La Veuve Couderc
Pierre Granier-Deferre (1971)
"La veuve Couderc" est un film très réussi. Il possède de nombreuses qualités. N'ayant pas lu l'oeuvre originale de Simenon, je ne peux juger que d'après le film. Celui-ci est une fine étude de moeurs du monde paysan des années 30 qui ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis "La Terre" de Emile Zola. Une famille déchirée (au sens propre avec cette écluse qui passe entre les deux maisons ennemies) par une sordide histoire d'héritage. Mais aussi les regards lourds, insistants, méprisants des bonnes femmes du village sur la "veuve Couderc", "femme de mauvaise vie" qui après avoir subi en tant que servante les viols de son patron et du fils de celui-ci a renversé le rapport de forces en épousant le second dont elle est veuve et rendant le premier dépendant de ses "services". Et ce, au grand dam de sa belle-soeur (Monique CHAUMETTE) et de son mari (Boby LAPOINTE) qui se sont lancés dans une guerre d'usure pour chasser l'intruse de la maison où elle réside en face de la leur. C'est dans ce cadre délétère renforcé encore par le contexte historique de l'année 1934 (l'affaire Stavisky ternissant la République et la montée en puissance de l'extrême-droite symbolisée par des ligues nationalistes comme les croix de feu) que Pierre GRANIER-DEFERRE réussit à placer quelques belles respirations poétiques. Des péniches qui traversent silencieusement le canal comme autant d'appels vers le large, vers la liberté. Et la rencontre entre la veuve Couderc et Jean le repris de justice, entre Simone SIGNORET et Alain DELON. Parce qu'il est évident qu'entre ces deux monstres sacrés, le courant est passé. Une compréhension mutuelle entre ces deux personnages de parias qui se nourrit d'une tendresse évidente, palpable entre les deux acteurs. C'est sans doute cela qui a conduit Pierre GRANIER-DEFERRE à préserver cette complicité jusqu'au bout du récit, quitte à en changer l'issue. Il n'est pas fréquent de voir Alain DELON exprimer autant d'émotions à l'écran. La romance scandaleuse qui se noue entre les deux personnages à la différence d'âge marquée est un bras d'honneur à la société de dégénérés qui les entourent, symbolisée notamment par Félicie (Ottavia PICCOLO) qui semble avoir deux ans d'âge mental mais aussi par la montée en puissance du fascisme avec une fin qui a un petit côté "Bonnie et Clyde" (1967) avant l'heure.