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Articles avec #tati (jacques) tag

Les vacances de monsieur Hulot

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1953)

Les vacances de monsieur Hulot

Un été au début des années cinquante qui résonne comme celui des congés payés de 1936 sauf que c'est le début des 30 Glorieuses, de la civilisation des loisirs et du tourisme de masse. Des hordes de vacanciers prennent d'assaut les autocars et les trains alors que quelques familles aisées partent en voiture (celle-ci ne s'est pas encore généralisée, les routes sont quasi-désertes.) Sur le chemin, on rencontre une automobile qui ne ressemble à aucune autre, trafiquée, décalée, lente, pétaradante et qui a bien du mal à monter les pentes et à contenir le corps de son trop grand propriétaire. Un peu plus tard dans le film, les vacanciers sont arrivés dans une pension de famille plutôt bourgeoise bon teint. Tout ce petit monde continue à vivre comme s'il n'était jamais parti de chez lui, à se plier à des rituels et des règlements scandés par la cloche des repas. Soudain, la porte s'ouvre, un vent de liberté envahit la pièce et dérange l'ordonnancement de cette petite société étriquée. C'est ainsi que M. Hulot, double de Tati fait son entrée en scène, une scène qu'il quittera 4 films plus tard à la manière de Chaplin dans Les Temps modernes. Héros burlesque, Hulot est cet original toujours décalé, perpétuellement encombré de son corps déséquilibré, un corps trop grand qu'il tient le plus souvent incliné. Pas plus qu'il ne maîtrise son corps il ne maîtrise son langage quasi-inaudible qui se réduit à des borborygmes ou des onomatopées. Le comique et l'empathie pour le personnage naît du contraste entre la timidité de Hulot qui n'aspire qu'à la discrétion, qu'à se fondre dans le décor, qu'à disparaître (en référence à l'Homme invisible de James Whale il ne laisse que ses empreintes de pas sur le sol) et son incapacité à rentrer dans le rang, à s'adapter, à s'intégrer. Son comportement est une source de perturbations permanentes pour la plupart des autres qui le prennent pour un grand enfant irresponsable. D'ailleurs les enfants sont ses principaux alliés avec quelques personnes âgées malicieuses ayant trouvé en lui un remède contre l'ennui. En réalité Hulot est profondément anti-conformiste. Les injonctions, prescriptions, orientations auxquelles il faudrait se conformer (panneaux indicateurs, hauts-parleurs, parcours fléchés...) sont avec lui systématiquement brouillées ou déjouées. Tati n'a-t-il pas fondé sa geste créatrice sur le refus de se laisser "encadrer" par son père? 

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Mon oncle

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1958)

Mon oncle

Pour comprendre en quoi Mon Oncle était un film visionnaire en 1958 il faut le resituer dans son contexte historique. La France sort alors de la reconstruction et entre de plein-pied dans la haute croissance qui est au coeur des 30 Glorieuses. Cette haute croissance est marquée par une transformation radicale du paysage urbain et l'adoption de l'american way of life où le matérialisme, l'utilitarisme, l'hygiénisme et l'individualisme règnent en maîtres. La publicité et les salons ménagers véhiculent un idéal de modernité où la maîtresse de maison explose de bonheur devant son dernier robot Moulinex pendant que le chef de famille astique sa voiture dernier cri. Mais dans ce nouveau monde aseptisé, normalisé, mécanisé et déshumanisé "on a pas besoin d'acrobates." Or le destin de Tati (et de son double de cinéma, Hulot) marqué par l'anti-conformisme a fait de lui l'un de ces acrobates qui ne peuvent se plier au système. S'il s'agit d'un handicap social certain, cette liberté de corps et d'esprit lui a permis d'observer et de retranscrire son époque avec clairvoyance. Il n'est d'ailleurs guère surprenant que son film ait déplu en France et qu'il se soit fait traiter de réactionnaire. Nul n'est prophète en son pays et il n'était pas de bon ton de critiquer une idéologie qui était alors au coeur des décisions politiques autant que la norme sociale.

Mon Oncle décrit deux mondes ou plutôt un monde en pleine mutation. Une image récurrente et magnifique résume ce basculement. Au premier plan, un mur écroulé symbolise l'ancien monde en train de disparaître, celui du village de St Maur avec ses calèches, ses pavés, ses becs de gaz, ses terrains vagues, son marché, son bistrot et sa baraque biscornue où vit Hulot tout au sommet dans un modeste 2 pièces. Un monde archaïque, sale et délabré mais convivial et pittoresque. Un monde poétique aussi où les valeurs de Hulot peuvent s'épanouir: rêverie, flânerie, détours, flottements, magie du quotidien (magnifique moment où un rai de lumière reflété par la vitre de Hulot fait chanter un oiseau). Au second plan les barres d'immeubles alignées symbolisent le monde en train de naître. Un monde uniformisé, froid, vide, géométrique, blanc, asphalté, mécanisé où l'automobile est reine et où les valeurs maîtresses sont la vitesse, la technologie et la rentabilité. Tati prophétise la déshumanisation des banlieues-dortoirs à travers l'architecture: "Ce qui me gêne, ce n'est pas qu'on construise des immeubles neufs, il en faut, mais des casernes. Je n''aime pas être mobilisé, je n'aime pas la mécanisation (...) Je ne crois pas que les lignes géométriques rendent les gens aimables." Il souligne aussi l'esclavage insidieux qu'instaure ce modèle de société. Le couple Arpel si fier de sa maison luxueuse ne se rend pas compte qu'elle ressemble à une prison dont les hublots-yeux-miradors scrutent les mouvements du dehors. Le "tout communique" de Mme Arpel ne renvoie pas à la convivialité mais à une société de la surveillance où le bruit des objets couvre les voix humaines. Quant aux Arpel eux-même ils sont en voie de robotisation comme le souligne le gros plan sonore du claquement des chaussures de Mme Arpel sur les dalles du jardin. Celle-ci apparaît comme la caricature de la desperate housewife hantée par la nécessité de nettoyer, servir et paraître. Car à l'agencement rigoureux de sa maison et de son jardin d'où aucun clou ne dépasse répond une stricte hiérarchisation de ses visiteurs. Selon leur statut social, elle déclenche ou ne déclenche pas le jet d'eau de la fontaine en forme de poisson qui règne au milieu du jardin. Voir Hulot involontairement désordonner cet agencement strict est de ce fait un plaisir jubilatoire qui fait souffler un vent de liberté et de fantaisie tout comme ses frasques à l'usine de M. Arpel où un tuyau en plastique se transforme en chapelet de saucisses. Mais la fin est sans équivoque: le temps passe, le monde évolue et le passé est irrémédiablement condamné. La suite 10 ans plus tard sera le quartier de tours et de barres vitrifiées de Playtime où la question centrale sera: comment y réinventer la vie?

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Trafic

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1971)

Trafic

Après le sommet artistique de Playtime qui valut à Tati son lot d'incompréhensions et d'ennuis financiers, Trafic est un film plus modeste mais il n'est pas pour autant mineur dans sa filmographie.

Trafic prend la forme d'un road-movie dont la trajectoire annoncée en ligne droite ne va cesser de dévier en raison de nombreux imprévus: crevaison, panne d'essence, accident, contrôle douanier. Deux temporalités cohabitent. Celle des cadences effrénées de la vie moderne pour qui le temps c'est de l'argent et qui correspond à l'autoroute. Celle plus contemplative des chemins de traverse où on prend son temps pour flâner ou pour jouer quitte à être en retard. Comme dans Playtime, Hulot et sa partenaire féminine Maria déjouent la rectitude des tracés, les chemins balisés, les directions qui ressemblent à des directives. Ils imposent leur démarche irrégulière ou virevoltante et leurs parcours en zigzag c'est à dire leur liberté de corps et d'esprit. Mieux encore ils provoquent le carambolage qui oblige les gens à quitter leur habitacle pour réapprendre à marcher. Et à pied ils finissent par s'échapper d'un monstrueux embouteillage, le trafic aboutissant paradoxalement à un blocage alors que les électrons libres eux peuvent fuir par tous les interstices vers une autre dimension (suggérée par le voyage lunaire qui accompagne à la TV celui des héros). Ironiquement, M. Hulot est congédié parce qu'il est arrivé trop tard pour exposer son invention dans l'espace prévu alors qu'elle "cartonne" partout où elle passe dans la plus totale improvisation. Ou l'art de pratiquer le commerce autrement (c'est le second sens du titre "Trafic").

Comme toujours chez Tati, les plans d'ensemble très soignés fourmillent de détails et il en est de même avec la bande-son qui met au même niveau et fait dialoguer les voix humaines en plusieurs langues, les cris d'animaux, la musique et les bruits émis par des objets.

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Playtime

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1967)

Playtime

Plans d'ensemble tournés en 70 mm, refus du récit classique et de l'identification aux personnages, paroles réduites à un effet sonore identique à celui des machines. Tout est en place pour un début froid et kafkaïen où l'architecture démesurée, rationnelle et standardisée jusqu'à l'absurde écrase l'homme, où les monuments ne sont plus que des reflets dans les vitres, où la nature et les couleurs se réduisent à une fleuriste au coin de la rue, où les lignes droites imposent aux hommes un comportement de bon petit soldat automate. Parallèlement, les baies vitrées, omniprésentes, agissent comme des barrières invisibles entre les hommes. Elles servent de vitrines sociales en supprimant la frontière entre le public et le privé, offrant en spectacle depuis la rue les intérieurs bourgeois.

Dans cet univers glacé, vide, faux, creux, les excentriques comme M. Hulot ne trouvent pas leur place. Comme dans les autres films de Tati, le regard et le corps inadapté de Hulot est une source importante de gags et de dérèglements. Les prisons de verre de l'entreprise et du "home" tentent de contenir ce doux anarchiste mais il finit par exploser les barrières. Car le morceau de bravoure du film est la séquence de 46 minutes du Royal Garden qui voit la machine à exclusion sociale se détraquer lorsque Hulot par maladresse brise la porte d'entrée en verre, permettant à toutes les populations de se mélanger sur la piste de danse. Danse et musique dont le mouvement courbe entraîne la décomposition du décor. De cette nuit de folie naît un monde plus chaleureux et convivial où même la circulation automobile s'incurve dans un joyeux carrousel. L'urbanité froide et sans âme retrouve des couleurs et sa poésie.

On a souligné à juste titre à quel point le film est moderne voire avant-gardiste. Du "je crois que ça va pas être possible" à l'entrée des boîtes de nuit à l'effacement de la distinction public-privé à l'ère des réseaux sociaux qui exigent la transparence en passant par le règne des open space, la Tativille de 1967 (inspirée de la Défense alors en construction) ressemble de façon troublante à notre société actuelle. La séquence du Royal Garden a directement inspiré La Party de Blake Edwards sorti l'année suivante.

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