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Articles avec #ozu (yasujiro) tag

Voyage à Tokyo (Tôkyô monogatari)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1953)

Voyage à Tokyo (Tôkyô monogatari)

A la fin du film, Shukishi Hirayama (Chishû RYû) offre à sa belle-fille Noriko (Setsuko HARA) la montre de sa femme Tomi (Chieko HIGASHIYAMA) qui vient de décéder. Pour la remercier de son accueil envers eux durant leur séjour à Tokyo, il lui enjoint de reprendre le cours de sa vie, de faire le deuil de leur fils (son époux tué à la guerre huit ans auparavant) et d'accepter de les "trahir" en se remariant. Avec la montre, il lui offre le temps, ce temps auquel nul n'échappe, qui confronte les humains à la douleur de la perte et à la mélancolie. Mais se soustraire au temps c'est en quelque sorte passer à côté de sa vie.

"Voyage à Tokyo", le film qui a fait connaître le cinéma humaniste de Yasujiro OZU en France est une œuvre délicate, bouleversante et profonde sur les changements que le temps fait subir aux relations entre les parents qui vieillissent et leurs enfants qui grandissent et s'éloignent. La modernisation du Japon dans le cadre du deuxième miracle économique durant les années 50 et 60 contribue également à agrandir la distance entre les générations. C'est ainsi que par petites touches discrètes et en étant au plus près de ses personnages grâce à son regard caméra particulier, Yasujiro OZU dépeint la mise à l'écart des parents par leurs propres enfants qui n'ont plus de temps à leur consacrer, leur énergie étant entièrement dévolue à construire l'avenir économique du pays. Il y a une dimension certainement critique dans la description de cette modernité pour laquelle on sacrifie les relations humaines pour s'élever socialement et s'enrichir, la fille aînée se montrant de surcroît pingre et mesquine au point de ne penser qu'à récupérer les affaires de sa mère une fois celle-ci morte. Néanmoins Ozu est tout sauf manichéen et rappelle que couper le cordon et manifester un certain égoïsme est le prix à payer pour assumer une vie propre. Noriko qui vit dans le passé et pour qui en quelque sorte le temps s'est arrêté n'est pas heureuse. Si elle se sent si proche de ses beaux-parents c'est parce que comme eux elle se sent mise à l'écart et abandonnée. Mais elle est encore jeune si bien que cette attitude passive, ce refus d'évoluer a quelque chose d'infantile et de mortifère. C'est par amour pour elle que son beau-père lui enjoint de rejoindre le flux de ceux qui vivent même si cela signifie s'éloigner de lui "Quand on perd ses enfants, on est malheureux. Mais quand ils vivent, ils deviennent lointains. Il n'y a pas de solution au problème."

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Printemps tardif (Banshun)

Publié le par Rosalie210

Yazujiro Ozu (1949)

Printemps tardif (Banshun)


"Printemps tardif", mon film préféré de Yasujiro OZU, est considéré comme celui à partir duquel il a fixé son style définitif et ses thèmes de prédilection qu'il a ensuite décliné de film en film jusqu'à sa mort. Il s'agit d'un drame domestique, celui de la séparation entre un père et une fille qui vivaient jusque là dans une bulle d'harmonie, en parfaite osmose. Extrêmement subtil dans son approche, Yasujiro OZU ne juge pas, il donne à voir l'intériorité. Pas seulement celle des maisons avec sa caméra à hauteur des tatamis. Mais aussi celle des êtres. L'ami du père résume parfaitement le dilemme qui le tourmente à propos de sa fille "Si elle ne se marie pas tu as des soucis ; si elle se marie, tu as de la peine". Mieux que quiconque, Yasujiro OZU a filmé le syndrome du nid vide et les sentiments de perte et de deuil qui l'accompagnent. Mais mieux que quiconque, puisqu'il n'a jamais réussi à se séparer de sa mère, il connaît l'aspect mortifère de la peur du changement. Noriko rayonne de bonheur auprès de son père et refuse de le quitter. Néanmoins dire comme je l'ai lu très souvent qu'il s'agit d'un choix moderne me fait bien rire. Noriko est au contraire la jeune fille traditionnelle type, timide et dévouée au point de vouloir sacrifier sa vie pour servir son père, et ne surtout pas quitter le cocon familial dans lequel elle vit pour un inconnu qui l'effraye. Cette alliance incestuelle puisque la fille a pris la place de la mère disparue s'oppose aux intérêts de la société mais aussi au sens de la vie selon lequel on ne peut s'épanouir qu'en s'envolant et en prenant donc des risques. En la poussant au mariage, le père fait son devoir, pas seulement vis à vis de la pression sociale qui est très forte (Yasujiro OZU ne l'occulte pas au travers du personnage d'entremetteuse de la tante) mais également parce qu'il aime sa fille et qu'il sait qu'en la gardant auprès de lui, il l'empêche de devenir adulte. Si Noriko finit par se résigner à accepter un mariage arrangé, la seule voie alternative possible pour elle qui est si craintive, Yasujiro OZU montre que ce n'est plus la seule possibilité d'avenir pour les jeunes filles japonaises. L'amie de Noriko s'est mariée avec un homme qu'elle avait choisi elle-même, elle a divorcé et elle travaille. Une modernité imposée par la présence américaine dans le Japon d'après-guerre dont Ozu montre plusieurs fois les traces au travers des vêtements ou d'un panneau Coca-Cola. Il n'est pas innocent que père et fille fassent un pèlerinage à Kyoto, berceau du Japon traditionnel avant que Noriko ne saute le pas à Tokyo, symbole de modernité.

Ajoutons que si le film est dramatique, le stratagème du père pour faire partir sa fille et la réaction virulente de celle-ci a quelque chose de tragi-comique. Il faut voir les regards que celle-ci lance à son père et à la prétendue fiancée de celui-ci lors de la représentation du Nô auquel ils assistent. Comme elle l'avoue elle-même, l'idée qu'un homme plus âgé puisse se remarier (traduction: puisse avoir une sexualité) est pour elle quelque chose d'insupportable, quelque chose d'odieux, de dégoûtant et de déplaisant. Le choix du père nous paraît alors d'autant plus comme une mesure sanitaire d'urgence.

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Le Goût du saké (Sanma no aji)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1962)

Le Goût du saké (Sanma no aji)

On n'échappe pas au temps, telle est la conclusion de "La Jetée (1963)" dont le réalisateur Chris MARKER était un passionné du Japon et sa conscience vivace de l'impermanence des choses. C'est d'ailleurs le Kanji de l'impermanence (mu) qui orne la tombe de Yasujirô OZU, le plus intimiste des cinéastes japonais dont le style (caméra au sol, plans fixes) est reconnaissable entre mille. "Le goût du saké" est son dernier film réalisé au début des années 60. Comme dans beaucoup de ses films, il traite du moment crucial où les enfants quittent la cellule familiale, renvoyant les parents à leur solitude, leur vieillissement et la perspective de la mort. Quelques plans de pièces vides et silencieuses et tout est dit. Et lorsque le père refuse d'aller dans le sens du courant c'est à dire garde sa fille auprès de lui, ils vieillissent ensemble dans l'amertume et les regrets. On n'échappe pas au temps.Yasujirô OZU qui n'avait jamais quitté sa mère qu'il venait de perdre peu avant de succomber lui-même à un cancer en savait quelque chose. 

Parallèlement à ce drame intimiste, le film montre également par petites touches (toujours ces plans fixes dont la répétition souligne le sens) la transformation du Japon liée à l'occupation américaine et au miracle économique : voiture, enseignes lumineuses, frigo, whisky, baseball, usines, immeubles modernes, golf, érosion du couple et de la famille patriarcale, cohabitent avec la culture du Japon éternel, celle des sols en tatamis où l'on marche déchaussés et où l'on mange en tailleur sur des tables basses et des coussins. La nourriture occupe une place centrale dans la culture japonaise et le titre d'origine y fait référence ("Le goût du congre" un poisson d'automne symbolique de ce film crépusculaire est devenu "Le goût du saké" chez nous, notre connaissance culinaire du Japon étant très limitée).

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Tokyo-Ga

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1985)

Tokyo-Ga

Le voyage à Tokyo de Wim Wenders 30 ans après celui de Yasujiro Ozu est une quête des traces du Tokyo filmé par ce grand cinéaste japonais que Wenders admire pendant ses quarante années de carrière. Le désir d'aller découvrir une ville parce qu'un cinéaste vous l'a rendue proche est un sentiment que je connais bien. Par un bel effet de miroir, c'est le film de Wim Wenders "Les Ailes du désir" qui a créé une impression d'intimité avec Berlin et m'a donné envie de partir à sa découverte.

Néanmoins ce qui domine dans le documentaire de Wenders est le sentiment d'étrangeté, exactement comme dans le "Lost in Translation" de Sophia Coppola. Même s'il interroge longuement des collaborateurs d'Ozu (Chishu Ryu, son acteur phare et Yuharu Atsuta, son assistant caméra devenu caméraman principal) il peine à retrouver le regard d'Ozu (et notamment ses fameux plans à hauteur de tatami qui donnent à ses films leur caractère profondément humaniste) à travers son périple tokyoïte. La mégapole lui apparaît inhumaine, à la fois bruyante et pleine de solitude. En témoigne tous les passages un peu mécanistes du film autour du pachinko, du golf ou de la confection des mets en cire pour décorer les vitrines des restaurants. Néanmoins la méditation autour du kanji "mu" ("impermanence") qui orne la tombe de Ozu, la déambulation dans les cimetières où les japonais font l'hanami (pique-nique sous les cerisiers en fleur), la rencontre dans un bar de Shinjuku avec le photographe et cinéaste Chris Marker qui a réussi à créer un lien intime avec la culture japonaise ou encore l'entretien avec son compatriote Werner Herzog en déplacement à Tokyo en même temps que lui l'aident à surmonter sa déception et à apprivoiser la ville et sa poésie particulière.

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