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Articles avec #mouratova (kira) tag

Le Syndrome asthénique (Astenitcheskiy sindrom)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (1989)

Le Syndrome asthénique (Astenitcheskiy sindrom)

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, la Cinémathèque propose durant environ un mois de voir l'un des films de Kira MOURATOVA sur sa plateforme de streaming, HENRI. "Le Syndrome asthénique" est déjà le cinquième film de la réalisatrice à être ainsi proposé gratuitement. Réalisé en 1989 durant l'ère de la Perestroïka de Gorbatchev (dont on aperçoit une photo dans l'une des scènes du film), c'est le dernier film de Kira Mouratova à avoir été réalisé sous l'ère soviétique. Alors que ceux qu'elle avait réalisé au début de sa carrière sortaient tout juste du placard où ils avaient été enfermés, "Le Syndrome asthénique" a quant à lui pu franchir les frontières puisqu'il a été primé au festival de Berlin.

Comme les autres films de la réalisatrice, "le Syndrome asthénique" est déroutant, chaotique, expérimental, profondément pessimiste. Pour la première fois, j'ai perçu une parenté entre Kira Mouratova et Kirill SEREBRENNIKOV, le réalisateur russe de "La Fièvre de Petrov" (2021) (le côté fébrile, les digressions, le désespoir, les va et vient entre noir et blanc et couleur, l'agressivité omniprésente et sans doute aussi le nombre élevé de scènes de nu). Scindé en deux parties qui se font écho, l'une en noir et blanc et l'autre en couleurs, le film commence par ce qui s'avère être une mise en abyme à savoir un film dans le film. On y sent comme une odeur de mort, on y voit un monde en putréfaction contre lequel ne cesse de se cogner une femme en deuil manifestement en colère, Natasha. Ses tentatives pour secouer les gens autour d'elle ne suscitent que de l'apathie. De même, quand on passe de l'autre côté du miroir afin d'interroger les spectateurs sur ce qu'ils ont vu (et qui est sans doute une métaphore de l'URSS en décomposition), on voir ceux-ci prendre la fuite, ne laissant dans la salle qu'un régiment aux ordres et un homme endormi, Nikolaï. C'est autour de lui que tourne la deuxième partie du film en couleurs car c'est lui qui est atteint du syndrome asthénique qui donne son titre au film. Incapable contrairement à Natasha de se battre (comme le montre une scène où il tente pitoyablement de faire réagir un élève qui refuse de lui obéir), il réagit à l'agressivité de son environnement par la fuite que lui offre la narcolepsie. L'impuissance de ces personnages à agir sur un monde qui se dérobe, la transformation des gens en une masse anonyme inhumaine indifférente à ce qui l'entoure, l'enfermement de chacun dans sa bulle, le délitement de toutes les structures (à commencer par celle de la famille), le tout dans un environnement agressif (hormis quelques pauses mélodiques et mélancoliques) préfigure "Mélodie pour orgue de barbarie" (2009). Les digressions enfoncent un peu plus le clou. Par exemple les nombreuses scènes mettant en scène des animaux les montrent soit subissant de mauvais traitements, soit en position de prédateur.

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Parmi les pierres grises (Sredi seryh kamnej)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (1983)

Parmi les pierres grises (Sredi seryh kamnej)

Adaptation de "En mauvaise compagnie" de Korolenko qui narre au XIX° siècle en Pologne l'amitié entre un petit orphelin de mère, fils d'un juge froid et distant et deux enfants très pauvres vivant dans les sous-sols d'une église avec leur père, "Parmi les pierres grises" est l'un des films les plus censurés de l'ère soviétique. Il a valu à sa réalisatrice un renvoi des studios d'Odessa ce qui en URSS était une décision rarissime. Qu'avait-elle donc pu filmer qui fâche ainsi les autorités? Rien de sciemment contestataire à l’égard du régime soviétique mais une farouche volonté de filmer les marges et notamment les mendiants et les vagabonds, leur volonté de vivre mais aussi l'aspect chaotique de leur existence aux portes de la folie. Car l'autre aspect de son cinéma qui a déplu, ce sont les trouvailles formelles ayant pour but de rendre compte d'un monde quasi surréel où rien n'est logique ni cohérent (aucune place pour une quelconque édification idéologique donc). Les voix s’ignorent, se chevauchent, les corps se bousculent, les esprits peinent à se comprendre à l'aide d'une désynchronisation volontaire des voix, d'effets de répétition ou de rupture, du jaillissement du passé dans le présent (la voix de la mère malade par exemple) ou encore de jeux d'ombres et de lumières. Toutes ces idées sont contenues dans un montage – réalisé par Mouratova – qu’on peut associer à une partition nécessairement cacophonique qui finirait par aboutir à une symphonie pour les exclus. En fin de compte, dans l’horizon étroit que put être le modèle soviétique, les films de Mouratova, tout à la fois tragiques et comiques ne correspondaient pas à l'image que le régime voulait donner du pays ni à l'usage qu'il souhaitait faire de l'outil cinématographique.

Comme "Mélodie pour orgue de Barbarie" réalisé vingt ans plus tard dans le contexte de l'Ukraine indépendante, "Parmi les pierres grises" est un conte à hauteur d'enfant qui exalte leurs capacités de résilience mais n'occulte rien de la dureté du monde qui les entoure et engloutit les plus faibles. Néanmoins, si la l'expérience de la mort fait partie intégrante de la vie de ces enfants à moitié orphelins qui jouent dans une église et un cimetière, la cruauté est combattue par une recherche de proximité qui triomphe un temps des clivages sociaux. Vassia donne une leçon d'humanité à son père en s'affiliant à une autre famille pourtant démunie de tout sauf de vitalité et de coeur soit deux choses dont il manque terriblement chez lui.

 

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Mélodie pour orgue de barbarie (Melodiya dlya sharmanki)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (2009)

Mélodie pour orgue de barbarie (Melodiya dlya sharmanki)

Le film le plus récent et le plus accessible de Kira Mouratova que j'ai pu voir jusqu'ici est un drame social épousant la forme d'un conte de noël tiré du folklore russe mais qui ne cache pas ses références à "La petite fille aux allumettes" de Hans Christian Andersen, au "Un chant de Noël" de Dickens et à "Le Petit garçon à l'arbre de noël du Christ" de Dostoïevski. A ceci près que les deux orphelins en cavale n'ont plus le réconfort de l'au-delà qui était de mise dans les oeuvres d'un XIX° siècle beaucoup moins sécularisé que notre XXI° siècle matérialiste et consumériste. Autrement dit la magie de noël n'est plus qu'un décor de carton-pâte cachant une effroyable misère matérielle, morale et spirituelle, celle des sociétés post-soviétiques qui ressemblent à un cauchemar post-apocalyptique. On retrouve le même profond pessimisme sur la nature humaine que celui qui était exprimé dans "L'Accordeur" où un escroc profitait de la souffrance affective de deux vieilles femmes vulnérables pour les dépouiller. Là ce sont deux enfants de pères différents refusant d'être séparés à la mort de leur mère qui se retrouvent victimes des adultes et des autres enfants dans la même situation qu'eux. Kira Mouratova utilise la présence des enfants comme un miroir révélateur des travers de de l'Ukraine post-soviétique*. Leur quête pour retrouver leurs pères respectifs se heurte à des murs d'indifférence ou à une peur paranoïaque. Leurs demandes restent la plupart du temps sans réponses, ils sont chassés des endroits où ils cherchent à se réfugier, leurs maigres biens leur sont volés, les quelques miettes mises à leur portée sont dérobées avant qu'ils aient pu mettre la main dessus alors que lorsqu'ils cherchent à voler à leur tour, ils sont immédiatement repérés contrairement aux adultes qui eux peuvent s'en mettre plein les poches en toute impunité et pour certains, afficher des fortunes tapageuses (une façon détournée d'évoquer l'enrichissement des oligarques dans les Etats de l'ancienne URSS). Kira Mouratova dresse le portrait d'une société férocement individualiste dans laquelle chacun est enfermé en lui-même (la scène des portables à la gare), indifférente au malheur d'autrui ou bien le considérant comme une gêne ou un danger ou au contraire comme un objet à acheter. Ajoutons que l'esthétique du film est particulièrement soignée avec un contraste quasi-permanent entre le monde blanc et noir du dehors (neige et nuit) et celui, coloré des arbres de noël et des lieux censés représenter la chaleur du foyer mais qui sont affreusement dénaturés, ouverts à tous les vents, inadaptés aux enfants ou bien inaccessibles.

* Si je devais faire une rétrospective sur ce thème, je mettrai ce film aux côtés de "Nobody Knows" de Hirokazu Kore-Eda ou de "La Nuit du Chasseur" de Charles Laughton. La référence biblique du massacre des innocents qui ouvre le film est commune à tous ces films, reflets de sociétés en crise.

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L'Accordeur (Nastroïchtchik)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (2004)

L'Accordeur (Nastroïchtchik)

Inspiré des mémoires d'un ancien chef de la police tsariste, l'histoire de "l'Accordeur" est transposée à une époque indéterminée: les personnage portent des costumes sans âge, le noir et blanc déréalise l'environnement ainsi que les cadrages serrés. Si le couple d'escrocs vivotant dans la marginalité qui vont monter un tour de passe-passe pour délester d'une jolie somme deux riches veuves d'âge mûr est assez haut en couleur et leur combine, astucieuse, ce que moi j'ai retenu du film est moins son aspect comique voire farcesque que son caractère mélancolique. Kira Mouratova dresse un portrait touchant des deux victimes, Anna et Liouba que leur manque affectif rend particulièrement naïves et crédules. Dès la première scène du film, le ton est donné: Liouba se jette sur le premier venu et lui offre de l'argent en échange d'une affection qui ne lui sera bien évidemment pas payée de retour. Plus tard, on la verra se faire arnaquer d'une manière encore plus grotesque dans un train. Anna observe avec condescendance les mésaventures de son amie, celle-ci lui servant de miroir de réassurance quant à son propre degré de vulnérabilité. Elle est donc complètement aveuglée par le numéro de séduction d'Andreï, l'accordeur de piano qu'elle a pris sous son aile et contrairement au spectateur qui n'en perd pas une miette, ne voit aucune des ficelles qu'il met en place pour la dépouiller.  

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Les Longs adieux (Dolguie provody)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (1971)

Les Longs adieux (Dolguie provody)

"Je me souviens dans un film, j'ai eu des sensations vraiment fortes de ce que c'est que toucher. C'étaient deux mains qui caressaient un chien. Les mains se frôlaient. celle du garçon n'osaient pas toucher celles de la fille. Et les poils du chien... ça faisait une impression... très érotique, je crois."

"C'était quel film?"

"Les longs adieux de Kira Mouratova."

"Akira, un japonais?"

"Non, Kira. Kira Mouratova. Une ukrainienne. J'adore ses films. C'est rare les films où on a l'impression que les choses existent à ce point, jusqu'à en sentir les caresses."

(Kira Mouratova par Jean-Paul Civeyrac, Blow Up, Arte, 2019 à l'occasion de la rétrospective consacrée à la cinéaste décédée en 2018 par la Cinémathèque).

Kira Mouratova, dont le second métrage, "Les Longs adieux" est disponible en ce moment sur la plateforme Henri de la Cinémathèque jusqu'au 5 avril 2022 a une identité complexe puisqu'elle est née en 1934 d'un père russe et d'une mère roumaine en Bessarabie, une région qui était alors roumaine (elle est aujourd'hui moldave). Mais elle a réalisé presque tous ses films dans le studio d'Odessa où elle a vécu jusqu'à sa mort ce qui l'a conduite à affirmer après la dislocation de l'URSS son identité ukrainienne, réaffirmée en 2014 lors de l'annexion de la Crimée. Durant toute sa carrière, elle a refusé de servir les intérêts de la propagande soviétique ce qui l'a exposée à la censure. Ainsi "Les Longs adieux" dont le ton contemplatif et mélancolique ne pouvait être utilisé pour galvaniser les foules est resté invisible jusqu'en 1987, date à laquelle il a été redécouvert durant la Perestroïka.

"Les Longs adieux" relate la relation tourmentée entre une mère divorcée possessive et immature et son fils adolescent mal dans sa peau. "Ni avec toi, ni sans toi" pourrait-on l'intituler tant le film ressemble à une valse-hésitation entre cette mère incapable de couper le cordon au point de ne pouvoir refaire sa vie et son fils qu'elle étouffe, qu'elle empêche de grandir et qui a bien du mal à trouver la bonne distance pour pouvoir exister par lui-même, ce que le film montre de façon éclatante au travers de l'éloignement et du rapprochement de leurs corps mais aussi de leur relation vis à vis d'autres corps. Car Sacha est attiré par les filles de son âge et son bouillonnement hormonal se traduit par des scènes extrêmement sensuelles (celle du chien mais aussi celle du ruban dans les cheveux). Il envisage également de partir vivre avec son père qui apparaît cependant comme bien trop lointain pour pouvoir l'arracher à sa mère à laquelle il reste scotché. De son côté, les velléités de séduction de celle-ci auprès d'hommes de son âge sont étouffées par l'obsession de perdre l'emprise qu'elle a sur son fils ce qui la conduit à adopter des comportements de harcèlement. La scène la plus impressionnante de ce point de vue est celle où à force d'insistance auprès d'une guichetière, elle parvient à subtiliser et à ouvrir le courrier envoyé par son ex-mari à Sacha en dépit de la précaution qu'a pris ce dernier d'utiliser la poste restante. Guichetière qui est enceinte ce qui expliquer sans doute qu'elle ne parvienne pas à résister à la pression maternelle, plus forte que la Loi des pères semble nous dire la cinéaste. Pas vraiment raccord avec l'idéologie soviétique, égalitaire de façade et patriarcale en profondeur dans laquelle les mères devaient enfanter une armée de travailleurs et de soldats pour la gloire du régime.

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