aussi pour quelque chose) et lui permet de dépasser un discours de surface très niais sur "l'esprit de noël" et une intrigue initiatique convenue. Le "Pôle Express" en dépit de ces grosses ficelles ouvre une autre voie aux enfants sortis de l'illustration de Norman Rockwell brisant le mythe du père Noël en leur permettant de grandir sans s'amoindrir.
"Une oeuvre telle que Gwen, le livre de sable partage souvent son public : tandis que certains pourront y rester hermétiques, d'autres la considèreront peut-être comme un chef d'oeuvre. Quoi qu'il en soit, tous s'accorderont à dire que c'est un film rare, une poésie vivante, un conte aux images animées, tout droit sorti d'un univers surréaliste comparable aux tableaux de Salvador Dali."
Voici comment commence la fiche Benshi consacrée à "Gwen, le livre de sable." Si je la cite, c'est parce que je la trouve très juste. Je fais partie de ceux qui considèrent le premier long-métrage de Jean-François LAGUIONIE comme un chef d'œuvre mais je pense de même d'un film comme "2001, l'Odyssée de l'espace" (1968) qui continue régulièrement à être rejeté d'une partie du public qui ne le comprend manifestement pas. "Gwen, le livre de sable" partage avec l'odyssée spatiale de Stanley KUBRICK un caractère énigmatique et contemplatif. On y rentre ou bien on y reste extérieur et c'est l'ennui assuré. Mais il serait dommage de passer à côté de cette pépite si délicate et subtile uniquement parce que le film est un peu difficile d'accès ou du moins ne se donne pas immédiatement.
"Gwen, le livre de sable" m'a fait spontanément penser à deux autres œuvres: "Désert", le livre de JMJ Le Clézio et "Nausicaä de la vallée du vent" (1984) de Hayao MIYAZAKI qui est sorti peu avant le film de Jean-François LAGUIONIE (le livre de Le Clézio est également un contemporain de ces films puisqu'il a été publié en 1980). Les trois œuvres ont en commun une forte dimension spirituelle (dont le désert est le lieu de recueillement par excellence) et par conséquent leur rejet viscéral du monde industriel matérialiste. En raison sans doute de l'époque, les films de Miyazaki et Laguionie se situent tous deux dans un monde post-apocalyptique pollué ce qui les rend particulièrement pertinents au vu des préoccupations environnementales qui sont les nôtres aujourd'hui. Pas de forêt toxique chez Laguionie mais des déchets de toutes sortes qui jonchent le désert et un grand centre commercial désaffecté devenu une sorte de temple dédié à l'adoration des objets de consommation reproduits à l'échelle de totems géants dont les humains ne connaissent plus l'usage pratique, la bible permettant de célébrer l'office et de dessiner les modèles n'étant autre qu'un vulgaire catalogue de vente par correspondance! La régression sociale liée à la peur de l'inconnu est un autre thème commun aux deux films qui en plus y répondent de la même manière, c'est à dire en mettant en avant une courageuse héroïne ce qui en fait des films non seulement écologistes mais également féministes. Gwen qui est orpheline va progressivement se libérer des peurs de la communauté nomade qui l'a recueillie par amour pour un jeune garçon handicapé enlevé par une entité mystérieuse et s'aventurer au-delà des lieux fréquentés par la tribu pour le retrouver. Comment ne pas penser à la quête initiatique de Lalla, l'héroïne touareg du livre de Le Clézio, elle aussi orpheline, elle aussi marginale, elle aussi amoureuse d'un garçon handicapé dans un contexte de survie qui ne relève cette fois pas de la science-fiction mais de l'histoire récente (massacre de ses ancêtres par les colons au début du XX° siècle, sédentarisation des survivants dans des bidonvilles, misère, exploitation).
Ajoutons que cette incroyable richesse thématique et cette profondeur philosophique s'accompagnent d'images belles à couper le souffle que ce soit les nomades marchant dans le désert sur des échasses, les scènes d'amour en esquisses ou les séquences surréalistes et poétiques dans le temple qui font effectivement penser aux tableaux de Dali ou de Giorgio de Chirico. Bref, ce film est une pure merveille pour les sens et pour l'esprit.
Il s'agit du premier film de Jean-François LAGUIONIE réalisé en 1965 dans les studios de Paul GRIMAULT. Ce dernier qui a produit le film lui a prêté une caméra et lui a dit de se lancer alors qu'il n'avait reçu aucune formation préalable en animation. Il montait en effet à l'époque des spectacles de théâtre en ombres chinoises pour les enfants. C'est ainsi qu'est né "La Demoiselle et le Violoncelliste", délicieux court-métrage primitif dans sa technique (des pantins de papiers découpés grossièrement animés) mais au contenu délicat, étrange et poétique comme les génériques animés des années 70-80 de Jean-Michel Folon. On y voit un musicien dans un paysage maritime bordé par des falaises déchaîner sans le vouloir une tempête en jouant le concerto de Edouard Lalo. Celle-ci emporte au loin une jeune pêcheuse de crevettes. Le musicien en tentant de la sauver se retrouve avec elle au fond de la mer pour ce qui est le passage le plus surréaliste du film avec des monstres marins et un travail sur le son étouffé du concerto. Surréaliste est aussi le moment où le couple émerge de l'océan et se retrouve face à une petite société balnéaire qui incarne la civilisation. Toute l'œuvre à venir du réalisateur est déjà en gestation dans ce court-métrage qui brasse les thèmes de la nature et de la culture, du goût pour la mer et l'aventure mais aussi pour la solitude.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)