Evolution
Kornél Mundruczó et Kata Wéber (2021)
"Evolution" est d'abord un tour de force technique: trois plans-séquence d'environ 30 minutes chacun pour suivre le parcours de trois générations d'une même famille juive germano-hongroise (inspirée de l'histoire de celle de la co-réalisatrice, Kata Wéber qui a également écrit le scénario d'après sa propre pièce de théâtre) victime puis hantée par la Shoah. La première partie est éprouvante et sidérante puisqu'elle se déroule dans le huis-clos d'une chambre à gaz au moment de la libération de Birkenau par les soviétiques. Elle n'est pas réaliste puisque les nazis les avaient détruites avant de prendre la fuite afin d'effacer les preuves les plus évidentes de leurs crimes. Elle montre -métaphoriquement- comment en dépit des efforts de nettoyage du site (entendez par là, d'effacement de la mémoire), celle-ci ressurgit au travers de vestiges humains incrustés dans des murs friables, enfouis dans un sol qui se dérobe et finit par révéler une enfant survivante, Eva. Enfant qui dans le deuxième volet est devenue une vieille femme sénile écrasée par le poids des souvenirs, enfermée dans son appartement de Budapest avec sa fille Léna qui ne supporte plus le fardeau familial et souhaite refaire sa vie à Berlin en faisant jouer le privilège que confère désormais le fait d'être juif puisqu'il permet d'accéder à l'entraide communautaire. Mais encore faut-il le prouver et quand on a passé sa vie à falsifier ses origines pour survivre, ce n'est pas simple. Le règlement de compte mère-fille passe par un déluge de paroles conçu pour faire éprouver au spectateur un sentiment d'étouffement faisant écho à la première séquence jusqu'à ce que celui-ci ne devienne, dans une nouvelle saillie surréaliste, un déluge d'eau. Enfin la dernière partie qui se déroule une dizaine d'années plus tard a pour personnage principal Jonas, le fils de Léna devenu un adolescent berlinois bien décidé à se construire librement, c'est à dire en dehors de l'héritage familial et trouve pour cela une âme soeur qui refuse tout comme lui les assignations culturelles et religieuses. Grâce au naturel de ce jeune couple, on échappe à la lourdeur de la démonstration qui semblait poindre (le retour de l'antisémitisme en relation avec les conflits du Moyen-Orient).
La démarche du film n'est pas sans faire penser à "Maus" qui essayait également de faire comprendre le poids que représente le fait d'être un enfant de survivant. Si selon moi le film ne parvient pas tout à fait à atteindre ses objectifs (j'ai trouvé que la deuxième séquence était un peu brouillonne et longuette et que la troisième frôlait la démonstration sans heureusement y tomber comme je l'ai dit), ce cinéma très dynamique, sensoriel et imagé mérite d'être découvert.