Inception
Christopher Nolan (2010)
"Non, rien de rien, non, je ne regrette rien. Ni le bien, qu'on m'a fait, ni le mal, tout ça m'est bien égal"*. Si les personnages d'"Inception" étaient semblables à la chanson qu'ils utilisent pour leur indiquer qu'il est bientôt l'heure de se réveiller parmi les différentes strates de rêves dans lesquels ils sont plongés, il n'y aurait pas "d'Inception". Il n'y aurait pas de coffre à secrets, de phrase malentendue ou mal interprétée, d'acte manqué ou funeste revenant hanter son protagoniste. Il n'y aurait pas de question non résolue telle que "suis-je responsable de la mort de ma femme?", "Pourquoi n'ai-je pas pris le temps de regarder le visage de mes enfants avant de partir?" ou "suis-je un raté aux yeux de mon père?". Ainsi "Inception" derrière ses allures de labyrinthe du casse de l'esprit est aussi une gigantesque thérapie visant à offrir à des personnages tourmentés le repos de l'âme. Peu importe au fond de distinguer le vrai du faux comme le montre la réponse que Cobb implante dans l'esprit de Fisher (qui est d'ailleurs peut-être la vérité, qui sait! Ce qui compte au fond, c'est qu'elle le libère) et la fin volontairement ouverte où l'on se demande si Cobb (Leonardo DiCAPRIO) est véritablement revenu dans la réalité ou s'il ne rêve pas encore. Comme dans "Interstellar" (2014), des personnages qui se sont arrachés de la pesanteur terrestre et des êtres qu'ils y aimaient se perdent dans une autre dimension et ont toutes les peines du monde à revenir au point de ne pas y parvenir comme le montre le personnage de Mal (Marion COTILLARD).
En plus de ces questionnements philosophiques et psychologiques, "Inception" est un grand film de structures virtuoses qui met un peu de temps à démarrer car il lui faut le temps d'exposer son dispositif complexe. Mais quand il se déploie dans toute sa splendeur il en met plein la vue avec ses différents rêves emboîtés aux temporalités différentes mais qui interagissent les uns avec les autres. Ainsi en est-il de la chute du van au ralenti qui provoque les scènes d'apesanteur surréalistes de l'hôtel et les scènes de réveil successif, strate après strate. Les références utilisées par Christopher NOLAN sont nombreuses. Il s'est beaucoup inspiré pour le scénario et certaines scènes de "Paprika" (2006) de Satoshi KON et d'ailleurs le début du film est un clin d'œil au Japon avec notamment un décor dérivé de celui du château Nijo à Kyoto. Mais sur le plan formel, le réalisateur auquel on pense le plus en dehors du "Blade Runner" (1982) de Ridley SCOTT (film également sous influence japonaise et très "architecturé") c'est Stanley KUBRICK, un architecte de l'image explorant l'espace dans "2001, l'odyssée de l'espace" (1968) et flirtant avec le cauchemar paranormal dans "Shining" (1980) (le choix du couloir d'un hôtel comme décor majeur pour le film n'est pas dû au hasard). Evidemment la saga "Matrix" (1998) ne peut pas être occultée à cause notamment de la similitude des va et vient permanents entre monde réel où les personnages sont réveillés et mondes virtuels où pendant qu'ils dorment, on retrouve leur image dans une autre dimension entre rêve et jeu vidéo. "Inception" comme "Matrix" sont des films-métaphores de l'art cinématographique lui-même puisque pendant que notre corps repose dans un fauteuil, notre esprit s'affranchit des contingences du réel pour aller à l'autre bout du monde, sous l'eau ou dans l'espace, dix siècles plus tôt ou mille ans plus tard (sans parler du fait qu'il peut aussi reconfigurer la personnalité physiquement et psychiquement par l'identification aux héros de l'histoire). Des œuvres littéraires ont également influé sur le film, notamment celle de Borges (elle imprègne toute l'œuvre de Christopher NOLAN) et "Alice au pays des merveilles".
*Evidemment, que ce soit intentionnel ou pas, on ne peut s'empêcher de penser aussi à "La Môme" (2007) qui a ouvert les portes d'Hollywood à Marion COTILLARD, protagoniste importante du film de Christopher NOLAN.
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