Cars est un Pixar sous-évalué en France à cause de sa culture "américano-centrée" à commencer par ses personnages, des automobiles humanisées. Des a-priori complètement stupides (et c'est une personne qui déteste les automobiles qui l'affirme). Outre sa qualité technique irréprochable, Cars comme la majorité des films des studios Pixar possède un scénario absolument remarquable, bien plus étoffé et subtil qu'un énième récit d'apprentissage pour enfants destiné à passer le temps.
C'est justement de temps dont il est question dans Cars. Deux temps, deux espace temps. L'introduction nous plonge avec un dynamisme et une efficacité qui devrait être enseignée dans toutes les écoles spécialisées au beau milieu d'une course automobile comme métaphore de la société américaine actuelle et par extension de la mondialisation libérale. Culte de la vitesse, absence de vision à long-terme, compétition acharnée pour être le premier dans un monde se divisant entre winner et loosers, podium offrant trois profils typiques (le ponte indéboulonnable soutenu par une écurie de sponsoring que tout le monde rêve d'intégrer, l'éternel second frustré et revanchard prêt à tous les coups bas et le jeune rookie ambitieux), marchandising effréné, médias omniprésents... La suite ne fait que peaufiner la critique de l'individualisme, de l'argent roi et de la société de consommation. Harv, l'agent de Flash McQueen se réduit à une calculatrice dont la jovialité est démentie par de petites phrases bien assassines ("quelle course mon vieux! Bon je ne l'ai pas vue mais on m'a dit que tu t'es surpassé"; "Je regrette presque de te prendre 10% de tous tes gains, produits dérivés, droits d'exploitation"; "Tu te passes très bien de moi. Non je rigole, t'as signé de toutes façons". McQueen lui-même est un orgueilleux qui refuse d'écouter les conseils, cabotine à mort devant les projecteurs oups, un "one-man-show" qui "travaille en solo", méprise les pit stoppers qu'il appelle "machin", a honte de son sponsor tout pourri, la marque Rust-eze (excellente satire des produits cosmétiques censés rendre la jeunesse/dérouiller les vieux tacots) et rêve d'atteindre les sommets de la gloire et de la toute-puissance.
Mais à force d'être trop pressé, McQueen se retrouve largué à Ploucville, au milieu de la cambrouse, condamné à accomplir des travaux d'intérêt général pour réparer la route que son comportement de chauffard a dévasté. Une ville morte située au milieu du désert et où le temps s'est arrêté. Il bascule alors dans le passé oublié du rêve américain symbolisé par les Ford T Stanley et Lizzie fondateurs de la ville et la mythique route 66, dévitalisée, abandonnée par la construction en parallèle d'une autoroute en ligne droite "Il y a 40 ans, on roulait de façon différente. La route épousait le paysage. Elle montait, descendait, serpentait, elle ne coupait pas à travers les terres pour gagner 10 minutes." Et de mesurer le temps perdu non en quantité mais en qualité "On ne cherchait pas à gagner du temps. On cherchait à prendre du bon temps."
C'est alors que la société altermondialiste se fait jour, puisant paradoxalement dans les racines de l'histoire des USA. Une société de la lenteur, de la contemplation, des émotions, de l'anti-consumérisme (le décor de montagnes en arrière-plan de Radiator Springs fait allusion à une œuvre d'art contestataire bien réelle le "Cadillac Ranch" où 10 épaves de Cadillac sont alignées dans le désert) du travail bien fait et de l'écologie avec pour emblème Fillmore le van Volkswagen hippie adepte de Hendrix et accessoirement vendeur de carburant bio. Fillmore qui tempère l'Amérique réac profonde symbolisée par le sergent. Radiator springs s'avère être un refuge pour tous les cabossés-rebuts de la société dominante qu'ils soient immigrés (Luigi et Guido, Ramone et Flo), inadaptés (Red), trop vieux (le shérif), simples d'esprit (Martin) ou désabusés (Sally l'ancienne avocate et Hudson Hornet l'ancien champion), tous sont partis se ressourcer (et soigner leurs blessures) au "vert" (enfin plutôt au "rouge" du désert).