Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #polar tag

Les Cheveux d'or (The Lodger: A Story of the London Fog)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1927)

Les Cheveux d'or (The Lodger: A Story of the London Fog)

"The Lodger", troisième long-métrage (abouti et en solo) de Alfred Hitchcock est de son propre aveu son premier film personnel, même s'il s'agit de l'adaptation cinématographique du roman de Marie Belloc-Lowndes "L'Etrange locataire" inspiré de Jack L'Eventreur (qui avait déjà donné lieu à une pièce de théâtre à laquelle avait assisté Hitchcock). Manifeste à lui seul de la naissance d'un génie, il constitue la matrice de tout son cinéma à venir tout en étant le réceptacle de la quintessence de l'âge d'or du cinéma muet.

Si les cinéastes de l'âge d'or d'Hollywood ont conçu tant de chefs-d'oeuvre en dépit du grand nombre de films qu'ils ont réalisés c'est que la plupart ont commencé au temps du muet, la meilleure des écoles pour apprendre le récit cinématographique par l'image. Et Alfred Hitchcock a de plus assisté au tournage de l'un des chefs-d'oeuvre s'appuyant le moins sur les intertitres: "Le Dernier des Hommes" (1925) de Murnau. "The Lodger" est ainsi un film pétri de l'influence de l'expressionnisme allemand, Murnau bien sûr ("The Lodger" est économe lui aussi en intertitres) mais aussi Fritz Lang (le thème de la foule enragée et du lynchage fait penser à "M Le Maudit") (1931). Les éclairages très contrastés et les angles de prise de vue parfois biscornus font également penser à ce style ainsi que les illustrations qui accompagnent le titre et les intertitres.

Néanmoins, à partir de ces emprunts manifestes, Alfred Hitchcock développe son propre style et des thèmes qui deviendront les leitmotiv de toute son oeuvre. Les illustrations recourent à des motifs géométriques tels que le triangle et surtout le cercle et la spirale qui reviendront comme des obsessions dans des films ultérieurs. Les gros plans sur les visages des jeunes filles sur le point d'être massacrées en train de hurler d'effroi deviendront également récurrents jusqu'à "Frenzy". Les caractéristiques de leurs cheveux (blonds et bouclés) sont soulignées par un éclairage venu du dessous qui sera réemployé par exemple pour le verre de lait de "Soupçons". Par ailleurs on voit ainsi naître sous nos yeux la femme hitchcockienne, au moins physiquement. L'alternance de plans liés au meurtre et d'intertitres en forme d'enseigne clignotante de théâtre annonçant que l'on joue ce soir "Boucles d'or" a un caractère méta, cette distanciation ironique est aussi une signature de Alfred Hitchcock. De même que la proximité pour ne pas dire la fusion entre l'amour et la mort, l'amour naissant entre le locataire et Daisy pouvant être interprété à plusieurs reprises comme l'entreprise de séduction d'un prédateur envers sa proie (la manière de filmer ses gestes lorsqu'il tient un couteau ou un tisonnier laissant penser qu'il va l'agresser). Le flic amoureux de Daisy rapproche aussi Eros et Thanatos quand il évoque dans la même phrase la corde qui attend "l'Avenger" (surnom du tueur en série) et l'anneau qu'il veut passer au doigt de Daisy, sauf qu'il lui passe en réalité quelques instants les menottes qu'il a prévu pour le locataire (geste qui en dit long sur sa jalousie et le sort qui attend Daisy si elle l'épouse.) Autre idée majeure qui traverse le cinéma de Hitchcock: la dilatation du temps lors des scènes de suspense. Ainsi le plafond de verre illustre visuellement (puisqu'il n'y a pas de son) l'angoisse grandissante des parents de Daisy vis à vis de leur locataire lorsqu'il l'entendent faire les cent pas dans sa chambre située juste au-dessus d'eux et que l'on voit le lustre trembloter. Enfin pour la première fois, Alfred Hitchcock apparaît (à deux reprises même!) dans son propre film. Il ne s'agit pas alors d'un caméo clin d'oeil comme cela sera le cas plus tard mais de pallier au manque de figurants!

Mais ce qui fait de "The Lodger" le premier grand film de Alfred Hitchcock n'est pas tant la mise en place de procédés, de figures ou même de thèmes fétiches que la manière dont est traité le personnage principal et ce qu'il déclenche chez les autres. Sans identité propre (il n'est connu que par son statut, celui de locataire), il apparaît comme l'intrus venu de l'extérieur qui catalyse toutes les craintes de la famille qui l'héberge. Son lynchage apparaît comme le dénouement logique de ce mécanisme bien connu de projection du monstre qui est en soi, celui du bouc-émissaire. La mise en scène est d'ailleurs extrêmement christique (l'homme est pendu par les menottes à une grille et lorsqu'on le détache, on est proche de la descente de croix). Si le jeune homme est suspect, ce n'est pas seulement une question de coïncidences malheureuses c'est aussi lié à sa différence. Fragile, efféminé, il ne peut pas voir (littéralement) les jeunes filles blondes en peinture ce qui laisse entendre, (outre qu'il pourrait être le meurtrier) qu'il est homosexuel. Cela ne semble pas arrêter Daisy qui est attirée par lui au grand dam de son soupirant flic pataud et de ses parents. Cela donne des plans troublants, en particulier celui du baiser. Hitchcock a souvent filmé ceux-ci en gros plan et ce qui ressort ici, c'est l'impression de gémellité comme s'il embrassait son miroir. On a donc une plongée dans les abysses de la sexualité trouble (thème favori de Hitchcock) qui peut faire de ce jeune homme le premier de la longue lignée des faux coupables de la filmographie hitchcockienne ou bien le père de Norman Bates*.

La modernité de "The Lodger" suscita des réactions négatives de la part des distributeurs qui n'y comprenaient rien d'autant que le réalisateur de la firme pour laquelle avait travaillé Hitchcock avait entrepris un travail de sape (dicté sans doute par la jalousie). Mais grâce au producteur qui croyait au film, celui-ci put sortir et fut un triomphe: la carrière de Alfred Hitchcock était lancée!

* Le happy-end a été imposé à Alfred Hitchcock en raison de la notoriété de Ivor Novello alors que celui-ci aurait préféré conserver une fin ouverte. Cela préfigure "Soupçons" qui a beaucoup de points communs avec "The Lodger" dont un acteur charismatique dont il fallait préserver l'image! 

Voir les commentaires

Meurtre (Murder!)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1930)

Meurtre (Murder!)

Troisième film parlant de Alfred HITCHCOCK, "Meurtre" souffre d'une sérieuse baisse de rythme (et d'inspiration) en son milieu. Le début et la fin sont en revanche assez remarquables au niveau de la mise en scène et des thèmes traités. Car ce n'est pas un simple "whodunit" mais une réflexion sur l'interaction entre l'art et la vie, les apparences et la réalité. Le monde est filmé comme un théâtre ("Meurtre" est déjà un méta-film!) dans lequel s'agite une troupe de comédiens mêlés à une affaire de meurtre avec une coupable idéale (thème obsessionnel de Hitchcock). On pense beaucoup à "Douze hommes en colère" (1957) lors de la scène de délibérations des jurés. Sauf qu'il s'agit de son miroir inversé: la majorité triomphe de la minorité avec une puissance de persuasion suggérée par les cadrages et le montage qui mettent la pression sur celui qui ose penser différemment du troupeau. Homme qui se retrouve ensuite face à sa conscience lorsqu'il se regarde dans un vrai miroir en écoutant l'ouverture de "Tristan et Isolde" de Wagner. Pour élucider le mystère du véritable meurtrier, Sir John doit en effet traverser le miroir grâce aux artifices de son métier dans un va-et-vient entre vrai et faux qui fait penser à "Jeu dangereux" (1942). Sans surprise, la sexualité est au coeur du comportement du meurtrier qui tente non de cacher qu'il est métis (comme cela est dit) mais homosexuel (ce qui est suggéré visuellement mais ne peut être dit ouvertement). Par ailleurs, le film est encore marqué par le style expressionniste de l'époque du muet. La scène d'ouverture fondée sur un travelling dans une ruelle sombre au décor semblant fait de carton-pâte ou bien celle dans laquelle on voit l'ombre de la potence grandir sur le mur de la prison au fur et à mesure que les heures s'égrènent sont remarquables.

Voir les commentaires

Soleil vert (Soylent green)

Publié le par Rosalie210

Richard Fleischer (1973)

Soleil vert (Soylent green)

N'ayant jamais vu "Soleil Vert" et ne sachant pas ce qu'il renfermait, j'ai ressenti d'autant plus la puissance de ses images et ce, dès le générique. Epousant la forme d'un diaporama, celui-ci émancipe le film du contexte seventies dans lequel il a été tourné pour tracer une perspective de l'histoire américaine allant de l'invention de la photographie au XIX° jusqu'au futur bouché (2022 soit notre présent) qu'il place en continuité d'une industrialisation de plus en plus agressive et déshumanisée durant les 30 Glorieuses. Horizon en forme de terminus post-apocalyptique qui a aussi le visage d'une Amérique qui ne peut plus se projeter au-delà d'une frontière qui a atteint ses limites. Les limites physiques de la planète, celles que nous sommes en train d'éprouver, c'est déjà ce que "Soleil Vert" anticipe avec l'épuisement des ressources, la pollution, le surpeuplement, la canicule perpétuelle (aspect terriblement tangible pour nous et que l'on ressent à travers les images par le fait que les personnages sont en sueur) et par conséquent, l'accroissement des inégalités avec une minorité pouvant s'offrir de l'espace, du confort (la climatisation par exemple), des produits naturels et de jolies filles (confondues avec le mobilier) et une majorité de sans-abri réduite à l'état de bétail cuit à petit feu sous la chaleur, nourri aux aliments de synthèse et que l'on ramasse à la pelle quand il se révolte ou dans la benne à ordures quand il meurt. Mais ce que "Soleil Vert" à a offrir de plus fort, c'est le contraste(comme dans "La Jetée") (1963) entre cette science-fiction dystopique cauchemardesque et le souvenir de l'époque révolue où l'être humain, ancré dans la nature et la culture pouvait réellement s'épanouir et non survivre dans un ersatz totalitaire. Et pour donner chair et âme à ce passé, Richard FLEISCHER choisit de rendre un hommage bouleversant à l'un des acteurs les plus emblématiques de l'âge d'or d'Hollywood: Edward G. ROBINSON dont il savait (tout comme Charlton HESTON qui pleure réellement dans la scène de sa mort) qu'il était condamné par la maladie et que ce serait son dernier rôle. Edward G. ROBINSON incarne Sol le fidèle assistant du héros, Thorn (Charlton HESTON), un flic qui n'a connu que le monde régi par la firme Soylent (qui donne son titre en VO au film, Soylent n'étant d'ailleurs pas lié au soleil mais au soja et à la lentille, rapporté au fait qu'elle produit la nourriture de synthèse dont dépendent désormais les humains). Sol a gardé la mémoire du passé qu'il entretient avec d'autres vieillards dans une bibliothèque clandestine qui représente l'un des derniers pôles de résistance d'un monde d'où les livres ont disparu. Mais à la manière de Stefan Zweig, il finit par capituler devant la barbarie en marche (car on ne peut pas ne pas songer devant les dernières scènes à la Shoah et à son infâme système d'exploitation des corps) et décide de se rendre au "foyer" qui est une clinique d'euthanasie dans laquelle on entoure celui qui a décidé de mourir de ses images et sa musique préférée. Rarement au cinéma, réalité et fiction auront ainsi fusionné, donnant à la scène une portée émotionnelle et philosophique immense.

Voir les commentaires

Diaboliquement vôtre

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1967)

Diaboliquement vôtre

Un film victime de la mode est un film rapidement démodé. Ayant récemment visionné le premier film de Julien Duvivier, "Haceldama" (1919), j'ai eu envie de voir le dernier "Diaboliquement vôtre", sorti alors que Julien Duvivier venait de décéder au volant de sa voiture. Ironie du sort, le film s'ouvre sur un générique trépidant en caméra subjective censé simuler une vitesse excessive puis un accident de la route. Mais une fois ces premières minutes écoulées, le film s'avère décevant. D'abord et surtout parce qu'il est impersonnel. "Diaboliquement vôtre" est calqué sur ce qui marchait à l'époque, c'est à dire le thriller de machination dérivé (jusque dans le titre!) du film de Henri-George Clouzot, "Les Diaboliques" et de certains thrillers hitchcockiens (en premier lieu "Vertigo"). Mais sans le génie de l'un et de l'autre bien entendu. Car en prime l'intrigue est grossièrement ficelée et la plupart des acteurs ont un jeu trop limité pour s'en dépêtrer honorablement. On est gêné pour la pauvre Senta Berger (engagée pour sa plastique qui permet au spectateur de se rincer l'oeil lorsqu'elle apparaît dans un déshabillé suggestif) censé interpréter l'épouse de l'accidenté amnésique et qui ne sait utiliser qu'un seul registre, celui de l'infantilisation à outrance. Quant on sait que l'accidenté est interprété par un Alain Delon au top de sa virilité féline, lui parler comme à un demeuré ou un enfant de deux ans ne colle pas du tout. Les autres sont encore plus mono-expressifs si possible. Seul Alain Delon crève l'écran (ce qui n'est pas difficile) mais il n'est vraiment pas aidé par le scénario mollasson et convenu. Et lui aussi est employé pour de mauvaises raisons (c'était l'acteur en vogue que tout le monde s'arrachait). Dommage donc que la carrière de Julien Duvivier s'achève sur cette sortie de route qui n'a même pas été un succès commercial.

Voir les commentaires

Go for Sisters

Publié le par Rosalie210

John Sayles (2013)

Go for Sisters

John SAYLES est un pilier du cinéma indépendant américain méconnu en France. Et pour cause, seuls 7 de ses 18 longs-métrages réalisés entre 1979 et 2013 y ont été distribués à ce jour. Le prix à payer pour cette indépendance, son engagement à gauche et le fait de ne pas entrer dans les cases (il n'a d'ailleurs plus rien tourné depuis 2013). Il est significatif que son film le plus accessible chez nous soit "Lone Star" (1996) parce que s'agissant d'un néo-western tourné à la même époque que "Impitoyable" (1992) qui rencontra un grand succès. Mais les films moins immédiatement identifiables passèrent sous les radars. Comme un autre pape du cinéma indépendant américain, John CASSAVETES, John SAYLES put produire ses films en travaillant à côté pour Hollywood, non en tant qu'acteur mais en tant que scénariste (on peut trouver d'ailleurs aussi en VOD des séries B scénarisées par lui comme "Hurlements" (1980) de Joe Dante). La Cinémathèque lui offre en ce moment une rétrospective et a mis en ligne gratuitement sur sa plateforme Henri son dernier film à ce jour "Go for Sisters" jusqu'au 30 novembre 2021.

"Go for Sisters" frappe aussi bien par son réalisme que par son humanisme. C'est un film qui comme on peut s'en douter a été réalisé avec un petit budget (mais de façon très professionnelle, tant sur la forme que dans le fond) et fait la part belle à ceux que le cinéma mainstream néglige, en particulier les minorités ethniques, les pauvres, les handicapés*. On y voit deux afro-américaines (les "sisters" du titre) liées par une amitié de jeunesse se lancer à la recherche du fils de l'une d'entre elle avec l'aide d'un ancien flic d'origine mexicaine à moitié aveugle. Sur cette trame de polar plutôt classique viennent se greffer des scènes d'une sidérante justesse sur ce que signifie être défavorisé aux USA ou pire encore, un migrant illégal en attente de passage de l'autre côté de la frontière. De façon très intelligente, John SAYLES a en effet dédoublé les personnages. Bernice (Lisa Gay HAMILTON) et Fontayne se situent au début du film de chaque côté de la loi mais tout le reste du film tend à montrer que ce qui les rapproche est bien plus fort que ce qui les sépare. Fontayne (Yolonda ROSS) qui est en liberté conditionnelle fait preuve d'un certain fatalisme par rapport à sa situation (peut-on échapper à la prison et à la drogue quand on vit depuis toujours dans un ghetto dont les seules perspectives sont... la drogue et la prison?) mais Bernice qui a bénéficié de meilleures conditions de vie dès l'enfance et donc d'un meilleur destin se retrouve plongée dans une situation équivalente au travers de son fils qu'elle a élevé seule et qui après avoir trempé dans une sale histoire de meurtre et de trafic de migrants à la frontière américano-mexicaine se retrouve en danger de mort. Les deux actrices sont excellentes ce qui donne beaucoup de relief à leur personnage et à leur relation. Quant à Suarez (Edward James OLMOS), le flic latino retraité reconverti en détective officieux et que tout le monde surnomme le "terminator", il est impressionnant de charisme avec sa trogne ridée, patinée et crevassée. Sans jamais le déclarer ouvertement, tout laisse à penser qu'il s'agit d'un vieux cowboy défenseur plein de panache de la veuve et de l'orphelin. Des stars afro-américaines viennent soutenir le temps de quelques scènes ce film-combat (Mahershala ALI et Harold PERRINEAU).

* C'est là qu'on voit le gouffre qui sépare un John SAYLES des cinéastes américains indépendants consacrés par l'intelligentsia française et présents dans les plus grands festivals tels que David LYNCH, Jim JARMUSCH ou Wes ANDERSON. Des réalisateurs issus de l'élite (les deux derniers sont d'ailleurs qualifiés d'aristocrates à tendance dandy) déconnectés du réel et mettant majoritairement en scène des personnages blancs de l'upper class (sauf Jim JARMUSCH dont les castings sont plus bigarrés).

Voir les commentaires

Marie-Octobre

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1959)

Marie-Octobre

"Marie-Octobre" repose sur un paradoxe fascinant qui en fait toute sa force: des gens troubles nageant dans des eaux limpides. A la manière d'un jeu de Cluedo, il s'agit d'un huis-clos réunissant onze personnages qui ne sortiront pas de la pièce tant que le "whodunit" ne sera pas résolu. Venus d'horizons très divers et de tempéraments très différents (et faisant penser en cela à un autre huis-clos policier célèbre, celui des "10 petits nègres" de Agatha Christie), tous ces personnages ont en commun d'avoir appartenu quinze ans auparavant à un réseau de Résistance découvert par les allemands ce qui a abouti à la mort de leur chef, Castille. Lorsque la seule femme du groupe les réunit de nouveau à l'occasion d'un dîner, c'est pour leur annoncer qu'elle a appris qu'ils avaient été vendus par l'un des leurs. Dès lors, le vers est dans le fruit, le huis-clos agit à plein avivé par la mise en scène de Julien DUVIVIER qui agit comme un étau et la tension se fait de plus en plus forte jusqu'à la découverte du coupable qui non content d'être un traître s'avère aussi avoir volé l'organisation et assassiné Castille. On découvre au passage les zones d'ombres de chacun des personnages, que ce soit un passé fasciste, des secrets et des mensonges ou encore des erreurs inavouables. Les personnages forment un panel représentatif de la société (industriels, médecins, magistrats, commerçants, ouvriers et même ex-truand reconverti dans le business érotique) interprétés par un panel tout aussi représentatif des acteurs français de cette époque (Danielle DARRIEUX, Paul MEURISSE, Lino VENTURA, Bernard BLIER, Serge REGGIANI, Paul FRANKEUR, Robert DALBAN ou encore Noël ROQUEVERT).

Bien que très différent par son contexte et dans sa forme de "La Belle Équipe" (1936), je trouve que "Marie-Octobre" lui ressemble beaucoup. Soit une petite communauté masculine autrefois réunie autour d'un bel idéal mais qui finit "façon puzzle" par la faute d'une femme. Pas seulement parce que c'est elle qui a découvert qu'ils avaient été trahis et qui lance les hostilités mais parce que les causes de cette trahison remontent jusqu'à elle. Avec un peu de mauvaise foi, on pourrait même la juger coupable de tout tant il est facile de rejeter la responsabilité de ce qui s'avère être un "crime passionnel" sur elle. C'est d'ailleurs elle qui finit par endosser le crime envisagé par le groupe. La noirceur de Julien DUVIVIER est, il faut le dire, teintée d'une misogynie toute biblique. Il fait de la femme celle dont l'altérité détruit l'harmonie de l'entre-soi masculin. C'est la faute à Eve si les hommes ont été chassés du paradis. Autrement dit lui aussi est paradoxal en faisant des films aux idéaux progressistes mais aux ressorts réactionnaires.

Voir les commentaires

Frenzy

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1972)

Frenzy

"Frenzy", avant-dernier film de l'un des plus grands cinéastes de l'histoire peut être considéré comme son film-testament. En effet il constitue la quintessence de son cinéma. On peut y humer un parfum d'Angleterre, terre de ses origines d'où est issue près de la moitié de sa filmographie. Le film aurait pu s'appeler "le ventre de Londres" (en référence au "Ventre de Paris" de Emile Zola) parce qu'il se déroule au coeur d'un marché de fruits et légumes dont Alfred HITCHCOCK capte les pulsations mais aussi parce qu'il met beaucoup les tripes en avant. Dans une sorte de running gag, l'épouse de l'inspecteur de police lui cuisine des plats plus organiques les uns que les autres: des tripes bien évidemment mais aussi des pieds de porc, des canetons ou encore une soupe de poisson avec des morceaux entiers dedans. Une nourriture faite de cadavres (entiers ou morcelés) qui sert de métaphore aux crimes en série commis par celui qui dans l'imaginaire collectif des londoniens fait figure de nouveau Jack l'Eventreur. Alfred HITCHCOCK peut ainsi établir une nouvelle variante de ses thèmes fétiches dont font partie la psychopathologie sexuelle et le faux coupable. La nouveauté par rapport à ses classiques des années cinquante et soixante tient encore une fois à la crudité organique des images. Alors que les crimes avaient lieu dans ses précédents films hors-champ ou bien étaient plus ou moins édulcorés par divers procédés cinématographiques destinés à déjouer le code Hays quand il était en vigueur, dans "Frenzy", Alfred HITCHCOCK peut tout montrer. Les cadavres des victimes du tueur, dénudées ressemblent à des morceaux de viande froide et à la manière de Michael POWELL dans "Le Voyeur" (1960), l'agonie est montrée en très gros plans avec tous les détails (yeux révulsés, langue sortant de la bouche etc.)*. Le tueur lui-même lorsqu'il est en action fait penser à un porc suant et haletant. Pour en rajouter une couche, l'un des morceaux de bravoure du film se déroule dans un camion transportant des patates au milieu desquelles le tueur a dissimulé un corps qu'il est obligé d'exhumer avant de lui briser les doigts rigidifiés pour en extirper un objet compromettant. Des détails très concrets qui marquent l'esprit. Cependant Alfred HITCHCOCK n'abuse pas du procédé et alterne scènes/plans frontaux (le premier meurtre) et art de la suggestion par le hors-champ (le deuxième meurtre). Cela suffit amplement à compenser une distribution moins flamboyante qu'à l'époque de son âge d'or avec des prestations inégales (Jon FINCH est très moyen, l'assassinat des femmes de son entourage n'ayant pas l'air de l'affecter plus que ça) ainsi qu'une intrigue assez prévisible.

* Il reprend également la même actrice, Anna MASSEY.

Voir les commentaires

Chantage (Blackmail)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1929)

Chantage (Blackmail)

"Chantage" est un tournant dans la filmographie de Alfred HITCHCOCK. D'abord parce que c'est son premier film parlant et le premier film parlant du cinéma britannique. La transition est d'ailleurs très marquée dans le film qui fut d'abord tourné en version muette avant que le réalisateur n'obtienne les moyens techniques de le rendre parlant. Il fallut alors retourner certaines scènes tandis que l'actrice principale, Anny ONDRA fut postsynchronisée (ce qui était une nouveauté) à cause de son accent étranger trop prononcé. Les premières scènes du film sont restées muettes (on voit les lèvres bouger mais aucun son n'en sort) sans que la compréhension de l'intrigue n'en soit affectée tant Alfred HITCHCOCK démontre déjà à cette époque sa maîtrise du récit par l'image. D'autres sont sonorisées mais dépourvues de dialogue. Il s'agit de toutes celles qui montrent le trouble et l'errance d'Alice White après son geste fatal. La mise en scène adopte la subjectivité d'une personne qui subit ce qui s'apparente à du stress post-traumatique ce qui est très moderne. L'enseigne lumineuse publicitaire clignotante qui dans l'hallucination d'Alice devient un poignard répétant son geste à l'infini est une image particulièrement éloquente.

Car "Chantage" est aussi la matrice de toute l'oeuvre à venir de Alfred HITCHCOCK. Citons la prédilection pour le genre policier, la blondeur de l'héroïne, une étreinte mortelle faisant penser à une scène d'amour, les ellipses au profit de gros plans sur des détails "clés" (y compris sonores!), un mode opératoire qui annonce celui de "Le Crime était presque parfait" (1954), le thème du faux coupable (subverti ici, la coupable ayant agi en état de légitime défense et l'innocent accusé à tort étant une crapule au casier judiciaire chargé ce qui place le spectateur dans une position morale inconfortable), une scène d'action spectaculaire sur les cimes d'un monument très connu (ici le British Museum) ou encore un dénouement qui si Alfred HITCHCOCK avait pu obtenir le feu vert des producteurs aurait ressemblé à celle de "Vertigo" (1958) c'est à dire une boucle temporelle dans laquelle la jeune femme aurait été obligé de répéter son geste comme enfermée dans une fatalité renvoyant à l'image publicitaire simulant le mouvement d'un coup de poignard répété à l'infini. Du très grand art!

Voir les commentaires

Dans la brume électrique (In the Electric Mist)

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (2009)

Dans la brume électrique (In the Electric Mist)

Intéressant polar métaphysique d'atmosphère se situant dans la lignée de "Coup de torchon" (1981) mais dans un contexte non plus colonial africain mais américain. Plus exactement la Louisiane, incarnation d'un monde à la fois pourri et chamanique (l'électricité et la brume du titre). Bertrand TAVERNIER tire sur les deux ficelles avec un inégal bonheur. Le polar manque de rythme et est parfois confus, sans doute parce qu'il se marie mal avec les passages métaphysiques qui semblent plaqués de façon assez artificielle dans le but de faire revivre le lourd passé du coin. L'histoire de la Louisiane est en effet convoquée dans ce film qui efface la frontière entre présent et passé, rêve et réalité. Guerre de Sécession du XIX°, violences racistes des années 60 et ouragan Katrina de 2005 forment une continuité temporelle brisée par les choix formels du cinéaste (hallucinations dans le premier cas, flashbacks dans le second et stigmates dans l'image et dans l'intrigue pour le troisième). L'humour grinçant de "Coup de torchon" (1981) est remplacé par une sourde mélancolie charriée par Dave Robicheaux, personnage créé par le romancier James Lee Burke. Tommy Lee JONES avec son allure usée porte le film sur les épaules. Il est secondé par l'excellent John GOODMAN dans le rôle du mafieux symbolisant la gangrène du pays que Robicheaux veut extirper avec des méthodes expéditives qui font également penser à celles d'un "Taxi Driver" (1976) du marécage. Une comparaison pas anodine: Martin SCORSESE et Bertrand TAVERNIER qui s'étaient connus dans les années 70 avaient de nombreuses affinités notamment en matière de goûts cinéphiliques (je pense par exemple à leur passion commune pour Michael POWELL) et le premier a joué pour le second dans "Autour de minuit" (1986). Il y a donc comme un lointain écho de Travis Bickle dans Dave Robicheaux, ces deux vétérans du Vietnam qui s'improvisent justicier et "nettoyeurs des bas-fonds" pour sauver ou venger de jeunes prostituées.

Voir les commentaires

Les Révoltés (Outside the Law)

Publié le par Rosalie210

Tod Browning (1920)

Les Révoltés (Outside the Law)

"Outside the law" (traduit par "Les Révoltés" mais je préfère le titre en VO, plus significatif) est la deuxième collaboration entre Tod BROWNING et son acteur fétiche Lon CHANEY, spécialiste des métamorphoses (souvent monstrueuses). Comme dans leur premier film en commun, "Fleur sans tache" (1919), le personnage féminin est joué par Priscilla DEAN, se situe dans le milieu de la pègre et a pour thème principal celui de la rédemption. Mais contrairement à "Fleur sans tache" dans lequel Lon CHANEY jouait seulement le rôle du truand, dans "Les Révoltés", il joue deux rôles. Le second, celui d'un chinois* au service d'une sorte de philosophe bouddhiste est aux antipodes du premier. Il est d'un côté le mal absolu sous les traits de Black Mike Sylva qui n'a de cesse que de perdre "Silent" Madden et sa fille Molly qui veulent s'en sortir. De l'autre, sous les traits de Ah Wing il est au service du bien, Chang Lo ne cessant par sa sagesse de tenter de désamorcer la violence qui gangrène le chinatown de San Francisco (du côté des flics comme du côté des voyous). Entre le film de gangsters et le cabinet de philosophie orientale**, Tod BROWNING introduit une pause (un peu longuette) lorgnant du côté de la comédie avec la découverte par Molly et son ami dans leur planque des joies de la parentalité avec un gamin craquant qui fait penser à celui du film de Charles CHAPLIN (il y a aussi toute une portée de chiots plus mignons les uns que les autres). La bagarre de la fin (tout comme la fusillade du début) bénéficie d'un rythme haletant avec un science du montage parfaite, dommage que la pellicule soit très abîmée dans les quinze dernières minutes. Le film est donc inégal avec des morceaux de grand cinéma et d'autres plus moyens et le film ne fait pas partie des meilleurs opus du tandem mais il vaut la peine d'être découvert. A noter que dix ans plus tard, Tod BROWNING fera un remake de son film comme cela se pratiquait quand il y avait une révolution technologique, ici le parlant.

* Comme les noirs, les asiatiques étaient interprétés à l'époque par des blancs grimés dans le cinéma hollywoodien.

** Bien que ne se déroulant pas dans les mêmes villes, l'ambiance m'a fait penser à des films néo-noirs alliant pègre et orientalisme ("Chinatown" (1974) et "Il était une fois en Amérique") (1984).

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>