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Articles avec #soeurs bronte tag

Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Publié le par Rosalie210

Andrea Arnold (2010)

Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Des trois versions du roman d'Emily Brontë que j'ai vue, celle-ci est celle qui m'a le plus convaincue. Il faut dire que celle de William WYLER bien que de bonne facture était trop corsetée par le classicisme hollywoodien. Quant à celle de Peter KOSMINSKY, tout aussi propre sur elle, elle était franchement bancale. Difficile de faire passer à l'écran le bruit et la fureur du livre. D'ailleurs le dernier biopic consacré à l'autrice, "Emily" (2022) en dépit de quelques moments inspirés était d'un conformisme affligeant, contrairement au film de Andre TECHINE qui restituait l'univers âpre, austère dans lequel elle vivait et son caractère de sauvageonne (et puis Isabelle ADJANI était parfaite pour le rôle). L'adaptation de son roman par Andrea ARNOLD m'a séduit par sa radicalité et son ultra-sensorialité. On se croirait chez Jane CAMPION! Cette version taiseuse et atmosphérique qui colle à la peau de Heathcliff à la manière d'un Luc DARDENNE & Jean-Pierre DARDENNE ou d'un Jacques AUDIARD restitue la rudesse et la sauvagerie du roman à l'aide du langage de la nature. Que ce soit en plans larges ou au contraire, très serrés, le vent souffle dans la lande, la pluie s'abat en trombes, la boue colle aux vêtements, les insectes prolifèrent. Quant aux mammifères, ils subissent la violence de Heathcliff qui se venge sur eux de la maltraitance et de l'ostracisme qu'il se prend de plein fouet de la part du milieu puritain qui le rejette sans parvenir à se débarrasser de lui. Le fait d'avoir accentué son altérité en le dépeignant comme un ancien esclave métis s'avère éclairant sur les mécanismes de domination et de vengeance à l'oeuvre. Quant à Catherine, son déchirement entre sa nature indomptable (symbolisée par sa relation fusionnelle avec son âme soeur) et sa domestication à marche forcée éclaire tout autant sa mort prématurée: nul ne survit longtemps face à pareil dilemme intérieur. Onirique et puissant.

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Emily

Publié le par Rosalie210

Frances O' Connor (2023)

Emily

A la fin de "Emily", j'étais en colère. Et pourtant cela aurait pu être un bon film. Il y a des moments où la réalisatrice, Frances O'CONNOR se laisse aller à de la pure sensorialité en faisant écouter les bruits de la lande, en laissant ses héroïnes se mouiller, en donnant à Emily (Emma MACKEY) l'occasion de courir cheveux au vent, en imaginant une scène de quasi-spiritisme. Certes, Andre TECHINE avait posé ces jalons dans son film "Les Soeurs Bronte" (1979). Mais il avait conservé l'austérité et la rudesse de cette vie imprégnée de rigorisme protestant et en même temps de magie païenne de la première à la dernière image et n'avait pas cherché à broder. Dans "Emily" au contraire, Frances O'CONNOR cherche non seulement à combler les trous de l'histoire d'Emily Brontë mais surtout à expliquer la grande énigme que tout le monde se pose à son sujet: où a-t-elle puisé son inspiration pour écrire "Les Hauts de Hurlevent". Disons-le, la réponse est d'une platitude, d'une médiocrité qui fait injure à cette grande autrice, ainsi qu'à Charlotte, dépeinte comme une jeune femme conformiste et jalouse du talent de sa soeur qui n'aurait trouvé l'inspiration que grâce à elle. Ne parlons même pas de Anne qui fait de la figuration. Si la relation fusionnelle entre Emily et Branwell (Fionn WHITEHEAD) donne lieu à quelques moments intéressants, Frances O'CONNOR ne cherche pas un seul instant à s'aventurer dans les eaux troubles de leur relation. Elle préfère jeter entre les pattes d'Emily un vicaire (Oliver JACKSON-COHEN) qu'elle commence par mépriser puis on ne sait pourquoi, dont elle s'éprend et réciproquement ce qui nous vaut les sempiternelles images de troussage dans la grange, si loin de la réalité du XIX° dominé par la répression et la violence sexuelle. Mais grâce à cette passion sortie d'on ne sait où, passion contrariée par la jalousie de Branwell et par la culpabilité du vicaire (horriblement mal jouée, on ne croit pas un instant avoir affaire à un homme de foi) puis par sa mort, Emily va enfin trouver de quoi écrire. Car c'est grâce au vicaire qu'elle a pu entendre la mer, elle n'en était pas capable toute seule! Cette incapacité à sortir des schémas rebattus (j'aime bien l'article du journal Libération qui parle de "la péroraison sur l'inspiration qui vient aux femmes par convention sentimentale éplorée") ne donne qu'une envie: se replonger au plus vite dans les romans d'origine et dans leur mystère heureusement insoluble.

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Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Julian Aymes (1983)

Jane Eyre

Il existe au moins une vingtaine d'adaptations de "Jane Eyre", le chef d'oeuvre de Charlotte Brontë mais bien peu s'avèrent satisfaisantes tant le roman est riche et tant les protagonistes principaux sont complexes. L'avantage de la mini-série sur le long-métrage de cinéma, c'est que sa longueur permet d'adapter la totalité du roman. Or il n'y a aucune scène superflue dans "Jane Eyre" ce qui explique, du moins en partie que je ne trouve aucune adaptation en long-métrage satisfaisante parmi toutes celles que j'ai vue (j'aime beaucoup celle de Stevenson mais c'est pour des raisons extérieures à "Jane Eyre", à savoir mon admiration pour le cinéma de Orson Welles, la musique de Bernard Hermann etc.) La mini-série s'avère être le format idéal pour adapter correctement le roman, à condition d'en avoir compris l'esprit. Or c'est ce qui manque cruellement dans cette adaptation de Julian Aymes pour la BBC terriblement datée tant sur le plan formel que sur celui du contenu. 

Cette version bien que britannique m'a replongée au cœur des séries historiques cheap réalisées pour la télévision française dans les années 80 du type "Le Gerfaut" ou "La Comtesse de Charny" avec des décors de carton-pâte, une mise en scène théâtrale étriquée (très peu de scènes sont tournées en extérieur) et une image vidéo assez laide. D'autre part, l'adaptation du roman y est platement littérale ce qui veut dire qu'elle passe à côté de ce que Charlotte Brontë nous fait ressentir, de ce qu'elle nous dit entre les lignes à défaut de pouvoir le dire explicitement. On a donc des dialogues fidèles à la virgule près à ceux du roman mais qui ne sont pas incarnés et donc sonnent faux. Et ce d'autant plus que l'interprétation pose aussi problème. En effet dans "Jane Eyre" il y a au moins trois personnages qu'il ne faut pas rater sous peine de rater l'adaptation: Jane, Rochester et l'entité formée par Jane et Rochester ^^. Or le casting ne fonctionne pas pour la bonne et simple raison que Timothy Dalton écrase complètement sa partenaire, Zelah Clarke. Celle-ci qui arbore un perpétuel air de chien battu apparaît comme une petite chose fragile, larmoyante, contrite et triste à mourir. Elle semble tétanisée par son partenaire qui la domine de bout en bout. Inutile de préciser que c'est un contresens total par rapport au personnage de Jane Eyre, fausse fragile, vraie force de la nature qui recherche et obtient une relation d'égal à égal, fondée sur une alchimie naturelle qui échappe à tous les jeux de pouvoir. Timothy Dalton a aussi sa part de responsabilité dans cet échec. Certes, ce n'est pas sa faute si les directeurs de casting ne lui ont pas trouvé une partenaire à la hauteur de son charisme animal (^^) mais il donne une interprétation bien trop simpliste (et outrée) de Rochester. Pour exprimer les ambivalences du personnage, il n'a pas trouvé mieux que d'alterner des scènes où il malmène Jane et des scènes où il lui ouvre son cœur sans aucun rapport entre elles, comme s'il était schizophrène. S'il est vrai que le comportement instable de Rochester fait longtemps souffrir Jane dans le roman, jamais elle ne tremble devant lui, ayant conscience de sa force. Et surtout, jamais il ne la rejette brutalement comme il le fait dans la mini-série, y compris à la fin où (ajout venu d'on ne sait où) il ne veut brusquement plus de ce qu'il prend pour de "la pitié" et la met aussitôt au bord des larmes. De quoi casser l'ambiance et réfrigérer n'importe quel cœur. C'est un contresens total par rapport à la fin du roman où ils sont si heureux d'être ensemble qu'ils sont complètement désinhibés. Les émotions et les gestes qui les accompagnent circulent alors librement entre eux (ce qui d'ailleurs allait à l'encontre des convenances et avait choqué à l'époque). A travers ces poussées d'autoritarisme inventées de toutes pièces, on sent le besoin de bien marquer les territoires du masculin et du féminin ou plutôt des stéréotypes associés à chaque genre, histoire de rassurer ceux qui auraient peur de perdre le contrôle et de se laisser "absorber" dans le monde féminin de Charlotte Brontë. Pitoyable. 

 

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Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Franco Zeffirelli (1996)

Jane Eyre

"Jane Eyre" de Franco Zeffirelli sorti en 1996 est la première version du roman de Charlotte Brontë à avoir été tournée à Haddon Hall dans le Derbyshire. Ce lieu est devenu un écrin si parfait que les versions ultérieures y sont toutes revenues: aussi bien la formidable mini-série de Susanna White de 2006 que le film de Cary Fukunaga de 2011. Haddon Hall est le principal apport d'une version guère impérissable tant elle échoue à restituer tout ce qui fait la puissance et la modernité du roman. L'aspect le moins raté de la transposition est l'enfance de Jane grâce principalement au jeu de Anna Paquin qui trois ans plus tôt crevait déjà l'écran dans "La Leçon de piano" de Jane Campion. Néanmoins les choix scénaristiques et de mise en scène manquent déjà pour le moins de subtilité. Je pense en particulier au fait de ne mettre en avant que les sévices subis à l'école Lowood (en les concentrant sur Helen Burns qui plus est dans un malheureux syncrétisme entre le film de Stevenson et le roman) sans montrer qu'il s'agit aussi d'un lieu de formation. De même le personnage de Brocklehurst est juste montré comme la terreur de l'établissement alors que Charlotte Brontë fustigeait surtout son hypocrisie (et avec elle, celle des dévots bien-pensant écrasant les jeunes filles pauvres sous leur botte tout en parant leurs propres filles de beaux atours). Mais là où le film se crashe complètement, c'est à partir de la deuxième partie, quand Jane adulte se rend à Thornfield Hall pour devenir la gouvernante d'Adèle. Dire que les raisons de l'attirance de Jane pour Rochester (et réciproquement) restent mystérieuses pour le spectateur est un faible mot tant les deux acteurs, visiblement mal dirigés échouent à transmettre quoi que ce soit en terme d'alchimie ou d'émotion. On ne ressent à aucun moment la moindre complicité intellectuelle ou le moindre désir charnel entre eux. Charlotte Gainsbourg a le physique du rôle, c'est sans doute celle qui correspond le plus à la description qu'en fait Charlotte Brontë. Mais on ne peut pas dire qu'elle fait montre d'une quelconque personnalité, elle donne juste l'impression d'assister passivement, les yeux écarquillés, aux événements. Il n'y a aucun raccord possible avec le visage si énergique et déterminé de Anna Paquin. Toute la force de caractère de Jane, sa capacité de résistance au carcan patriarcal est complètement évacuée. Quant à William Hurt, il a 10 ans de trop pour le rôle mais cela n'aurait aucune importance s'il lui transmettait une quelconque flamme. Or il est tellement éteint et monolithique qu'on ne peut pas croire deux secondes qu'il est Rochester. On touche cependant le fond avec la troisième partie qui est précipitée en 15-20 minutes et au final massacrée. La séquence d'avant et surtout d'après le mariage raté n'est quasiment pas traitée ce qui ôte tout enjeu à ces événements alors qu'ils sont pourtant cruciaux (Jane va-t-elle à cause de sa passion renoncer à son libre-arbitre pour se faire entretenir dans une chimérique vie de princesse derrière laquelle se cache la réalité d'une domination patriarcale?) D'ailleurs elle ne s'enfuit même pas (pourquoi le ferait-elle d'ailleurs puisqu'il n'y a aucun désir qui passe entre elle et Rochester, donc aucun danger) elle se rend tranquillement dans la maison de sa tante où l'attend St John (un mélange issu également du film de Stevenson) que l'on arrive pas à situer vu qu'il n'a que quelques minutes pour s'exprimer. Donc sa propre capacité d'emprise sur Jane, son puritanisme tyrannique sont complètement passés sous silence. Lorsqu'elle revient à Thornfield, il ne s'est écoulé que quelques minutes, inutile de dire que c'est un peu court pour faire d'autres expériences et mûrir. Ses retrouvailles avec Rochester tombent donc complètement à plat tout comme l'est ce film académique (je dirais même stupide) qui ne va pas au delà de la surface des choses.

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Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Cary Joji Fukunaga (2011)

Jane Eyre

Cette version de Jane Eyre (la dernière en date il me semble) ne manque pas de qualités, que ce soit dans la mise en scène ou dans l'esthétique. Mais elle passe à côté de l'essentiel. En effet en dépit des apparences, "Jane Eyre" n'est pas un roman facile à adapter parce qu'il n'est pas facile d'en saisir l'essence. Le nombre très élevé d'adaptations (plus d'une quinzaine!) plaide d'ailleurs en ce sens, il est l'expression d'une insatisfaction, d'une difficulté face à une histoire aussi insaisissable que son héroïne et celle qui lui a donné vie, Charlotte Brontë.

Ce qui pèche dans cette version ce n'est pas tant les coupes dans le roman (comment faire autrement pour faire tenir l'histoire en moins de deux heures?) que la vision complètement dévitalisée qu'il en donne. "Jane Eyre" se compose de contradictions, de reliefs et c'est un grand huit émotionnel autant qu'une passionnante (et surtout revigorante!!!) réflexion autour de la condition féminine, des rapports entre les sexes et de tout ce qui entrave leur épanouissement mutuel. Dans la version de Fukunaga, tout n'est presque que tourment, souffrance, dépression et désolation. D'ailleurs le choix de commencer l'histoire non par le commencement (c'est à dire par l'enfance qui dévoile l'échec des éducateurs victoriens à mater la nature rebelle de Jane) mais par sa fuite éperdue dans la lande pour échapper à la tentation de céder aux avances de Rochester après leur mariage raté va dans ce sens. Le jeu de Mia Wasikowska est certes sensible mais il manque de feu et de conviction, il manque aussi de cette naïveté émerveillée propre à la découverte de l’amour (tremplin de son évolution future) il est terne, monocorde. Jane Eyre est un caractère fort, puissant (au point de faire peur à tous les tenants de l'autorité qui la voient comme une sorcière) ce qu'elle ne retranscrit pas du tout. Et le courant ne passe pas vraiment avec son partenaire, Michael Fassbender qui a également du mal à exprimer combien Rochester est une généreuse et vulnérable nature sous ses comportements parfois détestables de "seigneur et maître". C'est bien dommage car son jeu est intéressant, par exemple à l'église lorsqu'il s'apprête à épouser Jane, sa nervosité retranscrit parfaitement à quel point il n'a pas la conscience tranquille. Ce qui manque en fait dans ce film c'est la dimension joyeuse, païenne, sensuelle, l'énergie, la verdeur, la tendre complicité de leur relation. Le roman est à l'image de toutes les saveurs de l'existence, le film n'en offre que le versant dépressif. Jane et Rochester ne sont pas des apparitions fantomatiques mais des êtres de chair et de sang (plutôt bouillant) qui se débattent pour sortir de la situation sans issue dans laquelle ils sont plongés, ou plutôt dans laquelle la société victorienne étriquée les plonge jusqu'à ce qu'ils parviennent à se créer leur propre issue. C'est aussi sans doute à cause de ce manque global de relief (qui provoque un ennui poli) que le personnage de St John (Jamie Bell) tombe un peu à plat. Il devait représenter une réelle alternative à Rochester mais dans une version aussi monochrome, c'est tout simplement impossible.  

S'il fallait résumer en un exemple la vision tristounette que donne cette version, je citerais celui où Jane retrouve Rochester. Dans ma version préférée (celle de la BBC de 2006 qui a été tournée dans les mêmes décors mais qui a mieux su leur donner sens) elle s'accomplissait (comme dans le roman) autour d'un verre d'eau, symbole de retour à la vie. Ici elle s'accomplit autour d'un arbre en ruines. Cette vision est celle que Rochester a de lui à la fin du roman. Le film oublie juste de préciser que Jane lui dit que ça repoussera, juste un peu différemment*. Et Jane, elle s'y connaît en matière de résilience.

*Fukunaga a-t-il seulement compris le roman? J'en doute. Car ce même arbre mort qui apparaît dans une scène de renaissance, il le montre en fleurs dans la phase qui précède un mariage qui est en fait un leurre reposant sur des bases malhonnêtes et déséquilibrées.

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Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Susanna White (2006)

Jane Eyre

Parmi les nombreuses adaptations à l'écran du roman de Charlotte Brontë, celle de la BBC, véritable Mecque de la mini-série de qualité, est tout simplement géniale. Sa longueur (4 épisodes de près d'une heure) permet d'être relativement fidèle au livre. Néanmoins, l'adaptation privilégie surtout la relation entre Jane Eyre et Edward Rochester qui est analysée aussi bien sous son angle romantique, mythologique et spirituel que dans ce qu'elle a de résolument moderne voire de révolutionnaire, même de nos jours où la force morale exceptionnelle de l'héroïne pourtant seule et pauvre et à l'inverse la vulnérabilité cachée puis révélée de celui qu'elle aime qui a pourtant en apparence tous les attributs du "mâle dominant" finissent par mettre sans dessus dessous ^^ les repères traditionnels du rapport de couple (adossés sur des inégalités elles-mêmes issues d'assignations/représentations de genre aliénantes mais qui ont la vie dure parce ce que rassurantes). C'est aussi une version extrêmement sensuelle où la nature joue un rôle prépondérant.

Si l'enfance de Jane est un peu trop rapidement expédiée (sauf pour souligner son caractère indomptable et indépendant ce qui fait qu'on la considère dès son plus jeune âge comme "habitée par le diable") dès que celle-ci (merveilleusement jouée par une Ruth Wilson 100% nature) atteint l'âge adulte, le récit se pose et entre véritablement dans un état de grâce. Tout prend harmonieusement sa place. Le décor de Thornfield Hall, protagoniste à part entière de l'histoire fait penser aux tableaux de paysages romantiques qui expriment les états d'âme. Le lien chamanique qui unit Jane et Rochester (issu d'ancestrales croyances celtiques retravaillées par le romantisme) se matérialise sous la forme d'une rivière au courant impétueux. A contrario se dresse toute en verticalité la forteresse lugubre du château, véritable prison avec son monstre à l'intérieur. Le flux de la vie s'écoulant en toute liberté à deux pas du sarcophage contenant les pulsions indésirables réprimées jusqu'à la folie. Un château qui symbolise également la domination sociale des hommes (riches et bien nés de préférence) sur les femmes (a fortiori si elles sont pauvres). Mais ce n'est qu'un décor derrière lequel se noue en eaux profondes un lien horizontal, puissant, indéfectible entre deux solitaires qui ont aussi peur l'un de l'autre qu'ils sont attirés l'un par l'autre. Outre la bestialité bien peu aristocratique qui se dégage de Rochester (Jane évoque sa "crinière" de fauve mais il y a aussi en lui un ours mal léché et parfois aussi un serpent tentateur évoluant sur une musique hypnotique et de lourdes vapeurs, toute une atmosphère de décadence qui suggère le vertige de la chute), celui-ci se joue dans un premier temps des sentiments de Jane comme d'un mécanisme de défense le protégeant d'une femme qu'il sent d'instinct beaucoup plus forte que lui. La scène-clé de la rencontre lorsque Rochester tombe de cheval pour ne pas percuter Jane de plein fouet a ainsi une signification sexuelle. Le cheval est une métaphore de la virilité et Jane commence par le désarçonner: pas étonnant qu'il la traite d'emblée de "sorcière" car c'est le premier coup de boutoir de cette force de la nature contre sa si fragile forteresse intérieure ^^. D'ailleurs cette scène dit déjà tout puisqu'il est ensuite obligé de s'appuyer sur Jane pour remonter à cheval après avoir découvert qu'il s'était foulé le pied. La suite ne fait en effet que confirmer que le courant passe entre eux à un niveau qui renverse tous les codes et toutes les barrières établies. La scène où Jane sauve Rochester endormi dans son lit en flammes est un renversement complet par rapport au schéma traditionnel où la femme attend dans sa tour/dans son lit que son prince charmant vienne la délivrer/la réveiller. C'est aussi une scène trouble dans laquelle Jane joue (déjà) avec le feu en s'approchant d'aussi près d'un homme qui pourrait bien l'entraîner avec lui en enfer (même -et c'est très important- si elle reconnaîtra plus tard que le puritanisme de St John est autrement plus effrayant que l'aura sulfureuse de Rochester). Plus tard, toujours sous les coups (symboliques) portés par Jane qui finit par exprimer du fond de tout son être son droit à la dignité, à la liberté et à l'égalité, on voit à plusieurs reprises le masque de Rochester craquer grâce à la finesse de jeu de Toby Stephens, acteur à l'expressivité phénoménale, pouvant exprimer simultanément différentes facettes contradictoires du si complexe personnage de Rochester (le machisme/la vulnérabilité, l'assurance/la détresse, la tendresse/la séduction etc.) passant en un éclair de la figure sombre et autoritaire ou bien séductrice et carnassière au déchirement le plus poignant, la voix rauque ou bien défaillante d'émotion jusqu'à finir avec le visage complètement défait du petit garçon perdu. Plus tard encore, lorsque la tension (sexuelle) entre eux atteint son paroxysme après le mariage raté pour cause de petit problème de polygamie ^^, on voit Jane au terme d'un corps à corps aussi sensuel qu'éprouvant résister à la tentation de devenir sa maîtresse (notamment par le fait qu'elle continue à l'appeler "sir" ou "M. Rochester" même dans la plus grande proximité physique, le mettant ainsi mentalement à distance) alors que lui a tellement peur d'être abandonné qu'après avoir tout fait pour la faire "craquer" (en jouant avec les limites autorisées de l'époque ce qui augmente considérablement le niveau d'érotisme de la scène), il tente de la convaincre qu'ils peuvent rester ensemble en mettant la sexualité de côté (c'est tellement crédible qu'elle s'enfuit aussitôt). Elle ne revient vers lui que lorsqu'elle l'a décidé c'est à dire une fois qu'il a retrouvé son intégrité morale et fait du ménage dans sa vie ce qui passe par l'acceptation de sa vulnérabilité (et la délivrance de ses peurs: d'être dominé, abandonné, trompé, repoussé etc.), laquelle s'inscrit dans son corps désormais définitivement diminué. Entre temps, elle a évolué elle aussi, elle a pris de l'assurance, gagné son indépendance financière et c'est elle qui prend désormais les initiatives. Ayant entre temps rencontré un autre homme (St John Rivers dont elle a failli accepter la proposition de mariage), elle peut lui raconter son expérience (et le rendre jaloux ^^) ce qui rééquilibre symboliquement toutes les scènes où elle a écouté sans broncher les histoires de ses anciennes liaisons (qui se terminaient toutes cependant par une humiliation, renforçant à chaque fois un peu plus son amertume vis à vis des femmes du monde* dont on peut avoir un aperçu en miniature avec le personnage d'Adèle). Et, après lui avoir fait avouer que son plan d'autrefois qui consistait à "vivre comme frère et sœur" était des plus fumeux puisque elle et lui n'étaient définitivement pas du genre platonique (non, vraiment? ^^), summum du rééquilibrage et de l'horizontalité, elle finit par s'assoir puis s'allonger sur lui qui s'abandonne dans un grand éclat de rire partagé et libérateur, prenant ainsi sa revanche sur la scène de la chambre où il l'emprisonnait de son corps en faisant pression de tout son poids sur elle. C'est en effet à ce moment là, quand cela coule de source, qu'elle l'appelle spontanément par son prénom. Chose qu'il avait tenté d'obtenir en vain durant toute leur histoire. Une belle illustration de la liberté et de l'égalité (et de l'effet contre-productif des pressions) ^^. Et bien sûr cela ne peut se passer qu'au bord d'une rivière au cours désormais apaisé, présage de jours heureux.

* Il les surnomme les « oiseaux exotiques » à cause de leurs plumes dans les cheveux. Quant à Jane il la surnomme « l’hirondelle » parce qu’elle part et revient librement ce qui est une source d’angoisse pour lui. 

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Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Robert Stevenson (1944)

Jane Eyre

Si le Jane Eyre de Robert Stevenson est une incontestable réussite, en tout cas très supérieure aux "Hauts de Hurlevent" de William Wyler, c'est moins à son réalisateur (mineur) qu'il le doit qu'à l'impressionnante réunion de talents qui se sont penchés sur son berceau, véritable concentré de ce que les studios hollywoodiens (ici la Fox) ont pu produire de mieux durant leur âge d'or. Aldous Huxley (l'auteur du "Meilleur des mondes") au scénario, Bernard Herrmann à la musique, George Barnes, le chef opérateur de "Rebecca" de Alfred Hitchcock à la photographie et last but no least, la performance shakespearienne de Orson Welles dont l'influence sur le film dépasse d'ailleurs largement sa prestation d'acteur. C'est sa patte que l'on reconnaît sur la mise en scène avec une atmosphère ténébreuse et gothique, une entrée en scène opératique dans la brume, de nombreux éclairages expressionnistes, une utilisation de la profondeur de champ, de la plongée et de la contre-plongée et du positionnement des personnages dans le cadre traduisant les rapports de domination dans la lignée de "Citizen Kane". Joan Fontaine, parfaite dans ce genre de rôle renforce le lien que l'on peut établir entre cette adaptation du roman de Charlotte Brontë et celle du "Rebecca" de Daphné du Maurier. Le film devait d'ailleurs être produit à l'origine par David O' Selznick.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'une adaptation fidèle puisqu'il a fallu condenser l'œuvre pour qu'elle tienne sur 90 minutes (la fin est d'ailleurs un peu précipitée et maladroite) mais l'essentiel y est, à savoir le caractère subversif de l'héroïne, reflet de celui de Charlotte Brontë. Jane est en effet une rebelle qui exprime sa colère devant les injustices qui lui sont faites, et ce dès sa plus tendre enfance. Par la suite, cette colère se transforme en une volonté farouche et indomptable. Charlotte avait titré une de ses œuvres "Tales of Angria" que l'on pourrait traduire par "Contes du royaume de la colère" ^^. Or la colère est aussi mal vue chez les femmes que les larmes le sont chez les hommes. A l'époque victorienne, c'était tout simplement une émotion qui faisait scandale lorsqu'elle s'exprimait chez une femme. Tout comme le fait de mener sa barque de façon indépendante ou de créer. Or Jane refuse catégoriquement le destin de recluse sous domination patriarcale qu'on veut lui imposer. Elle choisit une destinée d'homme, celle de partir seule en quête de sa place dans le monde, endurant des épreuves dignes d'un Bildungsroman au féminin. Et elle ose affirmer à Rochester qui est deux fois plus âgé qu'elle et d'un statut social supérieur qu'elle est son égale. D'ailleurs le fait qu'ils ne peuvent convoler que lorsque celui-ci est diminué physiquement a le même effet "anti-patriarcal".

"Jane Eyre" est aussi marquant par le fait qu'il met en scène dans le rôle de Helen Burns, l'amie de Jane à la pension Lowood  la jeune Elizabeth Taylor qui n'était alors âgé que de 11 ans mais qui crevait déjà l'écran. Peggy Ann Garner s'en tire également très bien dans le rôle de Jane enfant. Grâce notamment à leur jeu et à la mise en scène occulte de Orson Welles ^^ (qui s'intéressait beaucoup au roman de Charlotte Brontë), les séquences résumant l'enfance de l'héroïne ne sont pas qu'un simple passage obligé mais acquièrent une dimension comparable (en miniature) à celle de la "Nuit du chasseur" de Charles Laughton.

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Les soeurs Brontë

Publié le par Rosalie210

André Téchiné (1979)

Les soeurs Brontë

"Les Sœurs Brontë" est un très beau film de André TÉCHINÉ, soutenu par une équipe technique de grande qualité (Pascal BONITZER au scénario, Bruno NUYTTEN à la photographie, Philippe SARDE à la musique) qu'il faut absolument redécouvrir. Il est aux sœurs Brontë ce que "2001, l'odyssée de l'espace" (1968) est… à l'espace. Autrement dit les partis pris de dépouillement extrême de l'intrigue comme du jeu peuvent déconcerter mais ils sont cohérents avec le sujet traité et ne cherchent pas à l'enjoliver artificiellement. Cette volonté d'authenticité a pour but de comprendre le lien entre la vie des sœurs Brontë et leur œuvre. Et effectivement, il apporte quelques éléments de réponse. Emily (jouée par Isabelle ADJANI à qui le rôle va à la perfection) est dépeinte comme le double de Catherine, son héroïne des "Hauts de Hurlevent". Sauvage, secrète, irascible et passionnée, on la voit arpenter la lande du Yorkshire en habits d'hommes. Son asociabilité et sa vie à l'écart du monde lui octroient une grande liberté doublée d'une proximité avec la nature. D'autre part le film répond à une question que se sont posés de nombreux spécialistes à savoir comment elle a pu raconter une histoire d'amour aussi puissante en n'en ayant pas vécue une elle-même. Le réponse semble se trouver dans sa relation fusionnelle avec son frère autodestructeur, Branwell (Pascal GREGGORY dont c'était le premier rôle important au cinéma) qu'elle suit comme son ombre et à qui elle ne survivra pas. Bien que n'ayant pas laissé d'œuvre en propre (on le voit symboliquement s'effacer du portrait familial), Branwell semble avoir été extrêmement important dans le processus créatif de ses sœurs et le film lui donne une grande place si ce n'est la première. Enfin, l'autre personnage important est bien évidemment l'aînée, Charlotte (Marie-France PISIER) plus mature et ouverte sur l'extérieur que le reste de la famille. Sans son intervention déterminante, les œuvres de ses sœurs n'auraient jamais été publiées. Elle prit également la décision de dévoiler à l'éditeur leur véritable identité (toutes trois avaient pris des pseudonymes masculins pour des raisons évidentes). Elle fut la seule à connaître le succès de son vivant et à avoir accès à une vie sociale et mondaine même si la scène de fin à l'opéra montre que sa simplicité est en décalage complet avec les codes en vigueur dans la bonne société. D'autre part, la genèse de "Jane Eyre" semble se trouver dans la passion non réciproque de Charlotte pour l'un de ses professeurs à Bruxelles bien plus âgé qu'elle, Constantin Heger (Xavier DEPRAZ) qui lui aurait inspiré le personnage de Rochester, elle-même s'étant dépeinte sous les traits de Jane (qui est d'ailleurs préceptrice, comme elle). Si Emily est en effet attirée par son frère, attirance qui est la colonne vertébrale de la relation Cathy-Heathcliff, Charlotte est en revanche attirée par des figures paternelles. Elle finit d'ailleurs par épouser le vicaire de ce dernier, M. Nicholls (Roland BERTIN). Reste la troisième sœur, Anne qui tout comme dans la réalité apparaît en retrait par rapport ses deux aînées, ses romans n'ayant pas connu le même succès et d'après les spécialistes, n'ayant pas la même qualité littéraire. Isabelle HUPPERT est tout à fait convaincante dans le rôle mais elle était en rivalité avec Isabelle ADJANI alors star montante comme elle ce qui rendait l'ambiance sur le plateau irrespirable. Cette absence de solidarité qui s'est manifestée jusqu'au festival de Cannes ne se ressent pas dans le film, mais celui-ci a été tout de même amputé d'une heure à la demande des producteurs et jamais restauré depuis, les scènes coupées ayant été définitivement perdues entre temps.

Les soeurs Brontë

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Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Publié le par Rosalie210

William Wyler (1939)

Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Il s'agit de l'adaptation cinématographique la plus célèbre du roman de Emily Brontë. Comme tous les admirateurs de cette œuvre le savent, le scénario ne reprend que la première moitié du roman, celle qui se concentre sur la relation passionnelle et destructrice qui lie Cathy et Heathcliff avec une conclusion paroxystique en terme de romantisme tragique. Si en terme d'efficacité narrative et de lisibilité des enjeux, c'est un bon choix, il n'en reste pas moins que le caractère machiavélique de Heathcliff qui échafaude une vengeance s'étendant sur deux générations est édulcoré, celui-ci apparaissant au final surtout comme une victime de la jalousie de Hindley, de la frivolité de Cathy et de façon plus générale des préjugés aristocratiques du milieu qui "l'accueille" ou plutôt qui ne cesse de l'humilier et de le rejeter. Laurence OLIVIER est ténébreux à souhait tandis que Merle OBERON fait trop pencher son rôle du côté de la jeune fille capricieuse et mondaine au détriment de la sauvageonne jumelle de Heathcliff. La photographie et les décors sont superbes et contribuent à restituer l'atmosphère sauvage et quasi-fantastique des lieux. "Les Hauts de Hurlevent" version William WYLER est donc un pur produit du classicisme hollywoodien, une œuvre de studio qui manque de bruit de fureur et pour tout dire d'un véritable tempérament.

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Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Publié le par Rosalie210

Peter Kosminsky (1992)

Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Bien qu'il s'agisse d'un monument de la littérature difficile à adapter, "Les Hauts de Hurlevent" a connu de multiples transpositions à l'écran. Celle du britannique Peter KOSMINSKY, plus connu pour ses réalisations pour la télévision (dont le remarquable "Warriors : L'impossible mission") (1999) est un peu bancale. A son crédit on peut mettre la volonté méritoire d'adapter l'ensemble du roman et pas seulement la relation entre Catherine et Heathcliff, une belle photographie de paysages magnifiques, la musique de Ryuichi SAKAMOTO et l'interprétation habitée de Ralph FIENNES qui est très convaincant dans le rôle si complexe et ambivalent de Heathcliff. Mais le film souffre également de défauts qui le plombent. Il manque d'un véritable point de vue qui lui donnerait une personnalité. Tel quel, il est platement illustratif. Ensuite il a du mal à nous faire ressentir le passage du temps. Les personnages vieillissent peu voire pas du tout alors que l'histoire se déroule sur plusieurs générations. Certes, beaucoup de personnages meurent jeunes mais ce n'est pas le cas de tous si bien que lorsqu'on voit Juliette BINOCHE qui joue à la fois Catherine mère et Catherine fille devant Edgar (Simon SHEPHERD), on a bien du mal à différencier l'époux du père. Enfin, Juliette BINOCHE offre une interprétation assez puérile de Catherine. Ce n'est pas un personnage facile à saisir car il est lui aussi animé de mouvements contradictoires (peur/sécurité, cœur/vanité, passion/raison, sentiments/calculs etc.) néanmoins une chose est sûre, c'est qu'on ne ressent pas la passion dévastatrice qui est censée la relier à Heathcliff. On a plutôt affaire à une gamine agaçante et superficielle qui ne sait pas ce qu'elle veut. Si bien que sa gémellité avec Heathcliff n'a plus rien d'évident. Une Isabelle ADJANI capable de performances extrêmes et hallucinées aurait été plus appropriée. Ce n'est certainement pas par hasard qu'elle a interprété Emily Brontë dans le film "Les Soeurs Brontë" (1979) de André TÉCHINÉ. Tous ces défauts enlèvent à cette transposition la sauvagerie, la fièvre et le souffle du roman, au point qu'on ne ressent même pas l'apaisement du climat lorsque Heathcliff meurt. 

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