Premier film des Monty Python, "Pataquesse" (son premier titre) qui fête son cinquantième anniversaire est un florilège de leurs meilleurs sketches extraits de l'émission de télévision "Monty Python s Flying Circus" (1969) qui fit les beaux jours de la BBC1 entre 1969 et 1974. Le film datant de 1971, seules les deux premières saisons de l'émission (qui en compte quatre) sont représentées. Les sketches ont été retournés pour le cinéma avec le projet (réussi!) de donner à la troupe une notoriété internationale.
Le titre francophone du Flying Circus résume parfaitement l'humour anglais des Python "Absurde n'est-il pas?" Absurde, non-sensique et pourtant non dénué de sens, c'est d'ailleurs sur un autre film à sketches que s'est achevé la carrière cinématographique des Python (en tant que groupe), le bien justement intitulé "Monty Python : Le Sens de la vie" (1982). Même s'il n'y a pas un fil directeur aussi travaillé que dans le film de 1982, "Pataquesse" bénéficie quand même d'effets de transition entre les sketches qui ainsi résonnent entre eux notamment grâce aux animations loufoques de Terry GILLIAM. Les cibles du groupe sont les institutions, tournées en ridicule: l'armée, l'administration, le mariage, le patriarcat, l'Eglise ou encore les médias. Certains sketches sont hilarants (pas forcément les plus connus selon moi): le gang des vieilles dames qui terrorisent le quartier (les hell's grannies, il fallait y penser!); le conseiller d'orientation matrimoniale (Eric IDLE) qui se paye en nature avec l'épouse aguicheuse juste sous le nez du mari cocufié (rôle attribué à Michael PALIN, le spécialiste des benêts et des faibles en tous genres) ou dans le même genre le désopilant "Nudge Nudge" avec dans le rôle de l'obsédé, toujours Eric IDLE et celui de l'homme subissant ses insinuations sexuelles, Terry JONES. On rajoutera la chanson du bûcheron (Michael PALIN), de plus en plus tendancieuse au fur et à mesure de son déroulement ou encore "Blackmail", une émission de télévision extorquant de l'argent aux spectateurs, notamment un militaire (Graham CHAPMAN) en diffusant des images compromettantes*. Humour grinçant rehaussé par le fait que le présentateur putassier (Michael PALIN encore!) était quelques minutes auparavant un timide comptable, "M. Anchois" qui cherchait une reconversion plus excitante dans le bureau d'un conseiller d'orientation professionnelle (John CLEESE)...
* Et qui s'appuie sur la réalité historique de la société britannique experte en chantage sexuel (comme le montre "La Victime" (1961) de Basil DEARDEN).
"Un poisson nommé Wanda" (vu, revu, re-re-vu et toujours aussi poilant) c'est la fusion réussie du meilleur de la comédie américaine et de la crème de l'humour british. Un personnage l'incarne mieux que tout autre: l'avocat joué par John CLEESE tout droit sorti des Monty Python s'appelle Archie Leach, soit le véritable nom de Cary GRANT. Celui-ci était certes d'origine britannique mais il s'est illustré dès les années 30 dans la screwball comédie US. Un genre fondé sur la guerre des sexes avec des hommes souvent ridiculisés et des femmes fortes. Or l'irrésistiblement sexy Wanda (Jamie Lee CURTIS, fille de Tony CURTIS et de Janet LEIGH: sacré hérédité!) croqueuse d'hommes et de diamants a pour complices une bande de bras cassés pas piqués des vers. Là encore, le casting est un mélange américano-britannique avec d'un côté Otto (Kevin KLINE) le psychopathe débile et maladivement jaloux et de l'autre Ken (Michael PALIN, autre membre de la bande des Monty Python qui a remplacé Graham CHAPMAN alors déjà très malade), bègue et ami des bêtes (contrairement au film qui n'est pas tendre avec elles). Il y a bien un chef de bande quelque part, George (Tom GEORGESON) mais il est l'un des dindons de la farce, cocufié et mis en cabane par Wanda et Otto donc pas top question crédibilité. Quant à John CLEESE (également co-auteur du scénario) il est le clou du spectacle, dans un rôle qui lui va comme un gant, celui du british coincé qui au contact de Wanda se lâche avec une jubilation communicative. Sa scène de strip-tease est passée à la postérité et rappelle une séquence de "Monty Python : Le Sens de la vie" (1982) dans laquelle il jouait le plus sérieusement du monde un professeur qui faisait un cours d'éducation sexuelle à ses élèves en leur faisant une démonstration live de la chose avec son épouse (en plus il y avait déjà un aquarium avec des poissons dans le film, ceux-ci ayant la tête des six de la bande, est-ce un hasard?)
Oui on peut rire de tout à condition de le faire intelligemment. A ce jeu là, les membres des Monty Python ont tout compris. Plutôt que de concentrer leur satire sur des figures religieuses d'une envergure exceptionnelle et qui n'ont donc rien de drôle, ils ont fait un pas de côté dès la première et hilarante séquence dans laquelle les rois mages se trompent d'étable*. Car tel est le destin de Brian Cohen de Nazareth: être pris à son corps défendant pour un messie. L'humour des Python fait rage dans cette relecture iconoclaste des Evangiles, épinglant la ferveur des fidèles suivant aveuglément un homme qui n'a rien demandé en vénérant les objets qui lui appartiennent comme si c'étaient des signes divins, ridiculisant les autorités romaines aussi peu efficaces que dans un album d'Astérix (mais avec des noms nettement plus trash) et se moquant du militantisme des opposants, des "terroristes" plus doués pour blablater que pour agir (surtout leur chef, un planqué de première). Comme dans "Sacré Graal", les anachronismes font des merveilles, que ce soit la séquence dans laquelle Brian est sauvé par un vaisseau spatial qui rappelle en tous points celui du premier "Star Wars" qui avait triomphé au box-office deux ans plus tôt ou bien celle qui voit un groupe de samouraï se faire hara-kiri au lieu de secourir des crucifiés qui finissent par entonner joyeusement "Always look the bright side of life" en totale contradiction avec l'horreur de la situation. Comme dans "Sacré Graal" également chacun des membres du groupe interprète plusieurs rôles mais ceux qui se distinguent le plus c'est Graham Chapman qui après avoir endossé le rôle du roi Arthur devient l'alter ego malchanceux de Jésus et sa virago de mère, jouée par Terry Jones, également réalisateur du film. En dépit de son délire parodique, le film est extrêmement bien documenté historiquement. Il fourmille de détails véridiques et de connaissances pointues sur la période, Terry Jones étant également historien. On peut ajouter que contrairement à "Sacré Graal", il s'agit d'une véritable histoire et non d'une suite de sketches. "La Vie de Brian" apparaît plus que jamais d'actualité lorsqu'il évoque l'irrationnalité des foules prêtes à croire aveuglément en n'importe qui (Trump par exemple qui a renouvelé la notion de culte impérial en se présentant comme une figure invincible**) ou à l'inverse à lyncher les blasphémateurs qui osent ébranler le mythe.
* Ce qui n'a pas empêché le film d'être accusé à sa sortie d'être blasphématoire et d'être interdit dans plusieurs pays.
** "Le vrai sujet du film c’est : le besoin de l’être humain d’avoir quelque chose à suivre, à idolâtrer" (Terry Jones).
Un grand film fauché qui nous sort un gag tordant à la seconde, on y perd son latin ou plutôt son anglais. Il y a au moins trois ingrédients qui expliquent cet OVNI indémodable et culte du paysage cinématographique (même si à titre personnel j'ai une préférence pour le moins connu Sens de la vie):
- Comme je le disais plus haut, le tout petit budget accordé aux Monty Python pour réaliser leur premier film les a paradoxalement servis. Ainsi le gag des noix de coco, utilisé dans les studios de doublage pour imiter le bruit du galop devient-il ici un gag du plus haut effet comique servant à ridiculiser Arthur et ses chevaliers réduits à des enfants contraints de faire semblant de "jouer à dada" sur des chevaux fantômes. On peut en dire autant d'un autre gag célébrissime du film, celui du lapin tueur.
- Noix de coco et lapin tueur ont aussi pour fonction de participer au caractère brechtien et iconoclaste du film qui casse tout effet d'illusion cinématographique. Le générique à tiroirs, à rallonge et à différents degrés a pour mission d'annoncer la couleur. La discussion avec les chevaliers du château qui demandent d'où peuvent venir les noix de coco souligne le caractère absurde du film. Enfin l'anachronisme est utilisé comme une mise en abyme réjouissante de l'époque à laquelle le film a été tourné, à savoir celle de la guerre froide USA/URSS. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la scène de lutte des classes entre Arthur et un groupe de paysans anarcho-syndicalistes organisés en communes autonomes ainsi que l'apparition d'objets/aliments contemporains (voiture, orange...) ou la répétition d'une même scène ou l'interruption de l'action pour interpeller l'équipe du film. A partir du meurtre de l'historien par un chevalier, le Moyen-Age et l'époque contemporaine se télescopent jusqu'à être réunies dans les scènes finales. Celles-ci laissent d'ailleurs entendre qu'Arthur et ses chevaliers pourraient tout à fait être des fous échappés d'un asile en 1975. Ou bien plus subversivement que la légende arthurienne, ciment national anglais (avec le sentiment anti-français retourné contre eux et ridiculisé) n'est qu'un leurre.
-Enfin la "parodie érudite" est un autre cocktail détonnant. Terry Jones et Terry Gilliam ont une connaissance approfondie du Moyen-Age et de son iconographie. Ainsi le code d'honneur du chevalier mû par l'amour courtois est fidèlement retranscrit mais tourné en dérision. Lancelot trucide sauvagement tous ceux qui croisent son chemin pour délivrer une princesse enfermée dans sa tour qui s'avère être un prince efféminé. De même le ménestrel censé chanter les louanges de Robin se met à vanter sa couardise. Idem avec les religieux. Les moines en prennent pour leur grade mais les enluminures animées de Gilliam qui ouvrent les sketches rappellent leur fonction de copiste et d'enlumineur de manuscrits tout en détournant leur contenu. Même le lancer de vache trouve ses origines dans la ruse imaginée par les habitants d'un château assiégé par les troupes de Charlemagne. Ils avaient lancé un cochon par dessus les remparts pour leur faire croire qu'ils avaient encore de la nourriture. Ce qui avait eu pour effet d'entraîner la levée du siège.
Le sens de la vie est un titre particulièrement ironique pour les maîtres du nonsense que sont les Monty Python. Troisième et dernier long-métrage du groupe d'humoristes anglais, il n'est peut-être qu'une suite de sketches mais quels sketches! Quasiment que du culte: éducation sexuelle en live dans un pourtant très strict college britannique (Cleese adore se désaper); catholiques pondeurs d'enfants entonants "Every sperm is sacred" sous le regard d'un protestant ultra coincé qui proclame sa fierté de pouvoir porter des capotes à plumes; parturiente oubliée au profit de la machine qui fait "ping"; client obèse d'un restaurant chic dévorant et vomissant à s'en faire péter la panse (au sens propre); donneurs d'organes prélevés de leurs vivant; colonisateur se faisant arracher la jambe sans sourciller; grande faucheuse venant embarquer les invités d'une soirée à la façon du 7eme Sceau; poissons sous LSD; employés de banque transformés en pirates et trucidants leurs patrons etc. Aucune forme d'autorité ne résiste aux Pythons. Comme toujours leur humour oscille du mauvais goût le plus assumé aux références culturelles les plus subtiles. Le court-métrage qui ouvre le film signé Gilliam tranche avec le reste par son ambition visuelle (un immeuble devient un bateau de pierre qui parcourt une terre plate jusqu'à atteindre sa bordure et tomber) et annonce Brazil.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.