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Articles avec #shakespeare tag

La Mégère apprivoisée

Publié le par Rosalie210

Franco Zeffirelli (1967)

La Mégère apprivoisée

Le principal défaut de cette adaptation de la pièce de Shakespeare est son absence de point de vue.  Franco Zeffirelli est un cinéaste très conventionnel qui semble illustrer plutôt que proposer une vision du patrimoine littéraire qu'il adapte. Par conséquent le film est très impersonnel ce qui est dommageable car ce qu'il en ressort au final, c'est un ringardisme absolu dans la manière d'aborder les rapports hommes-femmes comme une lutte de pouvoir dans laquelle l'homme, mû par l'appât du gain et l'orgueil doit mater la femme colérique (une émotion considérée comme indésirable dont l'éradication justifie la maltraitance et donne du crédit à ce que l'on appelle aujourd'hui la culture du viol). Cette vision misogyne et mercantile des rapports amoureux flatte les pires instincts de ceux qui n'envisagent les relations humaines qu'en terme de rapports de force*. Reste le plaisir pour l'œil de regarder des costumes vraiment magnifiques et les prises de bec entre Elizabeth Taylor et Richard Burton qui en font des tonnes au point que le film est limite un documentaire sur leur relation mouvementée ^^^^. Inutile de préciser que les personnages secondaires sont parfaitement inexistants, le film se focalisant sur ces deux monstres sacrés qui "bouffent la caméra" dès qu'ils apparaissent à l'écran.

* Je n'apprécie pas non plus les versions "féministes" de la pièce qui font de Catherine une Lady Macbeth comique. C'est le rapport de forces en lui-même qui est problématique, le fait d'envisager une relation en terme de dominant/dominé.

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Les salauds dorment en paix (Warui yatsu Hodo yoku nemuru)

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1960)

Les salauds dorment en paix (Warui yatsu Hodo yoku nemuru)

Méconnu en France sans doute parce qu'il s'agit d'un film noir et non d'un film historique, "Les salauds dorment en paix" est pourtant l'un des plus grands chefs d'œuvre de Akira KUROSAWA, mêlant avec virtuosité cinéma et théatre.

Le film est tout d'abord une satire au vitriol du Japon d'après-guerre gangrené par la corruption. La mise en scène est étourdissante de maîtrise. A l'image de Jean RENOIR, Akira KUROSAWA joue beaucoup sur la profondeur de champ pour instaurer une distance critique avec l'action qui se déroule sous nos yeux. La scène d'ouverture d'une durée de vingt minutes (qui a inspiré Francis Ford COPPOLA pour celle du film "Le Parrain" (1972)) se déroule pendant le banquet de mariage de la fille du patron avec son secrétaire particulier mais un aéropage de journalistes chargé de couvrir l'événement fait des commentaires acerbes et se délecte des incidents au parfum de scandale qui éclatent en direct. Lors d'une autre scène, un employé de la compagnie qui se fait passer pour mort contemple caché dans une voiture le spectacle de ses funérailles durant lesquelles les dirigeants s'inclinent devant son effigie alors qu'une bande magnétique enregistrée à leur insu dévoile leur contentement d'avoir poussé un témoin gênant de leurs pratiques mafieuses au suicide.

Mais là où le film atteint des sommets d'intensité, c'est lorsque sur ce cloaque nauséabond il greffe une tragédie shakespearienne digne de "Hamlet" dont Akira KUROSAWA s'est librement inspiré tout en étant encore plus sombre et fataliste que l'œuvre d'origine. Il y a quelque chose de pourri au pays du soleil levant et c'est la relation filiale qui en paye le prix. En effet les pères s'y révèlent d'une totale indignité. Nishi (Toshirô MIFUNE) veut venger le sien qui l'a jamais reconnu alors que son beau-père n'hésite pas à briser sa fille Yoshiko (Kyôko KAGAWA) pour mieux l'anéantir. Kurosawa semble nous dire qu'en sacrifiant leurs enfants au profit de leur hiérarchie ou de leurs ambitions sociales, les pères privent leur pays d'avenir. La fin se déroule dans un paysage ravagé lié aux stigmates de la guerre qui dans les années 60 ne semble toujours pas terminée. La mort de Nishi, laissée en hors-champ est racontée par un personnage tiers comme celle d'Ophélie dans "Hamlet". Il y a aussi un fantôme, le fameux employé revenu d'entre les morts pour terrifier sa hiérarchie. Et pour confondre son beau-père en public, Nishi commande une pièce montée en forme de scène de crime comme le faisait Hamlet avec les comédiens chargés de rejouer la scène devant le roi.

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Le château de l'Araignée (Kumonosu jô)

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1957)

Le château de l'Araignée (Kumonosu jô)

Exemple réussi de fusion entre deux cultures, "Le château de l'Araignée" est la transposition du "Macbeth" de Shakespeare dans le Japon du XVI° siècle dévoré par les guerres civiles et les félonies. Kurosawa construit une œuvre très fidèle à la pièce d'origine tout en étant profondément ancrée dans la culture de son pays.

La réussite du film repose sur un subtil équilibre entre des émotions et sentiments exacerbés jusqu'à la folie et un traitement ascétique inspiré des codes du théâtre no. Kurosawa procède en effet par soustraction et compression. La soustraction est en effet partout: les personnages et les lieux sont réduits au minimum, les décors sont épurés, le spectaculaire (batailles et assassinats) est évacué en hors-champ, les mouvements de caméras sont limités de même que les déplacements, les expressions et les gestes des personnages. Leurs visages sont figés de façon à ressembler aux masques portés par les acteurs du no. On notera particulièrement le contraste entre l'expression grimaçante de Washizu alias Macbeth (Toshirô MIFUNE) qui le fait ressembler à un démon et celle, hiératique et spectrale de son épouse Asaji alias Lady Macbeth (Isuzu YAMADA), son âme damnée. On remarquera aussi qu'ils oscillent entre une immobilité redoutable, celle de l'animal prêt à bondir par laquelle ils concentrent au maximum leur énergie et une agitation désordonnée qui symbolise l'égarement de leur cerveau envahi par la folie furieuse. Un égarement également symbolisé par la brume omniprésente dans lesquelle ils se débattent comme dans une toile d'araignée, celle de la forêt qui entoure le château et lui donne son nom.
 

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My Own Private Idaho

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (1991)

My Own Private Idaho

Adaptation contemporaine du "Henry IV" de Shakespeare, relecture du "Falstaff" de Welles à la sauce beatnik, description documentaire du quotidien de deux prostitués, western moderne et road movie nihiliste, roman-photo kitsch (la scène des couvertures de magazines pornos et les tableaux vivants dépeignant les scènes de sexe) et teen movie, "My Own Private Idaho" est un peu tout cela à la fois. C'est aussi comme le titre l'indique un film très personnel. Gus Van Sant se dépeint à la fois à travers le personnage de Mike le blond (remarquablement joué par le regretté River Phoenix) et de Scott le brun (Keanu Reeves, parfait pour le rôle également). Un pied bohème dans le cinéma expérimental le plus radical ("Gerry"), l'autre ambitieux dans le cinéma mainstream hollywoodien ("Will Hunting").

Mike est un jeune vagabond d'une sensibilité fêlée qui gagne sa vie en se prostituant. La ressemblance de River Phoenix avec James Dean saute aux yeux d'autant qu'ils sont morts tous deux très jeunes après seulement quelques films. Le personnage de Mike est non seulement un rebel without a cause mais il est aussi without a home. Ses racines sont inexistantes comme le symbolise la maison projetée sur la route, une image empruntée au "magicien d'Oz". Mike n'a pas de père et sa mère qu'il ne cesse de convoquer dans ses souvenirs est insaisissable. Sa quête des origines est donc vouée à l'échec tout comme sa tentative de trouver sa place quelque part. Il ne parvient pas à exister et est condamné à errer sans fin, prisonnier du bas-côté de la route et de sa sous-culture marginale ("walk on the wild side") sans espoir et sans perspective d'en sortir. Sa seule évasion, ce sont ses crises de narcolepsie qui le déconnectent régulièrement du monde réel. Sa passivité et sa marginalité font de lui un anti-héros qui subvertit les codes virilistes à l'œuvre dans le cinéma traditionnel (comme le western).

Scott, personnage shakespearien (un domaine de prédilection de Keanu Reeves qui enchaînera avec Don John dans "Beaucoup de bruit pour rien") représente quant à lui le fils de bonne famille en rupture avec son père et tout ce qu'il représente: le patriarcat, les relations hiérarchiques, le pouvoir, la richesse, l'hétérosexualité. Il s'est choisi un nouveau père (qui est aussi un initiateur y compris sexuel), Bob (William Richert), un néo-Falstaff qui entretient une petite cour des miracles dans un vieux théâtre désaffecté. Mike gravite également dans ce monde parallèle et utopique. Mais contrairement à Mike, condamné à végéter dans une adolescence éternelle, Scott est en transition vers l'âge adulte. Ce qui pour lui, signifie endosser le costume de son père et renier ses anciennes amours.

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Hamlet

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (1996)

Hamlet

"Hamlet" est l'œuvre-somme de Shakespeare et Branagh, lui répondant en miroir en a fait son film-somme. Une œuvre monumentale de 4 heures (en version longue) pour laquelle Branagh a convoqué différents pans de la mémoire du cinéma hollywoodien dans ce qu'il a de plus puissant, de plus spectaculaire. Cela va du muet (la séquence finale en montage alterné et suspense dilaté fait penser à "Naissance d'une nation" de D.W. Griffith) jusqu'aux grandes fresques des années 50-60 comme le "Docteur Jivago" de David Lean (choix du format 70 mm, des paysages enneigés et de l'actrice principale Julie Christie pour jouer Gertrude) ou "Ben-Hur" de William Wyler (également pour le 70 mm, la durée de 4 heures et Charlton Heston qui joue le chef de la troupe des comédiens).

C'est donc du très grand spectacle qui nous est offert. Mais c'est aussi une réflexion sur le spectacle et son rapport avec la vie. Le jeu de miroirs accentue le théâtre dans le théâtre qui est au cœur de la pièce. Il s'agit du célèbre passage de mise en abyme où des comédiens rejouent la scène du meurtre de Hamlet père par son frère Claudius dont la réaction épidermique a valeur d'aveu. Le simulacre de la pièce dans la pièce accouche d'une vérité (de plusieurs même puisque Claudius comprend à cette occasion qu'Hamlet connaît son secret). A l'inverse, lorsque la pièce "imite" la vie, elle prend l'allure d'une énorme mascarade sociale. Claudius, forcé de dissimuler son crime joue la comédie à tout le monde et Hamlet excelle à feindre la folie furieuse pour déstabiliser son entourage. Sans parler des scènes ou celui-ci se sait observé derrière un rideau ou un miroir sans tain et en rajoute à l'intention de son public.

"Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark". Effectivement le royaume-monde dans lequel se déroule le film, clos sur lui-même, entouré de grilles, de bibliothèques, de rideaux, de miroirs a quelque chose de terriblement claustrophobique. La transposition de cet univers dans un XIX° très "fin de siècle" en accentue le caractère décadent. C'est en effet à cette époque que l'aristocratie anglo-saxonne, rongée par la consanguinité s'est progressivement éteinte. Or ce "Hamlet" met particulièrement bien en valeur l'aspect nihiliste, "no future" de l'histoire. Les enfants de "Hamlet" sont pris au piège de relations incestueuses dont ils ne parviennent pas à se défaire. C'est évidemment le péché originel de Claudius-serpent qui convoite le trône et la femme de son frère aîné et s'en empare par le crime. C'est Hamlet fils, privé d'identité propre qui en dépit de ses atermoiements (eux-mêmes troubles) ne parvient pas à devenir autre chose que le bras armé de la statue du commandeur qu'est son père. Il finit dans le film littéralement crucifié. C'est également Ophélie, rejetée par Hamlet qui la défend de concevoir et l'enjoint d'entrer dans un couvent. Ophélie dont l'amour pour Hamlet ne fait pas le poids face à l'emprise de son père Polonius dont elle ne supportera pas la mort. Les images claustrophobiques s'accentuent alors et on voit cette pauvre Ophélie se jeter contre la grille qui la sépare du corps de son père puis se cogner contre les murs de sa cellule de contention dans sa camisole de force jusqu'à ce qu'elle en dérobe la clé et aille se jeter dans la rivière pour le rejoindre.

Dans ce contexte verrouillé, il n'est guère étonnant que tout ce petit monde s'entretue jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne. Le royaume d'Elseneur, envahi de toutes part s'écroule alors comme un château de cartes. Et le film de refermer la boucle en rappelant que les statues réputées les plus indéboulonnables meurent aussi (une référence sans doute à "Octobre" d'Eisenstein où la statue du Tsar est brisée). Toute forme de passion (pouvoir, argent, plaisir) n'est-elle pas que vanité en ce bas-monde ou rien ne dure?

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Peines d'amour perdues (Love's Labour's Lost)

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (2001)

Peines d'amour perdues (Love's Labour's Lost)

"Peines d'amour perdues" sorti en 2001 est la quatrième adaptation d'une pièce de Shakespeare par Kenneth Branagh après "Henry V" (1989), "Beaucoup de bruit pour rien" (1993) et "Hamlet" (1996). Et c'est la moins réussie des quatre, contrairement aux 3 autres, elle est d'ailleurs passée relativement inaperçue. Le fait que Branagh transpose, modernise ou coupe une partie du texte d'origine n'est pas en soi un problème. Il avait fait de même pour "Henry V" et "Beaucoup de bruit pour rien" et le résultat était enthousiasmant. L'ennui c'est qu'ici tout ce dispositif semble tourner un peu à vide:

- Cette pièce déjà mineure dans l'œuvre du dramaturge est en plus privée des 3/4 de son texte, remplacé pour l'essentiel par des numéros chantés et dansés extraits des plus grandes comédies musicales américaines des années 30 et 50. Mais le mariage des deux genres fonctionne mal. L'introduction de la comédie musicale est trop timide à cause de chorégraphies assez minables alors qu'en revanche le verbe de la pièce est largement vidé de sa substance, se réduisant à un bavardage inconsistant ou à des numéros burlesques consternants.

-Pour donner un peu de poids au film, Branagh transpose l'histoire à la veille de l'éclatement de la seconde guerre mondiale. On pense à "La Règle du jeu" de Jean Renoir réalisé en 1939 où les personnages dignes d'une comédie de Marivaux "dansaient sur un volcan". Mais il ne change pas le contexte Renaissance de la pièce ce qui jure horriblement avec celui de la guerre. On se retrouve ainsi avec un roi de Navarre et une princesse de France alors que le royaume de Navarre a disparu depuis belle lurette et que la France n'est plus une monarchie depuis près de 70 ans! Les "Actualités" qui commentent les actions de la pièce semblent ainsi raconter un conte de fées déconnecté de la réalité de cette époque.

-La fadeur du casting est sans doute une autre conséquence malheureuse du choix de faire une comédie musicale. Au lieu des acteurs chevronnés plein de talent auxquels nous avait habitué Branagh, on a en personnages principaux des Ken et des Barbie plus insignifiants les uns que les autres et en personnages secondaires des caricatures absolument grotesques qui gesticulent dans le vide. Résultat: on s'ennuie ferme. 

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Othello

Publié le par Rosalie210

Oliver Parker (1995)

Othello

Bien que cet "Othello" ne soit pas réalisé par Kenneth Branagh, il entretient des rapports étroits avec lui, ne serait-ce que parce qu'il interprète Iago et que son directeur artistique ainsi que son assistant metteur en scène ont été engagés. Les Inrockuptibles qui visiblement ne l'apprécient guère ironisaient à la sortie du film en lui adressant une lettre ouverte, "Même quand vous n'assurez pas la mise en scène, on a l'agréable impression que c'est vous le cinéaste. Peut-être créez-vous des clones, comme dans votre mémorable Frankenstein" (qui fut le premier échec commercial et critique de Branagh). Oliver Parker n'a guère dû apprécier (s'il a eu connaissance de l'article) d'être qualifié de "clone" d'un Branagh que nombre de journaux français ont accusé de mégalomanie. Car on peut voir les choses autrement: Kenneth Branagh s'est certainement reconnu dans ce jeune admirateur de Shakespeare et il lui a mis le pied à l'étrier en l'épaulant pour la réalisation de son premier film.

De fait il a eu raison. La vision que Parker propose de la pièce, très charnelle, est intéressante. Il a raccourci le texte pour faire de la place aux corps et aux visages filmés en gros plans. Ceux-ci, mûs par les passions physiques, les pulsions animales sexuelles et meurtrières se dévorent, s'étreignent, s'empoignent, se déchirent. Si Desdémone représente la facette lumineuse de l'être, Othello et Iago illustrent chacun son côté obscur. Othello, victime de son orgueil et de sa jalousie est pris d'une folie meurtrière qui finit par le détruire. Il est manipulé par un génie de l'intrigue, Iago qui visiblement jouit de sa position de deus ex machina. Les nombreux appartés et regard caméra de Branagh, son jeu avec les pièces de son échiquier le confirment. La duplicité de Iago fait la force. Tout au long de la pièce, il est qualifié "d'honnête", de "bon" et de "dévoué" alors qu'il est fourbe, sournois, maléfique et machiavélique. Quant à ses motivations, elles sont dictées elles aussi par la jalousie et l'envie. Iago ne voudrait pas seulement être Cassio, le lieutenant d'Othello, il voudrait être Othello lui-même. Dans le film, ce désir s'exprime par une image particulièrement forte: celle où Iago agonise sur le lit où gisent Othello et Desdémone, s'insinuant dans leur couple jusque dans la mort. Même si la mer purificatrice n'accueille que les dépouilles du couple défunt.   

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Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing)

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (1993)

Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing)

Cette deuxième adaptation d'une pièce de Shakespeare par Kenneth Branagh après le drame historique "Henry V" est aussi joyeuse, rayonnante et légère que la première est sombre et torturée. On en sort euphorique, avec l'impression que le soleil de Toscane a réussi à traverser l'écran pour nous englober dans son rayonnement. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une impression. En 1993, lorsque j'ai vu le film pour la première fois au cinéma, j'y suis allé avec une terrible migraine que ce film a réussi à guérir comme par enchantement. Et un film qui guérit les migraines, ce n'est pas si fréquent!

Il y a quand même quelques traces résiduelles du Shakespeare sombre et torturé, celui du "Conte d'hiver" au milieu de cet enchantement dionysiaque à base de jeux amoureux, de fêtes, d'agapes, d'ivresse. C'est le personnage luciférien de Don Juan (Keanu Reeves) jaloux et malfaisant qui en porte la plus large part. Refusant la main tendue de son demi-frère Don Pedro (Denzel Washington) qui est le prince légitime alors que lui n'est qu'un bâtard, il choisit de de se venger en semant la désolation autour de lui. Il est bien aidé par la crédulité (pour ne pas dire la bêtise) de Don Pedro et de son acolyte Claudio (Robert Sean Leonard, le minet benêt de service). Il suffit qu'il lui montre une scène de fornication au balcon de la chambre de celle qu'il doit épouser pour qu'il soit persuadé de la trahison de sa promise Hero (Kate Beckinsale alors encore étudiante et tout aussi lisse que son partenaire). Shakespeare nous livre alors l'une de ces scènes de violence passionnelle et destructrice dont il a le secret et qui font jaillir l'enfer au cœur du paradis. Claudio ruine son mariage avec la même violence aveugle que celle qui s'empare du roi Léonte dans "Le Conte d'hiver" et lui fait répudier sa femme et sa fille, hurlant que celle-ci "est de la graine de Polixène" (son pourtant meilleur ami).

Heureusement tout comme "Le Conte d'hiver", "Beaucoup de bruit pour rien" est une comédie où le mal peut être réparé après que le coupable ait éprouvé la souffrance du remords (et que les méchants responsables de la conspiration aient été punis. C'est le rôle du truculent Dogberry joué par un Michael Keaton directement échappé de "Sacré Graal" et ses chevaux fantômes). Et surtout, même au moment le plus critique, la joie ne s'éclipse pas. Elle est portée par l'autre couple vedette du film devant et derrière la caméra, Benedict et Beatrice alias Kenneth Branagh et Emma Thompson dont l'union faisait alors étinceler le talent (ce n'est pas pour rien que l'on parlait à leur égard de "couple doré"). Ceux-ci réussissent à introduire la screwball comedie d'Howard Hawks dans l'univers shakespearien. La modernité de ces personnages était déjà dans la pièce qui mettait en parallèle un couple romantique (Claudio et Hero) et un couple comique (Benedict et Beatrice). Beatrice regrette de ne pas être un homme alors que Benedict est le seul protagoniste masculin qui prend le parti des femmes (en dépit de sa misogynie de façade qui s'effondre d'une pichenette) De plus leurs chamailleries permanentes les placent dans une relation d'égalité (soulignée également par leurs prénoms similaires et leurs initiales identiques). Il n'y a pas une mais deux mégères à apprivoiser. D'où les hilarantes scènes parallèles où leurs amis leur tendent un piège pour les faire tomber amoureux l'un de l'autre. Branagh approfondit cette thématique en inversant les codes de genre: Beatrice parle d'une voix grave, a la peau brûlée par le soleil et est aussi décidée et intrépide qu'un garçon alors que Benedict est pâle, minaude devant la glace et est doté d'une voix qui part dans les aigus.  

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Henry V

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (1989)

Henry V

Tout un symbole: l'année même où mourrait Laurence Olivier dont le premier film en 1944 avait été "Henry V" sortait sur les écrans la version de Kenneth Branagh dont c'était également le premier film. Au Royaume-Uni on l'appelait déjà le nouveau Laurence Olivier en raison de sa jeune (il n'avait pas encore 30 ans en 1989) et brillante carrière théâtrale dans les adaptations de pièces de Shakespeare.

Film au départ confidentiel, réalisé avec peu de moyens, "Henry V" tapa dans l'oeil de Gérard DEPARDIEU qui partageait avec Branagh l'amour des Belles Lettres et le sens de la démesure. Il finança sa distribution en France et supervisa le doublage. C'est ainsi que Kenneth Branagh se fit connaître outre-Manche.

"Henry V" est un modèle d'adaptation réussie. Ne pouvant financièrement se permettre une reconstitution fastueuse, Branagh privilégie la stylisation afin de stimuler l'imagination à la manière de John Boorman dans "Excalibur". L'excellence de l'interprétation, le souffle épique de la musique (signée Patrick Doyle), l'atmosphère onirique créée par les plans filmés en clair-obscur, l'emphase des ralentis lors de la bataille d'Azincourt ont une puissance d'évocation dont des films plus réalistes sont privés.

La pièce de Shakespeare fait partie d'un ensemble de chroniques historiques des rois d'Angleterre participant à la construction du "roman national". Autrement dit: guerre, conquête, héroïsme, sang versé... Un programme peu excitant en soi mais outre la beauté du film c'est une passionnante réflexion sur la responsabilité que donne le pouvoir. Un pouvoir charnel fait de renoncements (les flashbacks sur le passé de débauche du roi montrent qu'il a dû sacrifier ses compagnons de beuverie à sa nouvelle fonction) de trahisons, de doutes et de tourments. La fin avec Emma Thompson offre une rupture de ton bienvenue et annonce le marivaudage de "Beaucoup de bruit pour rien".

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