A Touch of Sin (Tiān zhù dìng)
Jia Zhangke (2013)
J'ai du mal à accrocher en général aux films choraux qui racontent des histoires parallèles en n'accordant de ce fait à chacune qu'une durée limitée. Cela me laisse sur un sentiment de frustration car il n'y a pas assez de temps pour développer l'intrigue et les personnages de chaque histoire et de ce fait, ceux-ci sont subordonnés à l'idée d'ensemble. En dépit de quelques tentatives d'entrecroisement, "A Touch of Sin" relève en effet de cette structure et peut se décomposer en quatre courts-métrages sur un même thème, celui de la violence des rapports économiques et sociaux en Chine depuis que celle-ci est devenu l'épicentre de la mondialisation. Le réalisateur, Jia Zhangke a essayé de mêler documentaire et fiction en s'inspirant de quatre faits divers ayant défrayé la chronique et en les inscrivant dans un genre cinématographique d'action populaire. Avec un bonheur inégal.
Le premier et le troisième segment sont à mes yeux les plus réussis. Le premier bénéficie d'un personnage charismatique d'une taille imposante et reconnaissable à son grand manteau vert qui fait penser aux cache-poussière des héros de western (et il a même une moto en guise de cheval sans parler du fait qu'il lance dans les airs à plusieurs reprises une tomate, gimmick qui fait irrésistiblement penser à "Scarface" d'Howard Hawks). Son expédition punitive s'inscrit dans le registre du vigilante movie du type "Justice sauvage" sauf qu'il s'agit ici d'éliminer les chefs de village corrompus et leurs sous fifres serviles, les voies pacifiques s'étant révélées être des impasses. Le troisième segment a pour protagoniste principale une femme et se développe dans le sous-genre de série B du "rape and revenge movie" qui a par exemple abouti à des films mainstream tels que le diptyque "Kill Bill" de Quentin Tarantino ou "Elle" de Paul Verhoeven. En effet dans ces films, les femmes subissent d'abord la violence des hommes avant que par un effet boomerang elles ne retournent cette violence contre eux. Une violence physique mais aussi économique puisque le client du sauna frappe sa victime à coups de billets de banque: on ne peut être plus clair!
En revanche les deuxième et quatrième segments sont plus faibles. Les motivations mal définies du travailleur migrant laissent sceptiques face à tant de violence déployée pour voler de l'argent. Cela ne suffit pas à en faire un "personnage". Idem avec le quatrième protagoniste, très veule et passif qui n'arrive pas à trouver sa place dans la jungle économique et sociale qui l'exploite. L'histoire se base sur un scandale très connu, celui des vagues de suicide dans les filiales chinoises de l'entreprise taïwanaise Foxconn qui sous-traite toute l'informatique mondiale (de Apple à Microsoft en passant par Nintendo). Mais ce thème est à peine effleuré au profit de celui, plus cinématographique du bordel de luxe où le jeune homme, employé comme hôte d'accueil se heurte à l'impossibilité de construire une relation dans le monde de la prostitution. Cet épisode est particulièrement mal raccordé aux autres.
"A Touch of Sin" est donc une expérimentation intéressante, qui donne lieu à de grands moments de cinéma et suscite la réflexion mais il ne parvient pas toujours à se hisser à la hauteur de ses ambitions qui consiste à allier à la fois la précision du documentaire et le caractère populaire et spectaculaire du "wu xia pian" (film de sabre chinois, le titre du film se référant à "A Touch of Zen" de King Hu visible en ce moment sur Arte Replay).