Voilà un film à redécouvrir et à réévaluer. En ayant été catalogué comme un film commercial et comme une commande, on a oublié ce qui pourtant, saute aux yeux et fait si cruellement défaut au "Dunkerque" (2017) de Christopher NOLAN: l'expérience intime. Car de la première à la dernière image, on sent le vécu, celui de l'auteur du livre, Robert MERLE qui a scénarisé son adaptation au cinéma. Pas étonnant que "Week-end à Zuydcoote" soit particulièrement sombre, en décalage avec un cinéma de guerre vantant alors largement l'héroïsme de la Résistance. Rien de tel dans "Week-end à Zuydcoote" qui se situe à hauteur d'hommes ordinaires confrontés à une situation désespérée (la poche de Dunkerque qui se referme comme un piège, les conditions dantesques de l'évacuation). Si la camaraderie et l'amour sont présentés comme des refuges, ils ne tiennent pas bien longtemps face à la sauvagerie de la guerre. La mort du personnage incarné par François PÉRIER parti chercher l'eau pour le café en est un symbole tout comme la destruction du bateau à bord duquel tentait de fuir un couple binational. Par contraste, le personnage de combinard joué par Pierre MONDY qui annonce la collaboration, celui d'enragé qui tire dans le tas à la manière de "Full Metal Jacket" (1987), provoquant l'exécution d'un parachutiste allemand tombé sur la plage ainsi que les détrousseurs de cadavres et les deux violeurs français incarnent l'anomie de la guerre. Le personnage central de Maillat joué remarquablement par Jean-Paul BELMONDO erre ainsi sans succès durant tout le film en plein cauchemar, à la recherche d'une issue introuvable, éprouvant l'absurdité de nombre de situations, l'horreur de nombre d'autres échouant à ramener l'un des deux violeurs à son humanité en essayant de lui parler comme il échoue à fuir en Angleterre. Seul gros bémol du film: le personnage d'écervelée capricieuse (mal) joué par Catherine SPAAK qui semble en décalage total avec le reste du film et dont le comportement hors-sol n'est pas crédible. Elle ne pense qu'à sauver sa maison dont on se demande bien comment elle peut tenir encore debout et ne semble presque jamais éprouver la moindre crainte. Ou alors c'est une manière subliminale de nous dire qu'elle n'est pas humaine ce qui explique qu'elle puisse regarder à la jumelle les avions de combat depuis la fenêtre de sa maison ou se promener tranquillement sur la plage de Dunkerque avec deux valises et une robe rouge vif alors que les avions allemands ne cessent de l'arroser de leurs bombes. Mais il y a mieux que le coup de l'ange pour terminer un film qui se veut réaliste.
J'avoue ne goûter que très modérément à ce type de films "fort en gueule" et en "bons mots" dans lesquels un, deux, trois... dix "poteaux" du cinéma français se retrouvent dans un bel entre-soi pour jouer à celui qui gueulera le plus fort et pissera le plus loin. Des films célébrant l'amitié virile et faisant la part belle aux numéros d'acteurs en roue libre pullulent dans le cinéma français car c'est une recette qui marche. Alors je n'avais pas plus envie que ça de découvrir "Un singe en hiver" qui a été pour moi pendant longtemps associé à un titre du groupe Indochine (sans doute le lien, ténu avec le Yang-Tsé-Kiang ^^). Et puis je suis assez imperméable aux dialogues de Michel AUDIARD (je me souviens d'une soirée où tout le monde se marrait en se remémorant les meilleures répliques de "Les Tontons flingueurs" (1963) alors qu'à l'époque, ça ne me faisait pas rire du tout. Depuis, quelques phrases associées aux mimiques de Bernard BLIER arrivent quand même à m'amuser ^^). La mort de Jean Paul BELMONDO m'a donné l'occasion de le voir. Il y est absolument excellent (et plus je vois ses films, plus je me rends compte du charme fou qu'il dégageait dans sa jeunesse et de la richesse de son jeu à ses débuts) et forme un duo savoureux et truculent avec Jean GABIN bien que celui-ci cabotine à qui mieux mieux comme dans la plupart des films de la fin de sa carrière. Ca casse un peu la force des scènes mélancoliques qui succèdent aux beuveries hystériques de ces deux hommes inaccomplis dont il est clair que pour le plus âgé, l'heure est passée. Pour le reste on a quand même une histoire convenue cochant à peu près toutes les cases du film de mecs cité au début de cet avis. Les femmes y sont dépeintes soit comme des briseuses de rêves (et de coeur), soit comme des empêcheuses de se saouler en rond (ce qui ne m'a pas empêché d'apprécier de revoir Suzanne FLON dans le rôle ingrat de l'épouse rabat-joie) soit comme des tenancières de bar ou de bordel. Sans parler du mauvais goût absolu d'avoir convoqué un sosie de Landru (Noël ROQUEVERT) dont les deux épouses sont mortes pour jouer le complice en "400 coups" de l'infernal duo...
"Mélodie en sous-sol" est un classique du film de casse surtout apprécié aujourd'hui pour deux raisons:
- Le tandem entre deux stars charismatiques de génération différentes, Jean GABIN (alors sexagénaire) qui reste en retrait dans le rôle du commanditaire et Alain DELON (vingt-sept ans au moment du tournage) qui capte une grande partie de la lumière dans le rôle de l'homme d'action. Le réalisateur, Henri VERNEUIL définissait cette association (qui se traduisit par des querelles d'ego sur le tournage en dépit de l'admiration que Delon portait à Gabin) comme celle du félin et du pachyderme " D’un côté, un pachyderme. Lent. Lourd. Les yeux enfoncés sous des paupières ridées et, dans l’attitude, la force tranquille que confère le poids. Celui du corps. De l’âge. De l’expérience. Quarante ans de carrière. Quelque soixante-dix films : Gabin. De l’autre, un félin. Un jeune fauve, toutes griffes rentrées, pas un rugissement mais des dents longues et, dans le regard bleu acier, la détermination de ceux qui seront un jour au sommet : Delon."
- La scène finale dans laquelle les billets remontent à la surface depuis le fond de la piscine sous le regard consterné et impuissant des deux monstres sacrés à l'opposé l'un de l'autre outre sa belle utilisation de l'espace renvoie à toute une tradition moraliste (judéo-chrétienne?) illustrant par un dénouement aussi absurde que malheureux le fait que le crime ne paie pas allant de "L'Affaire Cicéron (1952) de Joseph L. MANKIEWICZ à "L'Ultime razzia" (1956) de Stanley KUBRICK.
Mais "Mélodie en sous-sol" a un autre aspect intéressant beaucoup moins mis en avant dans les analyses qui en sont faites c'est son caractère social. Le film s'inscrit en effet dans un contexte précis qui est celui des laissés pour compte des 30 glorieuses qui sont illustrées tant par le surgissement de la société des loisirs (les passagers du métro évoquant leurs vacances à la mer) que par la construction des grands ensembles à Sarcelles, ville que Mr Charles (Jean GABIN) qui sort de cinq ans de prison ne reconnaît plus. Son pavillon, incongru au milieu des barres et des tours apparaît comme la survivance d'un passé révolu car sa femme, Ginette (Viviane ROMANCE) qui l'a attendu a refusé de le vendre aux promoteurs (j'ai pensé à "Là-haut" (2008) qui présente une situation de départ assez similaire). Mr Charles scelle son destin dès le début en refusant les opportunités de promotion sociale permises par la croissance économique (trop longues et laborieuses à son goût) pour le mirage du "gros coup", rejoint en cela par un jeune loup ambitieux lui aussi issu d'un milieu défavorisé et cherchant à réussir par la délinquance, Francis Verlot (Alain DELON). Une grande partie de l'intérêt du film réside dans le décalage entre les manières du jeune homme mal dégrossi et le milieu de la jet-set cannoise qu'il tente d'infiltrer sur ordre de son boss. Les notations sociologiques sont particulièrement bien vues! Et si l'on rajoute que les dialogues sont écrits par Michel AUDIARD, l'ensemble en paraît d'autant plus savoureux.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.