Un très beau film, beaucoup plus beau que ce à quoi je m'attendais. "Eté violent" est le deuxième film de Valerio ZURLINI et se divise assez nettement en deux parties. Dans la première, on assiste à la "La Dolce vita / La Douceur de vivre" (1960) d'une jeunesse dorée et oisive en pleine seconde guerre mondiale. Celle-ci s'invite cependant lorsqu'elle interrompt brutalement les distractions des uns et des autres au gré des alertes aériennes et des bombardements de 1943. C'est justement lorsqu'un avion de chasse allemand survole en rase-motte la plage de Riccione au bord de l'Adriatique où cette jeunesse farniente qu'une petite fille terrorisée tombe dans les bras de Carlo (Jean-Louis TRINTIGNANT dans son premier rôle transalpin), fils d'un dignitaire fasciste et qui grâce à l'appui de son père a échappé à l'enrôlement. Roberta la mère, beauté mélancolique d'une trentaine d'années (Eleonora ROSSI DRAGO) intervient aussitôt et c'est le coup de foudre entre elle et Carlo. Dans un premier temps, le film s'attarde sur les obstacles à leur idylle, tant du côté de Carlo avec la jalousie d'une de ses amies que du côté de Roberta qui est veuve de guerre mais vit avec sa mère psychorigide qui souhaite qu'elle reste fidèle au souvenir de son mari décédé (choisi par son père et qu'elle n'aimait pas). Obstacles qui ne font qu'attiser un désir dont la croissance est parfaitement orchestrée par la mise en scène jouant sur les gestes et les regards avec notamment une soirée en clair-obscur mémorable sur une chanson "Temptation" on ne peut plus appropriée. Puis le film bascule dans une dimension beaucoup plus intimiste et dramatique dans laquelle Roberta assume son désir, s'émancipe du jugement des autres (comme le montre la scène sur la plage où elle refuse de se cacher) et s'affirme par rapport à sa famille qui l'a toujours dirigée. De son côté, Carlo est expulsé de sa cage dorée suite au renversement de Mussolini et se fait rattraper par l'armée en voulant rester près de Roberta. Celle-ci s'avère en effet impuissante à le protéger comme le faisait son père, la scène très forte de bombardement final à la gare où l'on tremble pour leur vie en témoigne. La relation avec cette femme plus âgée que lui dans un contexte historique troublé permet donc paradoxalement à Carlo de sortir de son cocon et de devenir adulte. Valerio ZURLINI entremêle de façon remarquable grande et petite histoire, chacune se nourrissant de l'autre. Toute l'ironie résidant dans le fait que si c'est la grande histoire qui les pousse l'un vers l'autre et leur permet de cesser de subir leur destin, c'est elle aussi qui les sépare définitivement.
Autant ma première incursion dans le cinéma de Valerio ZURLINI avec "Le Professeur" (1972) m'avait laissé une impression mitigée, autant "La Fille à la valise" m'a profondément touchée. Les ingrédients sont pourtant les mêmes: une atmosphère particulière, souvent hors du réel, un contexte plutôt glauque, une histoire d'amour impossible. Mais alors que "Le Professeur" baignait dans un climat poisseux, décadent et nihiliste avec des personnages sinistres, "La Fille à la valise" est illuminé par deux acteurs rayonnant de vitalité, de jeunesse et de beauté: Claudia CARDINALE et Jacques PERRIN. Alors certes, le déterminisme social y est souligné à gros traits. Avec l'argent qui remplace les mots qui ne peuvent se dire, tirant la romance vers le commerce (la satisfaction des pulsions contre celle des besoins matériels). Avec la morale religieuse incarnée par un prêtre qui vient faire la leçon à Aïda (une fille-mère perturbant les études d'un adolescent bourgeois, ce n'est pas convenable). Mais posséder un tel prénom quand on est une jeune fille pauvre c'est vivre dans la contradiction permanente. Car lorsque Aïda descend l'escalier de la demeure où vit Lorenzo après avoir pris son bain (et symboliquement lavé ses impuretés), c'est sur la musique du célèbre opéra de Verdi: on entrevoit alors cet autre monde que cherche Aïda dans son éternelle errance et qu'elle parvient à toucher du doigt avec Lorenzo, trop jeune pour être encore vraiment corrompu, le temps de quelques parenthèses hors du temps. Le climax étant atteint lors d'une séquence d'intense proximité dans le désert (d'une plage) où les deux amoureux, magnifiquement photographiés se retrouvent dépouillés de leur masque social: ils sont alors juste beaux à pleurer dans une gémellité qui préfigure celle que sublimera Jacques DEMY dans "Les Demoiselles de Rochefort" (1966). Cette séquence se rapproche de la grâce des photos de "La Jetée" (1963) qui arrachait également au temps des instants d'éternité. Peu importe au fond que la pesanteur du réel avec ses désillusions, son amertume, son fatalisme social ne reprenne ensuite le dessus puisque ces moments auront existé et que le cinéma les aura fait passer à la postérité.
"Le Professeur", avant-dernier film de Valerio ZURLINI est mal servi par son titre en VF qui met au centre ce qui n'est qu'un expédient rapidement jeté aux oubliettes (il n'est question d'enseignement qu'au début du film de la part d'un remplaçant qui refuse en réalité d'enseigner). Mieux vaut traduire son titre en VO "La première nuit de quiétude" pour savoir de quoi il est réellement question. A condition d'avoir la référence littéraire. Il s'agit en effet d'une citation de Goethe qui parle de façon poétique de la mort. On est prévenu: ça va être très noir. De fait, non seulement "Le Professeur" est noyé dans le spleen mais c'est aussi le portrait d'une certaine bourgeoisie italienne oisive et débauchée des années 70. Si par moment, l'atmosphère romantico-dépressive ressort avec force grâce à la musique jazz, aux plans sur la jetée de Rimini dans le brouillard qui m'ont fait penser à "La Maîtresse du lieutenant français" (1981) et à la prestation de Alain DELON dans un registre de loser fatigué et tourmenté qui ne lui est pas habituel, le côté sordide de l'intrigue (tous les personnages sont plus glauques les uns que les autres) et l'ambiance uniformément sinistre finit par avoir un côté poseur façon "poète maudit revenu de tout" assez irritant. Il y a plus subtil pour créer un mystère autour du personnage féminin principal que de lui donner le prénom de Vanina (en appuyant bien le fait qu'il s'agit d'un prénom Stendhalien), lui faire tirer la tronche et de répéter à son sujet "elle a un lourd passé, un présent fragile et pas d'avenir"; "elle est pourrie" etc. Et si Delon est remarquable, son personnage est tout aussi opaque. Les raisons profondes de son désespoir qui ne sont révélées qu'à la fin apparaitront quelque peu obscures à qui n'est pas issu d'une élite aristocratique déchue. Néanmoins, il est très intéressant de voir ce film pour découvrir la face cachée de celui qui a été révélé dans "Plein soleil" (1960).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.