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Articles avec #pialat (maurice) tag

L'Enfance nue

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1968)

L'Enfance nue

"L'Enfance nue" est le premier long-métrage de Maurice Pialat. Et c'est disons-le immédiatement, un film rare, un film à part. Alors que l'immense majorité de la production d'époque (de qualité ou non) a un caractère hors-sol, "L'Enfance nue" renvoie avec une justesse confondante au monde dans lequel ont vécu mes parents et donc par ricochet, celui dans lequel j'ai grandi. Bien que la région ne soit pas du tout la même, j'ai reconnu avec nostalgie une foultitude d'éléments de mon enfance, dans les vêtements, l'ameublement, la décoration, le phrasé, les postures corporelles, le quotidien, le mode de vie. Tous ces éléments capturent pour la postérité l'essence de l'âme et de la culture populaire hexagonale telle qu'elle était à la fin des années soixante, comme si Maurice Pialat savait déjà qu'elle allait disparaître. Il s'immerge dans cet univers, s'approche au plus près de ce qu'il filme, il nous fait ressentir la rudesse de ces existences et en même temps l'humanité et la dignité de ces (soi-disant) "petites gens". Son film a une pâte unique, il semble fait de matière brute et de gros blocs juxtaposés (les transitions n'intéressent visiblement pas Pialat). Le parallèle avec l'activité de peintre du cinéaste m'a d'ailleurs sauté aux yeux.

Par ailleurs, il y a du John Cassavetes (l'un de mes cinéastes préférés) chez Maurice Pialat dans le désir de saisir la vérité humaine dans toutes ses contradictions, sans fard (le titre "l'Enfance nue", l'évoque très bien). J'ai fait des recherches et découvert qu'un article (en anglais) leur avait été consacré, analysant leurs points communs: leur singularité, leur farouche indépendance, leur émergence dans la période suivant la nouvelle vague, le caractère improvisé d'un cinéma saisi sur le vif (qu'il soit en réalité maîtrisé comme chez Cassavetes ou pas chez Pialat qui emploie des acteurs non professionnels dans son film ce qui explique les bafouillages voire les erreurs de texte sans que cela n'affaiblisse pour autant la puissance que dégage le film) ou encore le va et vient de personnages qui semblent entrer et sortir du film comme nombre de personnes qui ne font qu'un passage temporaire dans notre vie. On peut également souligner le caractère théâtral de leur cinéma, "L'Enfance nue" ou "A nos amours", comme par exemple "Faces" ou "Une Femme sous influence" se déroulant principalement dans un lieu unique, l'intérieur du foyer.

Si le caractère ethnographique et documentaire de cette oeuvre est absolument remarquable, elle va bien au-delà en possédant la puissance de la fiction. L'histoire de cet enfant de l'assistance balloté de famille en famille, à la sensibilité exacerbée mais en même temps ingérable au quotidien est douloureuse. Sa soif d'amour bouleverse, ses bêtises déstabilisent et mettent les familles à l'épreuve. Personne ne sort tout à fait indemne d'un tel film.

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L'amour existe

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1960)

L'amour existe

L'amour existe est la première expérience professionnelle de Pialat dans le monde du cinéma. Ce court-métrage a une forte valeur documentaire car il constate avec une ironie acerbe les mutations des banlieues au début des années 60. Des banlieues hétéroclites sur le plan architectural mais froides, inhospitalières, sans âme, sans humanité, uniquement composées de lieux clos voire aveugles et de lieux de passage. D'un côté, il filme les zones pavillonnaires anciennes abritant des existences rabougries, repliées sur elles-mêmes à l'image des inscriptions des pancartes ornant les façades "Malgré tout", "Toi, moi et lui"; "Ca me suffit", "Mon bonheur", "Chiens méchants". De l'autre, il montre les bidonvilles d'immigrés ravagés par les incendies et les barres et tours d'HLM en construction qualifiées "de casernes civiles" ou "d'habitat concentrationnaire" où "le paysage étant généralement ingrat, on va jusqu'à supprimer les fenêtres puisqu'il n'y a rien à voir.". Mais le film n'est pas seulement un documentaire. S'y superpose une évocation nostalgique de l'enfance aux accents proustien "Longtemps j'ai habité la banlieue. Mon premier souvenir est un souvenir de banlieue." évoquant irrésistiblement l'incipit de Du côté de chez Swann "Longtemps je me suis couché de bonne heure." Enfin le film a une incontestable portée politique car il met en évidence, statistiques à l'appui la fracture urbaine entre les centres et les périphéries qui n'est autre que de la ségrégation socio-spatiale. Une ghettoïsation qui touche tous les âges de la vie: les jeux d'enfant dans les terrains vagues et les caves, les bagarres d'adolescents sans repères dans ces mêmes lieux, la routine métro (+ bus = des heures de trajet)-boulot (précaire et mal payé)-dodo des adultes et le soulagement amer de la vieillesse. L'amour existe qui est une antiphrase est à l'image de Maurice Pialat: triste, rageur, cynique et lucide voire désespéré.

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A nos amours

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1983)

A nos amours

En 1975, Pialat demanda à sa femme, Arlette Langmann, d'écrire un film sur ses souvenirs de jeunesse. Fille de fourreurs, elle avait un frère assez spécial, Claude Langmann devenu par la suite cinéaste et producteur sous le nom de Claude Berri. En 1978, Pialat réalisa Passe ton bac d'abord, tiré de ce canevas. Puis il écrivit Suzanne mais il n'obtint pas les crédits car il ressemblait trop à son précédent film. Il décida alors de privilégier les rapports familiaux et de mettre la fille au milieu, les garçons restant périphériques. Dominique Besnehard alors directeur de casting essaya de choisir un acteur pour le frère mais Pialat décréta que cela faisait trop "cinoche" (mauvais cinéma) et choisit Besnehard lui-même. Il aimait les "natures" qui existent et rayonnent spontanément ce qu'incarne parfaitement le choix de Sandrine Bonnaire (venue initialement accompagner sa soeur au casting) avec qui le lien de confiance fut immédiat. Pialat choisit de jouer lui-même le père. La seule actrice professionnelle du casting fut Evelyne Ker qui vécu d'autant plus mal la situation qu'elle était malade au moment du tournage.
Bonnaire était si moderne que Pialat décida de situer son film en 1983 (date du tournage) et non en 1963 comme cela était prévu initialement (période de jeunesse d'Arlette Langmann). Il était trop tard pour changer les décors mais au final l'aspect démodé de l'appartement des parents de Suzanne servit le film en accentuant le décalage entre elle et eux. Les scènes d'hystérie familiale n'en furent que plus fortes.

A l'image de Pialat, A nos amours est un film rugueux, peu aimable, organique et à l'humeur changeante. Peintre avant d'avoir été cinéaste, Pialat privilégie les éclats de vie au détriment des articulations du récit. De longues ellipses séparent les séquences qui racontent le difficile passage de Suzanne à l'âge adulte.
Bien qu'elle soit de toutes les séquences, Suzanne est un personnage énigmatique. On ne sait pas qui elle est, ce qu'elle pense. Ses comportements sont déroutants, paradoxaux et n'offrent aucune prise au spectateur. Par exemple si le début du film évoque la sexualité, l'été, la jeunesse, la chaleur, le générique casse cette image. On voit Suzanne de dos à la proue d'un bateau pendant que l'on entend The Cold Song chanté par Klaus Nomi (une adaptation de Purcell) qui prie pour qu'on le laisse mourir de froid car il ne retrouve pas sa fiancée. Suzanne devient ainsi cet être ambivalent à la fois perpétuellement en chaleur et dotée d'un coeur sec, froid, stérile. Parallèlement l'air rappelle qu'une sexualité débridée peut mener à la mort (Klaus Nomi est mort du sida en 1982, juste avant le film).
Pialat a offert un rôle si puissant à Sandrine Bonnaire que son personnage a survécu au film et s'est retrouvé dans d'autres films et d'autres cinéastes comme Sans toit ni loi d'Agnès Varda.

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