Obsession
Brian De Palma (1976)
"Obsession", l'une des œuvres maîtresse de Brian de Palma contient un passage qui a mon avis résume parfaitement la nature de palimpseste de nombre de ses films:
"Il y a quelques années, bien après les inondations, l'humidité s'est infiltrée dans le retable qui a commencé à s'écailler, révélant un tableau plus ancien. Alors les historiens d'art ont dû prendre une décision. Fallait-il détruire l'œuvre de Daddi pour mettre à nu une ébauche rudimentaire ou conserver le tableau sans chercher à savoir ce qui se cache dessous?"
Les œuvres plus anciennes recouvertes par le tableau mais qui lui donnent toute sa force se sont celles de Alfred Hitchcock pour lesquelles Brian de Palma nourrit une véritable obsession et qu'il revisite d'une manière inspirée, particulièrement dans ce film. En effet on reconnaît parfaitement les œuvres du maître et pourtant jamais on a l'impression de la moindre redite. De plus loin d'être un exercice de style un peu vain, cette variation aboutit à un final bouleversant.
Dès le générique, le patronage est assumé puisque la musique est signée Bernard Herrmann et s'inspire beaucoup de celle de "Vertigo", de loin le film le plus présent dans le film de De Palma. Que ce soit au niveau de l'atmosphère onirique obtenue à l'aide de filtres qui donnent à l'image un aspect ouaté, des lieux visités qui bien que géographiquement situés aux antipodes dialoguent entre eux (cimetière, église, tombeau) des mouvements de caméra où la figure circulaire à l'image de l'histoire est récurrente ou enfin des thèmes abordés (un veuf inconsolable découvre un sosie de son épouse décédée pour laquelle il éprouve une obsession amoureuse sans savoir qu'il est victime d'une manipulation de la part d'un faux ami avec la complicité du sosie), tout rappelle "Vertigo" dans "Obsession" avec un effet de mise en abyme supplémentaire puisque "Vertigo" était déjà une métaphore du cinéma. Mais si la beauté de "Obsession" est due à la relecture de "Vertigo", son âme quant à elle doit beaucoup à "Pas de printemps pour Marnie." La façon dont Sandra revit le traumatisme infantile de son abandon tout en étant filmée dans son corps d'adulte est semblable et Geneviève Bujold donne à son rôle la même intensité bouleversante que Tippi Hedren dans le film de Hitchcock. Il faut entendre ce cri du cœur qu'elle pousse à la fin du film et qui sonne comme une résurrection: "Papa, tu as apporté l'argent!" C'est alors seulement que Michael Courtland (Cliff Robertson, monolithique mais cela convient parfaitement au personnage qu'il interprète, celui d'un mort-vivant) reconnaît sa fille à travers les traits de sa femme. La nécrophilie de "Vertigo" est ainsi remplacée par le thème de l'inceste. Comme dans "Peau d'âne" de Jacques Demy, un père qui n'arrive pas à faire le deuil de sa femme s'apprête à épouser sa fille à qui il prête des traits identiques. Une même actrice interprète le rôle de la mère défunte et de sa fille devenue adulte que le père ne veut pas reconnaître comme telle, l'obligeant en quelque sorte à s'enfuir ou à chercher à se venger. On reconnaîtra ici et là une citation de "Rebecca" et une parodie du meurtre de "Un crime était presque parfait" mais ce sont vraiment "Vertigo" et "Marnie" qui sont revisités de la plus belle des manières.
* Brian de Palma est un cinéaste qui divise, certains le considérant comme un perroquet/copieur/plagiaire. A mon avis c'est une incompréhension de la démarche de ce cinéaste qui investit des œuvres préexistantes comme s'il s'agissait de mythes que l'on peut réinterpréter à l'infini sans qu'ils ne perdent pour autant de leur force (les films de Hitchcock mais aussi "Le fantôme de l'opéra" (1943) ou "Blow-up" (1966). "Vertigo" a inspiré par ailleurs d'autres grands films sans que pour autant on ne reproche leur source d'inspiration à Chris Marker, Terry Gilliam ou David Lynch.
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