C’est un film d’animation magnifique, tout en délicatesse et subtilité. Déjà dans son précédent film "Silent Voice" (2016) Naoko YAMADA faisait preuve d’une grande finesse dans l’évocation des difficultés de communication entre adolescents. Dans « Liz et l’Oiseau bleu », elle s’attache dans le huis-clos d’un lycée à étudier la relation entre deux adolescentes très différentes dont l’amitié fusionnelle -admirablement disséquée dans toute la complexité de ses composantes- est à la croisée des chemins. En effet avec la fin du lycée arrive l’heure des choix de vie et avec eux, la douloureuse mais inévitable séparation. Tous les enjeux du film se cristallisent autour d’un morceau de musique tiré d’une adaptation de « L’Oiseau bleu » de Maurice Maeterlinck que les deux amies -l’une flûtiste et l’autre joueuse de hautbois- doivent interpréter ensemble pour le concours de fin d’année de leur orchestre scolaire. Mais elles ne parviennent pas à le jouer harmonieusement parce que Mizore bride son talent pour ne pas surpasser Nozomi. Mizore est en effet terrifiée à l’idée d’être abandonnée par Nozomi, vivant dans son ombre, n’existant qu’à travers elle et s’attachant à suivre le moindre de ses pas, sans un bruit ou presque car l’asynchronie entre elles est tangible dès la première séquence du film. Mizore est en effet solitaire, extrêmement timide et renfermée alors que Nozomi est extravertie, sociable et volubile. Néanmoins les apparences sont trompeuses et la plus faible des deux n’est pas celle que l’on croit. Seulement, l’affirmation de soi passe par une remise en question du mode relationnel déséquilibré que les deux jeunes filles ont tissé entre elles depuis des années. Les mots étant impuissants à traduire la complexité des êtres, Naoko YAMADA saisit les plus ténus mouvements de l’âme par une attention extrême vis-à-vis du langage du corps, celui des regards, des gestes, des postures, des tics, des sons et des silences au travers de plans souvent décentrés et parcellaires sur des mouvements de pieds, des mains qui touchent nerveusement une mèche de cheveux ou des nuances de lumière dans les yeux. Elle la métaphorise également au travers de la musique mais aussi du conte de « Liz et l’oiseau bleu », un livre illustré à l’aquarelle dont nous voyons des extraits tout au long du film. Celui-ci raconte l’histoire de Liz, une jeune fille solitaire proche de la nature qui s’éprend d’un oiseau bleu métamorphosé en jeune fille (un leitmotiv de l’animation japonaise que l’on retrouve aussi bien dans "Ponyo sur la falaise" (2008) que dans "La Tortue rouge") (2016) dont pourtant elle pressent l’inéluctable envol.
Savez-vous ce qu'est l'ijime? ("Intimidation") C'est le mot par lequel on désigne le rejet d'une brebis galeuse par la communauté au Japon. Le harcèlement scolaire en est la manifestation la plus typique. Ce fléau n'est pas spécifique au Japon mais dans ce pays il prend des formes particulièrement intenses et dramatiques. Deux raisons au moins à cela. D'abord l'omerta généralisée qui muselle les victimes et les empêche de trouver du secours (les adultes détournent le regard et les structures d'aides sont inexistantes). Ensuite la primauté du groupe sur l'individu propre aux sociétés confucéennes entretient cette culture du silence et de la honte. On peut également ajouter le poids du patriarcat et de la hiérarchie qui entretient un droit implicite à l'humiliation. Par conséquent le pays du soleil levant détient le record du nombre de suicides d'enfants et les homicides sont également parfois la seule issue à ce déferlement de haine.
"Silent Voice", film d'animation adapté du manga éponyme sorti en 2016 au Japon mais seulement aujourd'hui chez nous (et ne nous voilons pas la face, cela nous concerne aussi) brise un double tabou: celui de l'ijime et celui du handicap. Car la différence qui détonne sur l'homogénéité du groupe est l'élément déclencheur de l'ijime. Et l'handicap facteur d'exclusion sociale est particulièrement mal toléré au Japon.
Si cette œuvre s'attaque courageusement aux tares de la société japonaise c'est qu'il y a urgence. Elle fait l'état des lieux d'une société en crise dont le symptôme est le mal-être de sa jeunesse. Le récit se concentre sur deux personnages : Shoko, une jeune fille atteinte de surdité et Shoya, son camarade de classe turbulent qui est à l'origine de la persécution dont elle est victime au quotidien avant d'être à son tour ostracisé et martyrisé par le reste de la classe (qui l'utilise comme bouc-émissaire). Victime et bourreau sont des rôles sociaux réversibles derrière lesquels on remarque surtout la similitude des difficultés qui touchent les deux jeunes gens: isolement, faible estime de soi, famille fragile et défaillante. On observe que dans les deux cas le père, dépassé, a déserté le foyer (être une famille monoparentale au Japon, c'est aussi un handicap), la sœur n'est pas "dans les clous" (celle de Shoya a une petite fille métis et celle de Shoko est un garçon manqué qui sèche l'école pour tenter de pallier l'absence du père). Les jeunes qui gravitent autour d'eux ne sont pas mieux dans leur peau même s'ils sont loin d'être aussi creusés que les protagonistes principaux
A travers l'handicap de Shoko, le film traite aussi des immenses difficultés de communication qui plombent une société du non-dit ou le contact physique est prohibé. Un occidental peut également être agacé par l'aspect larmoyant du film, surtout à la fin (qui comporte quelques longueurs) mais là encore, c'est le fruit d'une société où la colère est interdite au nom de la préservation de l'harmonie du groupe. Le personnage transgressif de Ueno ne cesse d'agresser Shoko justement parce qu'elle passe son temps à s'excuser au lieu de se défendre (en plus du fait qu'elle est jalouse de sa relation avec Shoya). Voilà donc un film courageux et subtil qui mérite d'être découvert.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.