Marius
Alexandre Korda (1931)
"Marius, à quoi tu penses?" dit Fanny (Orane Demazis) le visage tourné vers celui qu'elle aime.
"Eh! Peut-être à toi!" répond Marius (Pierre Fresnay), le regard littéralement aimanté par le lointain. Et la caméra de renchérir par un long travelling en nous montrant ce qu'il regarde: un bateau sur le point d'appareiller.
"Menteur, va!" répond Fanny, pas dupe.
Rarement entrée en matière aura aussi bien ramassé l'identité et les enjeux d'un film, le premier de la trilogie marseillaise de Pagnol réalisé par Alexandre Korda. Marseille, actrice à part entière de l'histoire, le vieux port, théâtre de l'action, la sieste des vieux piliers de boutiques et les petits jeunes qui en profitent pour flirter. Sauf qu'à ce quotidien débonnaire se greffe une dimension tragique: le désir éperdu de Marius pour la mer et le désir non moins éperdu de Fanny pour Marius. C'est sur cet équilibre miraculeux entre deux dimensions de l'expérience humaine (le quotidien et l'évasion, le comique et le tragique, le léger et le grave, le local et l'universel) que fonctionne le film. Un vrai film de cinéma en dépit de ses racines théâtrales. D'une part parce qu'il nous fait sentir l'atmosphère d'un port du sud de la France (l'utilisation du parlant qui permet de faire vibrer l'accent mais aussi de savourer des dialogues aux petits oignons, le vent qui gonfle les voiles, les marins en goguette, le marché aux poissons etc.) de l'autre parce qu'il est pétri d'humanité en magnifiant les acteurs par une foison de gros plans sur leurs visages. Et quels acteurs! Raimu bien sûr, véritable "bête fôve" à la présence hallucinante, excessif dans la tendresse comme dans la colère. Mais aussi Charpin, plus policé en apparence mais non moins complexe dans un rôle du barbon rival de Marius (thème littéraire par excellence de Molière à Beaumarchais). Pierre Fresnay que Raimu ne peut s'empêcher de chambrer dans le film en prenant l'accent alsacien mais qui apparaît plus marseillais que les marseillais et dont le déchirement se traduit par une fièvre qui le ronge de l'intérieur. Non moins fiévreuse est Orane Demazis, véritable tragédienne dans l'âme. Des acteurs de cette trempe, capables de cette passion venue du fond des tripes, on n'en trouve plus guère aujourd'hui.
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